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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2578/2024

JTAPI/769/2024 du 12.08.2024 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2578/2024 LVD

JTAPI/769/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 12 août 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Sara STRUMMIELLO, avocate, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 31 juillet 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de douze jours, soit du 31 juillet 2024 à 17h00 au 12 août 2024 à 17h00, à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de contacter ou de s'approcher de Madame A______ et de l’enfant mineur C______, né le ______ 2023 et de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée située ______[GE].

Le séquestre de tous les moyens donnant accès au domicile susmentionné était également ordonné.

Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et indiquant notamment que M. B______ devait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec l'association VIRES, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 ; LVD - F 1 30), était motivée comme suit :

Description des dernières violences :

Voies de fait.

Description des violences précédentes :

Menaces, injures et voies de fait.

M. B______ démontrait par son comportement violent qu'il était nécessaire de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement administratif, afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes.

2.             Selon le rapport de renseignements établi le 31 juillet 2024, la police a été requise par la CECAL le 30 juillet 2024 vers 22h30 pour un conflit dans un appartement. Puis, avant l'arrivée de la patrouille, la CECAL a annoncé qu'une femme avec un bébé s'était réfugiée, en pleurs, dans une pizzeria située à ______[GE]. Il s'agissait du même conflit, soit des violences conjugales entre la femme, Mme A______ qui s'était réfugiée dans la pizzeria et son mari M. B______. Il y avait également eu un conflit entre Mme A______ et la sœur de son mari, Madame F______.

Concernant les antécédents des trente-six derniers mois, une intervention avait eu lieu le 2 février 2024 aux alentours de 22h30. Une voisine avait appelé parce que Mme A______ avait demandé de l'aide. Selon la requérante, le mari avait une arme. Finalement aucune arme et aucune violence physique. Il s'agissait d'un conflit verbal sur fond de jalousie.

Les époux vivaient ensemble avec leur fils C______, né le ______ 2023 et Mme F______ était de passage chez eux pendant quelques jours.

Mme A______ a déclaré que lors du conflit Mme F______ lui avait tiré les cheveux et l'avait giflée. Ensuite, son mari les aurait séparées. Il aurait giflé sa femme et tenté de l'étouffer pendant quelques minutes en lui saisissant le nez et la bouche et il lui aurait donné un coup à l'avant-bras.

Ils avaient constaté un hématome au niveau de son avant-bras gauche.

Mme A______ a confirmé vouloir déposer une plainte contre son mari et contre la sœur de ce dernier. Elle-même n'avait frappé aucun des deux.

3.             Lors de son audition par la police, M. B______ a déclaré qu'en 2011, il avait fait la connaissance de M. G______, soit l'oncle de Mme A______. Celui-ci lui avait présenté sa nièce en 2018, à travers Skype, avec qui il était resté en contact de 2018 à 2022 par les réseaux sociaux, sans toutefois se voir en vrai durant ces quatre ans. En 2020, il lui avait envoyé, au Pakistan, une bague de fiançailles afin d'officialiser leur couple auprès de leurs familles respectives. Durant ces quatre années, il avait également appris la langue ourdou afin de pouvoir communiquer avec sa future épouse.

Durant ces années, son ami M. G______ lui avait beaucoup parlé de son pays et de sa culture. Il était totalement obsédé par toutes les histoires de M. G______ qui lui paraissait idéales. Sa famille en Turquie n'était pas d'accord avec l'idée de ce mariage. Il avait été clairement influencé par son ami.

Le ______ 2022, il s'était rendu au Pakistan pour se marier, accompagné de sa sœur et de sa mère. C'était la première fois qu'il rencontrait son épouse. Le lendemain, ils s'étaient mariés de manière religieuse et aussi officielle.

Le 26 mai 2022, sa sœur, sa mère et lui-même étaient rentrés en Turquie. Sa femme l'avait rejoint le 7 juin 2022 après avoir obtenu le visa nécessaire. Il avait rapidement fait la demande pour que sa femme obtienne un titre de séjour en Suisse ce qu'elle avait eu rapidement. Toutefois, elle était restée sept mois en Turquie chez sa mère.

