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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2486/2023

JTAPI/549/2024 du 10.06.2024 ( ICC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Normes : LIPP.47.letb
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2486/2023 ICC

JTAPI/549/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 juin 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Antoine BERTHOUD, avocat, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

 

EN FAIT

1.             A teneur du registre du commerce de Genève, B______ SA (ci-après : B______) est une société anonyme ayant pour but « posséder et gérer pour le compte de ses actionnaires la totalité des parts de copropriété d'étages qu'elle possède sur le territoire de la Commune de C______ ». En 2019, son capital-actions était constitué de 1'210 actions au porteur valant CHF 100.- chacune.

2.             D______ SA (ci-après : D______) est une société anonyme dont le but est « achat, vente, construction, administration, gestion et mise en valeur de tous droits immobiliers, en particulier de la parcelle 1______, sise E______, de 1'748 m2 portant lieudit "avenue F______", les bâtiments 2______ (412 m2) habitation à plusieurs logements et 3______ (417 m2) garage privé souterrain, droits en dépendant pour 4/20e de la parcelle 4______ de la même commune, sise lieudit "G______" de 348 m2 non bâtie; location à ses propres actionnaires ou à des tiers des appartements et des garages sis dans ses immeubles; constitution en propriété par étages desdits immeubles, de manière à conférer aux actionnaires un droit exclusif d'aménagement et d'utilisation des parts de copropriété ». En 2020, son capital-actions était constitué de 2'877 actions au porteur de CHF 100.- chacune.

3.             Par une convention du 23 janvier 2019, Madame A______ (ci-après : la contribuable) a acquis de Monsieur H______, de Monsieur I______ et de Monsieur J______ 93 actions de la B______, pour un prix de CHF 575'000.-. Cet acte précisait notamment que ces titres donnaient à leur propriétaire « un droit exclusif d’aménagement et d’utilisation » d’un appartement (PPE) de trois pièces (71 m2, plus un balcon 6 m2) et d’une place de stationnement et que ce prix comprenait également la reprise, par la contribuable, des créances chirographaires liées à ces actions.

4.             Par une seconde convention du 5 février 2020, la contribuable a acquis des MM. H______, I______ et J______ 94 actions de la D______, pour un prix de CHF 390'000.-. Ces titres donnaient droit à l’usage exclusif d’un appartement (PPE) de deux pièces (42,9 m2, plus des balcons 10,7 m2) et d’une cave. Ce prix comprenait également le transfert des créances chirographaires liées à ces actions.

5.             Dans sa déclaration fiscale 2020, la contribuable a indiqué sa participation dans la B______ pour CHF 98'487.- et celle dans la D______ pour CHF 85'822.-. Elle y a par ailleurs mentionné ses créances chirographaires envers ces sociétés, soit CHF 76'680.-, respectivement CHF 62'147.-.

6.             Par bordereau du 31 janvier 2022, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a retenu les prix d’acquisition susmentionnés comme valeur vénale des actions des B______ et D______. Elle a par ailleurs imposé les créances envers ces sociétés.

7.             Par réclamation du 1er mars 2022, la contribuable a contesté ce bordereau, faisant valoir que la valeur fiscale des actions devait correspondre à celle qu’une régie immobilière lui avait communiquée le 23 août 2021, soit CHF 1'059.- pour les titres de la B______ et CHF 913.- pour ceux de la D______.

Comme elle n’avait acquis que 7,68%, respectivement 3,26% du total des actions de la B______ et de la D______, il ne s’agissait pas d’un transfert substantiel, au sens de la circulaire n° 28 de la conférence suisse des impôts (ci-après : la circulaire n° 28), de sorte que le prix d’acquisition ne pouvait pas être retenu comme valeur vénale. En effet, selon cette directive, pour pouvoir être considéré comme substantiel, un transfert devait porter sur au moins 10 % du total des titres. C’était uniquement dans un tel cas que le prix de transfert pouvait être considéré comme correspondant à la valeur vénale.

Par ailleurs, en imposant également les créances envers B______ et D______, alors qu’elles étaient comprises dans les prix d’acquisition, l'AFC-GE l’avait imposée à double.

