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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1330/2018

ATA/858/2019 du 30.04.2019 sur JTAPI/1100/2018 ( ICC ) , REJETE

Recours TF déposé le 03.06.2019, rendu le 05.06.2019, IRRECEVABLE, 2C_516/2019
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1330/2018-ICC ATA/858/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 avril 2019

4ème section

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 novembre 2018 (JTAPI/1100/2018)


EN FAIT

1. Le litige concerne l’impôt cantonal et communal (ICC) 2012 et 2013.

2. Dans l’état des titres de leur déclaration fiscale 2012, Madame A______, née B______, et Monsieur A______ ont notamment mentionné détenir six mille actions de la société C______ (ci-après : C______), soit trois mille une actions pour le contribuable et deux mille neuf cent nonante-neuf actions pour son épouse, représentant respectivement 50.02 % et 49.98 % du capital de cette société, pour une valeur imposable totale de CHF 83'632.-. Les rendements bruts de ces actions soumis à l’impôt anticipé (IA) s’élevaient à respectivement CHF 75'025.- et CHF 74'975.-, soit un total de CHF 150'000.-.

3. Selon le registre du commerce du canton de Zoug, C______ a pour but : « Conseil d'entreprises de toutes sortes, conseil d'entreprises de l'industrie pharmaceutique, notamment en matière de stratégie, d'organisation et de processus ; création de filiales, participation à d'autres sociétés, acquisition, détention et vente de biens immobiliers et de droits de propriété intellectuelle ». Son capital social est composé de dix mille actions de CHF 10.- dont le 60 % est libéré.

4. Par bordereau daté du 29 février 2016, l’AFC-GE a fixé l’ICC 2012 à CHF 48'816.05 (Total I) sur la base d’un revenu imposable de CHF 119'583.- et d’une fortune imposable de CHF 3'500'854.-.

5. À la suite de la réclamation, l’AFC-GE a informé les contribuables qu’elle entendait rectifier en leur défaveur leur taxation en ajoutant un montant de CHF 429'926.- à leur fortune mobilière étant donné qu’ils détenaient l’entier du capital-actions de C______.

6. Les contribuables ont répondu que la méthode d’évaluation utilisée par le canton de Zoug était inappropriée et l’AFC-GE n’avait pas à reprendre aveuglément les chiffres de cette estimation.

7. Selon une estimation effectuée par les autorités fiscales du canton de Zoug à l’attention de C______ en date du 18 juillet 2017, la valeur de ses dix mille actions au 31 décembre 2012 s’élevait à CHF 213.- par action de valeur nominale de CHF 10.-.

Dans leur calcul, les autorités zougoises avaient procédé à une pondération simple d’une fois la valeur de rendement et d’une fois la valeur substantielle.

8. Par décision sur réclamation du 26 mars 2018, l’AFC-GE a remis aux contribuables un bordereau rectificatif fixant l’ICC 2012 à CHF 54'292.75 (Total I) sur la base d’un revenu imposable de CHF 125'640.- et d’une fortune imposable de CHF 3’928'854.-.

En ce qui concerne les points encore litigieux, les modifications étaient motivées comme suit :

- Le dividende des actions C______ était modifié de CHF 90'000.- à CHF 150'000.-, soit dix mille actions à CHF 15.-. Un abattement pour participation qualifiée avait été pris en compte ;

- La valeur des actions C______ au 31 décembre 2012 restait fixée à CHF 107.-, car elle avait été établie par le canton de Zoug en application de la circulaire no 28 de la Conférence suisse des impôts du 28 août 2008 (ci-après : CSI n° 28) et des art. 47 let. b et 49 de la loi genevoise sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP – D 3 08).

- L’arrêt du Tribunal fédéral du 18 septembre 2013, cité par les contribuables, ne concernait pas l’impôt sur la fortune des personnes physiques. Il n’était dès lors pas déterminant pour l’estimation des titres litigieux.

- La performance individuelle des actionnaires était prise en compte par une pondération simple de la valeur de rendement. Le canton de Zoug leur avait déjà accordé ce mode d’estimation plus favorable ;

- Seules les sociétés nouvellement créées pouvaient bénéficier d’une prise en considération de la valeur nominale. Ce n’était pas le cas en l’espèce ;

- En raison du principe d’étanchéité des exercices, les événements postérieurs à la date critère ne pouvaient pas être pris en considération de manière anticipée pour l’estimation de la période déterminante ;

- La libération à 60 % du capital-actions était prise en compte directement dans l’estimation au niveau de la valeur de substance de la société, soit CHF 60'000.-. Un autre abattement sur la valeur des actions n’était pas prévu dans le cadre de la circulaire CSI no 28 ;

- Le supplément de CHF 429'926.- se justifiait par le fait que les contribuables avaient déclaré dans un premier temps posséder 60 % du capital-actions, alors qu’en réalité ils possédaient le 100 % de celui-ci.

9. Dans l’état des titres de leur déclaration fiscale 2013, les contribuables ont notamment mentionné détenir six mille actions C______, soit trois mille une actions pour le contribuable et deux mille neuf cent nonante-neuf actions pour son épouse, représentant respectivement 50.10 % et 49.90 % du capital de cette société, pour une valeur imposable totale de CHF 62’168.-. Les rendements bruts soumis à l’IA s’élevaient à respectivement CHF 50’017.- et CHF 49’983.-, soit un total de CHF 100'000.-.

10. Par bordereau daté du 15 février 2016, l’AFC-GE a fixé l’ICC 2013 à CHF 24'770.70 (Total I) sur la base d’un revenu imposable de CHF 49'191.- et d’une fortune imposable de CHF 2'566’280.-.

11. À la suite de la réclamation, l’AFC-GE a informé les contribuables qu’elle entendait rectifier en leur défaveur leur taxation, compte tenu de l’estimation des actions C______ de CHF 213.- par action, effectuée par les autorités fiscales zougoises.

12. Par courrier du 3 août 2017, les contribuables ont répondu que le nombre correct d’actions était de six mille au lieu de dix mille. L’évaluation aurait dû être effectuée sur la base des résultats de l’année 2013 et non pas 2012. La « méthode DCF » devait prévaloir sur la méthode traditionnelle d’évaluation utilisée par le canton de Zoug, dès lors que cette dernière conduisait à un résultat insatisfaisant.

13. Par décision sur réclamation du 26 mars 2018, l’AFC-GE a remis aux contribuables un bordereau rectificatif fixant l’ICC 2013 à CHF 42'472.95 (Total I) sur la base d’un revenu imposable de CHF 64’833.- et d’une fortune imposable de CHF 4'634'112.-.

Les modifications étaient motivées comme suit :

- Le dividende des actions C______ était modifié à CHF 100'000.- et la valeur des actions C______ au 31 décembre 2013 était estimée à CHF 121.- par action et restait valable pour les cinq années suivantes.

- Les contribuables détenaient la totalité des actions C______, à savoir dix mille actions et non pas six mille. Il ne fallait pas confondre ce chiffre avec la libération du capital-actions de 60%.

- L’estimation des actions C______ avait été établie par le canton de Zoug en application de la circulaire CSI no 28 et des art. 47 et 49 LIPP. L’arrêt du Tribunal fédéral du 18 septembre 2013, cité par les contribuables, ne concernait pas l’impôt sur la fortune des personnes physiques. Il n’était dès lors pas déterminant pour l’estimation des titres litigieux.

14. En raison d’une erreur, l’AFC-GE a notifié aux contribuables un bordereau rectificatif daté du 5 avril 2018, réduisant l’ICC 2013 à CHF 38'254.80 (Total I) sur la base d’un revenu et d’une fortune imposables de respectivement CHF 64'833.- et CHF 3'714'112.-.

15. Par acte déposé le 23 avril 2018 auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), les contribuables ont interjeté recours contre les décisions sur réclamations ICC 2012 du 26 mars 2018 et ICC 2013 du 5 avril 2018.

Ils ont, notamment, conclu à ce que les actions de C______ soient estimées à la valeur vénale de CHF 60'000.- (au lieu de CHF 1'070'000.- pour 2012 et CHF 1'210'000.- pour 2013), correspondant aux six mille actions libérées et que le capital non versé de CHF 40'000.- soit considéré comme un passif.

En ce qui concernait la valeur fiscale des titres de C______, il fallait prendre en considération uniquement les six mille actions entièrement payées et non pas dix mille, les quatre mille autres constituant une dette privée des contribuables à l’égard de la société. Celle-ci était difficilement aliénable, car elle dépendait de leurs performances en tant qu’actionnaires et employés spécialisés dans le conseil en management. Or, la circulaire CSI no 28 ne permettait pas d’estimer raisonnablement la valeur de C______ dans ce cas. Les intéressés avaient réduit leur temps de travail afin de passer plus de temps en famille, diminuant ainsi les ressources de l’entreprise de 75 %. Il n’y avait pas de marché en Suisse et en Allemagne pour la vente d’entreprises équivalentes à C______. La valeur de celle-ci se limitait à sa valeur de liquidation, laquelle était nulle comme l’était celle des trois autres sociétés de conseil que possédait précédemment le recourant au Royaume-Uni. Ne disposant pas de « valeurs de ratio » pour des entreprises similaires, les contribuables proposaient des valeurs pour des bureaux d’études aux États-Unis, lesquelles étaient « probablement plus utilisées pour ajouter des partenaires et non pour des ventes réelles ». Les valeurs ainsi obtenues apparaissaient bien moins élevées que celles calculée selon la circulaire CSI no 28. Toutefois, les contribuables proposaient une valeur de liquidation de CHF 60'000.- correspondant à leur six mille actions. Ils ont notamment produit une copie du registre des actions de la société C______.

16. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours, voire à une reformatio in pejus concernant notamment l’estimation de la valeur des actions.

Au vu des bilans et comptes de pertes et profits 2012 et 2013 versés à la procédure, C______ n’était pas propriétaire des quatre mille actions non libérées. Pour les années litigieuses, il était contradictoire pour les contribuables de conclure à une imposition sur le 60 % du capital de cette société, alors que ces derniers avaient revendiqué le remboursement de l’impôt anticipé sur la totalité du dividende versé. Par conséquent, ils devaient être imposés sur l’intégralité du capital-actions de la société.

C______ devait être classée parmi les sociétés de service au sens de la circulaire CSI no 28, dont la méthode d’évaluation avait été validée par le Tribunal fédéral. Par ailleurs, le canton de Zoug avait procédé à une estimation selon une pondération simple de la valeur de rendement, afin de tenir compte de la performance individuelle des actionnaires. Cette estimation, qui ne prêtait absolument pas le flanc à la critique, devait être confirmée. Par ailleurs, le prix de l’action retenu en 2012 par l’AFC-GE (CHF 107.-) était plus favorable par rapport au prix fixé par le fisc zougois (CHF 213.- en 2012 et 2013). Il appartenait dès lors au TAPI de juger si une reformatio in pejus se justifiait pour 2012.

17. Dans leur réplique, les contribuables se sont notamment déterminés sur les divers points susceptibles de faire l’objet d’une reformatio in pejus et ont conclu à leur rejet.

La circulaire CSI n° 28 n’était pas adaptée à l’estimation des actions litigieuses, car elle aboutissait à une évaluation qui n’était pas équitable. Dès lors qu’ils devaient encore verser le 40 % du capital-actions de la société, ils avaient une dette d’un montant équivalent et n’étaient ainsi imposables que sur le 60 % des actions de la société.

18. Par jugement du 12 novembre 2018, le TAPI a déclaré recevable le recours en tant qu’il portait sur les années fiscales 2012 et 2013 et l’a déclaré irrecevable en tant qu’il portait sur les années fiscales 2014 et suivantes. Il a partiellement admis le recours et renvoyé le dossier à l’AFC-GE pour nouvelle décisions de taxation ICC 2012 et 2013 au sens des considérants.

Les contribuables devaient être considérés comme détenteurs de dix mille actions de C______ et titulaires d’une dette de CHF 40'000.- à l’égard de celle-ci, ce montant correspondant au capital non libéré. L’estimation de ces actions, non cotées en bourse, pouvait se faire en suivant les indications résultant de la circulaire CSI no 28.

Les contribuables étaient les seuls actionnaires et employés de C______, société de service spécialisée dans le conseil en management. Ils alléguaient avoir réduit progressivement leur taux d’occupation afin de consacrer plus de temps à leur vie de famille, ce qui avait eu pour effet de réduire les ressources de l’entreprise de 75 %. Les trois sociétés britanniques de conseil qui avaient autrefois appartenu au recourant avaient été liquidées, sans trouver de repreneur, à une valeur nulle et il n’existait pas en Suisse et en Allemagne un marché pour la vente d’entreprises similaires à C______. Se fondant sur des valeurs proposées pour l’estimation de bureaux d’études aux États-Unis, les contribuables soutenaient que les chiffres calculés par les autorités fiscales zougoises étaient bien trop élevés.

Hormis l’estimation par un bureau d’études américain, les contribuables ne proposaient pas de mode de calcul objectif et concret susceptible de remplacer la méthode préconisée par la circulaire CSI n° 28. Cette dernière avait l’avantage de permettre de déterminer de manière claire et objective la valeur d’une entreprise et d’assurer ainsi, autant que possible, une égalité de traitement entre les contribuables détenteurs d’actions non cotées en bourse.

Les contribuables ne démontraient pas qu’ils ne pourraient pas vendre leurs actions au prix déterminé par l’AFC-GE, alors que le fardeau de la preuve leur incombait. Les autorités fiscales zougoises avaient procédé à une estimation applicable aux sociétés de services dépendantes de la performance individuelle de l’actionnaire, en pondérant une seule fois (au lieu de deux fois) la valeur de rendement et la valeur substantielle. La méthode appliquée étant ainsi conforme à la circulaire CSI no 28, l’AFC-GE n’avait aucune raison de s’en écarter.

La valeur fiscale des actions pour l’année 2012 était favorable aux contribuables, dès lors qu’elle avait pris en compte un montant de CHF 107.- par action, au lieu de CHF 213.- calculé par le canton de Zoug. De surcroît, ce dernier montant n’avait pas non plus été retenu par l’AFC-GE pour l’année fiscale 2013, puisque la valeur fiscale de l’action C______ mentionnée dans l’avis de taxation ICC 2013 du 5 avril 2018 était de CHF 121.-. L'AFC-GE s’en étant rapporté à justice sur ce point, le TAPI renonçait à un reformatio in pejus. Il a ainsi confirmé la valeur fiscale des actions C______ fixée par l’AFC-GE à CHF 1'070'000.- (CHF 107.- x 10'000) pour 2012 et à CHF 1'210'000.- (CHF 121.- x 10'000) pour 2013.

Le TAPI s’est ensuite prononcé sur d’autres points, actuellement plus litigieux, tels les déductions sociales admissibles, l’abattement relatif à la villa, l’inégalité du traitement fiscal de couples mariés par rapport aux couples non mariés, la violation du bouclier fiscal ainsi qu’un grief relatif au taux moratoire.

19. Par acte expédié le 30 novembre 2018 à la chambre administrative de la Cour de justice, les époux A______ ont recouru contre ce jugement, contestant uniquement le traitement fiscal des leurs actions C______. Ils ont conclu à ce que la chambre de céans inverse le fardeau de la preuve et accepte leur estimation de CHF 60'000.- pour les années 2012 et 2013 et fasse appel à l’aide d’experts indépendants dont ils espéraient qu’ils confirment leur estimation. Si la chambre de céans estimait une autre méthode d’évaluation plus appropriée, elle devait choisir la méthode « au pro rata basée sur l’évaluation de 2011 et les ventes de 2011, 2012 et 2013. Cela impliquerait des valorisations de CHF 326'876.- en 2012 et de CHF 233'330.- en 2013 ». Alternativement, il convenait d’ordonner que les évaluations soient effectuées selon la formule proposée par le canton de Zoug, qui n’était pas conforme à la circulaire CSI no 28, mais « représentait res judicata ». Devait être suivi « le modèle valeur vénale = (valeur entreprise + 2x valeur substantielle)/3 », à savoir que la valeur d’entreprise était calculée uniquement pour l’exercice fiscal spécifique et non pour les trois années précédentes. Enfin, les recourants ont conclu à une « décision sur les coûts en [leur] faveur », car le TAPI ne leur avait « pas donné audience concernant l’estimation de valeur » et avait manifestement commis de graves erreurs en ignorant les décisions zougoises.

Le canton de Zoug avait retenu que la méthode préconisée par la circulaire CSI n° 28 aboutissait à une estimation excessive et avait calculé la valeur vénale de la société de la manière suivante : (valeur entreprise + 2x valeur substantielle)/3. Il s’agissait toujours d’une estimation excessive, mais les époux ne l’avaient pas contestée, car l’impôt sur la fortune s’élevait à un cinquième de celui applicable à Genève. Ils avaient fourni des expertises détaillées, de sorte qu’il aurait fallu inverser le fardeau de la preuve s’agissant de l’évaluation litigieuse. Quatre groupes d’experts s’étaient penchés sur leur évaluation. Le professeur D______, Monsieur F_______ B______ – dont ils n’ont pas précisé s’il entretenait un lien de parenté avec la contribuable – et Monsieur E______ étaient des professionnels reconnus, et les recourants étaient l’un titulaire d’un MBA et l’autre d’un bachelor provenant des meilleures écoles de commerces et tous deux travaillaient dans le domaine de l’évaluation d’entreprises, petites et grandes. Le TAPI n’avait consulté aucun expert ni le canton de Zoug.

20. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Elle a relevé que les experts cités par les recourants n’avaient pas fourni une expertise personnalisée de la société C______. Dans ces conditions, il ne pouvait être reproché au TAPI de ne pas avoir procédé à une expertise. Il appartenait au contribuable estimant les montants retenus en application de la circulaire n° 28 pas conformes à la réalité d’apporter des preuves allant dans ce sens. Il n’incombait pas à l’AFC-GE de fournir une expertise en lien avec l’évaluation des titres. Par ailleurs, l’évolution de la société après 2012 et 2013 ne pouvait être prise en compte pour l’estimation de celle-ci, sa situation comptable au 31 décembre de l’année fiscale en question étant déterminante. Enfin, il n’était pas possible de procéder à une valorisation des titres au pro rata, sur la base de l’évaluation effectuée par le canton de Zoug, dès lors que celle-ci est contraire à l’art. 49 al. 1 LIPP et à la circulaire CSI n° 28.

21. Dans leur réplique, les recourants ont contesté que les avis recueillis par leurs soins ne constituent pas des expertises. Par ailleurs, même si leur manière d’estimer les actions n’était pas retenue, il convenait au moins de se fonder sur celle appliquée par le canton de Zoug. Il n’y avait aucun « goodwill » dans leur société. Celle-ci reposait exclusivement sur la personne du recourant. La situation de C______ avait changé en 2012 et 2013.

En outre, pour répondre à l’affirmation selon laquelle ils n’avaient pas produit d’expertise, ils produisaient un nouveau document, établi le 23 janvier 2019 par M. B______. Si ce document ne devait pas suffire, ils produiraient une expertise du professeur D______. Les recourants eux-mêmes étaient experts. Ils avaient fourni des évaluations très détaillées, à l’aide de divers modèles.

L’AFC-GE ne pouvait ignorer les décisions zougoises, les évaluations des tribunaux de Londres, celles des experts mis en œuvre par les recourants et leur propre évaluation. L’offre d’une estimation au pro rata était retirée ; elle était censée permettre un accord entre les parties. Compte tenu du refus de l’AFC-GE, elle n’avait plus lieu d’être. Pour le surplus, les recourants persistaient dans leurs conclusions.

22. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Est litigieuse l’estimation de la valeur vénale des actions de C______, soit d’une société non cotée en bourse.

a. Réglé aux art. 13 et 14 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), l’impôt sur la fortune des personnes physiques a pour objet l’ensemble de la fortune nette (art. 13 al. 1 LHID), qui se détermine selon les règles d’évaluation prévues à l’art. 14 LHID. Selon l’art. 14 al. 1 LHID, la fortune est estimée à la valeur vénale. Toutefois, la valeur de rendement peut être prise en considération de façon appropriée. La LHID ne prescrit pas au législateur cantonal une méthode d’évaluation précise pour déterminer cette valeur. Les cantons disposent donc en la matière d’une marge de manœuvre importante pour élaborer et appliquer leur réglementation, aussi bien dans le choix de la méthode de calcul applicable que pour déterminer, vu le caractère potestatif de l’art. 14 al. 1, 2ème phr., LHID, dans quelle mesure le rendement doit être pris en considération dans l’estimation (ATF 134 II 207 consid. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_826/2015 du 5 janvier 2017 consid. 4.1 non publié in ATF 143 I 73).

b. À Genève, l’art. 46 de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) prévoit que l’impôt sur la fortune a pour objet l’ensemble de la fortune nette, après déductions sociales. Sont notamment soumis à l’impôt sur la fortune les actions, les obligations et les valeurs mobilières de toute nature (art. 47 let. b LIPP). Selon l’art. 49 LIPP, l’état de la fortune mobilière et immobilière est établi au 31 décembre de l’année pour laquelle l’impôt est dû (al. 1). La fortune est estimée en général à la valeur vénale (al. 2). Par valeur vénale, on entend le prix que l’on peut obtenir d’un bien dans des circonstances normales (ATA/460/2018 du 8 mai 2018 et les références citées).

c. L’évaluation des titres non cotés a fait l’objet, en 1995, d’une circulaire de la Conférence suisse des impôts (CSI), qui regroupe les administrations fiscales cantonales et l'administration fédérale des contributions, intitulée : « Instructions concernant l’estimation des titres non cotés en vue de l’impôt sur la fortune ». Elle a été remplacée par la circulaire CSI n° 28 dans une première version du 21 août 2006, puis par l'actuelle datant du 28 août 2008, applicable aux périodes fiscales 2012-2013 faisant l’objet du présent litige. La CSI édite en outre annuellement un commentaire de la circulaire, la dernière version datant de 2017 (ci-après : le commentaire).

En prévoyant des règles unifiées d’estimation des titres non cotés en vue de leur imposition sur la fortune dans un domaine où les cantons jouissent d’un large pouvoir d’appréciation, la circulaire poursuit un but d’harmonisation fiscale horizontale et concrétise ainsi l’art. 14 al. 1 LHID (arrêt du Tribunal fédéral 2C_826/2015 précité consid. 4.3 non publié in ATF 143 I 73 et les références citées).

La jurisprudence précise que la circulaire prend en compte les éléments déterminants pour l’évaluation des titres non cotés et est appropriée pour l’estimation des sociétés en vue de l’imposition sur la fortune des actionnaires, sans pour autant exclure que d’autres méthodes d’évaluation reconnues puissent, isolément, s’avérer appropriées (arrêts du Tribunal fédéral 2C_583/2013 du 23 décembre 2013 consid. 3.1.3 ; 2C_309/2013, 2C_310/2013 du 18 septembre 2013 consid. 3.6). En effet, en tant que directive, la circulaire ne constitue pas du droit et ne lie pas le juge, faisant partie des ordonnances administratives, qui s’adressent aux administrations fiscales cantonales afin d’unifier et de rationaliser la pratique, d’assurer l’égalité de traitement, le bon fonctionnement de l’administration et la sécurité juridique. Ces autorités ne s’en écartent que dans la mesure où elles contreviennent au sens et au but de la loi (ATA/1518/2017 du 21 novembre 2017 et les références citées).

La circulaire a pour objectif l’estimation uniforme en Suisse, pour l’impôt sur la fortune, des titres nationaux et étrangers qui ne sont négociés dans aucune bourse et sert à l’harmonisation fiscale intercantonale (ch. 1.1 de la circulaire). Les principes d’estimation doivent être choisis de telle manière que le résultat se rapproche au mieux de la réalité économique, la circulaire contenant des instructions à cet égard, auxquelles il peut être dérogé, pour des motifs d’égalité de traitement, lorsque leur application se révélerait contraire au droit ou si la valeur vénale d’un titre peut être mieux évaluée (commentaire 2017 p. 2 ad ch. 1). Par ailleurs, c’est l’approche « technique » ou « juridique » qui est déterminante pour la détermination de la valeur vénale et non une approche « économique » subjective. Ainsi, le contribuable concerné ne peut pas soutenir une valeur patrimoniale qui se baserait sur des circonstances individuelles (commentaire 2017 p. 3 ad ch. 1).

La fortune est estimée en principe à la valeur vénale, soit le prix que l’on peut obtenir d’un bien dans des circonstances normales (ch. 1.3 de la circulaire), cette valeur au 31 décembre (n) étant en principe déterminante (ch. 1.4 de la circulaire). Pour les titres non cotés pour lesquels on ne connaît aucun cours, la valeur vénale correspond à la valeur intrinsèque et se détermine en règle générale selon le principe de continuation de l’exploitation. Les contrats de droit privé, comme les conventions d’actionnaires qui restreignent la transmissibilité des titres, restent sans influence sur l’estimation des titres (ch. 2.4 de la circulaire), tout comme les engagements que les parties prennent volontairement (commentaire 2017 p. 6 ad ch. 2).

L’activité effective d’une société détermine son mode d’estimation (ch. 6 de la circulaire). Pour les sociétés commerciales, industrielles et de services, la valeur de l’entreprise résulte de la moyenne pondérée entre la valeur de rendement qui est doublée, d’une part, et la valeur substantielle déterminée selon le principe de continuation de l’exploitation, d’autre part (ch. 34 de la circulaire), étant précisé que même si elles se révèlent importantes, des fluctuations de rendement ne justifient pas de déroger à ce principe, dès lors que des oscillations conjoncturelles doivent être considérées comme inhérentes au système économique (commentaire 2017 p. 46 ad ch. 34).

La valeur de rendement s’obtient par la capitalisation du bénéfice net des exercices déterminants augmenté ou diminué des reprises ou déductions mentionnées au ch. 9 (ch. 8.1 de la circulaire). Lorsqu’une entreprise ne peut être aliénée, ou difficilement l’être à la valeur de rendement du fait qu’elle dépend de la performance individuelle de l’actionnaire, l’autorité fiscale peut prendre en considération cette situation par une pondération simple de la valeur de rendement, c’est-à-dire non doublée, et de la valeur de substance. Dans ce cas, il ne peut être appliqué aucune déduction supplémentaire (commentaire 2017 p. 10 ad ch. 5).

d. En matière fiscale, il appartient à l’autorité fiscale de démontrer l’existence d’éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation fiscale. S’agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d’en apporter spontanément la preuve et de supporter les conséquences de l’échec de cette preuve, ces règles s’appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 140 II 248 consid. 3.5 ; 133 II 153 consid. 4.3).

En matière de titres non cotés en bourse, si leur estimation est effectuée sur la base de la circulaire, il convient alors de supposer que l’estimation aboutit à une valeur vénale correcte et que, par ce calcul, l’autorité fiscale a apporté une preuve suffisante. Si le contribuable est d’un avis contraire, il lui appartient dès lors d’apporter ses propres preuves (commentaire 2017 p. 3 ad ch. 1).

e. Les résultats issus d'une expertise privée réalisée sont soumis au principe de la libre appréciation des preuves et sont considérés comme des simples allégués de parties (ATF 141 IV 369 consid. 6).

3. a. En l’espèce, il convient de relever, en premier lieu, que contrairement à ce que semblent soutenir les recourants, l’AFC-GE s’est fondée, pour déterminer la valeur des actions de C______, sur l’estimation effectuée par l’administration cantonale de Zoug, tant pour 2012 que pour 2013. Ladite administration a, en effet, communiqué le 18 juillet 2017 à C______ qu’elle évaluait la valeur de l’action de celle-ci à CHF 213.- tant en 2012 qu’en 2013. L’AFC-GE a indiqué s’être fondée sur ces indications et avoir ainsi respecté le principe selon lequel les autorités fiscales du canton du siège de la société déterminent l’évaluation fiscale des actions de celle-ci. Il apparaît cependant qu’une erreur – favorable aux recourants - s’est glissée dans les calculs de l’AFC-GE, qui a retenu des valeurs plus faibles, à savoir CHF 107.- pour l’année fiscale 2012 et CHF 121.- pour l’année fiscale 2013.

Les recourants détiennent l’ensemble des actions de la société et en sont les deux seuls employés. Ils ont exposé que la diminution de leur temps de travail avait eu une répercussion importante sur le chiffre d’affaires. L’administration fiscale zougoise a dûment tenu compte du fait que la valeur de l’entreprise était obtenue essentiellement, sinon exclusivement, par les détenteurs des actions eux-mêmes. En effet, pour déterminer la valeur vénale, ladite administration a effectué une pondération simple tant de la valeur de rendement que de la valeur de substance. Le caractère difficilement aliénable de la société lié à la dépendance de la performance de ses actionnaires a été correctement pris en compte. L’AFC-GE pouvait ainsi se référer aux montants par action déterminé par les autorités zougoises.

b. Il convient encore d’examiner si les avis qualifiés d’experts produits par les recourants constituent des éléments suffisants pour remettre en cause le résultat issu de l’application de la circulaire CSI n° 28, tel qu’il vient d’être retenu.

En première instance, les recourants ont produit un article intitulé « Entwicklungen bei der Bewertung von KMU » rédigé par M. D______, professeur auprès de la Haute école d’économie de Bâle. Cet article expose la problématique de l’évaluation, sous l’angle fiscal, des petites et moyennes entreprises et analyse, de manière critique, la méthode préconisée par la circulaire précitée. Comme l’ont retenu les premiers juges, l’article n’examine cependant pas spécifiquement la société animée par les recourants. Il en va de même des avis donnés par MM. E______ et B______. Ceux-ci considèrent qu’une petite entreprise dont le succès dépend intrinsèquement d’une ou deux personnes qui la dirigent ne présente aucune valeur vénale ; ils n’ont pas connaissance d’une situation où une telle société aurait pu être vendue. Derechef, ces avis ne se prononcent pas de manière particulière sur l’estimation fiscale de la valeur des actions de C______. Ces avis et article ne permettent ainsi pas de retenir l’inadéquation au cas d’espèce de la méthode d’évaluation préconisée par la circulaire n° 28, qui prévoit un régime d’estimation particulier pour les sociétés dont la performance est liée à l’activité de ses actionnaires.

Dans la procédure de recours devant la chambre de céans, les recourants ont encore produit un courrier de M. B______ du 23 janvier 2019, qui se prononce spécialement sur la situation de C______. Selon ce dernier, la valeur du goodwill était soit de zéro, soit négative, selon les trois différentes méthodes qui pouvaient être appliquées pour son évaluation. La valeur vénale de l’entreprise ne pouvait ainsi que correspondre à CHF 60'000.-, soit au capital-actions libéré. Les bénéfices des années 2012 et 2013 étaient « artificiels » ; ils résultaient de la diminution importante du salaire du recourant. La méthode d’évaluation de la circulaire n° 28 était rétrospective, ce qui ne convenait pas à une société telle que C______, dont l’activité avait radicalement changé en 2012, du fait « de la décision des directeurs de se retirer des affaires » et de la perte de clients importants. En 2012 et 2013, la société n’était plus la même que les années précédentes.

Certes, la charge salariale de la société a diminué à la suite de la réduction de l’activité des recourants. C______ n’a cependant pas changé d’activité et n’est pas comparable à une société nouvellement créée, dont les actions ne peuvent être évaluées qu’à leur valeur nominative. La société a continué son exploitation en 2012 et 2013 ; il n’est pas allégué qu’elle aurait changé de domaine d’activité. Il y a donc lieu de tenir compte, dans l’estimation de ses actions, du rendement de la société. Le raisonnement proposé par M. B______ revient à ne retenir que la valeur de liquidation de la société, méthode qui n’est cependant pas compatible avec le fait que la société n’a pas été liquidée ni en 2012 ni en 2013. Celle-ci doit donc être évaluée selon le principe de continuation de l’exploitation.

En outre, les recourants estiment que leur avis équivaut à celui d’experts. Quand bien même les compétences professionnelles des recourants leur permettent de porter un regard d’expert sur le point litigieux, il convient de relever que leur avis se confond avec celui exprimé par M. B______. Or, il vient d’être exposé que cet avis n’est pas de nature à justifier l’application d’une autre méthode d’estimation des actions que celle préconisée par la circulaire n° 28.

c. Enfin, le canton de Zoug a, certes, fixé, dans la taxation personnelle 2009 des recourants, la valeur des actions de C______ en se fondant sur la méthode résultant de la moyenne pondérée entre la valeur substantielle doublée et la valeur de rendement. Il convient cependant de relever, comme le canton de Zoug l’a exposé, que cette manière de faire se fondait sur la pratique du canton avant 2012, la pratique cantonale ayant ensuite changé.

En outre, même en appliquant cette méthode également à l’année 2012, le résultat aboutirait à une évaluation moins favorable aux recourants que celle effectuée par l’AFC-GE ((2 x CHF 129’8676) + CHF 4'148'285.05) : 3 = CHF 146 .-), soit une valeur par action supérieure à celle retenue de CHF 107.- pour 2012.

d. Au vu de ce qui précède et quand bien même la méthode préconisée par la circulaire n° 28 souffre de certaines faiblesses, relevées par les recourants et également critiquées par le professeur D______, il n’apparaît pas qu’en l’espèce elle soit particulièrement inadéquate et doive conduire à une autre méthode d’estimation. Pour ce même motif, il n’y a pas lieu non plus de procéder à une expertise afin de faire estimer différemment la valeur des actions, si tant est qu’il faille retenir que la demande formulée par les recourants à cet égard ait été valablement formulée.

Le recours s’avère ainsi mal fondé et devra être rejeté.

4. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 novembre 2018 par Madame et Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 novembre 2018 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge solidaire de Madame et Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure :

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame et Monsieur A______, à l'administration fiscale cantonale, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

K. De Lucia

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :