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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/10014/2022

ACJC/235/2025 du 13.02.2025 sur JTPH/169/2024 ( OS ) , CONFIRME

Normes : CO.341.al1; CO.77.al1; CC.2.al1
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10014/2022 ACJC/235/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU JEUDI 13 FEVRIER 2025

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ (France), appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 25 juin 2024 (JTPH/169/2024), représenté par le syndicat B______,

et

C______ & CIE SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par
Me Anne TROILLET, avocate, Troillet Meier Raetzo, rue de Lyon 77, case postale, 1211 Genève 13.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/169/2024 du 25 juin 2024, le Tribunal des prud'hommes (ci-après: le Tribunal) a, à la forme, déclaré recevable la demande en paiement formée le 15 novembre 2022 par A______ contre C______ & CIE SA (chiffre 1 du dispositif) et rejeté sa requête en production de pièces complémentaires formée le 5 février 2024 (ch. 2). Au fond, le Tribunal a débouté A______ de ses conclusions (ch. 3), dit qu'il n'était pas perçu de frais, ni alloué de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 5).

B.            a. Par acte déposé le 11 juillet 2024 à la Cour de justice, A______ appelle de ce jugement, dont il sollicite l'annulation des chiffres 2, 3, 4 et 5 du dispositif.

Cela fait, il conclut à ce que la Cour constate la nullité des conventions d'accord des 27 octobre et 10 novembre 2021, ainsi que le caractère injustifié de la résiliation des rapports de travail opérée par C______ & CIE SA le 6 octobre 2021 et condamne cette dernière à lui verser les sommes brutes de 15'171 fr. 40 et 1'263 fr. 75 ainsi que la somme nette de 32'400 fr., le tout avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 2022, puis en déduise le montant brut de 21'600 fr. déjà versé. Subsidiairement, il sollicite le renvoi au Tribunal pour nouvelle décision.

b. Dans sa réponse, C______ & CIE SA conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris. Subsidiairement, elle invoque la compensation de tout éventuel montant qu'elle serait condamnée à verser à A______ avec le montant brut de 21'600 fr. déjà versé et à ce que ce dernier soit condamné à lui rembourser tout éventuel trop perçu.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées par avis de la Cour du 6 décembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. C______ & CIE SA est une société dont le siège est à Genève, active dans le domaine de la construction.

b. A______ a été engagé par C______ & CIE SA en qualité d'ouvrier de la construction "classe B", ce dès le 1er juillet 2020 pour une durée indéterminée.

Dans le cadre de ses fonctions, A______ était notamment chargé de s'occuper des travaux de démolition sur plusieurs chantiers de la société.

Le salaire mensuel convenu était de 5'400 fr. bruts, versé treize fois l'an.

Le délai de congé contractuel après le temps d'essai était de deux mois pour la fin d'un mois, de la deuxième à la neuvième année de service.

En outre, les rapports de travail étaient régis par la Convention nationale du secteur principal de la construction en Suisse (ci-après: CN).

c. Le 3 juin 2021, une "séance de recadrage" s'est tenue en présence de A______ et de ses supérieurs, D______ et E______ et a donné lieu à un courrier d'avertissement, remis le 16 juin 2021.

Il était reproché à A______ de ne pas respecter les horaires de chantier et les instructions de travail, ce qui se reflétait négativement sur la qualité de son travail. L'employé était enjoint d'écouter et de respecter les consignes qui lui étaient données ainsi que de se conformer aux horaires édictés par la société.

Entendus comme témoins par le Tribunal, E______ et D______ ont confirmé que l'avertissement était motivé par les dysfonctionnements liés aux non-respect des consignes et des horaires de travail.

d. Le 4 octobre 2021, A______ – qui était au volant d'un véhicule utilitaire de C______ & CIE SA – a embouti un autre véhicule de la société en faisant une marche arrière.

e. Lors d'un entretien du 6 octobre 2021, les rapports de travail de A______ ont été résiliés avec effet immédiat.

A l'issue de l'entretien, un courrier de licenciement a été remis à A______. Il était stipulé qu'une enquête approfondie avait dû être menée pour découvrir qu'il était responsable des dommages du 4 octobre 2021 alors qu'il avait été demandé à l'ensemble des collaborateurs, par deux fois, qui était l'auteur des faits. Selon l'employeuse, ce manque de transparence – ajouté aux reproches qui avaient déjà été formulés à son encontre – avait définitivement rompu le lien de confiance, de sorte qu'elle avait décidé de résilier les relations contractuelles avec effet immédiat.

f. A______ conteste les motifs de son licenciement.

f.a Il a déclaré devant le Tribunal avoir informé E______ qu'il avait eu un accrochage, tout en précisant qu'il ne l'avait pas fait exprès. Il avait également expliqué les circonstances de l'accident lors d'un entretien en présence de F______ et D______. Il a ajouté que lors de cet entretien, il avait fait part à ses supérieurs des problèmes liés à la présence d'amiante sur les chantiers. On lui avait alors présenté un courrier de licenciement.

f.b Les témoins E______ et D______ ont tous deux expliqué que l'ensemble du personnel, qui était parti du dépôt le matin en question, avait été appelé pour que l'auteur de l'incident avec la camionnette se dénonce. Personne ne s'étant annoncé, ils avaient visionné les caméras de vidéosurveillance des chantiers et vu que c'était A______ qui était au volant du véhicule. Confronté aux faits, ce dernier avait nié être l'auteur de l'accrochage.

Selon ces deux témoins, le licenciement avec effet immédiat avait été prononcé en raison du fait que A______ ne s'était pas dénoncé. Le lien de confiance entre la société et l'employé avait ainsi été rompu.

S'agissant des problèmes liés à l'amiante et de sécurité sur les chantiers, G______, directrice de la société, F______, directeur, ainsi que H______, responsable des ressources humaines, ont tous déclaré que ce n'était que le jour du licenciement de l'employé qu'ils en avaient eu connaissance. D______ et E______ n'avaient pas non plus entendu parler d'un problème lié à l'amiante pendant les rapports de travail de A______. I______, contremaître, a lui-aussi déclaré que l'employé ne lui avait jamais parlé de cette problématique alors même qu'en cas de suspicion il aurait dû être le premier informé en sa qualité de contremaître.

g. Par la suite, des discussions ont été menées entre A______ et C______ & CIE SA.

G______ et H______ ont exposé que l'employé avait contacté le directeur général, J______, à plusieurs reprises et avait notamment manifesté le souhait de pouvoir reprendre son poste en raison d'impératifs financiers. Souhaitant lui venir en aide, la société lui avait alors proposé une convention d'accord standard. Selon H______, les deux conventions d'accord n'avaient aucun lien avec les problèmes de sécurité que A______ prétendait avoir rencontrés sur les chantiers.

h. Lors d'un entretien du 27 octobre 2021, les parties ont signé une convention d'accord visant à régler leurs prétentions réciproques et prévoyant le versement d'une indemnité volontaire unique de 16'200 fr. bruts en faveur de l'employé.

Cette convention tendait au règlement de toutes prétentions des parties découlant du contrat de travail qui les liait. Ces dernières renonçaient, par conséquent, à intenter ou poursuivre toute action ou entamer toute procédure l'une à l'encontre de l'autre à ce titre, renonciation qui couvrait notamment "toute prétention en paiement de toute rémunération, indemnité ou paiement de toute autre nature, [...]".

La convention du 27 octobre 2021 prévoyait, par ailleurs, un devoir de discrétion à charge de l'employé ainsi qu'une obligation de non-dénigrement réciproque. En outre, une clause de confidentialité était prévue sur le contenu de la convention.

Le paiement de l'indemnité convenue était subordonné à la signature par A______ d'une déclaration annexée à la convention. Ce dernier a toutefois refusé de signer cette annexe.

i. Peu après la conclusion de cette première convention, A______ a consulté le syndicat B______, lequel lui a déconseillé de signer la déclaration annexée.

j. Le 10 novembre 2021, les parties se sont à nouveau rencontrées et ont conclu une nouvelle convention ayant vocation à annuler et remplacer la première.

Cette seconde convention avait un contenu identique à celle du 27 octobre 2021, à cela près qu'elle prévoyait le versement d'une indemnité de 21'600 fr. brut et qu'elle ne contenait pas d'annexe.

Cette convention a été signée par les deux parties.

k. G______ et H______ ont déclaré devant le Tribunal que les deux conventions avaient été lues à voix haute pendant les entretiens.

l. Le lendemain, C______ & CIE SA a versé en faveur de A______ la somme nette de 13'884 fr. 95, correspondant à la somme brute de 21'600 fr.

m. Par courrier du 22 novembre 2021, A______ a – sous la plume du syndicat B______ – contesté la validité de la seconde convention d'accord au motif que celle-ci avait été signée sous la contrainte. Il estimait, par ailleurs, avoir fait l'objet d'un licenciement immédiat sans justes motifs ainsi que d'un congé-représailles donné à la suite des dénonciations qu’il avait faites à la direction au sujet de potentielles expositions des collaborateurs à l'amiante sans aucun matériel ni mesure de protection adéquats.

C______ & CIE SA a contesté la teneur de ce courrier.

n. Le 14 décembre 2021, le syndicat B______ a porté plainte pénale contre C______ & CIE SA pour mise en danger de la vie d'autrui ainsi que d'autres infractions graves. Cette plainte a donné lieu à la procédure pénale P/1______/2021, laquelle est actuellement pendante.

D. a. Par demande déclarée non conciliée et portée devant le Tribunal le 15 novembre 2022, A______ a conclu à la nullité des conventions d'accord des 27 octobre et 10 novembre 2021 et au paiement de la somme totale de 27'235 fr. 15, après déduction du montant brut de 21'600 fr. déjà versé par C______ & CIE SA.

Ladite somme comprenait 15'171 fr. 40 brut à titre de salaire afférent à son délai de congé, 1'263 fr. 75 brut à titre de treizième salaire au prorata de la durée de son délai de congé et 32'400 fr. net à titre d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié au sens de l'art. 337c al. 3 CO, le tout avec intérêts de 5% l'an dès le 1er janvier 2022.

A l'appui de ses conclusions, A______ a en substance allégué que son employeur avait saisi l'opportunité de l'accident de la camionnette pour résilier les rapports de travail avec effet immédiat. Selon lui, le véritable motif résidait dans ses dénonciations visant l'exposition des employés à l'amiante sur certains chantiers sans que l'employeur n'ait pris les mesures nécessaires à la préservation de la santé de ses travailleurs et, plus particulièrement, des maladies professionnelles causées par l'amiante. Informée de cette pratique, l'employeuse lui avait notifié un avertissement, puis l'avait licencié.

Il a soutenu par ailleurs qu'il avait signé les conventions d'accord des 27 octobre et 10 novembre 2021 sous la contrainte, étant précisé qu'il avait des difficultés à lire le français et n'avait pas pu prendre connaissance du contenu des deux documents. Selon lui, la clause de confidentialité prévue dans chacune des deux conventions constituait une manœuvre de la société visant à se soustraire à de potentielles poursuites pénales pour mise en danger de la santé et de la vie de ses employés.

b. Par mémoire de réponse, C______ & CIE SA a conclu, principalement, à ce que A______ soit débouté de toutes ses conclusions. Subsidiairement, elle a déclaré exciper de compensation à hauteur de la somme brute de 21'600 fr., avec intérêts à 5% l'an dès le 11 novembre 2021.

Elle a notamment fait valoir que le licenciement reposait sur ses insatisfactions quant à la qualité du travail de l'employé, ainsi que par son attitude générale, dont celle adoptée après l'accrochage du 4 octobre 2021, qui avait définitivement rompu le lien de confiance.

Suite à cet événement, elle avait consenti à verser à l'employé une indemnité équivalente à trois mois de salaire afin d'atténuer les conséquences économiques liées à son licenciement. Les parties avaient alors signé une première convention d'accord datant du 27 octobre 2021. Quelques jours plus tard, A______ était revenu auprès d'elle afin d'exiger que l'indemnité convenue soit revue à la hausse. Aux termes de ces discussions, elle avait accepté de lui verser un montant correspondant non plus à trois mois mais à quatre mois de salaire.

c. Lors des audiences de débats des 6 juillet, 19 et 27 septembre 2023, le Tribunal a entendu les parties ainsi que les témoins cités, dont les déclarations ont été reprises ci-dessus dans la mesure utile au litige.

d. Lors de l'audience de débats du 5 février 2024, A______ a formulé de nouveaux allégués et modifié le libellé de l'une de ses conclusions, précisant que la somme nette de 32'400 fr. était réclamée "à titre d'indemnité", et non plus d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié, correspondant à six mois de salaire, avec suite d'intérêts.

Par ailleurs, A______ a requis la production, par sa partie adverse, des polices d'assurance concernant les deux véhicules impliqués dans l'accrochage du 4 octobre 2021 ainsi que de l'intégralité des "diagnostics amiante" effectués sur les chantiers sur lesquels il avait travaillé.

Par ordonnance d'instruction prononcée sur le siège, le Tribunal a admis les allégués complémentaires formés par A______ ainsi que la modification de sa demande, rejetant pour le surplus ses réquisitions de preuve complémentaires.

e. Le 25 avril 2024, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives.

E. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu qu'en signant la convention d'accord du 10 novembre 2021, soit plus d'un mois après la fin des rapports de travail, l'employé avait valablement renoncé aux créances résultant de dispositions impératives de la loi, soit en l'occurrence les dispositions concernant le congé abusif et la résiliation immédiate injustifiée. Aucun vice de volonté ne pouvait être retenu, dans la mesure où rien ne permettait d'affirmer que l'accord transactionnel du 10 novembre 2021 n'aurait pas été compris par l'employé ou aurait été signé sous la contrainte. Ce dernier disposait en effet d'une copie de la première convention au contenu identique à la seconde et avait été conseillé par le syndicat B______ avant de signer l'accord du 10 novembre 2021. Dite convention était ainsi valable et contraignante pour chacune des parties.

EN DROIT

1.             1.1 Le jugement attaqué constitue une décision finale rendue dans une cause patrimoniale dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

1.2 Interjeté dans le délai et la forme prévus par la loi (art. 130, 131, 142 al. 3 et 311 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La valeur litigieuse étant inférieure à 30'000 fr., la procédure simplifiée est applicable (art. 243 al. 1 CPC), de sorte que la cause est soumise aux maximes inquisitoire (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC) et de disposition (art. 58 al. 1 CPC).

1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par les juges de première instance et vérifie si ceux-ci pouvaient admettre les faits qu'ils ont retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3).

2.             L'appelant se plaint d'une violation de son droit à la preuve. Il reproche au Tribunal d'avoir rejeté ses réquisitions de preuve complémentaires du 5 février 2024 tendant à déterminer la présence d'amiante sur les chantiers sur lesquels il avait travaillé.

2.1 En vertu de l'art. 150 al. 1 CPC, la preuve a pour objet les faits pertinents et contestés.

Le droit à la preuve, qui se déduit aussi de l'art. 8 CC et trouve une consécration expresse à l'art. 152 CPC (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_397/2022 du 17 mai 2023 consid. 3.1.1; 5A_926/2021 du 19 mai 2022 consid. 4.1.1), implique que toute personne a droit, pour établir un fait pertinent contesté, de faire administrer les moyens de preuve adéquats, pour autant qu'ils aient été proposés régulièrement et en temps utile (ATF 144 II 427 consid. 3.1; 143 III 297 consid. 9.3.2; art. 152 al. 1 CPC).

En revanche, le droit à la preuve n'est pas mis en cause lorsque le juge, par une appréciation anticipée, arrive à la conclusion que la mesure requise n'apporterait pas la preuve attendue, ou ne modifierait pas la conviction acquise sur la base des preuves déjà recueillies (ATF 146 III 73 consid. 5.2.2; 143 III 297 consid. 9.3.2; 140 I 285 consid. 6.3.1; 138 III 374 consid. 4.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_383/2021 du 15 septembre 2021 consid. 4.2).

2.2 En l'espèce, comme l'a relevé à juste titre le Tribunal, la question de savoir si l'appelant a effectivement été exposé à de l'amiante n'est pas déterminante pour l'issue du présent litige. En effet, la question est ici principalement de savoir si la convention conclue entre les parties le 10 novembre 2021 est valable et contraignante et, subsidiairement, si le licenciement notifié à l'appelant reposait sur des motifs suffisants ou si, comme le prétend ce dernier, a été signifié uniquement en représailles de ses dénonciations quant à la présence d'amiante sur les chantiers. Or, même dans cette dernière hypothèse, l'élément déterminant est de savoir si le congé a été donné en réponse à ces dénonciations, et non de savoir si celles-ci étaient fondées. Cette question peut dès lors demeurer indécise et sera traitée, avec les éventuelles conséquences y relatives, dans le cadre de la procédure pénale.

Dès lors, le jugement attaqué ne consacre aucune violation du droit à la preuve.

3.             A titre liminaire, l'appelant reproche au Tribunal d'avoir construit son raisonnement à l'envers en cherchant d'abord à savoir si les accords passés entre les parties étaient valables et ensuite si le licenciement avec effet immédiat était justifié ou non. Selon lui, il aurait fallu procéder dans l'ordre inverse dès lors que l'existence même d'un accord entre les parties quelques jours après le licenciement était le premier indice permettant de douter de son caractère justifié.

Son argument ne peut être suivi. En effet, la validité de la convention du 10 novembre 2021 conclue entre les parties conduit à exclure les prétentions émises par l'appelant, quand bien même celles-ci seraient fondées, de sorte qu'il paraît opportun de traiter cette question dans un premier temps. L'appelant a d'ailleurs lui-même commencé par examiner la validité des conventions avant celle du licenciement dans ses écritures initiales du 15 novembre 2022.

4.             L'appelant remet en cause la validité de la convention d'accord signée entre les parties le 10 novembre 2021. Il allègue qu'en lui soumettant la convention litigieuse, l'intimée aurait commis un abus de droit en profitant de sa situation précaire afin de contourner les dispositions impératives de la loi.

4.1.1 A teneur de l’art. 341 al. 1 CO, le travailleur ne peut pas renoncer, pendant la durée du contrat et durant le mois qui suit la fin de celui-ci, aux créances résultant de dispositions impératives de la loi ou d’une convention collective.

La jurisprudence admet cependant que le salarié puisse renoncer à des droits protégés par l'art. 341 al. 1 CO dans le cadre d'une transaction, c'est-à-dire d'un accord comportant nettement des concessions réciproques (arrêts du Tribunal fédéral 4A_13/2018 et 4A/18/2018 du 10 octobre 2018 consid. 4.1.1 ; 4A_495/2007, 4A_497/2007 ; 4A_415/2008 et 4A_431/2008 du 12 janvier 2009 consid. 4.1.1 ; Subilia/Duc, Droit du travail : éléments de droit suisse, 2e éd. 2010, n. 17 ad art. 341 CO, p. 747) ; encore faut-il qu'il y ait une équivalence appropriée des concessions réciproques, c'est-à-dire que les prétentions auxquelles chaque partie renonce soient de valeur comparable (ATF 136 III 467 consid. 4.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_374/2021 du 3 mai 2022 consid. 5.1; 4A_96/2017 du 14 décembre 2017 et les références citées).

Le délai d'un mois suivant le terme des relations de travail se calcule conformément à l'art. 77 al. 1 CO, c’est-à-dire qu'il échoit le même jour du mois suivant ou, à défaut d'un tel jour, à la fin dudit mois. Il convient de prendre en compte la date effective à laquelle le contrat de travail prend fin ; peu importe que le travailleur soit libéré de son obligation de travailler pendant le délai de congé (Bohnet/Dietschy-Martenet, in Commentaire du contrat de travail, 2e éd. 2022, n. 13 ad art. 341 CO, pp. 1156 s.).

Une fois le délai d'un mois suivant la fin des rapports de travail expiré, la déclaration du travailleur selon laquelle il renonce aux créances impératives de la loi, d'une CCT ou d'un contrat-type est valable, sauf en cas de vice de la volonté (art. 21 ss CO) (Bohnet/Dietschy-Martenet, op.cit., n. 14 ad art. 341 CO, pp. 1156 s.).

4.1.2 A teneur de l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. Cette règle permet au juge de corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste. Le juge apprécie la question au regard des circonstances concrètes. Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF
143 III 279 consid. 3.1; 135 III 162 consid. 3.3.1 et les arrêts cités).

L'abus de droit doit être admis restrictivement, comme l'exprime l'adjectif "manifeste" utilisé dans le texte légal (ATF 143 III 279 consid. 3.1; 135 III 162 consid. 3.3.1 et les arrêts cités). Il incombe à la partie qui se prévaut d'un abus de droit d'établir les circonstances particulières qui autorisent à retenir cette exception (ATF 134 III 52 consid. 2.1 in fine et les arrêts cités).

4.2 En l'espèce, l'appelant a été licencié avec effet immédiat le 6 octobre 2021 et la convention litigieuse a été signée le 10 novembre 2021.

La Cour relèvera à titre préalable que l'appelant a signé la convention litigieuse plus d'un mois après la fin des rapports de travail, de sorte qu'il pouvait valablement renoncer aux créances impératives de la loi. En tout état de cause, dite convention répond aux exigences prévues à l'art. 341 al. 1 CO dans la mesure où le montant octroyé par l'intimée, équivalant à quatre mois de salaire, est supérieur au montant qu'aurait perçu l'appelant en cas de résiliation ordinaire, étant relevé que contractuellement, il bénéficiait d'un délai de congé de deux mois. Les concessions accordées de part et d'autre respectaient ainsi un certain équilibre, de sorte qu'il s'agissait d'une véritable transaction qui n'apportait pas que des avantages à l'employeur. Ladite transaction est par conséquent conforme aux exigences de la jurisprudence rendue en la matière.

Reste à examiner si, comme le soutient l'appelant, la convention litigieuse du 10 novembre 2021 constitue un abus de droit de la part de l'intimée aux fins de réduire sous silence les allégations et preuves d'une exposition à l'amiante.

Il ressort de l'instruction que l'appelant a, dans un premier temps, fait l'objet d'un avertissement car il ne respectait pas les consignes données ni les horaires de travail, ce qui a été confirmé par les témoins E______ et D______. Quant au motif de licenciement, à savoir le fait que l'appelant ne s'était pas dénoncé à la suite de l'incident de la camionnette, il a, lui-aussi, été confirmé par les deux témoins précités, lesquels ont indiqué que le lien de confiance avait été rompu entre l'appelant et l'employeuse. A cet égard, le témoin E______ a déclaré que l'appelant avait expressément nié être l'auteur des faits, contrairement à ce que celui-ci soutient, infirmant ainsi les déclarations de ce dernier. La thèse de l'appelant, selon laquelle son congé lui aurait été donné pour d'autres motifs que ceux annoncés, est ainsi contredite par les témoins et ne trouve aucune assise dans le dossier. S'agissant en particulier de la problématique de l'amiante, l'ensemble des témoins ont confirmé ne pas avoir été au courant des craintes de l'appelant. Ni les supérieurs directs de l'appelant, ni le contremaître en charge du chantier, ni les responsables de la société employeuse n'avaient entendu parler de cette problématique avant la séance du 6 octobre 2021. Or, à cette date, la décision de congédier l'appelant avait déjà été prise puisque le courrier de licenciement était prêt et lui a été remis en mains propres à l'issue de la séance. Il s'ensuit que le congé ne pouvait faire suite aux accusations de l'appelant.

Dans ce contexte, on ne peut suivre l'appelant lorsqu'il prétend que le congé et la convention litigieuse avaient pour but d'écarter ses prétentions et d'"acheter son silence". Si tel avait été le cas, l'intimée n'aurait vraisemblablement pas attendu plus de vingt jours après la notification du congé avant de soumettre à l'appelant la première convention. Les témoignages recueillis permettent du reste d'établir que c'est l'appelant qui a repris contact avec l'intimée et que les conventions d'accord ont été discutées à la suite de sa demande visant à être réintégré à son poste, dans le but d'atténuer les conséquences économiques du licenciement.

Une première convention a ainsi été discutée le mercredi 27 octobre 2021 et lue à haute voix à l'appelant, qui est reparti avec un exemplaire écrit qu'il a pu conserver. L'appelant a lui-même expliqué en audience qu'il lui avait été demandé de retourner ce document le lundi suivant, ce qui lui laissait quelques jours de réflexion. Il a finalement bénéficié de deux semaines, soit de neuf jours ouvrables, pour se déterminer sur son contenu et prendre conseil auprès de tiers, ce qu'il a fait en faisant appel aux services du syndicat B______. Au vu du temps écoulé entre les deux conventions, l'appelant frise la témérité lorsqu'il prétend ne pas avoir eu le temps nécessaire pour s'entretenir suffisamment avec son conseil. De même, ses allégations selon lesquelles son conseil ne disposait pas du texte de la convention lui permettant de donner des conseils avisés, pour autant qu'elles soient fondées, ne lui sont d'aucun secours dès lors qu'il lui revenait de prendre les dispositions adéquates pour renseigner utilement ledit conseil. A cela s'ajoute le fait que lorsqu'il est revenu discuter avec l'intimée le 10 novembre 2021, il a été en mesure de négocier un montant supérieur à celui proposé initialement, ce qui tend à démontrer qu'il avait bien saisi la teneur des conventions dont le contenu était identique, sous réserve du montant de l'indemnité. Contrairement à ce que prétend l'appelant, aucun élément ne permet de retenir qu'il n'aurait pas compris l'accord du 10 novembre 2021 ou qu'il l'aurait signé sous la contrainte.

Enfin, les clauses de confidentialité et de discrétion ne présentent rien d'inhabituel, étant usuellement employées dans ce type de documents. On ne saurait en inférer une quelconque intention dolosive de la part de l'intimée.

En définitive, ni le but de la convention, ni les circonstances dans lesquelles elle a été signée ne dénotent un abus de droit de la part de l'intimée.

Mal fondé, ce grief doit être rejeté.

Par conséquent, c'est à bon droit que le Tribunal a retenu que la convention conclue entre les parties le 10 novembre 2021 était valable et contraignante.

5. Cela suffit à sceller le sort du litige, sans qu'il soit utile d'examiner si les motifs du congé pouvaient justifier un licenciement immédiat, les parties étant, quoi qu'il en soit, liées par la convention du 10 novembre 2021.

Le jugement sera donc confirmé.

6. La valeur litigieuse étant inférieure à 50'000 fr., il ne sera pas prélevé de frais judiciaires, ni alloué de dépens (art. 71 RTFMC et 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :


A la forme
:

Déclare recevable l'appel formé le 11 juillet 2024 par A______ contre le jugement JTPH/169/2024 rendu le 25 juin 2024 dans la cause C/10014/2022.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires d'appel ni alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Paola CAMPOMAGNANI, présidente; Madame Marie-Noëlle FAVARGER SCHMIDT, Monsieur Thierry ZEHNDER, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.