8.             Le 10 mai 2022, le service des titres de l'AFC-GE a communiqué à la contribuable une estimation des titres de la D______ pour l’année fiscale 2020 (CHF 1'523.- par titre), fondée sur sa valeur substantielle au 31 décembre 2019 (CHF 3'607'463.-). Cette valeur comprenait notamment des réserves latentes imposées (CHF 97'277.-) et non imposées (CHF 1'122'089.-).

9.             Le 13 mai 2022, ledit service a remis à la contribuable une estimation des titres de la B______ pour la période fiscale 2020 (CHF 1'629.- par titre), calculée sur la valeur substantielle au 31 décembre 2019 (CHF 1'971’709.-), laquelle comprenait notamment des réserves latentes imposées (CHF 227.-) et non imposées (CHF 1'345'339.-).

10.         Par décision du 21 juin 2023, l'AFC-GE a rejeté la réclamation du 1er mars 2022, dans la mesure où elle portait sur l’estimation des titres et l’imposition des créances.

La valeur vénale des titres correspondait à leurs prix d’achat, tels qu’indiqués dans les conventions de vente, prix que l’on pouvait s’attendre à obtenir dans des conditions de marché normales.

Les créances chirographaires de CHF 62'147.- et CHF 76'680.- ne pouvaient être déduites de la valeur vénale des titres, dès lors qu’elles avaient été déclarées de manière indépendante et que, selon les conventions de vente, elles n’étaient pas comprises dans les prix de vente.

11.         Par acte du 31 juillet 2023, sous la plume de son conseil, la contribuable a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant, sous suite des frais et dépens, à ce que les actions des B______ et D______ soient évaluées sur la base de la circulaire n° 28 et à ce que leur estimation tienne compte d’un impôt latent de 15 % (sur la différence entre les valeurs comptable et fiscale des immeubles), sans prise en compte des « autres réserves latentes imposées ». Subsidiairement, elle a conclu à ce que la valeur des actions correspondant à leur prix d’acquisition soit réduite des créances chirographaires y relatives (CHF 62'147.- et CHF 76'680.-).

Tant les évaluations confirmées par la décision sur réclamation que celles communiquées par le service des titres de l'AFC-GE s’écartaient des directives de la circulaire n° 28. En effet, il n’y avait lieu de s’en écarter qu’en cas d’un transfert substantiel des titres entre tiers indépendants. Selon le commentaire de cette circulaire (ci-après : le commentaire), il y avait transfert substantiel à partir d’un volume de transactions de l’ordre de 10 % par année, seuil que le tribunal avait confirmé dans son jugement JTAPI/284/2011 du 11 avril 2011. En l’occurrence, les transferts correspondaient à 7,68 % (B______) et 3,27 % (D______) du total des titres, si bien qu’ils ne pouvaient être considérés comme substantiels et que, par conséquent, il n’y avait pas lieu de s’écarter des valeurs fixées par le service des titres de l'AFC-GE.

Les contrats des 23 janvier 2019 et 5 février 2020 mentionnaient expressément que la vente portait également sur les créances chirographaires rattachées aux certificats d’actions. Ainsi, leur valeur était comprise dans le prix de cession des actions. Dès lors, si la valeur des titres devait correspondre à leur prix d’acquisition, celui-ci devait être diminué desdites créances.

Dans l’estimation selon la circulaire n° 28, un impôt latent de 15 % sur les réserves latentes des immeubles devait être pris en compte, le coefficient de répartition s’élevant à 145 %, selon le commentaire, et non à 150 %, comme retenu par l'AFC-GE. Les réserves latentes imposées de CHF 277.- et CHF 97'277.- devaient être écartées dans cette estimation, l'AFC-GE n’ayant fourni aucune explication permettant de comprendre à quoi elles correspondaient.

12.         Dans sa réponse du 29 septembre 2023, l'AFC-GE a accepté de supprimer la double imposition des créances litigieuses, concluant au rejet du recours pour le surplus.

