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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/15407/2023

ACJC/590/2024 du 13.05.2024 ( SBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15407/2023 ACJC/590/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 13 MAI 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE] et B______ SA, sise ______ [GE], recourants contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 23 janvier 2024, représentés par Me Marc OEDERLIN, avocat, avenue de la Roseraie 76A, case postale, 1211 Genève 12,

et

Madame C______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me Nicolas DAUDIN, avocat, place Claparède 7, case postale 360, 1211 Genève 12.

 


EN FAIT

A. a. Par demande introduite le 6 novembre 2023 devant le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) à l'encontre de C______, A______ et B______ SA ont conclu, principalement, à l'annulation du congé notifié par la précitée le
26 juin 2023 pour le 31 décembre 2023 s'agissant du "hangar fermé de 60 m2 au sol et environ 400 m3 en bois et maçonnerie" situé rue 1______ no. ______, [code postal] D______ [GE], et, subsidiairement, à l'octroi d'une prolongation de bail de six ans et d'une indemnité de 234'000 fr. "en raison de la plus-value considérable résultant des travaux effectués", le tout sous suite de frais et dépens.

En substance, A______ et B______ SA (ci-après également les locataires) ont allégué être liés à C______ (ci-après également la bailleresse) par un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un hangar utilisé comme dépôt pour un loyer annuel fixé à 6'000 fr. Le bail avait été initialement conclu en 1992 avec E______, lequel était décédé quelques années plus tard, date à laquelle C______ et son époux "étaient devenus propriétaires de l'immeuble par succession". Au début du bail, A______ avait réalisé d'importants travaux d'aménagement dans les locaux pour un coût total 234'000 fr. TTC, à la demande de E______ qui lui avait garanti de l'indemniser pour le travail accompli le jour où il quitterait les locaux (all. 2.3 à 2.9). Il avait également discuté de ces travaux d'aménagement avec l'époux de C______, aujourd'hui décédé, lequel avait accepté de l'indemniser à ce titre (all. 2.16 à 2.18).

b. Dans sa réponse du 15 décembre 2023, C______ a conclu à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet. Sur demande reconventionnelle, elle a conclu à la constatation de la validité du congé notifié aux locataires le 26 juin 2023 pour le 31 décembre 2023, ainsi qu'au prononcé de leur évacuation immédiate du hangar loué, avec mesures d'exécution directe.

Elle a allégué que le bail avait été conclu initialement entre elle-même et E______, bailleurs, et A______, locataire. Suite au décès de E______ survenu en 2003, elle était devenue l'unique bailleresse. Elle avait résilié le bail pour mettre le hangar à disposition de sa petite-fille, F______, qui souhaitait y exercer son activité professionnelle de photographe. Les travaux réalisés par l'entreprise de A______ au début du bail avaient été arrêtés à 18'000 fr. et compensés - d'entente entre les parties - avec le loyer du hangar pour les années 1992 et 1993. Aucun autre accord n'avait été conclu s'agissant d'éventuels travaux réalisés par la suite.

c. Dans leurs déterminations du 23 janvier 2024, les locataires ont conclu au rejet de la demande reconventionnelle. Ils ont allégué que les travaux de 18'000 fr. évoqués par la bailleresse n'avaient rien à voir avec ceux réalisés dans le hangar pour un coût de 234'000 fr.; il s'agissait en effet de travaux que A______ et son entreprise avaient réalisés dans un autre bâtiment occupé par la bailleresse et feu son époux.

d. A l'appui de leurs allégués respectifs, les parties ont sollicité l'audition des parties et celle de témoins.

e. Lors de l'audience de débats du Tribunal du 23 janvier 2024 - à laquelle C______ a été dispensée de comparaître vu son âge avancé et son état de santé - les parties ont persisté dans leurs offres de preuve respectives. Outre l'audition des parties, les locataires ont sollicité celle des témoins G______ et H______, en lien notamment avec leurs allégués 2.3 à 2.9 et 2.16 à 2.18. Il s'agissait d'employés de l'entreprise de A______ qui pouvaient renseigner le Tribunal sur les travaux à plus-value effectués dans le hangar ainsi que sur les travaux évoqués par la bailleresse. De son côté, la bailleresse a sollicité, outre l'audition des parties, celle des témoins I______ et F______, à savoir la fille et la petite-fille de C______.

Sur le siège, le Tribunal a rendu une ordonnance par laquelle il a ouvert les débats principaux, pris acte que les parties persistaient dans leurs conclusions à l'occasion des premières plaidoiries et admis comme moyens de preuve l'interrogatoire de A______ et l'audition des témoins I______ et F______.

Le Tribunal a ensuite procédé à l'interrogatoire de A______. A l'issue de l'audience, il a informé les parties qu'une nouvelle audience serait prochainement convoquée pour entendre les deux témoins susvisés.

B. a. Par acte expédié le 2 février 2024 à la Cour de justice, A______ et B______ SA ont formé recours contre l'ordonnance rendue à l'audience du 23 janvier 2024, concluant à son annulation. Cela fait, ils ont conclu à ce que l'audition des témoins G______ et H______ soit ordonnée, subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants, sous suite de frais et dépens.

b. Dans sa réponse du 13 février 2024, C______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet et à la confirmation de l'ordonnance attaquée, sous suite de frais.

c. La cause a été gardée à juger le 8 mars 2024, ce dont les parties ont été avisées le jour même.


 

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, in CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 11 ad art. 319 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats. Elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps (Jeandin, op. cit., n. 14 ad art. 319 CPC).

En l'espèce, l'ordonnance entreprise est une ordonnance d'instruction, relevant de l'administration des preuves, au sens de l'art. 319 let. b CPC.

1.2 Cette ordonnance peut faire l'objet d'un recours dans les dix jours à compter de sa notification (art. 321 al. 1 et 2 CPC), délai qui a été respecté en l'espèce.

1.3 Il reste à déterminer si la décision querellée est susceptible de causer aux recourants un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées.

2. Les recourants reprochent au Tribunal d'avoir refusé d'administrer des offres de preuve aptes à prouver les faits pertinents du litige, G______ et H______ ayant directement assisté aux travaux effectués dans le hangar, respectivement chez les époux C______, ainsi qu'aux discussions lors desquelles E______ et l'époux de la bailleresse avaient reconnu le travail accompli par les locataires et accepté de les indemniser. L'ordonnance attaquée violait leur droit d'être entendu, le Tribunal n'ayant pas motivé sa décision de renoncer - par appréciation anticipée des preuves - à l'audition de ces témoins et leur causait un préjudice difficilement réparable en tant qu'elle violait leur droit à la preuve et prolongeait inutilement la procédure.

2.1 La notion de préjudice difficilement réparable est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 III 378 consid. 6.3). Constitue un préjudice difficilement réparable toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive avant d'admettre l'accomplissement de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi plusieurs : ACJC/353/2019 du 1er mars 2019 consid. 3.1.1; JEANDIN, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (ATF 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2), ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée, ou encore, lorsqu'une ordonnance de preuve ordonne une expertise ADN présentant un risque pour la santé ce qui a pour corollaire une atteinte à la personnalité au sens de l'art. 28 CC (JEANDIN, op. cit., n. 22a et 22b ad art. 319 CPC et les références citées).

En règle générale, la décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause pas de préjudice difficilement réparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou, à l'inverse, d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_248/2014 du 27 juin 2014, 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2, 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1; COLOMBINI, Code de procédure civile, 2018, p. 1024). Dans des cas exceptionnels, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge est susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, par exemple lorsqu'un moyen de preuve risque de disparaître, à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant (JEANDIN, op. cit., n. 22a et 22b ad art. 319 CPC et les références citées).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (SPÜHLER, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2017, n. 7 ad art. 319 CPC). De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable (COLOMBINI, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in
JdT 2013 III 131 ss, 155). Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (parmi plusieurs : ACJC/220/2023 du 13 février 2023 consid. 2.1; ACJC/943/2015 du 28 août 2015 consid. 2.2; ACJC/35/2014 du 10 janvier 2014 consid. 1.2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (ATF 134 III 426 consid. 1.2 par analogie).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (BRUNNER, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2016, n. 13 ad art. 319 CPC).

2.2 En l'espèce, les recourants soutiennent que l'ordonnance querellée, en tant qu'elle écarte des offres de preuve par témoin, serait susceptible de leur causer un préjudice difficilement réparable. A cet égard, ils se limitent à affirmer que l'audition des témoins G______/H______ serait capitale pour leur permettre d'établir les faits pertinents et contestés du litige.

Ce faisant, les recourants perdent de vue que l'éventuelle violation par le Tribunal des dispositions sur le droit à la preuve ne suffit pas, en soi, à causer un tel préjudice. Si, au terme de la procédure au fond, les recourants devaient persister à estimer que le Tribunal a refusé à tort l'audition des témoins susvisés, par une appréciation anticipée des preuves arbitraire, ils pourront diriger leurs griefs contre la décision finale par la voie de l'appel de l'art. 308 CPC. L'instance d'appel aura la possibilité d'administrer des preuves (art. 316 al. 3 CPC) ou de renvoyer la cause en première instance pour complément d'instruction (art. 318 al. 1 let. c CPC). Ainsi, les recourants ne subissent aucun préjudice difficilement réparable du fait de l'ordonnance querellée, puisqu'ils conservent leurs moyens dans le cadre de l'appel contre le jugement au fond. Conformément aux principes rappelés supra, la seule prolongation de la procédure par le fait que l'instance d'appel pourrait, le cas échéant, retourner le dossier au Tribunal pour complément d'instruction, ne cause pas de dommage difficilement réparable aux recourants. Au surplus, ceux-ci n'ont pas rendu vraisemblable, ni même allégué, que les témoins dont l'audition est requise ne pourraient plus être entendus si la procédure devait se prolonger.

Il suit de là que le recours est manifestement irrecevable, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur les griefs que les recourants ont soulevés sur le fond.

3. Il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC; ATF 139 III 182 consid. 2.6).

 

* * * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

Déclare irrecevable le recours interjeté le 2 février 2024 par A______ et B______ SA contre l'ordonnance rendue le 23 janvier 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/15407/2023.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Mesdames Pauline ERARD et Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe FERRERO et Madame Nevena PULJIC, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.