Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/888/2025 du 12.11.2025 ( PC ) , REJETE
En droit
| rÉpublique et | canton de genÈve | |
| POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
| A/2366/2025 ATAS/888/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
| Arrêt du 12 novembre 2025 Chambre 4 | ||
En la cause
| A______ Représentée par Me Andreas DEKANY, avocat
| recourante |
contre
|
SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES |
intimé |
A. a. A______ (ci-après : la bénéficiaire ou la recourante) est née le ______ 1947 et divorcée. Elle a vécu en concubinage avec feu B______ (ci-après : le conjoint), décédé le 1er novembre 2020.
b. La bénéficiaire perçoit une rente de vieillesse et des prestations complémentaires depuis 2011.
c. Le 4 novembre 2022, la bénéficiaire, représentée par Pro Senectute, a demandé au service des prestations complémentaires (ci-après : SPC ou l’intimé) la mise à jour de son dossier, en lui transmettant un courrier adressé à elle le 16 juin 2021 par la Caisse de pension Migros (ci-après : la caisse), qui l’informait qu’elle avait droit dès le 1er décembre 2020 à une rente de conjoint. Le premier versement serait fait à fin juin 2021 pour l’ensemble des rentes rétroactives du 1er décembre 2020 au 31 mai 2021.
d. Par décision du 16 décembre 2022, le SPC a demandé à la bénéficiaire le remboursement de CHF 8'100.- pour les prestations perçues en trop entre le 1er décembre 2020 et le 31 décembre 2022.
e. Par courrier reçu par le SPC le 9 janvier 2023, la bénéficiaire a demandé la remise de l’obligation de rembourser la somme réclamée par le SPC, invoquant une situation financière précaire.
f. Le 13 janvier 2023, la bénéficiaire a formé opposition à la décision du SPC du 16 décembre 2022, demandant à être reçue par ce dernier pour argumenter son opposition et concluant à la suppression de la moitié des frais en tout cas.
g. Par décision du 18 janvier 2023, le SPC a refusé la demande de remise de la bénéficiaire.
h. Le 31 janvier 2023, lors d’une rencontre avec le SPC, l’assurée, accompagnée de son conseil, a formé opposition verbalement à la décision du 16 décembre 2022. Elle a indiqué avoir perdu son compagnon en novembre 2020 suite au Covid, que sa situation était très précaire depuis lors et qu’elle avait eu des graves problèmes de santé. Occupée à gérer cette accumulation de problèmes, elle avait oublié d’informer le SPC du fait qu’elle touchait une rente de la caisse. Elle ne voyait pas comment elle pourrait lui rembourser de CHF 8'100.- sans se trouver encore davantage en situation de précarité.
i. Le 15 février 2023, la bénéficiaire a formé opposition à la décision du SPC du 18 janvier 2023, qui rejetait sa demande de remise, faisant valoir qu’elle avait été de bonne foi.
j. Par décision sur opposition du 3 juin 2025, le SPC a refusé la demande de remise de la bénéficiaire et a confirmé l’obligation de l’assurée de restituer la somme de CHF 8'100.- pour les prestations perçues en trop entre le 1er décembre 2020 et le 31 décembre 2022.
Malgré les courriers adressés à la bénéficiaire qui lui avaient rappelé son devoir de signaler au SPC tout changement dans sa situation personnelle et économique, ce n’était que le 7 novembre 2022 qu’elle lui avait communiqué son changement de situation financière, soit avec un an et demi de retard. La condition de la bonne foi ne pouvait donc pas être reconnue.
B. a. Par acte du 4 juillet 2025, la bénéficiaire a recouru devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) contre cette décision. Elle a expliqué que sa situation personnelle avait changé depuis le décès de son conjoint. En plus du choc émotionnel lié à ce décès, elle avait également eu de graves problèmes de santé, notamment des palpitations cardiaques, une bronchite chronique, un Covid long, ainsi qu’une confusion mentale. Elle n’avait pas pu s’occuper de ses affaires administratives pendant une longue période. Pendant de nombreux jours, elle n’avait pas réussi à se lever. C’était dans ce contexte qu’elle avait reçu la rente de la caisse. Elle avait toutefois trouvé la force de demander de l’aide à Pro Senectute. Elle avait toujours été de bonne foi. Par ailleurs, sa situation financière était très difficile et il lui était impossible de rembourser le montant de CHF 8'100.- à l’intimé.
La recourante a produit un certificat médical établi le 24 juin 2025 par la docteure C______, selon lequel un carcinome pulmonaire lui avait été diagnostiqué. Elle avait suivi une radiothérapie en juillet 2024. Le scanner de contrôle réalisé en 2025 avait montré une progression ganglionnaire médiastinale. Dans ce contexte, elle avait eu quatre cycles de chimiothérapie, associés à une radiothérapie. Ces traitements très lourds avaient induit une intense fatigue et des troubles respiratoires. Son état général avait donc été altéré de manière importante.
b. Par réponse du 29 août 2025, le SPC a conclu au rejet du recours et au maintien de la décision attaquée.
c. Par réplique reçue le 23 septembre 2025, la recourante a persisté dans les conclusions de son recours du 4 juillet 2025.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Interjeté dans la forme et le délai de 30 jours prévus par la loi (art. 56 ss LPGA et 62 ss de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - [LPA - E 5 10]), le recours est recevable.
2. Le litige porte sur le bien-fondé du refus de l’intimé d'accorder à la recourante la remise de son obligation de restituer la somme de CHF 8'100.-, au motif qu'elle ne remplissait pas la condition de la bonne foi.
3.
3.1 Selon l'art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l'intéressé était de bonne foi et qu'elle le mettrait dans une situation difficile.
Ces deux conditions matérielles sont cumulatives et leur réalisation est nécessaire pour que la remise de l'obligation de restituer soit accordée (ATF 126 V 48 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_364/2019 du 9 juillet 2020 consid. 4.1).
L'art. 4 de l'ordonnance fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11) précise que la restitution entière ou partielle des prestations allouées indûment, mais reçues de bonne foi, ne peut être exigée si l'intéressé se trouve dans une situation difficile (al. 1). Est déterminant, pour apprécier s'il y a une situation difficile, le moment où la décision de restitution est exécutoire (al. 2).
À teneur de l'art. 24 LPCC, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l'intéressé était de bonne foi et qu'elle le mettrait dans une situation difficile (al. 1). Le règlement fixe la procédure de la demande de remise ainsi que les conditions de la situation difficile (al. 2).
L’art. 15 al. 1 du règlement relatif aux prestations cantonales complémentaires à l'assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 25 juin 1999 (RPCC-AVS/AI - J 4 25.03) prévoit que la restitution entière ou partielle des prestations allouées indûment, mais reçues de bonne foi, ne peut être exigée si l'intéressé se trouve dans une situation difficile.
Savoir si la condition de la bonne foi, présumée en règle générale (art. 3 du Code civil suisse, du 10 décembre 1907 - CC - RS 210), est réalisée doit être examiné dans chaque cas à la lumière des circonstances concrètes (arrêt du Tribunal fédéral 8C_269/2009 du 13 novembre 2009 consid. 5.2.1). La condition de la bonne foi doit être remplie dans la période où l’assuré concerné a reçu les prestations indues dont la restitution est exigée (arrêt du Tribunal fédéral 8C_766/2007 du 17 avril 2008 consid. 4.1 et les références).
La jurisprudence constante considère que l’ignorance, par le bénéficiaire, du fait qu’il n’avait pas droit aux prestations ne suffit pas pour admettre qu’il était de bonne foi. Il faut bien plutôt qu’il ne se soit rendu coupable, non seulement d’aucune intention malicieuse, mais aussi d’aucune négligence grave. Il s’ensuit que la bonne foi, en tant que condition de la remise, est exclue d'emblée lorsque les faits qui conduisent à l'obligation de restituer (violation du devoir d’annoncer ou de renseigner) sont imputables à un comportement dolosif ou à une négligence grave. En revanche, l'assuré peut invoquer sa bonne foi lorsque l'acte ou l'omission fautifs ne constituent qu'une violation légère de l'obligation d'annoncer ou de renseigner (ATF 138 V 218 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_640/2023 du 19 avril 2024 consid. 5.2).
On parlera de négligence grave lorsque l'ayant droit ne se conforme pas à ce qui peut raisonnablement être exigé d'une personne capable de discernement dans une situation identique et dans les mêmes circonstances (ATF 110 V 176 consid. 3d ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_640/2023 du 19 avril 2024 consid. 5.2). La mesure de l'attention nécessaire qui peut être exigée doit être jugée selon des critères objectifs, où l'on ne peut occulter ce qui est possible et raisonnable dans la subjectivité de la personne concernée (faculté de jugement, état de santé, niveau de formation, etc. ; ATF 138 V 218 consid. 4). Il faut ainsi en particulier examiner si, en faisant preuve de la vigilance exigible, l’assuré aurait pu constater que les versements ne reposaient pas sur une base juridique. Il n’est pas demandé à un bénéficiaire de prestations de connaître dans leurs moindres détails les règles légales. En revanche, il est exigible de lui qu’il vérifie les éléments pris en compte par l’administration pour calculer son droit aux prestations. On peut attendre d'un assuré qu'il décèle des erreurs manifestes et qu'il en fasse l'annonce (arrêt du Tribunal fédéral 9C_498/2012 du 7 mars 2013 consid. 4.2). On ajoutera que la bonne foi doit être niée quand l’enrichi pouvait, au moment du versement, s’attendre à son obligation de restituer, parce qu’il savait ou devait savoir, en faisant preuve de l’attention requise, que la prestation était indue (art. 3 al. 2 CC ; ATF 130 V 414 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_319/2013 du 27 octobre 2013 consid. 2.2).
Les directives concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI (ci‑après : DPC), valables dès le 12 avril 2011 (état au 1er janvier 2025), énoncent que si une prestation complémentaire est versée à tort et que l'assuré ne pouvait s'en rendre compte en faisant preuve de l'attention minimale exigible au vu des circonstances et du cas d'espèce, force est d'admettre la bonne foi (DPC, n. 4652.01). À l'inverse, nul ne peut invoquer sa bonne foi si elle est incompatible avec l'attention que les circonstances permettaient d'exiger de lui. Ainsi, la condition de la bonne foi n'est pas réalisée lorsque le versement à tort d'une prestation complémentaire est dû à une grave négligence ou au dol de la personne tenue à restitution. Tel est le cas si, lors de la demande ou de l'examen des conditions économiques, certains faits n'ont pas été annoncés ou que des indications fausses ont été fournies intentionnellement ou par négligence grave ; il en est de même lorsqu'un changement dans la situation personnelle ou matérielle n'a, intentionnellement ou par grave négligence, pas été annoncé ou l'a été avec retard, ou lorsque des prestations complémentaires indues ont été acceptées en connaissance de leur caractère indu (DPC, n. 4652.02). Commet une négligence grave celui qui, lors de la demande de prestation, de l’examen des conditions du droit, ou du paiement de la prestation complémentaire indûment versée, ne fait pas preuve du minimum d’attention que l’on est en droit d’exiger de lui en fonction de ses compétences et de son degré de formation. Fait preuve de négligence grave la personne qui omet d’annoncer une modification de son revenu, qu’il soit obtenu sous forme de rente ou en vertu de l’exercice d’une activité lucrative, ou qui ne contrôlant pas – ou seulement à la légère – la feuille de calcul prestations complémentaires, n’annonce pas une erreur de calcul qu’elle aurait facilement pu reconnaître (DPC, n. 4652.03).
3.2 Dans le domaine des assurances sociales notamment, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par le juge. Mais ce principe n'est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 et les références).
3.3 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; 125 V 193 consid. 2 et les références ; 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe‑t‑il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).
4.
4.1 En l’occurrence, la recourante a annoncé le 4 novembre 2022 à l’intimé qu’elle percevait une rente de conjointe depuis le 1er décembre 2020, ce qu’elle avait appris par courrier du 16 juin 2021. Il convient d’admettre que cette annonce est tardive puisqu’elle a eu lieu plus d’un an après qu’elle a eu connaissance de ce nouveau revenu.
Les circonstances invoquées par la recourante ne permettent pas de retenir sa bonne foi au sens juridique, car bien que difficiles, elles ne l’empêchaient pas de respecter son obligation de renseigner, qui lui avait été rappelée régulièrement par l’intimé. Son compagnon est décédé le 1er novembre 2020. Cette circonstance ne suffit pas à justifier le fait qu’elle n’a pas informé l’intimé du fait qu’elle percevait une rente en raison de ce décès, ce qu’elle a appris, plus de six mois plus tard, en juin 2021. Par ailleurs, le certificat médical que la recourante a produit atteste de problèmes de santé importants en 2024, mais il n’établit pas qu’elle n’aurait pas été en état d’informer l’intimé en juin 2021.
C’est donc à juste titre que l’intimé a retenu que la condition de la bonne foi de la recourante n’était pas réalisée et qu’il a refusé la demande de remise.
4.2 La recourante a allégué dans ses écritures que le remboursement du montant réclamé aggraverait sa situation financière déjà difficile. Il convient à cet égard de rappeler que la remise de l’obligation de restituer ne peut être accordée que si les deux conditions cumulatives de la bonne foi et de la situation financière difficile sont réalisées. Dans la mesure où la condition de la bonne foi n’est pas réalisée, il n’y a pas lieu d’examiner la condition de la situation financière difficile.
5. Infondé, le recours sera rejeté.
Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Le rejette.
3. Dit que la procédure est gratuite.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
| La greffière
Janeth WEPF |
| La présidente
Catherine TAPPONNIER |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le