L’approche formaliste de la recourante, quant à la notion du transfert substantiel des titres, ne pouvait être suivie notamment en raison du fait que le terme « substantiel », au sens du commentaire, n'avait pas de signification uniforme en droit fiscal. Le sens et le but de ce terme consistaient à souligner qu'un prix obtenu lors d'un transfert n'était à prendre en considération que s'il permettait de déterminer une valeur vénale représentative et plausible. Cela signifiait que le prix de transfert était à examiner de cas en cas. La loi posait le principe selon lequel la fortune était estimée à sa valeur vénale, soit le prix que l'on pouvait obtenir d'un bien dans des circonstances normales. Selon le Tribunal fédéral également (arrêt 2C_954/2020 du 26 juillet 2021), le prix obtenu lors d'un transfert substantiel entre tiers indépendant ne devait être pris en considération que s'il permettait de déterminer une valeur vénale représentative et plausible de la société, situation qui devait être examinée selon l'ensemble des circonstances. En l’occurrence, le fait que les deux transactions en cause portaient sur un petit nombre d'actions n'était pas pertinent compte tenu des autres conditions : transaction entre tiers indépendants portant sur des actions donnant droit à l'usage exclusif d'un appartement de trois pièces, d’un parking, d'un appartement de deux pièces et d'une cave, pour des prix de respectivement CHF 570'000.-, et CHF 390'000.-. La recourante ne prétendait pas que ces prix du marché ne correspondaient pas à la valeur vénale de ces biens immobiliers.

La valeur vénale devant être déterminée en fonction desdits prix d’acquisition, celle-ci ne pouvait ensuite être modulée en fonction d’autres éléments, tels que l'impôt latent et les réserves latentes.

13.         Par réplique du 9 octobre 2023, sous la plume de son conseil, la recourante a maintenu ses conclusions.

L’augmentation de l'AFC-GE était contraire à la circulaire n° 28, puisqu’elle reviendrait à fixer potentiellement une valeur différente pour chaque actionnaire de la même société, alors que dite circulaire prévoyait une évaluation globale de tous les titres, laquelle devait être retenue pour l’ensemble des détenteurs de droits de participation, pour des motifs d’égalité de traitement.

Pour le surplus, dans son argumentation, l'AFC-GE admettait implicitement qu’il ne s’agissait pas d’un transfert substantiel, tel que défini par la circulaire n° 28. L’arrêt du Tribunal fédéral qu’elle citait n’avait énoncé que des généralités quant à cette notion. Dans son arrêt 2C_132/2020 du 26 novembre 2020 en revanche, le Tribunal fédéral s’était expressément référé à un « changement dans les rapports de participation à hauteur de 10 % », seuil qui n’était pas atteint en l’espèce.

14.         Par duplique du 17 octobre 2023, l'AFC-GE a campé sur sa position.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l'art. 49 LPFisc.

3.             Dans sa réponse, l'AFC-GE a renoncé à imposer les créances liées aux titres en cause (CHF 62'147.- et CHF 76'680.-). Il lui en sera donné acte.

4.             Le litige porte sur l'estimation de la valeur des titres que la recourante détient dans la B______ et la D______, aux fins de l'imposition sur sa fortune pour la période fiscale 2020.

5.             Selon l'art. 13 al. 1 la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), l'impôt sur la fortune a pour objet l'ensemble de la fortune nette. Selon l'art. 14 al. 1 LHID, la fortune est estimée à la valeur vénale. Toutefois, la valeur de rendement peut être prise en considération de façon appropriée.

La valeur vénale est la valeur marchande objective d'un actif à un moment donné. Il s'agit de la valeur qu'un acheteur paierait normalement dans des circonstances normales (arrêts du Tribunal fédéral 2C_954/2020 du 26 juillet 2021 consid. 5.1 ; 2C_1057/2018 du 7 avril 2020 consid. 4.1 ; ATA/919/2022 du 13 septembre 2022 consid. 26a).