Le 20 juin 2023, sa femme l'avait rejoint à Genève alors qu'elle était enceinte de sept mois de leur enfant. À partir du mois d'août 2023, ils avaient commencé à avoir des disputes car son épouse était jalouse des clientes qu'il transportait. Leur situation s'était petit à petit dégradée depuis l'événement du 2 février 2024 qui avait nécessité l'intervention de la police. Il désirait divorcer ce que sa femme n'acceptait pas, parce que dans son pays c'était très mal vu.

Depuis ils avaient eu plusieurs disputes. Durant ces disputes, il était arrivé plusieurs fois que sa femme commette des actes de violence contre elle-même tels que s'arracher les cheveux, se taper la tête contre les murs et se donner des coups sur le corps. Il était convaincu qu'elle avait un problème psychologique et qu'elle devait se faire soigner.

Le 30 juillet 2024 vers 19h00 avec sa sœur, son fils et sa femme, ils étaient allés au bord du lac pour se baigner. Sa sœur était venue chez eux le 1er juillet 2024 pour passer des vacances. Sa femme n'était pas d'accord avec cela car elle trouvait que sa sœur au sein de leur famille était une charge au quotidien. Sa femme et sa sœur avaient eu plusieurs disputes en raison d'opinions différentes. Sa femme lui avait dit en langue ourdou que sa sœur était une ennemie.

Le 30 juillet 2024 vers 10h00, alors qu'il travaillait, sa femme l'avait harcelé avec une centaine d'appels téléphoniques. Il s'était alors énervé en lui expliquant qu'elle ne pouvait pas le harceler de la sorte. Cela faisait un an que sa femme se comportait ainsi quand il ne lui répondait pas tout de suite.

Le soir en question, vers 20h30, il était allé chercher de quoi manger tous ensemble. Toutefois, sa femme n'avait pas voulu les rejoindre puisqu'elle était énervée contre lui. Selon elle, il ne l'aimait plus depuis que sa sœur était arrivée dans la famille. Leur situation était devenue très conflictuelle et il n'acceptait le manque de respect répété de sa femme. Il avait décidé d'appeler son frère au Pakistan afin qu'il calme sa sœur. Il lui avait également dit que si elle continuait avec ses actes inadéquats, il irait jusqu'à mettre fin à leur mariage. Ayant entendu ses propos, sa femme avait voulu se venger auprès de sa sœur et avait dit « tu es une sale fille, tu es une merde ». Elle lui avait également demandé quand elle serait indépendante financièrement. Sa sœur s'était alors avancée vers sa femme et avait attrapé ses cheveux. Comme le bébé était dans les bras de sa femme, il s'était précipité afin de récupérer l'enfant. Les deux protagonistes avaient continué à se frapper jusqu'au hall de la maison. Cet échange avait duré entre 10 et 15 secondes. Il avait rapidement mis l'enfant en sécurité et avait séparé les deux femmes en tirant son épouse vers lui. Il l'avait ceinturée par le ventre afin de la ramener dans leur chambre. Au même moment, sa sœur criait qu'elle ne voulait plus rester chez eux et elle avait quitté le logement.

Dans la chambre, il avait mis sa femme dans le lit et avait posé ses mains au niveau de sa bouche pour qu'elle se taise. Ses mains étaient au niveau de sa bouche et non de son nez. Il lui avait demandé de se calmer à plusieurs reprises mais elle ne se calmait pas. Par énervement, il avait déchiré le pull qu'elle portait avec ses mains. Toutefois, il ne lui avait pas donné de coups. Suite à cet événement, sa femme était sortie du logement et il était resté avec l'enfant. Mais par la suite, il avait décidé de descendre avec son fils afin de retrouver sa sœur. Dehors, sa femme criait pour appeler la police auprès des propriétaires de la pizzeria. Il savait qu'ils allaient venir et il était resté cinq minutes à les attendre. À leur arrivée, sa femme avait récupéré leur enfant.

Il contestait avoir étouffé sa femme, il voulait juste qu'elle arrête de crier. Il avait placé ses mains sur sa bouche en lui demandant de se taire.

Concernant les diverses griffures sur les bras de sa femme, celle-ci se mutilait afin de l'accuser. Peut-être que durant la dispute avec sa sœur, elle avait eu des marques mais il n'en était pas sûr. Il n'avait pas frappé son épouse et son bleu au bras ne provenait pas de lui.

Ils avaient des disputes quotidiennes et s'étaient déjà insultés à diverses reprises. Cependant, ils ne s'étaient jamais frappés.

Il a ajouté que dès lors que la clé du logement était transmise à son épouse, il irait dormir dans un hôtel puis, les prochains jours, chez des amis jusqu'à ce qu'elle trouve un logement. Il avait l'intention de faire le nécessaire pour divorcer avec son avocat. De plus, il allait contacter l'Hospice général afin que qu'il verse directement les allocations familiales à son épouse ainsi que les aides sociales pour leur enfant.

Entendu une nouvelle fois après l'audition de sa femme, M. B______ a contesté avoir levé la main sur sa femme. Il reconnaissait l'avoir insultée car elle aussi elle l'insultait. Il était exact qu'il la menaçait de divorcer mais il ne l'avait jamais menacée physiquement.

Il a ensuite montré une vidéo aux policiers, datée du 25 juillet 2024 où l'on voyait sa femme en train donner le bain à leur fils. On pouvait voir sur le bras droit de son épouse un bleu or il savait qu'elle avait accusé sa sœur de lui avoir fait ça la veille.

4.             Lors de son audition par la police, Mme F______ a expliqué qu'elle se trouvait au domicile de son frère où elle était en vacances.

Une dispute était survenue entre son frère, B______, et sa femme, A______. Cette dernière avait d'abord parlé d'elle à son frère, en lui reprochant de l'héberger à leur frais. Ensuite, A______ s'était adressée à elle avec des mots désagréables, puis elle l'avait insultée en la traitant de « merde ». Suite à cette insulte, elle avait saisi cette femme par les bras et l'avait repoussée en arrière, sans violence. Puis, elle était allée dans sa chambre dans le but de récupérer ses affaires personnelles, en vue de quitter la Suisse ou se rendre chez son oncle à E______. A______ était sortie du logis car elle voulait faire appel à la police, mais elle était revenue rapidement dans sa chambre. Subitement, elle lui avait saisi les cheveux et l'avait tirée ainsi jusqu'à l'ascenseur sur le palier du deuxième étage. Sa saisie et le tirage de cheveux avaient duré environ une minute, avant que son frère n'intervienne et les sépare. Sinon, cela aurait continué plus longtemps. Immédiatement après cette agression, elle était retournée dans l'appartement pour récupérer ses affaires et elle avait quitté l'immeuble pour se rendre à l'aéroport en tram et en bus. Un peu plus tard, elle avait reçu un coup de fil de son frère qui lui avait demandé d'attendre l'arrivée d'une patrouille de police qui venait la chercher. Ensuite, elle avait été embarquée par la police qui l'avait conduite au poste de police de H______.

Elle contestait avoir frappé l'épouse de son frère et lui avoir tiré les cheveux.

C'était Mme A______ qui lui avait tiré les cheveux, comme expliqué auparavant. Elle ne lui avait donné aucun coup mais l'avait simplement repoussée en arrière en réponse à son injure. Lorsqu'elle l'avait saisie sur le haut de ses bras pour la repousser, il était possible qu'elle l'ait un peu secouée, mais sans violence.

Ce n'est pas elle qui avait causé l'hématome sur le bras de Mme A______. Celle-ci avait déjà cette blessure à l'avant-bras lorsqu'elle était arrivée au domicile de son frère, le 1er juillet 2024. Elle supposait que sa belle-sœur s'était blessée elle-même lors d'une dispute avec son frère, comme elle l'avait déjà fait auparavant en se mordant sur l'autre avant-bras. Cet hématome était vieux, comme on pouvait le voir par sa couleur. Si c'était elle qui l'avait blessée ainsi, cette trace serait plus rougeâtre et plus fraîche.

Elle n'avait pas insulté Mme A______. C'était elle qui l'avait traitée de "merde". Depuis son arrivée chez son frère, le 1er juillet 2024, elle avait déjà eu deux disputes, mais uniquement verbales, avec cette femme. Il n'y avait jamais eu de violence physique entre elle. La veille, A______ lui avait dit qu'elle était dérangée par sa présence au domicile familial.

Elle prévoyait de retourner en Turquie dans quelques jours, par avion.

Elle a encore précisé que lorsque Mme A______ lui avait tiré les cheveux, la veille, dans l'appartement de son frère, elle s'était exclamée en disant "en fait, j'attendais de faire ça !". L'accusation qu'elle portait contre elle en affirmant qu'elle l'avait blessée au bras était une calomnie.

5.             Lors de son audition par la police, Mme A______ a indiqué qu'elle avait rencontré son mari, par l'intermédiaire de l'un de ses oncles qui vivait à Genève. Ce dernier avait mis en relation la famille de B______ avec la sienne au Pakistan.

M. B______ était venu la rencontrer au Pakistan le 16 mai 2021. Cela était un peu un mariage arrangé mais ils étaient tous les deux consentants pour se marier. De ce fait, ils s'étaient mariés au Pakistan puis s'étaient rendus en Turquie où ils étaient restés environ dix jours, après cela B______ était rentré en Suisse et elle était restée sept mois avec la famille de son mari en Turquie.

Par la suite, il était venu la chercher et l'avait ramenée à Genève. Le 18 octobre 2023, C______ est né.

Concernant les fais du 30 juillet 2024, elle et son mari avaient eu un différend tout à fait normal dans la soirée. Suite à cela, son mari avait appelé sa sœur au Pakistan afin de se plaindre d'elle. Elle avait alors fait remarquer à son époux qu'elle était là et que s'il avait quelque chose à lui dire, il n'avait pas à appeler sa sœur qui n'avait rien à voir dans l'histoire. B______ l'avait alors giflée avec la main droite et la sœur de son mari, F______, s'en était aussi mêlée. Elle avait alors dit à F______ de se mêler de ses affaires et cette dernière lui avait également donné plusieurs gifles et tiré les cheveux. Elle tenait son fils de 9 mois dans les bras à ce moment. À ce moment-là, elle avait hurlé car elle avait eu peur. B______ l'avait saisie par les cheveux et l'avait amenée dans la chambre en lui disant de se taire car il lui donnait tout. Il avait ensuite mis ses deux mains sur sa bouche et à cet instant, elle avait aussi ses cheveux dans sa bouche. Il avait ensuite enlevé une main afin de l'étrangler et ensuite il avait remis ses deux mains sur sa bouche. Elle avait essayé de lui expliquer qu'elle n'arrivait plus à respirer. De ce fait, il avait retiré ses mains et les avait immédiatement remises sur sa bouche.

Elle a précisé que pendant ce temps, son fils se trouvait dans le salon et n'avait pas assisté à cette scène. Cela avait duré environ plusieurs minutes. Son mari était ensuite parti voir sa sœur et elle avait alors immédiatement quitté le domicile. À sa grande surprise, elle avait retrouvé F______ dehors. Elles avaient commencé à se disputer verbalement. Elle l'avait frappée et elle s'était défendue en lui rendant des coups. Cela était tellement confus qu'elle ne pouvait pas donner plus de détails. Suite à cela, elle était allée se réfugier dans un restaurant proche de chez elle. Son mari était venu avec son fils qu'elle avait récupéré.

Les policiers étaient arrivés et elle avait discuté avec eux. Ils lui avaient demandé où était son mari et elle leur avait montré ce dernier qui se trouvait dans la rue pas loin.

Son mari la frappait depuis le début de leur relation. Il la giflait lorsque qu'ils se disputaient. Il l'insultait également et la rabaissait constamment. Il menaçait aussi de tuer sa famille restée au pays. C'était presque comme de la torture psychologique.

La plupart du temps, ils avaient des disputes futiles. Lorsqu'elle était restée sept mois en Turquie, même sa mère la frappait.

Concernant d'autres violences physiques qu'elle aurait subies de la part de la sœur de son mari, cela était arrivé une fois où F______ lui avait claqué la porte dessus.

Elle a précisé qu'elle avait toujours essayé de tenir son fils éloigné de tout cela.

Son mari et sa belle-sœur n'avaient jamais levé la main sur son fils.

Concernant le souhait de son mari de divorcer, elle a indiqué que religieusement, ils étaient déjà divorcés. Avant cette dispute, il était vrai qu'elle ne voulait pas divorcer. Mais vu qu'ils lui indiquaient que son mari voulait divorcer, elle était d'accord de se séparer.

Au Pakistan, une femme toute seule ne valait rien et ses parents n'auraient pas les moyens de la nourrir. C'était pour cela qu'elle ne voulait pas se séparer. Mais elle avait compris qu'en Suisse, la femme avait des droits et de ce fait, elle voulait désormais se séparer.

Elle sollicitait l'éloignement de son mari et déposait plainte contre lui.

Elle a encore remis à la police le tee-shirt que son mari avait déchiré la veille.

6.             Par acte du 8 août 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 9 août 2024, Mme A______, par l’intermédiaire de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours.

Elle avait été victime de violences de la part de son mari depuis son installation en Suisse, alors qu'elle était enceinte, violences qui avaient perduré, et empiré, après son accouchement jusqu'aux faits dénoncés le 31 juillet 2024. Les violences n'avaient cessé que par le prononcé des mesures d'éloignement par le commissaire de police. Dans l'attente du dépôt des mesures protectrices de l'union conjugale, seule la prolongation des mesures d'éloignement était apte à atteindre le but visé, soit, sa sécurité et sa protection ainsi que de son fils, victime indirecte des violences. L'appartement du couple était son seul repère, y vivant depuis son arrivée en Suisse, isolée et sous l'emprise de son époux. Il était indispensable qu'elle puisse continuer à y résider en toute sécurité avec son fils, à tout le moins, avant qu'une solution soit discutée devant un tribunal. Compte tenu de la fragilité de sa situation, de la gravité des violences dont son mari était l'auteur la prolongation pour une durée de 30 jours était indispensable.

7.             Vu l'urgence, le tribunal a informé le conseil de Mme A______ par téléphone du 9 août 2024 et par courriel du même jour, ainsi que M. B______ par téléphone et par message sms du 9 août 2024, de l'audience qui se tiendrait le 12 août 2024.

8.             Lors de cette audience, Mme A______ a confirmé sa demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours.

M. B______ a indiqué avoir pris connaissance des pièces du dossier et relevait une erreur concernant la date du mariage qui était le ______ 2022.

Il n’était pas opposé à la demande de prolongation à la condition que pendant cette période il puisse néanmoins voir son fils C______.

Il a précisé qu’il était chauffeur de taxi et qu’il travaillait tôt le matin jusqu'aux environs de 14h00. Il avait trouvé une solution provisoire de logement pour le mois à venir, situé à ______[GE].

Il souhaitait pouvoir voir son fils trois fois par semaine à raison de deux heures chaque fois. Il a insisté sur le fait qu’il avait besoin de voir son fils et que celui-ci avait besoin de voir son papa. S’il ne pouvait pas pénétrer au domicile conjugal, il pouvait récupérer C______ dans le parc qui se situait en face de l'immeuble.

Mme A______ a indiqué qu'elle était d'accord que M. B______ rencontre leur enfant trois fois par semaine, à la condition que Mme F______ ne puisse pas voir C______.

M. B______ a indiqué que sa sœur F______ allait bientôt rentrer en Turquie. Elle était étudiante dans ce pays et devait quitter la Suisse autour du mois de septembre 2024. Il a précisé qu'elle avait la possibilité de séjourner pendant trois mois en Suisse. Sa sœur vivait actuellement avec lui à ______[GE]. Elle avait déposé plainte pénale à l'encontre de Mme A______.

Il a expliqué que depuis le début de leur mariage déjà, ils se disputaient presque tous les jours. Sa femme lui rendait la vie impossible. Elle se blessait elle-même. Il n’avait jamais vu quelqu'un se laver avec de l'eau de javel puis allaiter son enfant sans se rincer. Il pensait qu'elle avait un très grave problème psychologique et qu'elle devait consulter un spécialiste. Sa femme était particulièrement possessive et souhaitait sans arrêt communiquer avec lui. Pendant qu’il travaillait, elle n'arrêtait pas de le harceler de coups de téléphone puis elle lui reprochait d'avoir éteint son téléphone. Elle le menaçait de boire de l'eau de javel s’il ne rentrait pas à la maison sur le champ.

Mme A______ a expliqué que son mari lui reprochait constamment ses origines, en ce sens qu’elle viendrait d'un pays où les gens étaient des moins que rien. Il la dénigrait dès lors qu’elle ne connaîtrait rien de la culture ou des usages en Europe. Il la rabaissait sur son physique en lui disant qu’elle n'avait pas un très joli visage, lequel serait moins joli que celui de ses sœurs. Il lui disait également qu’elle n’était pas aussi forte que ses sœurs et qu’elle était toujours malade.

Pour sa part, elle considérait que c'était à lui de lui expliquer et de lui apprendre les us et coutumes de la Suisse.

Elle a confirmé que son mari la frappait régulièrement, parfois une fois par semaine, parfois une fois par mois.

Elle a précisé que lors de son séjour en Turquie, même la mère de M. B______ l'avait frappée. Celle-ci ne l'aimait pas du tout et ne cessait de critiquer tout ce qu’elle faisait, qu'il s'agisse des programmes de télévision qu’elle regardait ou la façon dont elle s'habillait.

Elle contestait avoir menacé de boire de l'eau de javel. Elle n’était pas folle. Concernant le fait qu’elle se serait versée de l'eau de javel sur le corps, elle a expliqué qu’elle avait été contrainte par sa famille de se marier avec M. B______. Depuis leur mariage, celui-ci n'avait pas cessé de la rabaisser de toutes les manières possibles. Elle se trouvait tellement en souffrance, ne pouvant plus supporter cela, que ça l'avait poussée à se verser de l'eau de javel dessus. En revanche, il n'était pas vrai qu’elle s’était automutilée le bras. C'était son mari qui lui avait fait ça.

M. B______ a contesté toute violence physique envers sa femme. Comme il l’avait déjà indiqué à la police, sa femme se frappait la tête contre les murs et s'arrachait les cheveux en lui reprochant de ne pas l'aimer suffisamment. Concernant les évènements du 2 février 2024, sa femme lui avait fait une énorme crise de jalousie après qu’il ait reçu un appel d'une cliente pour la conduire à l'aéroport. Elle avait alors crié à la fenêtre « Help me ». Six policiers et six ambulanciers étaient ensuite venus à la maison.

Il a ajouté que sa femme avait demandé aux policiers de suivre la femme avec qui il était au téléphone, à savoir sa cliente. Au terme de leur intervention, les policiers lui avaient conseillé d'amener sa femme voire un psychiatre.

Mme A______ a indiqué qu'à ce stade, elle ne souhaitait pas divorcer mais se séparer. Elle a rappelé que tout s'était bien passé en Turquie. Les problèmes avaient commencé avec son mari dès leur arrivée à Genève. Selon elle, un homme devait entourer sa femme et ne pas la dénigrer.

M. B______ a contesté avoir voulu étouffer sa femme. Il avait simplement tenté de la faire taire en lui mettant ma main sur la bouche. Il était toutefois exact qu’il avait déchiré son t-shirt au moment de la dispute.

Mme A______ a indiqué que pendant la durée de la mesure, son mari lui a simplement envoyé un message lui indiquant qu'il souhaitait voir leur enfant. Elle n’avait pas répondu.

M. B______ a confirmé qu'avant l'audience, il avait rencontré sa femme devant l'immeuble du tribunal. Il s’était alors approché de son fils qu'elle portait dans les bras pour passer un moment avec lui et lui montrer son amour juste avant l'audience. Il ne pensait pas qu’il n'avait pas le droit de faire cela pendant la durée de la mesure.

Mme A______ a expliqué concernant la dispute de février 2024, que la femme qui parlait au téléphone avec son mari lui parlait de son propre anniversaire. Il était quatre heures du matin lors de cet appel. C'était pour cela qu’elle avait demandé à la police de faire cesser cela.

Le conseil de Mme A______ avait fait observer que la question des rencontres entre M. B______ et son fils était aujourd'hui prématurée avant qu’elle soit en mesure de converser avec l'avocate de M. B______. Il lui semblait qu'à ce jour seules des rencontres médiatisées étaient envisageables, lesquelles pourraient être réglées très rapidement mais toutefois pas dans les tous prochains jours à venir.

M. B______ a souligné qu'il souhaitait vraiment pouvoir voir son fils rapidement par exemple cet après-midi à 17h00 lorsque sa femme serait à son cours de français. Les voisins qui les aimaient beaucoup pourraient servir d'intermédiaire.

Le conseil de Mme A______ a conclu à la prolongation de la mesure d’éloignement pour une durée de 30 jours, et a indiqué que Mme A______ ne s'opposait toutefois pas à ce que des relations personnelles entre son fils et son père soient organisées.

Le tribunal a relevé que durant chacune de ses interventions Mme A______ s'est exprimée en pleurant.

9.             Il ressort par ailleurs du dossier de police transmis au tribunal que M. B______ a participé à un entretien socio-thérapeutique et juridique auprès de VIRES en date du 7 août 2024.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

4.             En l'espèce, les faits dont Mme A______ se plaint d'avoir été victime correspondent à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. M. B______ conteste quant à lui toute forme de violence physique de sa part, tout en admettant de très fréquentes disputes entre les époux depuis leur mariage.

Face aux déclarations contradictoires des époux, on ne parvient pas à déterminer ce qui s'est réellement passé au domicile de ces derniers notamment en février et juillet 2024, où un tiers, à savoir la sœur de M. B______ est au surplus impliquée. Une procédure pénale est d'ailleurs en cours à cet égard.

Cela étant, il doit être observé que la relation entre les époux semble particulièrement conflictuelle et tendue depuis de nombreux mois.

Quand bien même M. B______ semble minimiser les violences de sa part, soutenant au contraire que seule sa femme s'infligerait des actes d'automutilation, il reconnait de fréquentes disputes, l'échange d'insultes et également avoir ceinturé son épouse pour la séparer de sa sœur et l'amener dans la chambre, lui avoir à tout le moins obstrué la bouche pour l'empêcher de crier et avoir déchiré le tee-shirt de son épouse lors de la dispute du 31 juillet 2024. Enfin, il doit être relevé qu'il n'a pas totalement respecté la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police en adressant, malgré l'interdiction, un message à sa femme pour voir son fils puis, juste avant l'audience, devant le tribunal, s'être approché de sa femme et de son fils pour embrasser ce dernier, faisant de la sorte fi de l'heure de la convocation fixée par le tribunal, précisément pour éviter la rencontre des parties.

Par ailleurs, Mme A______ a admis s'être versée de l'eau de javel sur le corps, dans un accès de désespoir face à sa situation conjugale. À partir de là, il est indéniable qu'une très forte tension s'est installée au sein du couple depuis plusieurs mois, qui se traduit également par le fait que désormais les parties entendent vivre séparément.

Mme A______ a confirmé, en audience, sa demande de prolongation de la mesure, expliquant être sur le point de déposer une requête de mesures protectrices de l'union conjugale et souhaitant désormais vivre séparée de son mari. Quant à M. B______, il a confirmé qu'il ne souhaitait plus vivre avec son épouse, mais bien divorcer. En outre, il a indiqué qu'il ne s’opposait pas à la demande de prolongation de la mesure d’éloignement dans la mesure où il pourrait continuer à voir son fils.

Compte tenu de la perspective d'une prochaine séparation, des démarches envisagées à cette fin et de la volonté de ne plus reprendre la vie commune formulée par les deux époux, du désarroi de la requérante exprimé par ses pleurs en audience, la période paraît peu propice à un retour de M. B______ au domicile conjugal dès le 12 août 2024.

S'agissant de l'enfant du couple, il est pris note que Mme A______ n'a pas d'objection sur le principe à ce que son mari entretienne des relations personnelles avec leur fils. Il appartiendra donc aux intéressés, par l'intermédiaire de leurs avocats ou avec l'aide de tiers, de convenir des modalités d'éventuels contacts et/ou visites, lesquelles échappent à la compétence et au pouvoir d'intervention du tribunal.

Dès lors, même si, certes, la mesure d'éloignement, a fortiori sa prolongation, n'a pas pour objectif de donner du temps aux personnes concernées pour qu'elles organisent leur vie séparée, prenant acte de la volonté exprimée par chacune d’elles, à laquelle il convient de donner suite, le tribunal prolongera la mesure d'éloignement en cause jusqu'au 11 septembre 2024 à 17h00. Partant, pendant cette nouvelle période de 30 jours, il sera toujours interdit à M. B______ de contacter et de s'approcher de Mme A______, ainsi que de s'approcher et de pénétrer au domicile conjugal.

5.             Enfin, il sera rappelé que M. B______ pourra, cas échéant, venir chercher dans l'appartement conjugal, ses effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties et accompagné de la police.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 8 août 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 31 juillet 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;

2.             l'admet ;

3.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 11 septembre 2024 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

 

Genève, le

 

La greffière