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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1469/2022

ACST/27/2022 du 22.12.2022 ( ABST ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1469/2022-ABST ACST/27/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 22 décembre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
et
Madame B______
représentés par Me Yves Nidegger, avocat

contre

GRAND CONSEIL

 


EN FAIT

1) Monsieur A______ et Madame B______, domiciliés dans le canton de Genève, y exercent leur activité professionnelle de chauffeurs de taxi et exploitent chacun une entreprise de taxi. Mme B______ est en outre présidente de l’Union des taxis genevois (ci-après : UTG).

2) Le 15 mai 2005 est entrée en vigueur l’ancienne loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles du 21 janvier 2005 (aLTaxis - H 1 30), qui subordonnait l’usage accru du domaine public à l’obtention d’un permis de service public, délivré aux taxis de service public ou aux entreprises de taxi de service public, en contrepartie du paiement d’une taxe unique de CHF 40'000.-, récupérable en cas de cessation d’activité. Le permis de service public était soumis à un numerus clausus, avec une liste d’attente prévue pour tout intéressé, et était intransmissible. Les entreprises de taxi de service public avaient la possibilité de louer leurs taxis à travers un bail à ferme, à certaines conditions, contrairement aux titulaires d’une autorisation de taxi de service public, qui avaient l’interdiction formelle de louer leur taxi mais pouvaient néanmoins employer des chauffeurs pour utiliser leur taxi durant leurs heures d’inactivité.

3) Le 27 mars 2014, le Grand Conseil a adopté la loi n° 10'697 sur les taxis de service public et autres transports professionnels de personnes (aLTSP).

4) Le 13 octobre 2016, le Grand Conseil a adopté l’ancienne loi sur les taxis et les voitures de transport de personnes avec chauffeur (aLTVTC - H 1 31), entrée en vigueur le 1er juillet 2017, qui a abrogé l’aLTaxis et, par la même occasion, l’aLTSP, qui n’est jamais entrée en vigueur. L’un des objectifs de l’aLTVTC était de simplifier la réglementation en matière de transport professionnel de personnes et de remettre les clients au centre du dispositif, tout en s’adaptant à leur nouveau mode de consommation. L’aLTVTC subordonnait l’utilisation accrue du domaine public à la délivrance d’une autorisation d’usage accru du domaine public (ci-après : AUADP), soumise à un numerus clausus, avec liste d’attente, et en contrepartie du paiement d’une taxe annuelle de CHF 1'400.-. L’aLTVTC prévoyait l’incessibilité de l’AUADP mais aucune règle particulière concernant le bail à ferme ou la location de plaques d’immatriculation. En raison des modifications apportées à l’ancien système par l’aLTVTC, un bilan d’impact sur son application devait être présenté au Grand Conseil deux ans après l’entrée en vigueur de la loi.

5) Le 25 février 2020, le Conseil d’État a déposé au Grand Conseil un rapport RD 1'327 sur le bilan intermédiaire de l’aLTVTC.

Sur la base d’un sondage réalisé auprès des associations de taxi, il était apparu que les revenus des chauffeurs avaient diminué, depuis deux ou trois ans, de 40 % à 50 % pour les taxis non affiliés à une centrale de réservation et de 20 % à 30 % pour les autres. Avant même de générer une première course, un chauffeur de taxi devait amortir des charges particulièrement importantes, ce qui conduisait, pour un chauffeur travaillant à 100 %, à un revenu net situé entre CHF 2'664.- et CHF 3'110.-. Certains chauffeurs de taxi indépendants louaient des AUADP à des entreprises de transport avec un bail à ferme pour un montant mensuel pouvant atteindre CHF 2'000.-, voire plus, qui venait s’ajouter auxdits frais mensuels. Ainsi, ces charges financières, ajoutées à une baisse avérée de la clientèle, impliquaient une précarisation de la profession, qui était compensée par les chauffeurs par l’augmentation considérable de leur temps de travail afin d’espérer réaliser un chiffre d’affaires d’à peine CHF 250.- par jour. Parmi les principaux points de tensions au sein du secteur était mentionnée la rotation insuffisante des AUADP. En septembre 2019, l’on dénombrait mille cent quarante-quatre taxis au bénéfice d’une telle autorisation, soit quarante-quatre de plus que le numerus clausus de mille cent AUADP. Avec en moyenne une reddition d’une à deux AUADP par année, aucune nouvelle autorisation ne serait délivrée avant au moins une décennie, alors que la liste d’attente des taxis comptait actuellement quatre cent soixante-sept personnes.

6) Le lendemain, soit le 26 février 2020, le Conseil d’État a déposé auprès du Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) n° 12'649 sur les taxis et la voitures de transport avec chauffeur (LTVTC - H 1 31).

Selon l’exposé des motifs y relatif, le PL conservait le même intitulé que l’aLTVTC, l’essentiel de son dispositif ainsi que ses orientations. Le dispositif existant avait toutefois été renforcé, notamment par la réglementation des baux à ferme et la rotation des AUADP. La mise à disposition de taxis à titre onéreux ou gratuit était une pratique dont les conditions avaient été réglementées sous l’égide de l’aLTaxis lorsque les permis de service public étaient délivrés pour une durée indéterminée contre le paiement d’une importante taxe unique, ce qui n’avait plus été le cas à la suite de l’adoption de l’aLTVTC, laquelle prévoyait que l’AUADP était délivrée pour une durée de six ans contre le paiement d’une taxe annuelle de CHF 1'400.-, chaque autorisation correspondant à une immatriculation au moyen de numéros spécialement dédiés aux taxis. Malgré ces changements, certains titulaires d’AUADP, considérant en être propriétaires, de même que de la plaque d’immatriculation, se contentaient de louer leur taxi, ce qui leur conférait une rente liée à la simple détention de l’autorisation. Il n’était pas non plus rare que les titulaires d’une AUADP louent les plaques d’immatriculation de leur véhicule, devenant formellement détenteurs de la voiture des fermiers, en contradiction avec les règles de la circulation routière. Les loyers abusifs ainsi pratiqués étaient non seulement inacceptables mais généraient également des situations de précarité sociale au sein de la profession, de sorte qu’un encadrement strict de cette pratique, pour éviter les abus, s’imposait, en interdisant la location des plaques et en encadrant la mise à disposition des taxis. L’interdiction de cette pratique permettait non seulement d’y mettre un terme, mais également de susciter la restitution d’AUADP en vue de leur réattribution, afin de réduire le temps d’attente pour les personnes souhaitant exercer la profession. La fixation d’une limite d’âge, en l’occurrence à 75 ans, qui entrainait la caducité de l’AUADP visait le même objectif, ainsi que celui de préserver la santé des administrés (pénibilité de la profession de chauffeur, charges importantes à soulever) et la sécurité des usagers.