L'évaluation selon la valeur vénale est obligatoire pour les cantons. La LHID ne prescrit toutefois pas au législateur cantonal une méthode d'évaluation précise pour déterminer cette valeur (ATF 134 II 207 consid. 3.6). Les cantons disposent donc en la matière d'une marge de manœuvre importante pour élaborer et mettre en œuvre leur réglementation, aussi bien quant au choix de la méthode de calcul applicable pour estimer la valeur vénale que pour déterminer, compte tenu du caractère potestatif de l'art. 14 al. 1 2ème phr. LHID, dans quelle mesure le critère du rendement doit, le cas échéant, également être intégré dans l’estimation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_953/2019 du 14 avril 2020 consid. 4.1). Un certain schématisme est admis en la matière, pourvu que l’évaluation ne soit pas fondée sur le seul critère du rendement et qu’elle n’aboutisse pas à des résultats qui s’écartent par trop de la valeur vénale (ATF 134 II 207 consid. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_874/2010 du 12 octobre 2011 consid. 3.1 ; ATA/919/2022 du 13 septembre 2022 consid. 26b ; ATA/71/2022 du 25 janvier 2022 consid. 5a).

6.             Dans le canton de Genève, la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) prévoit également que l'impôt sur la fortune a pour objet l'ensemble de la fortune nette après déductions sociales (art. 46 LIPP), qui comprend notamment les actions, les obligations et les valeurs mobilières de toute nature (art. 47 let. b LIPP).

7.             L'évaluation des titres non cotés a fait l'objet de la circulaire n° 28. La conférence suisse des impôts édite en outre annuellement un commentaire de la circulaire afin de refléter la pratique et tenir compte de la jurisprudence.

Cette circulaire concerne un domaine où les cantons jouissent d'un large pouvoir d'appréciation. La jurisprudence a souligné que cette directive poursuivait un but d'harmonisation fiscale horizontale et concrétisait ainsi l'art. 14 al. 1 LHID (arrêts du Tribunal fédéral 2C_954/2020 précité consid. 5.3 ; 2C_866/2019 du 27 août 2020 consid. 4.4 et les références citées). En tant que directive, ladite circulaire ne constitue certes pas du droit fédéral ou intercantonal, ne crée aucun droit ni aucune obligation et ne lie donc pas le juge, faisant partie des ordonnances administratives, qui s'adressent aux administrations fiscales cantonales afin d'unifier et de rationaliser la pratique, d'assurer l'égalité de traitement, le bon fonctionnement de l'administration et la sécurité juridique. Elle est toutefois reconnue, de jurisprudence constante, comme présentant une méthode adéquate et fiable pour l'estimation de la valeur vénale des titres non cotés, même s'il n'est pas exclu que d'autres méthodes d'évaluation reconnues puissent, isolément, s'avérer appropriées (arrêts du Tribunal fédéral 2C_954/2020 précité consid. 5.3 ; 2C_132/2020 du 26 novembre 2020 consid. 8.1.2 ; 2C_866/2019 précité consid. 4.4). Ces autorités ne s'en écartent que dans la mesure où elles contreviennent au sens et au but de la loi (ATF 136 I 129 consid. 6.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_866/2019 précité consid. 4.4 ; ATA/919/2022 précité consid. 26a ; ATA/858/2019 du 30 avril 2019 consid. 2c).

8.             La circulaire n° 28 prévoit une méthode d'estimation générale des titres non cotés en bourse, qui s'applique aux sociétés commerciales, industrielles et aux sociétés de services. La valeur des titres de ces sociétés correspond à la moyenne pondérée entre la valeur de rendement, doublée, et la valeur intrinsèque déterminée selon le principe de la continuation (ch. 34).

La circulaire réserve toutefois des situations où seule la valeur substantielle de la société est prise en compte, ce qui est le cas des sociétés nouvellement constituées (ch. 32 de la circulaire), des sociétés holding, de gestion de fortune et de financement, ainsi que les sociétés immobilières (ch. 38 et 42 de la circulaire). Une personne morale doit être qualifiée de société immobilière lorsque, selon son but statutaire et/ou son activité commerciale effective, elle s'occupe uniquement ou de manière prépondérante de tirer profit de l'augmentation de valeur de ses biens immobiliers ou d'utiliser ceux-ci en tant que placement sûr et rémunérateur de capitaux (aliénation, conclusion de contrats de bail ou de fermage, construction) (ch. 42 du commentaire 2020).

Si les titres ont fait l’objet d’un « transfert substantiel » entre tiers indépendants, la valeur vénale correspond alors en principe au prix d’acquisition. Il peut être dérogé à ce principe dans des cas particuliers où cela se justifie, compte tenu de l’ensemble des circonstances. La valeur ainsi déterminée sera conservée aussi longtemps que la situation économique de la société n’aura pas considérablement changé (chapitre A, ch. 5 de la circulaire).

Selon le commentaire 2020 (ch. 2), la notion de « transfert substantiel » n'a pas de signification uniforme en droit fiscal. Le sens et le but de ce terme dans les présentes instructions « consistent à souligner qu’un prix obtenu lors d'un transfert n'est à prendre en considération que s'il permet de déterminer une valeur vénale représentative et plausible. Cela signifie que le prix de transfert est à examiner de cas en cas. Pour cette raison, il sera renoncé volontairement à quantifier "substantiel" par un certain pourcentage. Toutefois, on peut partir de l’idée qu’un volume de transactions de l’ordre de 10% par année peut être qualifié de substantiel ».

9.             Dans son jugement JTAPI/284/2011 du 11 avril 2011, cité par la recourante, le tribunal a jugé que la vente de 1,67% des titres d’une société (commerciale) ne pouvait être qualifiée de « transfert substantiel » au sens de la circulaire n° 28, parce que n’atteignant pas le seuil de 10 %. Par conséquent, le prix de vente devait être écarté au profit de la valeur résultant de l'application de la méthode des praticiens prévue par cette circulaire. Ainsi, le recours des contribuables a été admis. Ce jugement, non contesté par l'AFC-GE, est entré en force.

10.         Dans une affaire où, entre 2007 et 2008, trois personnes physiques différentes, qualifiées de tiers, avaient acquis, respectivement, 5%, 10% et 9% des actions de d’une SA (ayant pour but l'exploitation d'une pharmacie), le Tribunal fédéral a jugé que le prix de vente devait être retenu comme correspondant à la valeur vénale de la SA, pour les raisons suivantes. Premièrement, ces ventes avaient été conclues à des moments relativement proches (2007 et 2008) de la transaction litigieuse (19 août 2006). Deuxièmement, si elles concernaient, isolément, une minorité du capital-actions de la SA, deux d'entre elles portaient toutefois sur une minorité non négligeable (10% et 9%) ; en outre, considérées ensemble, elles représentaient près d'un quart (24%) des titres de la SA. En pareilles circonstances, il fallait admettre que ces trois transactions étaient « suffisantes pour que l'on puisse en déduire de manière raisonnable qu'elles [étaient] représentatives de la valeur vénale » de la SA (arrêt 2C_1082/2013, 2C_1083/2013 du 14 janvier 2015 consid. 5.8).

Dans ce même arrêt, le Tribunal fédéral a notamment relevé : « Conformément au principe du Drittvergleich, il faut réserver la circonstance selon laquelle des titres non cotés et non régulièrement négociés ont fait l'objet d'une transaction avec un tiers. Dans un tel cas, les règles d'estimation des Instructions s'effacent au profit d'une comparaison avec le prix appliqué à ce tiers. Il faut toutefois que cette transaction puisse être considérée comme représentative de la valeur de la société. Cette question ne peut pas être tranchée selon des critères abstraits, mais doit être examinée selon les circonstances de chaque cas d'espèce, en prenant en considération la structure de l'actionnariat (plus le nombre d'actionnaires est faible, plus l'on peut admettre que la vente d'une participation minoritaire peut être considérée comme représentative de la valeur vénale), le volume des transactions (plusieurs transactions intervenant au même prix constituent un indice important que le prix pratiqué correspond au prix du marché), le moment auquel ces transactions interviennent par rapport à la transaction examinée (elles doivent être prises en compte si elles ont lieu quelques mois après la transaction examinée […], à moins que la situation économique de la société ne se soit modifiée de manière à influer sur sa valeur vénale). Cette approche correspond à celle des Instructions, qui réservent également le prix appliqué lors d'un transfert "substantiel" entre personnes indépendantes (…). La Conférence suisse des impôts précise à cet égard que le qualificatif "substantiel" vise à "souligner qu'un prix obtenu lors d'un transfert n'est à prendre en considération que s'il permet de déterminer une valeur vénale représentative et plausible. Cela signifie que le prix de transfert est à examiner de cas en cas. Pour cette raison, il sera renoncé volontairement à quantifier " substantiel " par un certain pourcentage. Toutefois, on peut partir de l'idée qu'un volume de transactions de l'ordre de 10% par année peut être qualifié de "substantiel" » (consid. 5.3.2).  

Il a par ailleurs ajouté : « La détermination de la valeur vénale de biens ou de services n'est pas qu'une pure question de fait. Elle doit être conforme aux principes du droit fédéral (…). Si l'estimation effectuée par l'autorité inférieure est conforme à ces principes, (…), elle doit alors être acceptée si elle n'est pas manifestement insoutenable (…). En lien avec l'estimation de titres non cotés, cela implique que le Tribunal fédéral revoit librement si la méthode choisie respecte le principe de pleine concurrence. Celui-ci est en particulier violé si l'autorité se fonde exclusivement sur l'estimation qui découle de la méthode des praticiens, sans tenir compte de l'existence de transactions conclues avec des tiers qui sont représentatives de la valeur de la société » (consid. 5.5 et le références).  

11.         Dans l’arrêt 2C_132/2020 du 26 novembre 2020, cité par la recourante et concernant une société de services, le Tribunal fédéral a rappelé : « La circulaire n° 28 prévoit que la méthode d'estimation générale des titres non cotés des sociétés commerciales, industrielles et de services, dans la mesure où ils n'ont jamais été transférés, s'effectue par la moyenne pondérée entre la valeur de rendement doublée et la valeur intrinsèque déterminée selon le principe de la continuation (…). Cette méthode est généralement appelée "méthode des praticiens" (…). En revanche, pour les titres qui ont fait l'objet d'un transfert substantiel entre tiers indépendants, la valeur vénale correspond généralement au prix d'acquisition (…). Le prix obtenu lors d'un tel transfert n'est toutefois à prendre en considération que s'il permet de déterminer une valeur vénale représentative et plausible de la société, situation qui doit être examinée selon l'ensemble des circonstances (…). Si tel est le cas, la jurisprudence a précisé que la détermination par le biais de la méthode dite "des praticiens" n'a pas lieu d'être » (consid. 8.1.3, non publié in ATF 147 II 155, et les arrêts cités).

Dans le consid. 8.1.4 de cet arrêt (non publié in ATF 147 II 155), il a relevé : « La valeur vénale déterminée conformément à ce qui précède est conservée aussi longtemps que la situation économique de la société n'aura pas considérablement changé (circulaire n° 28 chap. A/2, ch. 5). Selon le commentaire accompagnant la circulaire n° 28, les critères déterminants permettant de juger d'un changement de la situation économique d'une entreprise sont le bénéfice, le chiffre d'affaires, les fonds propres et les rapports de participation. En règle générale, doivent être qualifiés de considérable une variation du chiffre d'affaires de 20%, une variation du capital de 10 % qui ne résulterait pas du bénéfice ordinaire ou un changement dans les rapports de participations à hauteur de 10%. Si l'une de ces conditions est remplie, l'estimation doit être revue (consid. 8.1.4 non publié in ATF 147 II 155).

12.         En l’espèce, il convient tout d’abord de constater que le jugement du tribunal JTAPI/284/2011 et arrêt du Tribunal fédéral 2C_132/2020 cités par la recourante traitent des actions d’une société commerciale, respectivement d’une société de services, soit des titres pour l’évaluation desquels la circulaire prévoit une méthode différente que pour les sociétés immobilières, si bien que ces jurisprudences paraissent ne pas être directement applicables au cas d’espèce.

Cela dit, il découle de l'art. 14 al. 1 LHID et de l’ensemble de la jurisprudence y relative que, dans tous les cas, c’est la méthode d’estimation se rapprochant le plus possible à la valeur vénale (marchande) des titres qui doit l’emporter dans l’évaluation de ces derniers, y compris donc en cas de transferts inférieurs ou supérieurs à 10 %, étant observé que le Tribunal fédéral n’a pas jugé que ce seuil est en soi obligatoire, mais qu’il est à prendre en compte uniquement lorsqu’il permet de déterminer au mieux la valeur vénale. Il faut dès lors retenir que la méthode d'évaluation prévue par la circulaire a un caractère subsidiaire par rapport à celle fondée sur la valeur marchande objective, nonobstant la quantité des titres transférés. Il convient de relever aussi que la conférence suisse des impôts a expressément renoncé à poser un seuil, par un pourcentage, ne citant celui de 10 % qu’à titre indicatif.

Compte tenu de ce qui précède, il faut retenir que le seuil de 10 % fixé par la circulaire n° 28 entraine plus facilement l’application de la méthode d’estimation fixée par cette dernière lorsque le prix du transfert reste relativement proche de la valeur obtenue par cette méthode. En revanche, un écart important entre cette valeur et le prix fixé lors d’une transaction peut faire naître une présomption sur la valeur marchande objective des titres. Dans un tel cas, le contribuable acquéreur ne saurait se contenter de s’appuyer sur la circulaire n° 28 et doit au moins expliquer les raisons qui ont déterminé le prix fixé lord du transfert, s’il prétend que ce prix n’a pas été déterminé en fonction de la valeur marchande des titres. Or, en l’espèce, la recourante ne donne aucune explication sur cette valeur et se contente de la contester.

Cela étant, plusieurs éléments plaident en faveur de la valeur vénale fondée sur le prix d’acquisition. Premièrement, les titres en cause sont d’une nature tout à fait particulière. En effet, contrairement à des actions de sociétés commerciales ou de services, évaluées notamment en fonction de leur rendement, les titres en cause donnent droit à l’usage exclusif de logements qui y sont spécifiquement rattachés, comme stipulé dans les conventions de vente y relatives. En outre, il s’agit d’un droit dont le prix apparait librement négociable sur le marché, en fonction de la taille des logements concernés. En effet, les prix payés par la recourante excèdent largement la valeur des titres fixée en application de la circulaire n° 28, telle qu’elle résulte des estimations faites par le service des titres respectivement les 10 et 13 mai 2022, ce qui signifie que les parties se sont elles-mêmes fondées sur la valeur marchande objective du droit à l’usage donné par ces titres, et non sur la valeur substantielle de tous les titres des B______ et D______. Ainsi, il apparait que sur le marché, les titres de ces dernières ne se vendent pas au prix de leur valeur substantielle, mais au prix fixé en fonction du droit qu’ils offrent à leur acquéreur. Dans cette mesure, la question de l’égalité de traitement entre les actionnaires des B______ et D______ ne se pose pas. Il apparait difficilement concevable que la recourante ait pu investir près de CHF 1 million de sa fortune pour n’acquérir que des titres dont la valeur objective ne serait que d’environ 1/3 de cette somme. Cet écart est trop important pour considérer que la valeur substantielle des titres représente leur valeur vénale au sens de l’art. 14 al. 1 LHID.

Enfin, il faut observer que la valeur des transactions se rapproche de celle d’un transfert de propriété pour ce même type de bien. Elle reste certes inférieure au prix d’une vente, mais dans un rapport qui s’explique par le fait que la contribuable n’a fait qu’acquérir le droit d’aménager et d’utiliser librement les appartements. Sous cet angle également, le prix des transactions litigieuses apparaît fondé sur une valeur de marché.

Il convient dès lors de confirmer les estimations retenues par l’autorité intimée. Il en résulte qu’il n’y pas lieu d’examiner les critiques que la recourante formule subsidiairement à l’égard des estimations substantielles des B______ et D______.

13.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis très partiellement, dans la mesure reconnue par l'AFC-GE, et rejeté pour le surplus.

En conséquence, le dossier sera renvoyé à l'AFC-GE pour qu’elle établisse un nouveau bordereau ICC 2020 qui ne tiendra pas compte des créances de CHF 62'147.- et CHF 76'680.-.

14.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe dans une large mesure, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

15.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 350.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 31 juillet 2023 par Madame A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 21 juin 2023 ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision de taxation ICC 2020, dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 350.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Laurence DEMATRAZ et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière