Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/263/2024 du 16.04.2024 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/295/2023 ATAS/263/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 16 avril 2024 Chambre 10 |
En la cause
A______
| recourant |
contre
CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS
| intimée |
A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1963, a été engagé par l’entreprise B______ en qualité de nettoyeur à partir du 5 octobre 2021. À ce titre, il était assuré contre les accidents professionnels et non professionnels auprès de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (ci-après : la CNA).
b. Le 26 novembre 2021, l’assuré a glissé dans les escaliers sur son lieu de travail et s’est tordu la cheville gauche. Les premiers soins ont été prodigués par le docteur C______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, lequel a attesté d’une totale incapacité de travail à partir du 29 novembre 2021. La CNA a pris en charge les suites de l’accident, en versant notamment des indemnités journalières à l’employeur.
c. Suite à une arthro-imagerie par résonnance magnétique (ci-après : IRM) réalisée le 2 décembre 2021, le docteur D______, radiologue FMH, a conclu dans son rapport du 12 décembre 2021 à une petite lésion ostéochondrale du dôme astragalien supéro-latéral, à un aspect globalement intègre du ligament
talo-fabulaire antérieur, à un status après une lésion partielle d’allure bénigne de la partie distale du ligament calcanéo-fibulaire, à une tendinopathie fissuraire de la partie sous-malléolaire du tendon court péronier et à un volumineux kyste a priori synovial au versant latéral de la cheville mesurant 2 x 3 x 3 cm.
d. Par rapport du 22 mars 2022, le Dr C______ a indiqué à la CNA qu’une réparation par arthroscopie de la cheville gauche était prévue le 4 mai 2022. Il a fait état d’une instabilité antéro-externe de la cheville post-traumatique avec un traumatisme en supination. L’incapacité de travail était prolongée.
e. Le 22 avril 2022, le docteur E______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, médecin-conseil de la CNA, a proposé de refuser la prise en charge de l’intervention et de demander un deuxième avis.
f. Par courriers du 26 avril 2022, la CNA a indiqué à l’assuré qu’elle émettait des réserves quant à la prise en charge de l’intervention prévue par le Dr C______ et qu’il serait prochainement convoqué aux Hôpitaux universitaires de Genève
(ci-après : les HUG) afin de confirmer l’indication opératoire. Elle avait besoin d’un avis complémentaire avant de donner son accord pour cette chirurgie.
g. Le 4 mai 2022, l’assuré a été opéré par le Dr C______. Selon le compte rendu opératoire, ont été diagnostiqués une instabilité antéro-externe de la cheville gauche, une lésion cartilagineuse instable de III° du dôme astragalien
antéro-externe sur 8mm de diamètre, des impingements tibio-astragaliens
antéro-externe, antérieur et antéro-interne, un volumineux kyste arthrosynovial, des corps cartilagineux intra-articulaires libres et des synovites étendues. L’intervention avait consisté en une plastie ligamentaire, une résection des flaps cartilagineux instables et une chondroplastie du dôme astragalien antéro-externe, une résection des impingements et du kyste, une ablation des corps cartilagineux intra-articulaire libres et des synovectomies étendues.
h. Par rapport du 17 juin 2022, le docteur F______, médecin adjoint au service de chirurgie orthopédique des HUG, a retenu le diagnostic de status après une excision d’un kyste arthrosynovial à la cheville gauche. L’examen du 13 juin 2022 était marqué par des douleurs post-opératoires et montrait une stabilité de la cheville. L’IRM de décembre 2021 mettait en exergue une continuité des ligaments AITFL (pour anterior inferior tibiofibular ligament), ATF (pour anterior talofibular) et CFL (pour calcaneofibular ligament), l’absence de lésion ostéochondrale objectivée, le caractère intact du deltoïde et des tendons fibulaires, mais la présence d’un kyste. Il ne pouvait pas se prononcer sur la stabilité de la cheville en préopératoire, ni sur le geste chirurgical effectué, car il n’avait pas eu accès au compte rendu opératoire. En raison des douleurs post-opératoires, une prise en charge thérapeutique était nécessaire.
i. Le 29 juin 2022, le Dr C______ a communiqué à la CNA son rapport opératoire.
j. Dans une appréciation du 8 juillet 2022, le Dr E______ a considéré qu’il existait de toute évidence un état antérieur pathologique, puisqu’un kyste de la taille présentée par l’assuré ne pouvait pas se développer en cinq jours. Il n’y avait pas de lésion grave des ligaments selon la description du Dr D______ et aucun examen radiologique complémentaire n’avait été effectué. Il ne comprenait pas l’indication chirurgicale en l’absence d’une lésion radiologique. Le Dr C______ n’avait pas précisé les justifications de cette opération. En conclusion, l’accident n’avait pas entraîné de lésion structurelle récente objectivable, car il n’y avait pas d’inflammation, d’œdème ni de contusion osseuse sur l’IRM. Il n’y avait pas de rupture ligamentaire aiguë post-traumatique et le kyste n’était pas en lien de causalité pour le moins certain avec l’accident. Les nombreuses lésions constatées n’étaient pas traumatiques, en l’absence de signe radiologique, mais étaient anciennes. Un retour à l’état antérieur pouvait être accepté deux semaines après l’événement, dans le meilleur des cas.
B. a. Par décision du 13 juillet 2022, la CNA a mis un terme à ses prestations au
30 avril 2022, au motif que l’accident avait cessé de déployer ses effets deux semaines après l’événement accidentel.
b. Dans un rapport du 28 juillet 2022, le Dr C______ a indiqué à la CNA que le traumatisme de la cheville gauche opérée le 4 mai 2022 et la poursuite de la rééducation post-opératoire étaient clairement en lien de causalité avec le sinistre du 26 novembre 2021.
c. En date du 29 juillet 2022, l’assuré a contesté la décision de la CNA, se référant à la détermination du Dr C______.
d. Par décision sur opposition du 14 décembre 2022, la CNA a rejeté l’opposition de l’assuré et confirmé sa décision du 13 juillet 2022. En effet, le Dr C______ n’avait soulevé aucun argument permettant de remettre en cause l’appréciation du Dr E______, laquelle remplissait toutes les exigences pour se voir attribuer une pleine valeur probante.
C. a. Par acte du 30 janvier 2023, l’assuré, par l’intermédiaire de son avocat, a interjeté recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales), concluant, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de la décision entreprise, à l’admission d’un lien de causalité entre l’accident du 26 novembre 2021 et les atteintes à la cheville gauche ainsi que les troubles y afférents, et à ce qu’il soit dit qu’il avait droit aux prestations d’assurance au-delà du 30 avril 2022.
b. Dans sa réponse du 2 mars 2023, l’intimée a conclu au rejet du recours, pour les motifs évoqués dans la décision litigieuse.
c. Par décision du 30 mars 2023, le recourant a été mis au bénéfice de l’assistance juridique.
d. Dans sa réplique du 8 avril 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions. Il ressortait du rapport opératoire qu’il avait subi une lésion des ligaments et l’intimée n’avait pas démontré que la lésion n’était pas grave et que l’état pathologique était antérieur. Elle ne faisait qu’une supposition, alors que le
Dr F______ avait expliqué qu’il était difficile de se prononcer sur la stabilité préopératoire. Rien ne justifiait de s’écarter des conclusions du
Dr C______, médecin qui l’avait suivi et opéré, et qui estimait que la chirurgie était nécessaire et liée au sinistre du 21 novembre 2021.
e. Le 27 avril 2023, l’intimée a également maintenu ses conclusions.
1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du
20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2. À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.
3. Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au
1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (art. 82a LPGA a contrario).
4. Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).
Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pendant la période du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (art. 38 al. 4 let. c LPGA et art. 89C let. c LPA), le recours est recevable.
5. Le litige porte sur le droit du recourant aux prestations de l'assurance-accidents pour la période postérieure au 30 avril 2022, singulièrement sur l'existence d'un lien de causalité entre les troubles de la cheville gauche et l'accident du
26 novembre 2021.
6. Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA ;
ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 ; ATF 129 V 402 consid. 2.1).
Conformément à l’art. 6 al. 2 LAA, l'assurance alloue également ses prestations pour les lésions corporelles suivantes, pour autant qu'elles ne soient pas dues de manière prépondérante à l'usure ou à une maladie : les fractures (let. a) ; les déboîtements d'articulations (let. b) ; les déchirures du ménisque (let. c) ; les déchirures de muscles (let. d) ; les élongations de muscles (let. e) ; les déchirures de tendons (let. f) ; les lésions de ligaments (let. g) ; les lésions du tympan (let. h).
Selon la jurisprudence, lorsque l'assureur-accidents a admis l'existence d'un accident au sens de l'art. 4 LPGA et que l'assuré souffre d'une lésion corporelle au sens de l'art. 6 al. 2 LAA, l'assureur-accidents doit prendre en charge les suites de la lésion en cause sur la base de l'art. 6 al. 1 LAA ; en revanche, en l'absence d'un accident au sens juridique, le cas doit être examiné sous l'angle de l'art. 6
al. 2 LAA (ATF 146 V 51 consid. 9.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_520/2020 du 3 mai 2021 consid. 5.1).
6.1 Le droit à des prestations découlant d'un accident assuré suppose d'abord, entre l'événement dommageable de caractère accidentel et l'atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette condition est réalisée lorsqu'il y a lieu d'admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière. Il n'est pas nécessaire que l'accident soit la cause unique ou immédiate de l'atteinte à la santé : il suffit qu'associé éventuellement à d'autres facteurs, il ait provoqué l'atteinte à la santé, c'est-à-dire qu'il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 142 V 435 consid. 1).
Savoir si l'événement assuré et l'atteinte à la santé sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait, que l'administration ou, le cas échéant, le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d'ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale. Ainsi, lorsque l'existence d'un rapport de cause à effet entre l'accident et le dommage paraît possible, mais qu'elle ne peut pas être qualifiée de probable dans le cas particulier, le droit à des prestations fondées sur l'accident assuré doit être nié (ATF 129 V 177 consid. 3.1 ; ATF 119 V 335 consid. 1 et ATF 118 V 286 consid. 1b et les références).
Le fait que des symptômes douloureux ne se sont manifestés qu'après la survenance d'un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet accident (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc » ; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb ; RAMA 1999 n° U 341 p. 408 consid. 3b). Il convient en principe d'en rechercher l'étiologie et de vérifier, sur cette base, l'existence du rapport de causalité avec l'événement assuré.
6.2 Le droit à des prestations de l'assurance-accidents suppose en outre l'existence d'un lien de causalité adéquate entre l'accident et l'atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2 et ATF 125 V 456 consid. 5a et les références). En présence d'une atteinte à la santé physique, le problème de la causalité adéquate ne se pose toutefois guère, car l'assureur-accidents répond aussi des complications les plus singulières et les plus graves qui ne se produisent habituellement pas selon l'expérience médicale (ATF 118 V 286 consid. 3a et ATF 117 V 359 consid. 5d/bb ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 351/04 du 14 février 2006 consid. 3.2).
6.3 Lorsqu'un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l'assurance-accidents d'allouer des prestations cesse si l'accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l'accident. Tel est le cas lorsque l'état de santé de l'intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l'accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l'accident par suite d'un développement ordinaire (statu quo sine) (RAMA 1994 n° U 206 p. 326 consid. 3b ; RAMA 1992 n° U 142 p. 75 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_373/2013 du 11 mars 2014 consid. 3.2 ; 8C_1003/2010 du 22 novembre 2011 consid. 1.2 ; 8C_552/2007 du
19 février 2008 consid. 2 ; Jean-Maurice FRÉSARD/Margrit MOSER-SZELESS, L'assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Sécurité sociale, 3e éd., nos 107 ss, p. 930). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n'est pas rétabli, l'assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l'état maladif préexistant, dans la mesure où il s'est manifesté à l'occasion de l'accident ou a été aggravé par ce dernier (arrêt du Tribunal fédéral 8C_373/2013 du 11 mars 2014 consid. 3.2). En principe, on examinera si l'atteinte à la santé est encore imputable à l'accident ou ne l'est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales
(ATF 129 V 177 consid. 3.1 ; ATF 129 V 402 consid. 4.3.1 et les références).
7. La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l'assuré à des prestations, l'administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).
Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).
Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).
7.1 Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).
Lorsqu'un cas d'assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 LPGA, l'appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères : s'il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d'un médecin de l'assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références ;
ATF 142 V 58 consid. 5.1 ; ATF 139 V 225 consid. 5.2 ; 1 ATF 35 V 465
consid. 4.4 et les références). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu'ils n'avaient pas la même force probante qu'une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références).
7.2 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (ATF 125 V 351 consid. 3a ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du
4 mai 2012 consid. 3.2.1).
8. Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).
La procédure dans le domaine des assurances sociales est régie par le principe inquisitoire d'après lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par l'assureur (art. 43 al. 1 LPGA) ou, éventuellement, par le juge (art. 61 let. c LPGA). Ce principe n'est cependant pas absolu. Sa portée peut être restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Celui-ci comprend en particulier l'obligation de ces dernières d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 ; VSI 1994
p. 220 consid. 4). Si le principe inquisitoire dispense les parties de l'obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve, dans la mesure où, en cas d'absence de preuve, c'est à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences, sauf si l'impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse. Cette règle ne s'applique toutefois que s'il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d'établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références).
Dans le contexte de la suppression du droit à des prestations d'assurance sociales, le fardeau de la preuve incombe en principe à l'assureur-accidents (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les références). Cette règle selon laquelle le fardeau de la preuve appartient à la partie qui invoque la suppression du droit entre seulement en considération s'il n'est pas possible, dans le cadre du principe inquisitoire, d'établir sur la base d'une appréciation des preuves un état de fait qui au degré de vraisemblance prépondérante corresponde à la réalité (ATF 117 V 261 consid. 3b et les références). La preuve de la disparition du lien de causalité naturelle ne doit pas être apportée par la preuve de facteurs étrangers à l'accident. Il est encore moins question d'exiger de l'assureur-accidents la preuve négative, qu'aucune atteinte à la santé ne subsiste plus ou que la personne assurée est dorénavant en parfaite santé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_441/2017 du 6 juin 2018 consid. 3.3). À cet égard, est seul décisif le point de savoir si, au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 146 V 271 consid. 4.4), les causes accidentelles d'une atteinte à la santé ne jouent plus aucun rôle, ne serait-ce même que partiel
(ATF 142 V 435 consid. 1), et doivent ainsi être considérées comme ayant disparu (arrêt du Tribunal fédéral 8C_343/2022 du 11 octobre 2022 consid. 3.2 et les références).
9. Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151 consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).
10. En l'espèce, dans sa décision du 13 juillet 2022 confirmée sur opposition le
14 décembre 2022, l’intimée a mis fin au versement des indemnités journalières et à la prise en charge des frais de traitement au 30 avril 2022. Elle a considéré que le statu quo sine vel ante avait été atteint au plus tard deux semaines après l’événement du 26 novembre 2021 et que les troubles présentés par le recourant à la cheville gauche n’étaient plus en relation de causalité avec le sinistre assuré
au-delà du 30 avril 2022. Dès cette date, l'incapacité de travail et le traitement médical relevaient d'un cas de maladie.
Cette détermination repose sur l’appréciation du 8 juillet 2022 du Dr E______, lequel a conclu qu’un retour à l’état antérieur pouvait être accepté deux semaines après l’événement, dans le meilleur des cas.
10.1 À titre préalable, la chambre de céans rappelle que l’existence d’un accident n’est pas remise en cause. L’intimée admet en effet que l’événement du
26 novembre 2021 répond à la définition légale de la notion d’accident dans le domaine des assurances sociales, de sorte qu’il lui incombe, conformément à la jurisprudence fédérale, de prendre en charge les suites des atteintes à la santé en cause sur la base de l'art. 6 al. 1 LAA. Partant, il n’est pas nécessaire de déterminer si certaines lésions constatées par les médecins dans le dossier litigieux relèvent de la liste de l’art. 6 al. 2 LAA.
L’intimée est tenue de verser des prestations au recourant jusqu’à ce que l’accident ne constitue plus la cause naturelle et que les atteintes à la santé qui subsistent sont uniquement et exclusivement dues à des causes étrangères au sinistre.
10.1.1 La chambre de céans constate ensuite que l’appréciation du 8 juillet 2022 du Dr E______ est critiquable à plusieurs égards.
Tout d’abord, ce document n’a pas été établi en pleine connaissance de cause et il ne se fonde pas sur des examens médicaux complets. En effet, le rapport du
Dr C______ du 22 mars 2023 est succinct et ne comporte aucune mention quant aux plaintes du patient, à l’examen clinique, aux constatations objectives ou encore aux diagnostics retenus, lesquels ne ressortent que du rapport opératoire. Le Dr C______ a uniquement relaté une instabilité post traumatique de la cheville gauche et renvoyé au rapport d’arthro-IRM, ce qui ne pouvait suffire au
médecin-conseil. D’ailleurs, ce dernier, qui n’a pas personnellement examiné le recourant, a noté qu’il ne comprenait pas l’indication opératoire, laquelle n’avait pas été justifiée par le Dr C______, en l’absence de lésion radiologique. Dès lors qu’il ne disposait pas de tous les renseignements utiles, il aurait dû solliciter des précisions complémentaires, en demandant au Dr C______ de lui transmettre un rapport circonstancié et détaillé. Quant au rapport du Dr F______, il n’a pas non plus été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, étant donné que ce médecin n’était même pas en possession du rapport opératoire. Il ignorait donc les diagnostics posés par le Dr C______ et la nature exacte de l’intervention subie, comme l’atteste la seule référence à l’excision du kyste.
De plus, l’appréciation du Dr E______ est dénuée de toute motivation et ne résulte pas d’une analyse approfondie. Il a indiqué que le Dr D______ n’avait pas décrit de lésion « grave » des ligaments et a considéré qu’il n’y avait pas de « rupture ligamentaire aigüe post-traumatique ». Ces éléments ne permettent en aucun cas de nier tout lien de causalité entre le sinistre assuré et les atteintes pour lesquelles le recourant a bénéficié d’une intervention chirurgicale le 4 mai 2022, notamment d’une plastie ligamentaire.
On relèvera encore que le médecin-conseil n’a semble-t-il pas disposé des images de l’arthro-IRM, puisqu’il s’est uniquement référé à la description de l’examen faite par le Dr D______. Son avis, selon lequel il n’y avait aucune inflammation, aucun œdème, aucune contusion osseuse sur l’IRM ne correspond en outre pas aux conclusions du radiologue, lequel a précisé que l’examen avait été dégradé par quelques artefacts de mouvements et que « dans ces conditions », il n’y avait « pas d’évidence de contusion ou fracture post-traumatique ».
Enfin, le délai de deux semaines retenu pour fixer un retour à l’état antérieur n’a fait l’objet d’aucune discussion de la part du médecin-conseil. Il en va de même de l’existence de « nombreuses lésions » « anciennes » et « pas traumatiques ».
Dans ces conditions, force est de constater que l’appréciation du Dr E______ ne remplit pas les exigences jurisprudentielles pour se voir reconnaître une quelconque valeur probante.
10.1.2 En ce qui concerne les avis du Dr C______, il a déjà été constaté que le rapport du 22 mars 2022 est lacunaire. C’est aussi le cas de celui du
28 juillet 2022, qui renvoie au rapport opératoire pour les diagnostics et ne contient aucune indication quant aux plaintes et au status clinique lors des consultations antérieures à l’opération. Il sied également de relever que le
Dr C______ a noté qu’il suivait le recourant à sa consultation d’orthopédie depuis le 9 mars 2017 et que l’évolution restait difficile « notamment dû au traumatisme » de la cheville, ce qui laisse suggérer qu’il avait déjà été consulté par le recourant pour des troubles au niveau de cette articulation avant le sinistre assuré.
10.1.3 L’intimée ne pouvait donc pas, sur la base de l’appréciation de son médecin-conseil, conclure que l'accident ne représente plus la cause naturelle et suffisante des lésions présentées par le recourant au niveau de la cheville gauche dès le 30 avril 2022, c'est-à-dire que ces atteintes reposent uniquement sur des causes étrangères à l’accident à partir de cette date, ou en d’autres termes que le statu quo ante vel sine a été atteint.
10.2 Dès lors qu’il lui incombait d’instruire d’office les éléments médicaux déterminants pour la résolution du cas, l’intimée ne pouvait se contenter de l’avis insuffisamment motivé de son médecin-conseil pour nier le droit du recourant à des prestations au-delà du 30 avril 2022.
Dans ces circonstances, il se justifie de lui renvoyer la cause afin qu’elle procède à des investigations complémentaires en vue d’établir d’office l’ensemble des faits déterminants et, le cas échéant, qu’elle administre les preuves nécessaires, en sollicitant notamment un rapport détaillé de la part du chirurgien ayant opéré le recourant et au besoin par une expertise, avant de rendre une nouvelle décision.
11. Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision du
14 décembre 2022 annulée et la cause renvoyée à l’intimée pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.
12. Étant donné que le recourant obtient partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 2'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens, à charge de l’intimée (art. 61 let. g LPGA ; art. 89H al. 3 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).
Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet partiellement.
3. Annule la décision sur opposition du 14 décembre 2022.
4. Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.
5. Condamne l’intimée à verser au recourant une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens.
6. Dit que la procédure est gratuite.
7. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Nathalie KOMAISKI |
| La présidente
Joanna JODRY |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le