7) Ce projet a été renvoyé à la commission des transports (ci-après : la commission parlementaire), qui a rendu deux rapports, respectivement les 16 août 2021 (PL 12'649-A) et 11 janvier 2022 (PL 12'649-B).

a. Selon la présentation par le département du PL, la problématique de la location des plaques de taxi ainsi que l’AUADP associée était récurrente et faisait l’objet de discussions avec les milieux des taxis. En raison du numerus clausus desdites AUADP, le délai d’attente pour leur obtention pouvait atteindre plusieurs années, ce qui augmentait leur valeur économique et permettait à leurs titulaires de gagner de l’argent en vivant de la rente résultant de la location de leurs plaques pour un loyer dépassant parfois plus de dix fois le montant de la taxe annuelle. De nombreux chauffeurs voulant exercer la profession de taxi étaient ainsi contraints de louer une AUADP, ce qui les rendait dépendants et économiquement vulnérables. Il était apparu que cinquante-trois personnes détenaient cent cinquante AUADP, dont une personne qui en avait dix. En l’absence d’outils permettant de contrôler les prix, Le PL prévoyait de supprimer la cession des plaques, en recourant à leur location ou au bail à ferme, y compris en recourant à un « doubleur », lequel ne pouvait exercer sa profession que lorsque le titulaire principal de l’AUADP ne souhaitait pas lui-même l’utiliser. Ainsi, selon le PL, le détenteur d’une AUADP pouvait soit l’utiliser lui-même, soit engager un chauffeur pour l’utiliser, qui devenait contractuellement son employé, soit céder définitivement l’AUADP. Une telle réglementation permettrait d’assainir des situations difficilement contrôlables. Il avait également paru important de fixer un âge maximum, en présence de chauffeurs très âgés pratiquant encore leur métier uniquement pour s’occuper et des difficultés des plus jeunes à entrer dans la profession.

b. La commission parlementaire a procédé à plusieurs auditions.

Les représentants de l’UTG, parmi lesquels sa présidente, ont expliqué que les charges pesant sur les taxis avaient massivement augmenté à la suite de l’entrée en vigueur de l’aLTVTC, alors que les revenus n’avaient fait que décroître à la suite de l’arrivée d’Uber sur le marché et de la situation sanitaire. Plusieurs chauffeurs avaient profité de la période transitoire de l’aLTVTC pour vendre ou rendre contre dédommagement leur AUADP et certaines s’étaient réinscrits sur la liste d’attente pour en obtenir une gratuitement. En l’absence d’incitation financière favorisant la restitution des plaques, de nombreux titulaires d’une AUADP qui ne les utilisaient plus préféraient les conserver pour les mettre en location, ce qui leur procurait une rente de situation mais ne favorisait pas l’entrée dans la profession de nouveaux chauffeurs. Avant l’entrée en vigueur de l’aLTVTC, des prix maximaux étaient pratiqués pour les baux à ferme, ce qui n’était plus le cas, des chauffeurs en ayant abusé. Le prix de location d’une plaque était désormais rarement inférieur à CHF 1'000.- par mois et représentait une charge énorme pour les chauffeurs. Sans les charges, un chauffeur percevait un revenu journalier moyen situé entre CHF 100.- et CHF 150.-.

Selon les représentants de l’Association des chauffeurs de taxi sans plaques à Genève, des personnes qui n’exerçaient pas elles-mêmes le métier détenaient des AUADP et les remettaient en location, pour un loyer allant jusqu’à CHF 2'000.- par mois fixé par uniquement rapport à l’offre et à la demande des chauffeurs. En raison du numerus clausus et du faible taux de rotation, l’AUADP était inaccessible pour les nouveaux chauffeurs. L’aLTVTC avait créé un environnement favorable à de telles pratiques abusives. Actuellement, environ deux cents chauffeurs louaient des plaques auprès de bailleurs, principalement des particuliers, une vingtaine de plaques appartenant à des sociétés.

Monsieur C______ était chauffeur de taxi et dirigeant d’une entreprise de taxi. Lors de l’entrée en vigueur de l’aLTVTC, les chauffeurs n’avaient plus souhaité avoir recours au bail à ferme mais uniquement à la location de plaques, qui coûtait moins cher et leur évitait de devoir partager leur véhicule. Les entreprises s’étaient également mises à louer des plaques, au détriment du bail à ferme. Les chauffeurs ne souhaitaient pas non plus devenir salariés et le fait de leur imposer une activité dépendante aurait pour conséquence de condamner les entreprises qui les employaient, au vu des charges dont elles devraient s’acquitter. Une indemnisation pour les entreprises qui avaient consenti à des investissements et avaient été incitées par l’aLTVTC à acquérir des autorisations devait dès lors être envisagée.

Ont en outre été auditionnés notamment D______, l’Association E______ et l’Association F______.

c. Il ressort des débats que la commission parlementaire avait voulu supprimer la location des plaques, qui conférait une rente de situation aux titulaires d’une AUADP, lesquels les louaient à un prix abusif. Elle avait été alertée par des professionnels s’agissant de la suppression du bail à ferme, qui aurait des implications sur les entreprises, lesquelles ne prendraient pas le risque d’employer des chauffeurs qu’il faudrait payer. De telles entreprises avaient toutefois une valeur ajoutée moindre, puisque qu’elles acquéraient des véhicules et les louaient avec l’AUADP correspondante, moyennant une marge, souvent excessive. En maintenant le bail à ferme, on permettait à plusieurs personnes de rester dans un modèle qui n’amenait pas grand-chose d’un point de vue entrepreneurial. Le bail à ferme, tel qu’il était organisé par certaines personnes, restait un système exploitant une certaine dépendance, qui permettait la réalisation de marges excessives par rapport à l’outil de travail proposé, en tirant profit d’un avantage octroyé par l’État pour le monnayer. Le bail à ferme n’étant plus en lien avec la réalité de la pratique de la profession, il convenait de supprimer cette possibilité. Une indemnisation, dans les dispositions transitoires, était néanmoins introduite, en faveur des personnes qui rendaient leur AUADP.

8) Le 28 janvier 2022, le Grand Conseil a adopté la LTVTC (loi 12'649), qui a notamment la teneur suivante :

« Chapitre I Dispositions générales

Art. 5 Définitions

Au sens de la présente loi et de ses dispositions d’application, on entend par :

c) « entreprise de transport » : toute personne physique ou morale qui :

1 est liée avec un ou plusieurs chauffeurs par un contrat de travail au sens de l’article 319 du code des obligations ou de l’article 10 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000, ou

2 met une ou plusieurs VTC à la disposition d’une entreprise, respectivement d’un ou de plusieurs chauffeurs employés ou indépendants, ou

3 est détentrice de plus d’une plaque d’immatriculation au sens des articles 12, alinéa 1, et 14, alinéa 1, de la présente loi ;

( )

Chapitre II Accès aux professions

Section 4 Immatriculations

Art. 13 Autorisation d’usage accru du domaine public

3 Les autorisations et les plaques d’immatriculation correspondantes sont strictement personnelles et intransmissibles ; elles ne peuvent être mises à la disposition d’entreprises ni de chauffeurs tiers. Le titulaire de l’autorisation doit en faire un usage personnel et effectif en tant que chauffeur indépendant ou entreprise au sens de l’article 5, lettre c, chiffre 1, de la présente loi.

Caducité

9 Le département constate la caducité de l’autorisation lorsque :

a) son titulaire y renonce par écrit ;

b) son titulaire ne dépose pas une requête en renouvellement 3 mois avant son échéance ;

c) son titulaire a atteint l’âge de 75 ans révolus ;

d) son titulaire n’en fait pas un usage effectif, en tant que chauffeur, respectivement en tant qu’entreprise pendant 6 mois consécutifs. Est réservé le cas d’incapacité totale de travail provisoire du chauffeur titulaire de l’autorisation, dûment attestée par un certificat médical ;

e) son titulaire met à la disposition d’un tiers l’autorisation, respectivement la plaque d’immatriculation correspondante en violation de l’alinéa 3 ;

f) l’office compétent a prononcé la décision prévue à l’article 45, alinéa 1, lettre a ou c, de la loi sur l’inspection et les relations du travail, du 12 mars 2004, s’agissant du non-respect des usages, et que cette décision est entrée en force.

( )

Chapitre X Dispositions finales et transitoires

Art. 45 Entrée en vigueur

Le Conseil d’État fixe la date d’entrée en vigueur de la présente loi.

Art. 46 Dispositions transitoires

Interdiction de la mise à disposition des autorisations d’usage accru du domaine public

8 Le titulaire d’une autorisation d’usage accru du domaine public qui met à disposition d’une entreprise ou d’un chauffeur tiers son taxi, respectivement la plaque d’immatriculation correspondante à l’autorisation, doit dans un délai de 12 mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi :

a) faire un usage personnel et effectif de l’autorisation en tant que chauffeur indépendant ou entreprise au sens de l’article 5, lettre c, chiffre 1, de la présente loi ; ou

b) restituer au département l’autorisation dont il ne veut ou ne peut faire un usage personnel et effectif.

9 Le titulaire qui restitue dans un délai de 3 mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi tout ou partie des autorisations dont il ne peut faire un usage personnel et effectif perçoit un montant de 6 000 francs par autorisation, sous réserve de l’alinéa 10.

( ) »

9) La LTVTC a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 4 février 2022, le délai référendaire étant fixé au 16 mars 2022.

10) Bien qu’ayant été demandé, le référendum n’a pas abouti, ce qu’a constaté le Conseil d’État par arrêté du 13 avril 2022, publié dans la FAO du lendemain.

11) Par arrêté du 23 mars 2022, publié dans la FAO du 25 mars 2022, le Conseil d’État a promulgué la LTVTC pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication dudit arrêté, l’entrée en vigueur de la loi devant être fixée ultérieurement par le Conseil d’État.

12) a. Par acte expédié le 9 mai 2022, M. A______ et Mme B______ ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la LTVTC, concluant à ce que l’art. 5 let. c ch. 1 in fine LTVTC soit complété par la phrase « ou avec un ou plusieurs chauffeurs indépendants au bénéfice d’un bail à ferme », à l’annulation des art. 13 al. 3, 13 al. 9 let. e et 46 al. 8 et 9 LTVTC et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

Lors de l’entrée en vigueur de l’aLTVTC, ils avaient été incités à faire l’acquisition de plaques supplémentaires, pour lesquelles ils avaient déboursé chacun plus de CHF 30'000.-, qu’ils avaient remises en location par des baux à ferme.

Les dispositions litigieuses étaient contraires à la liberté économique, aux principe d’égalité de traitement entre concurrents et de la proportionnalité, à la garantie de la propriété, à l’interdiction de l’arbitraire et aux règles de la bonne foi.

