Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/957/2024 du 03.12.2024 ( ARBIT )
En droit
Par ces motifs
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/396/2022 ATAS/957/2024 COUR DE JUSTICE Délégation du Tribunal arbitral des assurances | ||
Décision du 3 décembre 2024 |
En la cause
CSS ASSURANCE-MALADIE SA
| demanderesse en récusation |
contre
A______ | défendeur en récusation |
A. a. Le 2 février 2022, CSS ASSURANCE-MALADIE SA et ARCOSANA SA, (laquelle a repris les droits et obligations d'INTRAS Assurance-maladie SA avant d’être reprise par CSS ASSURANCE-MALADIE SA), ont saisi Le Tribunal arbitral des assurances (ci-après : le Tribunal arbitral ou le tribunal de céans) d'une demande à l’encontre de B______, en concluant à la condamnation de celle-ci à la restitution de CHF 268'801.07, sous réserve d'amplification et sous suite de dépens. Ces assureurs contestent le droit de B______ de facturer la préparation magistrale pour le produit SmofKabiven et d'autres produits similaires de nutrition parentérale à la charge de l'assurance obligatoire des soins (ci-après : AOS), ainsi que l'application de la LMT (liste des médicaments avec tarifs, annexe 4 de l'ordonnance du DFI sur les prestations dans l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie du 29 septembre 1995 [ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins, OPAS - RS 832.112.31]).
b. Le 18 mars 2022, B______ a saisi le tribunal de céans d'une demande à l'encontre d’ARCOSANA SA, (aujourd'hui CSS ASSURANCE-MALADIE SA), en concluant, sous suite de dépens, à la condamnation de cette assurance au paiement de CHF 13'142.95, plus intérêts à 5% l'an dès le 16 avril 2021, à la constatation du droit de B______ de facturer la préparation magistrale pour le SmofKabiven et d'autres produits similaires de nutrition parentérale à la charge de l'assurance obligatoire des soins (ci-après : AOS), ainsi qu'à la constatation que le tarif des manipulation de la LMT (lettre D/1) s'applique à la préparation magistrale du SmofKaviven et d'autres produits similaires de nutrition parentérale. Préalablement, B______ a demandé la jonction de sa demande avec celle déposée par CSS ASSURANCE-MALADIE SA et ARCOSANA SA.
c. Par ordonnance du 24 mars 2022, le tribunal de céans a ordonné la jonction des demandes sous le numéro de procédure A/396/2022.
d. Lors de l'audience du 29 avril 2022, le tribunal de céans a constaté l'échec de la tentative de conciliation.
e. Les 14 juin 2022 et 23 juin 2023, le tribunal de céans a suspendu l'instruction de la procédure d'accord entre les parties.
f. Après la reprise de l'instruction par ordonnance du 21 août 2024, CSS ASSURANCE-MALADIE SA a désigné le 20 septembre 2024 Madame Marie‑Luce VON SIEBENTHAL en tant qu'arbitre. Celle-ci a informé le tribunal de céans le 2 octobre 2024 n'être concernée par aucun motif de récusation.
g. B______ a désigné le 23 septembre 2024 le professeur A______, pharmacien-chef et responsable de la Pharmacie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), en tant qu'arbitre.
B. a. Par courrier du 10 octobre 2024, CSS ASSURANCE-MALADIE SA (ci-après : la demanderesse en récusation) a récusé le Prof. A______ au motif que les circonstances donnaient l'apparence d'une prévention. Elle a allégué que celui-ci était le responsable de la Pharmacie des HUG. Or ces derniers faisaient la promotion sur leur site internet et dans leur dépliant remis aux patients des deux pharmacies d'hospitalisation à domicile (ci-après: HAD) du canton de Genève, soit C______ et B______. Par ailleurs, les HUG orientaient eux-mêmes les patients vers cette dernière, en ajoutant « B______ » au chiffre 7 du formulaire de l'ordonnance pour la nutrition artificielle à domicile concernant le service Home Care choisi. L'ordonnance est rédigée par un médecin des HUG et doit être signée par le patient, avant d'être envoyée directement au fournisseur du service Home Care choisi. Ainsi, les HUG étaient un important fournisseur de clients pour B______ et il était vraisemblable qu'une collaboration voire même un partenariat, éventuellement tacite, soit établi entre ce service Home Care et les HUG. Cela semblait également être démontré par la participation de B______ à la 35e Journée genevoise de nutrition clinique qui avait eu lieu aux HUG. Quoi qu'il en soit, le fait qu'une partie des patients des HUG soit prise en charge par B______ à leur sortie de l'hôpital était de nature à mettre en doute l'objectivité de l'arbitre désigné. En outre, la préparation magistrale du SmofKaviven n'était facturée dans toute la Suisse que par deux fournisseurs de prestations qui étaient tous les deux actifs à Genève, ce qui constituait une pratique irrégulière, laquelle était vraisemblablement ancrée dans le paysage genevois.
b. Le 20 octobre 2024, le Prof. A______ a accepté le mandat d'arbitre, n'étant pas concerné par un motif de récusation. Il s'est par ailleurs déterminé sur les motifs de récusation allégués par la demanderesse en récusation. Il a relevé qu'il disposait de l'expertise nécessaire en tant que pharmacien responsable de la Pharmacie des HUG, qui prenaient en charge des patients dénutris devant bénéficier d'une alimentation artificielle, laquelle était produite par son service durant leur hospitalisation. Il n'y avait aucune connivence entre les HUG et B______, dès lors que ceux-là travaillaient avec les deux organisations d'hospitalisation à domicile présentes dans le canton de Genève. Il n'avait en outre aucun contact avec les patients des HUG qui étaient par la suite orientés vers un service Home Care. Il n'exerçait aucune influence et n'avait aucun intérêt personnel dans le choix du partenaire, lequel était choisi par le patient et le médecin en charge du patient au sein des HUG.
c. Par écriture du 24 octobre 2024, B______ s'est déterminée sur la demande de récusation et s'y est opposée. Elle a souligné que le Prof. A______ n'occupait pas de fonction auprès d'elle, de sorte qu'il n’avait pas de lien avec la partie qui l'avait désigné. Par ailleurs, seules C______ et B______ étaient en mesure de fournir rapidement les traitements par voie parentérale à la sortie de l'hôpital du patient. En effet, les pharmacies de quartier ne pouvaient obtenir ces traitements qu'après plusieurs jours. C'est la raison pour laquelle les noms de ces dernières sociétés étaient mentionnées sur le dépliant des HUG. Concernant le formulaire de l'ordonnance pour la nutrition artificielle à domicile, celui-ci ne mentionnait aucun service Home Care dans le canton de Genève. Partant, le médecin ordonnant une telle nutrition n'avait d'autre choix que d'indiquer une entreprise dispensant ce genre de traitement, celle-ci pouvant être n'importe quelle entreprise offrant des services Home Care. Les HUG n'orientaient par ailleurs pas leurs patients vers B______, mais vers l'Institution genevoise de maintien à domicile (ci-après : IMAD). Il était en outre normal que B______ participe à la formation de nutrition clinique, dans la mesure où elle était active dans ce secteur. Enfin, même si un lien étroit devait être admis entre les HUG et B______, cela ne permettrait pas de retenir un intérêt des HUG, et encore moins du Prof. A______, dans l'issue du litige.
1. Selon l'art. 89 al. 5 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), les cantons fixent la procédure devant le Tribunal arbitral qui doit être simple et rapide. Ce dernier établit avec la collaboration des parties les faits déterminants pour la solution du litige et administre les preuves nécessaires et les apprécie librement. Cette délégation de compétence a été concrétisée, à Genève, à l'art. 45 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 29 mai 1997 (LaLAMal - J 3 05) (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 1998), aux termes duquel le Tribunal arbitral doit être saisi par une requête adressée au greffe.
2.
2.1 Les art. 39 ss LaLAMal (dans leur teneur en vigueur au 11 mai 2024) règlent la procédure devant le Tribunal arbitral.
Selon l’art. 42 LaLAMal, le Tribunal arbitral siège dans la composition d’un juge de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, qui le préside, et de deux arbitres représentant l’un les assureurs et l’autre les fournisseurs de prestations désignés, de cas en cas, par les parties.
L'art. 45 al. 4 LaLAMal prévoit que les dispositions de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) s’appliquent, notamment en ce qui concerne la récusation des membres du tribunal de céans et l’établissement des faits.
2.2 En vertu de l’art. 15A al. 5 LPA, la décision sur la récusation d’un juge, d’un membre d’une juridiction ou d’un membre du personnel d’une juridiction est prise par une délégation de trois juges, dont le président ou le vice-président et deux juges titulaires ; l’art. 30 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) s’applique. Si la demande de récusation vise un juge titulaire, un membre d’une juridiction ou un membre du personnel d’une juridiction, ce dernier ne peut participer à la décision.
3. Les causes de récusation sont énoncées à l’art. 15A al. 1 LPA. L’art. 15 al. 1 let. f LPA prévoit qu’au-delà des causes de récusation objectives visées aux let. a à e de cette disposition, est récusable le juge qui est prévenu de toute autre manière, notamment en raison d’un rapport d’amitié ou d’inimitié avec une partie ou son représentant.
Sont ainsi visées toutes les circonstances propres à révéler une apparence de prévention et à faire douter de l’impartialité du juge. Il y a notamment apparence de prévention lorsque les circonstances, envisagées objectivement, font naître un doute quant à l’impartialité du juge. Seul l’aspect objectif compte, les considérations subjectives n’étant pas pertinentes. Ainsi, une apparence de prévention ne saurait être retenue sur la base des impressions purement individuelles au procès (ATF 144 I 159 consid. 4.3 ; 137 I 227 consid. 2.1). Le risque de prévention ne saurait en effet être admis trop facilement, sous peine de compromettre le fonctionnement normal des tribunaux (ATF 144 I 159 consid. 4.4). L’impartialité se présume, jusqu’à preuve du contraire (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol II, 2ème éd. : Les droits fondamentaux, Berne 2006, p. 576 ch. 1238).
Constitue un motif de récusation le fait que l'arbitre occupe des fonctions auprès d'une des parties au litige. Il est cependant dans la nature des choses que les représentants désignés par les parties en raison de leurs relations avec celles-ci, s'efforcent de faire en sorte que les exigences et besoins de leur partie soient pris en considération dans un procès, ainsi que probablement de faire valoir les circonstances en faveur de la partie en litige. Cela est la conséquence du concept de l'art. 89 al. 4 LAMal voulu par le législateur, lequel a prévu un tribunal arbitral opposant deux groupes d'intérêts. Ainsi, l'impartialité du tribunal arbitral n'est pas seulement garantie par l'impartialité individuelle des arbitres, mais également par leur désignation paritaire (arrêt du Tribunal fédéral 9C 149/207 du 4 juin 2007 consid. 4.2 avec référence à l’ATF 124 V 22 consid. 5a p. 27).
4.
4.1 En l’espèce, la demanderesse en récusation voit un motif de récusation dans le fait que l’arbitre proposé par B______ aurait des liens particulièrement étroits avec cette dernière en tant que responsable de la Pharmacie des HUG, dès lors que ceux-ci font la promotion, sur leur site internet et dans leur dépliant remis aux patients, des deux pharmacies d'hospitalisation à domicile du canton de Genève, soit C______ et B______. Selon la demanderesse en récusation, les HUG orientent par ailleurs eux-mêmes les patients vers B______, en ajoutant son nom au chiffre 7 du formulaire de l'ordonnance pour la nutrition artificielle à domicile concernant le service Home Care choisi. Cette ordonnance est rédigée par un médecin des HUG et doit être signée par le patient, avant d'être envoyée directement au fournisseur du service Home Care choisi. Ainsi, les HUG sont un important fournisseur de clients à B______ et il est vraisemblable qu'une collaboration, voire même un partenariat, éventuellement tacite, soit établi entre ce service d'hospitalisation à domicile et les HUG. Cela semble également être démontré par la participation de B______ à la 35e Journée genevoise de nutrition clinique qui a eu lieu aux HUG. Quoi qu'il en soit, le fait qu'une partie des patients des HUG soit prise en charge par B______ à leur sortie de l'hôpital est de nature à mettre en doute l'objectivité de l'arbitre désigné. En outre, la préparation magistrale du SmofKaviven n'est facturée dans toute la Suisse que par deux fournisseurs de prestations qui sont tous les deux actifs à Genève, ce qui constitue une pratique irrégulière, laquelle est vraisemblablement ancrée dans le paysage genevois.
4.2 En l'espèce, il n'est pas contesté que le Prof. A______ n'occupe aucune fonction auprès de B______. Ce n'est pas lui qui rédige et signe l'ordonnance de nutrition artificielle, mais le médecin en charge du patient aux HUG. Le défendeur n'a aucun contact avec le patient, comme il l'a déclaré dans sa détermination du 20 octobre 2024. Ainsi, le pharmacien chef des HUG ne peut exercer aucune influence sur le choix du service d'hospitalisation à domicile.
Quant aux HUG, il n'est nullement établi que ceux-ci favoriseraient B______. Au demeurant, la demanderesse en récusation admet que le site internet et le dépliant des HUG mentionnent les deux pharmacies d'hospitalisation à domicile actives à Genève, à savoir C______ et B______. Comme il n'y a pas d'autres pharmacies de ce genre, il n'y a donc aucun favoritisme.
La demanderesse en récusation semble reprocher aux HUG de ne pas désigner les pharmacies de quartier pour la nutrition parentérale et d'adresser systématiquement les patients à une des deux pharmacies d'hospitalisation à domicile actives dans le canton de Genève. Toutefois, comme l'explique B______, les autres pharmacies ne sont pas en mesure de fournir le traitement parentéral immédiatement après la sortie de l'hôpital, mais seulement après quelques jours. Au demeurant, le dépliant des HUG mentionne ce qui suit:
« Les traitements par voie parentérale (ampoules) ne sont souvent obtenus qu'après plusieurs jours dans les pharmacies de quartier. Si c'est le cas avec la pharmacie du patient, il faut faire appel à C______ (pharmacie d'hospitalisation à domicile) qui livre les médicaments et le matériel d'injection nécessaire dans la journée
Exception : pas nécessaire si le patient est pris en charge par B______ (possède sa propre pharmacie) ».
Il y a donc une raison objective à mentionner les deux seules pharmacies d'hospitalisation à domicile dans le dépliant et sur le site internet des HUG à titre d'information aux patients.
Il n'y a pas non plus d'indice de prévention du fait que B______ a participé à une journée de formation de nutrition clinique dans les locaux des HUG. Au contraire, cela fait partie de ses obligations de participer à une formation continue dans ce domaine, étant une des spécialistes du canton de Genève pour dispenser ce traitement.
Quoi qu'il en soit, la question du lien entre B______ et les HUG peut rester ouverte, dans la mesure où les HUG ne sont pas partie à la procédure, d'une part, et où il n'est pas démontré que le Prof. A______ et/ou les HUG auraient un intérêt à ce que B______ soit favorisée au détriment d'une autre entreprise.
Partant, il n'existe aucune circonstance objective qui donne une apparence de prévention.
5. La demande de récusation sera par conséquent rejetée.
6. La procédure devant le Tribunal n’est pas gratuite. Conformément à l’art. 46 al. 1 LaLAMal, les frais du tribunal sont à la charge des parties. Ils comprennent les débours divers (notamment indemnités des arbitres, des témoins, et les frais d’expertise), ainsi qu’un émolument n’excédant pas CHF 50’000.-. Le tribunal de céans fixe le montant des frais et décide quelle partie doit les supporter (art. 46 al. 2 LaLAMal).
Eu égard au sort du litige, les frais du tribunal de céans d'un montant de CHF 900.-, comprenant un émolument de CHF 200.-, seront mis à la charge de la demanderesse en récusation.
LA DÉLÉGATION DES JUGES DU TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES EN MATIÈRE DE RÉCUSATION :
1. Rejette la demande de récusation.
2. Condamne CSS ASSURANCE-MALADIE SA au paiement des frais du Tribunal arbitral de CHF 900.-, comprenant un émolument de CHF 200.-.
3. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Christine RAVIER |
| La présidente suppléante
Maya CRAMER |
Une copie conforme de la présente décision est notifiée à CSS ASSURANCE-MALADIE SA, B______ et au Prof. A______ par le greffe le