En interdisant le bail à ferme aux entreprises de taxi, l’État instaurait une inégalité de traitement par rapport à celle des entreprises de VTC, que les circonstances particulières évoquées par le Tribunal fédéral dans le cadre de la profession de taxi ne permettait pas de justifier, en présence d’une activité identique dans les deux cas. Par ailleurs, sous l’angle du libre choix de l’activité économique, les dispositions litigieuses les empêchaient d’exercer leur profession d’entrepreneurs de taxi, en leur imposant un modèle de salariat non viable. Quand bien même l’État suspectait des abus de la part de certaines entreprises de taxi dans le cadre de la pratique du bail à ferme, des contrôles pouvaient y remédier, sans qu’il soit nécessaire d’établir une telle interdiction s’apparentant à une punition de toute la branche.

Une telle situation était encore plus flagrante sous l’angle de l’arbitraire, puisque rien ne permettait raisonnablement de justifier le retrait abrupt d’une faculté paisiblement exercée pendant de nombreuses années par les taxis, au demeurant avec l’assistance du département, lequel leur avait fourni des modèles de contrats de fermages ainsi que des tabelles pour les guider dans la fixation d’un juste prix en fonction du type et de l’âge du véhicule considéré.

En redéfinissant la notion d’entreprise de sorte à exclure brutalement du marché du taxi des entreprises jusqu’ici dûment autorisées et qui avaient investi de bonne foi dans un modèle d’affaires fondé sur le bail à ferme de manière conforme au droit, la nouvelle réglementation prononçait l’expropriation des entreprises concernées, qui se trouvaient dessaisies de leur modèle d’affaires et des investissement consentis, sans obtenir la moindre indemnité, le montant de CHF 6'000.- étant seulement une prime incitative.

Le principe de la bonne foi commandait qu’ils ne soient pas dépossédés, quatre ans seulement après l’entrée en vigueur de l’aLTVTC, du modèle d’affaires qu’ils avaient mis en place et financé, ce d’autant moins qu’ils y avaient été incités à l’époque.

b. Ils ont notamment produit :

- plusieurs cartes grises de véhicules de taxis immatriculés à leur nom ;

- une « attestation de paiement de fermage » en faveur de Mme B______ pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2018 d’un montant de CHF 17'002.55 comprenant l’assurance du véhicule (CHF 820.10), l’impôt sur la plaque (CHF 304.65), le contrôle périodique (CHF 70.-), la taxe annuelle d’AUADP (CHF 1'400.-), l’abonnement « Taxiphone » (CHF 8'407.80) et la « location des plaques » (CHF 6'000.-) ;

- le bilan et le compte de pertes et profits de l’exercice 2019 de M. A______, indiquant, outre un chiffre d’affaires personnel de CHF 32'110.-, un montant de CHF 34'842.- à titre de « location bail à ferme » pour quatre plaques, soit respectivement CHF 10'500.-, CHF 12'090.-, CHF 6'152.- et CHF 6'100.- ;

- plusieurs documents intitulés « contrat de bail à ferme pour chauffeur de taxi indépendant collaborant avec Taxis A______ » pour des fermages de CHF 250.- par semaine et de respectivement CHF 480.-, CHF 620.- et CHF 700.- par mois.

13) Le 29 juin 2022, le Grand Conseil a conclu au rejet du recours.

Outre le fait que la conclusion visant à la réforme de l’art. 5 let. c ch. 1 LTVTC était irrecevable, au regard de la nature cassatoire du recours en contrôle abstrait des normes, cet article définissait l’entreprise de transport comme un seul et même acteur économique, soumis au respect de règles différentes en fonction de la catégorie, de taxi ou de VTC, proposée. Cette disposition ne créait ainsi aucune inégalité de traitement entre concurrents directs, puisque l’entreprise de transport demeurait libre d’offrir les services qu’elle souhaitait, dans l’une ou l’autre des catégories envisagées, dont la distinction se fondait sur le droit d’usage accru du domaine public accordé aux seuls taxis, auxquels il était fait interdiction de louer l’AUADP. Une telle mesure était indispensable pour protéger l’ordre public, en assurant une répartition plus équitable des autorisations et en luttant contre le commerce des AUADP, l’expérience ayant montré qu’une réglementation contrôlée du bail à ferme n’avait pas fait cesser les abus pratiqués, puisque le cadre fixé par l’aLTaxis n’avait eu aucune influence sur les prix des loyers perçus de manière dissimulée. Les contrôles effectués par l’autorité compétente n’y avaient rien changé, ce d’autant moins qu’ils étaient limités aux informations communiquées par les professionnels. Cette pratique s’était au demeurant développée sous l’empire de l’aLTaxis, alors même que cette loi exigeait du titulaire d’une AUADP d’être détenteur le détenteur de son véhicule.

En toute hypothèse, la pratique du bail à ferme ne pouvait plus subsister avec l’abolition de la taxe unique de CHF 40'000.-, dès lors qu’actuellement la seule barrière à la délivrance de l’AUADP résidait dans leur numerus clausus. Le maintien du bail à ferme revenait à accepter que les titulaires d’une AUADP, qui n’exerçaient dans les faits pas la profession, les monopolisent et profitent de leur nombre limité pour les louer à des prix excessifs à des personnes qui ne demandaient qu’à exercer cette activité mais qui ne le pouvaient pas en raison de leur nombre limité. Cette situation était d’autant plus absurde qu’elle privait ces personnes de la possibilité d’obtenir directement une AUADP, de diminuer en conséquence leurs charges et d’offrir leurs services à des prix plus économiques. La LTVTC visait ainsi à délivrer des AUADP aux chauffeurs exerçant personnellement cette activité, soit en qualité d’indépendants, soit en tant qu’employeurs, mais il était intolérable que l’État cautionne la délivrance d’AUADP à des personnes qui profitaient de leur rareté pour obtenir un bénéfice au détriment des chauffeurs qui se retrouvaient dans des situations financières précaires. Les titulaires d’une AUADP étaient lésés dans une moindre mesure, puisqu’ils disposaient d’un délai de douze mois pour s’adapter au changement, étant précisé qu’ils pouvaient étendre leur activité en proposant des services de VTC.

L’interdiction de louer l’AUADP poursuivait des intérêts publics prépondérants, si bien qu’elle reposait sur des motifs objectifs et sérieux et pourvue de sens. L’aspect « abrupt » invoqué par les recourants devait aussi être relativisé du fait du délai transitoire permettant aux professionnels de s’organiser en conséquence.

Dès lors que l’AUADP n’était pas un bien du patrimoine et ne conférait pas de droits patrimoniaux, aucune expropriation ne pouvait être envisagée, et, par conséquent, les recourants ne pouvaient revendiquer une quelconque indemnité de ce fait.

Le principe de la bonne foi était également respecté, puisqu’aucune garantie n’avait été donnée aux recourants, pas plus qu’aux autres professionnels de la branche, sur la possibilité de remettre en location les AUADP acquises par cession. Une incitation à l’acquisition d’AUADP n’avait pas non plus été donnée, les règles transitoires de l’aLTVTC ayant voulu activer la concurrence à l’avantage du consommateur et alléger les changements apportés notamment par le passage de la taxe unique à la taxe annuelle et par la délivrance d’un permis de service public d’une durée indéterminée à la délivrance d’une AUADP d’une durée de six ans. Dans ce cadre, aucune garantie n’avait été fournie, ce d’autant moins au vu de la délivrance des AUADP pour une durée limitée, avec un risque de non-renouvellement à leur échéance.

14) Le 8 juillet 2022, le juge délégué a accordé aux parties un délai au 19 août 2022 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaire, après quoi la cause serait gardée à juger.

15) Le 18 août 2022, M. A______ et Mme B______ ont persisté dans leur recours.

Les revenus des chauffeurs de taxis avaient diminué du fait de la concurrence avec les VTC et de la situation sanitaire. Avec un chiffre d’affaires mensuel de CHF 6'000.- par chauffeur, qui ne permettait déjà pas de financer le salaire minimum, l’entrée en vigueur de la LTVTC aurait pour effet d’éradiquer les entreprises de taxi, et non d’assainir leur pratique. L’option de conclure ou non un bail à ferme en vue de l’exploitation d’un véhicule doté d’une AUADP relevait de la liberté contractuelle des chauffeurs concernés, qui y trouvaient des avantages, au vu de la demande. L’interdiction du bail à ferme pour les taxis avait en outre pour effet de concentrer la demande de fermage sur le seul marché des VTC. Comme l’avait démontré la pratique des autorités, le montant des loyers était parfaitement contrôlable et celles-ci ne pouvaient pas invoquer leur propre inaction pour justifier une mesure aussi intrusive que l’interdiction du statut d’indépendant et la destruction du modèle d’affaires des entreprises qui y recouraient, en présentant cette mesure comme le remède unique pour pallier des abus prétendument généralisés.

Ils sollicitaient en outre l’audition de deux chauffeurs indépendants au bénéfice d’un bail à ferme.

16) Le Grand Conseil ne s’est pas déterminé à l’issue du délai imparti.

17) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) a. La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

b. En l’espèce, le recours est formellement dirigé contre une loi cantonale, à savoir la loi 12'649, et ce en l’absence de cas d’application (ACST/12/2022 du 28 juillet 2022 consid. 1b).

2) Le recours a été interjeté dans le délai légal à compter de la promulgation de ladite loi dans la FAO, qui a eu lieu le 25 mars 2022 (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) et satisfait également aux conditions générales de forme et de contenu prévus aux art. 64 al. 1 et 65 al. 1 et 3 LPA.

En revanche, les conclusions ne sont recevables que dans la mesure où, dans le respect de la nature cassatoire du recours en contrôle abstrait des normes, elles tendent à l’annulation des normes contestées (ACST/16/2021 du 22 avril 2021 consid. 2). Tel n’est pas le cas de la conclusion visant à ce que l’art. 5 let. c ch. 1 in fine LTVTC soit complété par la phrase « ou avec un ou plusieurs chauffeurs indépendants au bénéfice d’un bail à ferme » puisque les recourants demandent à la chambre de céans de modifier la loi litigieuse, et pas seulement de procéder à une interprétation conforme de son texte. Une telle conclusion est par conséquent irrecevable.

3) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L’art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l’action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu’il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/12/2022 précité consid. 4a).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n’est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l’acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés directement par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 147 I 308 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_357/2021 du 19 mai 2022 consid. 2.2). La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de l’acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu (ATF 147 I 478 consid. 2.2).

b. En l’espèce, dès lors que les recourants exercent la profession de chauffeurs de taxi à Genève et qu’ils exploitent au demeurant chacun une entreprise de taxi, ils sont personnellement concernés par les dispositions qu’ils contestent, si bien qu’ils ont qualité pour recourir.

4) Les recourants sollicitent l’audition de deux chauffeurs indépendants au bénéfice d’un bail à ferme.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit, pour l’intéressé, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves, à condition qu’elles soient pertinentes et de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_120/2021 du 10 octobre 2022 consid. 5.1). Il ne comprend en principe pas le droit d’obtenir l’audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_207/2021 du 27 mai 2021 consid. 3.1). Le droit d’être entendu n’empêche pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).

b. En l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit à la requête des recourants. Outre le fait qu’ils ne disposent d’aucun droit à l’audition de témoins, les recourants ont pu faire valoir leurs arguments par écrit à plusieurs reprises, en présentant la situation du bail à ferme et en produisant diverses pièces à ce sujet. Les déterminations d’autres chauffeurs de taxi pour appuyer leurs allégués n’apparaissent ainsi pas utiles.

5) À l’instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 147 I 308 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_983/2020 du 15 juin 2022 consid. 3.1 ; ACST/12/2022 précité consid. 5 et les références citées).

6) Les recourantes invoquent une violation de la liberté économique.

a. Aux termes de l’art. 27 Cst., la liberté économique est garantie (al. 1). Cette liberté comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). L’art. 35 Cst-GE contient une garantie similaire.

La liberté économique protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d’un gain ou d’un revenu, et peut être invoquée tant par les personnes physiques que par les personnes morales (ATF 143 II 598 consid. 5.1). Elle a une fonction institutionnelle, en tant qu’elle exprime, conjointement avec d’autres dispositions constitutionnelles (notamment l’art. 94 Cst.), le choix du constituant en faveur d’un système économique libéral, fondé sur la libre entreprise et la concurrence, et une fonction individuelle, en tant qu’elle assure une protection contre les mesures étatiques restreignant la liberté d’exercer toute activité économique privée, exercée aux fins de production d’un gain ou d’un revenu, à titre principal ou accessoire, dépendant ou indépendant (ATF 143 II 598 consid. 5.1). Ces deux aspects, institutionnel et individuel, sont étroitement liés (ATF 148 II 121 consid. 7.2).

À l’instar de toutes les libertés, la liberté économique peut être restreinte aux conditions de l’art. 36 Cst. Ces restrictions doivent ainsi reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public et respecter le principe de proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_139/2021 du 12 juillet 2021 consid. 4.1 et les références citées).

b. En l’espèce, les recourants se plaignent du caractère strictement personnel et intransmissible des AUADP (art. 13 al. 3 et 9 let. e et art. 46 al. 8 et 9 LTVTC), qui revient à leur interdire de louer celles-ci à travers un taxi dans le cadre d’un bail à ferme ou à travers des plaques d’immatriculation, ce qui serait contraire à la liberté économique des chauffeurs et des entreprises de taxis.

Si l’on peut considérer que les dispositions concernant le caractère intransmissible des AUADP les entravent dans l’exercice de leur profession de chauffeurs de taxi et d’entreprise de transport au sens de l’art. 5 let. c LTVTC, une telle restriction n’en est pas moins admissible selon l’art. 36 Cst., les intéressés ne contestant à raison pas l’existence d’une base légale au sens de l’art. 36 al. 1 Cst.

En effet, de jurisprudence constante, la collectivité publique est habilitée à réglementer l’usage accru du domaine public par les taxis. Parmi les mesures admissibles au regard de l’art. 27 Cst., le législateur peut limiter le nombre de places de stationnement réservées aux taxis sur le domaine public et déterminer le cercle des bénéficiaires de ces emplacements. Il doit toutefois veiller à ne pas restreindre de façon disproportionnée l’exploitation du service dans son ensemble, en particulier il ne doit pas soumettre la profession de taxi à un numerus clausus déterminé uniquement par les besoins du public. L’interdiction dudit numerus clausus ne concerne pas le nombre de places de stationnement, qui est par la force des choses limité, mais le nombre de titulaires d’autorisations. Les autorisations ne doivent ainsi pas être concentrées entre les mains d’un petit cercle toujours identique de bénéficiaires, mais être réparties équitablement entre les différents concurrents, selon un système permettant également l’accès à de nouveaux candidats. L’exigence d’égalité entre concurrents suppose, pour être effective, la mise en place d’un système de distribution des autorisations qui soit cohérent, transparent et fondé sur des motifs objectifs, sous peine d’ouvrir la porte à l’arbitraire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2020 du 20 novembre 2020 consid. 7.2 et les références citées).

Les dispositions querellées poursuivent un tel but, à savoir éviter que les autorisations soient conservées par les mêmes bénéficiaires afin de les répartir équitablement entre les différents concurrents et de permettre l’accès à la profession de nouveaux candidats. Le caractère strictement personnel et intransmissible des AUADP permet en outre de mettre un terme à leur commerce, ce qui constitue également un but d’intérêt public admissible, comme l’a relevé le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2020 précité consid. 7.4.1), puisque lesdits transferts sont susceptibles de créer de la spéculation sur les prix et de faire perdre le contrôle sur les critères d’attribution, qui se doivent d’être transparents et objectifs.

Ledit caractère strictement personnel et intransmissible des AUADP répond aussi aux exigences de la proportionnalité, puisqu’une telle mesure permet à l’autorité d’effectuer un contrôle sur l’attribution des AUADP et éviter leur commerce et, par voie de conséquence, des spéculations sur les prix. Dans ce cadre, le Conseil d’État, dans ses constats résultant du rapport RD 1'327 ainsi que les représentants des milieux des taxis, y compris l’UTG par la voix de sa présidente, entendus par la commission parlementaire, ont fait état d’un certain nombre d’abus en lien avec la mise en location des AUADP. Il en ressort que de nombreux titulaires d’AUADP mettaient en location leurs plaques, percevant une rente pouvant atteindre jusqu’à CHF 2'000.- par mois par jeu de plaques, sans pour autant exercer eux-mêmes la profession. Ce prix à payer, ajouté à une diminution des revenus, plaçait les chauffeurs concernés dans une situation de précarité économique, qu’ils devaient compenser en augmentant leur temps de travail. L’intransmissibilité des AUADP permet ainsi non seulement de mettre fin à une telle précarisation de la profession et à l’enrichissement correspondant des titulaires des AUADP, mais également d’inciter ceux n’exerçant plus comme chauffeur de les restituer afin de permettre l’accès à la profession de nouvelles personnes.

Les recourants soutiennent que des mesures moins incisives que la stricte intransmissibilité, comme un contrôle des prix pratiqués, permettraient également d’atteindre ces buts. Outre le fait qu’on ne voit pas comment un tel contrôle favoriserait la rotation des AUADP, le grief des recourants est infondé, au vu des pratiques ayant subsisté durant de nombreuses années, malgré les tentatives d’encadrement de la part des autorités, et qui ont conduit à la situation dans laquelle près de cent cinquante AUADP se sont concentrées dans les mains d’une cinquantaine de personnes, lesquelles les mettaient en location à des prix exorbitants à des chauffeurs n’étant pas en mesure d’accéder à la profession. Laisser subsister le seul bail à ferme, comme le suggèrent les recourants, n’apparait pas non plus satisfaisant, en l’absence de possibilité de contrôle des prix de location pratiqués, ce qui était déjà problématique sous l’empire de l’aLTaxis, sans que les autorités aient pu y remédier. Il ressort en outre des pièces versées à la procédure par les recourants que les montants qu’ils ont perçus comme « fermage » sont relativement importants, en particulier s’agissant de l’exercice 2019 du recourant et de celui de 2018 de la recourante, laquelle a du reste fait supporter l’entier des frais relatifs au véhicule au « fermier », y compris la taxe relative à l’AUADP, auprès duquel elle percevait au surplus un montant annuel de CHF 6'000.- à titre de « location de plaques ».

Enfin, contrairement à ce que soutiennent les recourants, leurs intérêts privés ne sauraient primer les intérêts publics, précédemment mentionnés, poursuivis par les dispositions qu’ils contestent. Outre le fait que la poursuite du même type d’activité, sous la forme d’un bail à ferme d’un véhicule par exemple, demeure possible pour les VTC, qui ne sont pas concernés par le numerus clausus, le transfert de l’utilisation d’une AUADP dans le cadre d’un contrat de travail est également envisageable, ce qui réduit dans une large mesure l’atteinte à la liberté économique des recourants, lesquels se contentent d’alléguer que le fait de salarier des chauffeurs de taxi ne serait pas rentable d’un point de vue économique. Comme l’a indiqué l’intimé, ce qui ressort aussi des débats en commission parlementaire, les entreprises de transport qui ne sont pas en mesure de développer une activité leur permettant de créer de l’emploi devront restituer leurs AUADP, dès lors que l’État n’a pas vocation à délivrer une telle autorisation pour qu’elles se déchargent du risque économique en découlant sur une tierce personne afin de dégager un bénéfice. Il sera en outre encore rappelé qu’en droit public, le transfert de droits et devoirs administratifs doit constituer l’exception (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2020 précité consid. 7.4.1). Il s’ensuit que l’incessibilité de l’AUADP respecte le principe de la proportionnalité sous ses différents aspects et constitue une restriction admissible à la liberté économique dans sa dimension individuelle.

7) Les recourants se plaignent d’une inégalité de traitement entre concurrents directes.

a. La liberté économique comprend le principe de l’égalité de traitement entre personnes appartenant à la même branche économique. Selon ce principe, déduit des art. 27 et 94 Cst., sont prohibées les mesures étatiques qui ne sont pas neutres sur le plan de la concurrence entre les personnes exerçant la même activité économique. On entend par concurrents directs les membres de la même branche économique qui s’adressent avec les mêmes offres au même public pour satisfaire les mêmes besoins (ATF 148 II 121 consid. 7.1 et les références citées). L’égalité de traitement entre concurrents directs n’est pas absolue et autorise des différences, à condition que celles-ci reposent sur une base légale, qu’elles répondent à des critères objectifs, soient proportionnées et résultent du système lui-même ; il est seulement exigé que les inégalités ainsi instaurées soient réduites au minimum nécessaire pour atteindre le but d’intérêt public poursuivi (ATF 143 I 37 consid. 8.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_772/2017 du 13 mai 2019 consid. 3.1.1 et les références citées). Sous l’angle de l’égalité de traitement, les art. 27 et 94 Cst. garantissent aux concurrents directs une protection plus étendue que celle offerte par l’art. 8 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 2C_772/2017 précité consid. 3.1.2).

b. En l’espèce, les recourantes soutiennent que l’interdiction, imposées aux seules entreprises de transport de taxis, de mettre à disposition un taxi au bénéfice d’une AUADP au moyen d’un bail à ferme constituerait une inégalité de traitement par rapport aux entreprises de transport de VTC, étant donné que leurs activités seraient similaires.

Ils perdent toutefois de vue que l’inégalité dont ils se prévalent n’a pas trait aux entreprises de transport en tant que telles, mais à l’AUADP octroyée aux taxis et aux entreprises de taxis. En effet, à l’instar de l’aLTVTC, la LTVTC prévoit un système fondé sur deux catégories de transporteurs professionnels de personnes, en introduisant une distinction entre la catégorie des « taxis » (art. 2 al. 1 let. a et 5 let. a LTVTC) et celle de VTC (art. 2 let. b et 5 let. b LTVTC). Comme dans l’ancienne loi, bien que ces deux catégories relèvent du transport professionnel de personnes et que les activités exercées soient analogues, la LTVTC confère des droits et impose des obligations variant selon le type d’activité exercée par le transporteur.

Les chauffeurs de taxi, à l’exclusion des chauffeurs de VTC, peuvent ainsi s’arrêter aux stations de taxi dans l’attente de clients, utiliser les voies réservées aux transports en commun et emprunter les zones ou les rues dans lesquelles la circulation est restreinte (art. 20 al. 1 let. a à c LTVTC). Ils ont le droit de prendre en charge un client qui les hèle dans la rue (art. 20 al. 3 LTVTC) et de porter l’enseigne « taxi » (art. 5 let. a LTVTC). Ils peuvent en outre se voir attribuer un droit d’accès prioritaire à une zone privilégiée, dite « zone réservée », dans le périmètre de l’Aéroport international de Genève (ci-après : AIG ; art. 33 al. 2 let. a LTVTC). En contrepartie, les chauffeurs de taxi sont soumis à des obligations spécifiques. Ils doivent notamment s’acquitter d’une taxe annuelle (art. 36 LTVTC), être équipés d’un compteur horokilométrique ou d’un autre dispositif reconnu pour calculer le prix des courses (art. 21 al. 1 let. a LTVTC), respecter les montants tarifaires maximaux fixés par le Conseil d’État (art. 22 al. 3 LTVTC/GE) et accepter en principe toutes les courses (art. 23 al. 1 LTVTC/GE).

À l’inverse, les chauffeurs de VTC ne sont pas au bénéfice du droit d’usage accru du domaine public, ne bénéficient en particulier d’aucun emplacement de stationnement réservé et ont interdiction d’utiliser les voies réservées aux transports en commun. Ils ne jouissent pas des autres prérogatives réservées aux taxis, comme l’enseigne « taxi », l’accès privilégié à l’AIG, ou le droit de se faire héler par un client dans la rue.

Le statut de ces deux catégories de transporteurs professionnels de personnes, tel que prévu par la LTVTC, qui reprend sur ce point l’aLTVTC précédemment en vigueur, et les droits et obligations en dérivant sont dès lors suffisamment différents pour leur appliquer certaines règles ou restrictions distinctes – comme l’admet la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_772/2017 précité consid. 3.1.5 et les références citées) –, qui poursuivent en outre un intérêt public légitime, en particulier promouvoir un service public efficace, économique et de qualité, ce que rappelle l’art. 1 al. 1 LTVTC. Cette distinction limite en effet le nombre de personnes pouvant disposer d’une AUADP, tout en veillant à ne pas restreindre de manière disproportionnée l’exploitation du service de transport professionnel de personnes dans son ensemble, conformément aux exigences posées par la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2017 du 13 mai 2019 consid. 4.2.2 et les références citées).

Dans ce sens, l’interdiction du bail à ferme pour les taxis et les entreprises de taxis se fonde sur le droit d’usage accru du domaine public accordé aux seuls chauffeurs de taxis, à l’exclusion des VTC, ce qui n’emporte aucune inégalité de traitement entre concurrents directs, conformément à la jurisprudence susmentionnée.

8) Pour les mêmes motifs, les dispositions litigieuses ne sont pas non plus arbitraires (art. 9 Cst.), comme le soutiennent les recourants, au regard des motifs objectifs et sérieux sur lesquelles elles reposent et des buts qu’elles poursuivent (arrêt du Tribunal fédéral 2C_327/2018 du 16 décembre 2019 consid. 7.1), étant précisé qu’il n’appartient pas à la chambre de céans de revoir l’opportunité des choix effectués par le législateur, organe politique soumis à un contrôle démocratique, qui dispose d’une grande liberté dans l’élaboration des lois (arrêt du Tribunal fédéral 2C_773/2017 du 13 mai 2019 consid. 5.2 et les références citées).

9) Le grief des recourants, selon lequel les dispositions litigieuses équivaudraient à une expropriation matérielle des investissements consentis et de leur modèle d’affaires, tombe également à faux, dès lors que les autorisations de droit public ne peuvent être considérées comme des biens du patrimoine (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2020 précité consid. 8.3). En l’absence de droits patrimoniaux, il ne saurait ainsi être question d’une atteinte à la garantie de la propriété ouvrant le cas échéant la voie d’une indemnisation pour expropriation matérielle. Il sera encore rappelé qu’en application de l’art. 46 al. 9 LTVTC, le titulaire d’une AUADP qui restitue celle dont il ne peut plus faire un usage personnel et effectif percevra un montant de CHF 6'000.- s’il en fait la demande dans les trois mois suivants l’entrée en vigueur de la loi.

10) Les recourants se plaignent, enfin, d’une violation du principe de la bonne foi, ancré à l’art. 9 Cst.

a. D’un point de vue juridique, nul ne peut en principe revendiquer un droit au maintien de règles de droit en vigueur, le principe de la bonne foi supposant, tout au plus, que dans certaines circonstances l’État adopte des délais transitoires raisonnables avant de mettre en œuvre de nouvelles réglementations contraignantes, afin que les personnes concernées disposent d’une période adéquate pour s’y adapter (ATF 145 II 140 consid. 4). Seuls les « droits acquis » jouissent d’une stabilité juridique accrue face à d’éventuelles modifications législatives, à savoir des droits découlant de la loi, d’un acte administratif ou d’un contrat de droit administratif, que l’autorité s’est volontairement engagée à ne pas supprimer ou restreindre lors de modifications législatives ultérieures. Ces droits sont liés à la confiance réciproque pouvant exister entre l’État et l’administré, lorsque tous deux partent de bonne foi de l’idée que leurs relations juridiques resteront en principe inchangées pour une durée déterminée. Ils bénéficient ainsi d’une protection renforcée face au changement de loi, mais ne sont cependant pas totalement intangibles. Il est possible d’y porter atteinte pour des raisons prépondérantes d’intérêt public, en s’appuyant sur une base légale et en respectant le principe de proportionnalité (ATF 145 II 140 consid. 4.2 et 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_774/2021 du 2 février 2022 consid. 4.2 et les références citées).

b. L’AUADP octroyée aux taxis ne confère en principe pas de droits acquis (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2020 précité consid. 9) et il n’en va pas différemment dans le cas d’espèce. La LTVTC prévoit ainsi le réexamen des conditions d’attribution des autorisations tous les six ans (13 al. 5 LTVTC), ce qui était déjà le cas sous l’empire de l’aLTVTC (art. 12 al. 1 aLTVTC). Rien n’indique que les recourants, qui ne le soutiennent d’ailleurs pas, auraient obtenu des garanties concernant la poursuite de leur activité de location de plaques ni qu’ils auraient été « incités » à acquérir des plaques supplémentaires lors de l’entrée en vigueur de l’aLTVTC, ce qui constitue leur choix personnel de recourir à un tel modèle d’affaires. À cela s’ajoute que les dispositions transitoires de la LTVTC permettent aux professionnels de la branche de s’adapter à la nouvelle réglementation, puisqu’ils bénéficient d’un délai d’un an pour ce faire (art. 46 al. 8 LTVTC).

Entièrement mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

11) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge solidaire des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera accordée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté conjointement par Monsieur A______ et Madame B______ contre la loi 12'649 sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 28 janvier 2022 (LTVTC - H 1 31) ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge solidaire de Monsieur A______ et Madame B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Yves Nidegger, avocat des recourants, ainsi qu’au Grand Conseil.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mme Lauber, MM. Knupfer et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :