Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/192/2024 du 26.03.2024 ( PC ) , REJETE
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/2264/2023 ATAS/192/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 26 mars 2024 Chambre 10 |
En la cause
A______
| recourant |
contre
SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES | intimé |
A. Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé), né le ______ 1960, a soumis une demande de prestations transitoires pour les chômeurs âgés, au service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC) le 26 avril 2023. Il a notamment indiqué qu’il était domicilié à Genève depuis sa naissance et que ses charges comprenaient, hormis les dépenses de la vie courante, des frais liés à un mayen en Valais. Il a précisé qu’il s’agissait d’une résidence secondaire à « 30 à 40% », construite entre 2009 et 2016, dont la valeur officielle était arrêtée à
CHF 104'349.-. Son droit aux indemnités journalières de l’assurance-chômage avait pris fin le 15 juillet 2022.
L’intéressé a notamment transmis au SPC :
- son avis de taxation pour l’année fiscale 2021, duquel il ressort que le capital selon estimation fiscale de l’immeuble « Les Côtes Mayen Anniviers » était fixé à CHF 105'667.- et à CHF 80'307.- après abattement ;
- le formulaire de déclaration d’impôt du service cantonal des contributions du canton du Valais, faisant état d’une valeur fiscale, au 31 décembre 2021, de CHF 104'349.- pour l’immeuble bâti et de CHF 1'318.- pour l’immeuble non bâti ;
- une facture établie par la Commune d’Anniviers le 25 février 2022 relative à la taxe de séjour forfaitaire annuelle, d’un montant de CHF 300.-.
B. a. Par décision du 2 mai 2023, le SPC a retenu que l’intéressé ne réalisait pas l’ensemble des conditions d’octroi des prestations transitoires pour les chômeurs âgés. En effet, pour bénéficier desdites prestations, la fortune du requérant devait être inférieure au seuil fixé à CHF 50'000.- pour une personne seule. Or, l’intéressé disposait d’une fortune mobilière de CHF 48'152.88 et d’une fortune immobilière de CHF 104'349.-, soit une fortune globale de CHF 152'501.88.
b. Le 1er juin 2023, l’intéressé a formé opposition à l’encontre de cette décision. Son bien immobilier était une grange écurie qui avait été transformée en mayen, et non en appartement comme retenu dans la décision. Ce bien faisait partie d’une trentaine de granges écuries mises à disposition par la Commune en 2001 pour être transformées en mayens contre la très modique somme de CHF 100.- par année, avec un bail sur 35 ans qui pouvait être transmis aux descendants de la famille. Il fallait proposer un projet de réhabilitation qui tenait compte du respect et de la sauvegarde du patrimoine. Il avait présenté un tel projet qui avait été accepté par la Commune en 2002. Peu après sa demande, le canton du Valais avait pris des dispositions pour toutes les constructions situées en zone avalanches, dont sa grange, et la Commune lui avait alors proposé, s’il trouvait « un terrain qui avait déjà une grange cadastrée, de transférer celle octroyée sur ce terrain ». Mais dans ce cas, il ne serait plus locataire, mais propriétaire. Il avait investi toutes ses économies pour l’achat de ce bien en zone agricole. Il lui avait fallu huit saisons de labeur pour transformer la construction et rendre son bien habitable. Il s’agissait de l’accomplissement d’un rêve. Sa vie était là-haut et il y cultivait un bout de terre. Depuis le Covid, il y était à 80% du temps, étant précisé qu’il n’était pas possible d’y monter en voiture l’hiver. Il était locataire d’un appartement de 1,5 pièces à Genève. Il n’avait jamais demandé d’aide, à l’exception de deux périodes de chômage, et menait une vie de simplicité et de modestie.
c. Par décision sur opposition du 7 juin 2023, le SPC a confirmé sa décision, rappelant que les biens mobiliers et immobiliers, ainsi que les droits personnels et réels appartenant au requérant, faisaient partie de sa fortune. L’origine des éléments de fortune n’était pas pertinente. Seuls les immeubles servant d’habitation à leurs propriétaires et les dettes hypothécaires liées à ces immeubles n’étaient pas pris en compte pour déterminer si la fortune dépassait le montant autorisé. Partant, il avait tenu compte à juste titre du bien immobilier dans le calcul des prestations complémentaires, dans la mesure où il ne s’agissait pas d’un immeuble servant à l’habitation de l’intéressé, mais d’une résidence secondaire.
C. a. Par acte du 5 juillet 2023, l’intéressé a interjeté recours par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, mentionnant que tant son
pied-à-terre à Genève que son mayen en Valais étaient importants pour lui, pour son équilibre.
b. Dans sa réponse du 17 juillet 2023, l’intimé a conclu au rejet du recours. L’intéressé n’invoquait aucun nouvel argument, ni n’apportait de nouvel élément susceptible de le conduire à une appréciation différente du cas. Au demeurant, il a relevé que si l’intéressé vivait plus de 80% de son temps dans le canton du Valais, ce dernier était compétent pour lui verser des prestations transitoires. Dès lors, il concluait au rejet du recours pour les motifs invoqués dans la décision sur opposition, puisque le montant du bien immobilier dont il avait tenu compte correspondait à celui indiqué sur le formulaire de demande et dans la déclaration d’impôts 2021. S’il devait être considéré que le recourant s’était constitué un nouveau domicile dans le canton du Valais, il appartiendrait alors aux autorités d’exécution dudit canton de se prononcer sur le droit aux prestations transitoires. Partant, il devait nier le droit aux prestations transitoires dans tous les cas.
c. Dans le délai prolongé par la chambre de céans, le recourant a maintenu sa position. Il a insisté sur le fait que la construction de son mayen était une grande fierté et qu’il ne pouvait se résoudre à vendre son bien. Ce lieu étant inaccessible en hiver, il ne pouvait y habiter officiellement, raison pour laquelle il était important qu’il puisse conserver un pied-à-terre à Genève.
d. Le 25 octobre 2023, l’intimé a intégralement persisté dans ses conclusions.
1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 11 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés du 19 juin 2020 (LPtra - RS 837.2).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2. Interjeté dans les formes et les délais légaux, le recours est recevable (art. 60 et
61 LPGA), étant précisé que les dispositions de LPGA s’appliquent aux prestations transitoires versées en vertu de la LPtra, à moins que celle-ci ne déroge expressément à la LPGA (art. 1 LPtra).
3. Le litige porte sur le droit du recourant aux prestations transitoires, singulièrement sur la question de savoir si sa fortune nette est supérieure au seuil prévu par la loi.
3.1 Le 19 juin 2020, le Parlement fédéral a adopté la LPtra, entrée en vigueur le 1er juillet 2021 (RO 2021 373).
L’art. 2 LPtra prévoit que cette loi vise à améliorer la protection sociale des personnes, âgées, qui sont arrivées en fin de droit dans l’assurance-chômage, en complément avec les mesures de la Confédération visant à promouvoir l’emploi des travailleurs âgés.
Selon l’art. 3 al. 1 LPtra, les personnes âgées de 60 ans ou plus qui sont arrivées en fin de droit dans l’assurance-chômage ont droit à des prestations transitoires destinées à couvrir leurs besoins vitaux jusqu’au moment où elles atteignent l’âge ordinaire de la retraite dans l’assurance-vieillesse et survivants (AVS ; let. a) ou ont droit au plus tôt au versement anticipé de la rente de vieillesse, s’il est prévisible qu’elles auront droit à des prestations complémentaires au sens de la loi fédérale sur les prestations complémentaires du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30) à l’âge ordinaire de la retraite (let. b). Une personne est arrivée en fin de droit lorsqu’elle a épuisé son droit aux indemnités de l’assurance-chômage ou lorsque son droit aux indemnités de l’assurance-chômage s’est éteint à l’expiration du délai-cadre d’indemnisation et qu’elle n’a pas pu ouvrir un nouveau délai-cadre d’indemnisation (al. 2).
Conformément à l’art. 5 LPtra, ont droit aux prestations transitoires les personnes ayant leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse (art. 13 LPGA ; al. 1) : qui sont arrivées en fin de droit dans l’assurance-chômage au plus tôt pendant le mois au cours duquel elles ont atteint l’âge de 60 ans (let. a) ; qui ont été assurées à l’AVS pendant au moins 20 ans, dont au moins cinq ans après 50 ans, et ont réalisé un revenu annuel provenant d’une activité lucrative qui atteint au moins 75% du montant maximal de la rente de vieillesse prévu à l’art. 34 al. 3 et 5 de la loi fédérale du 20 décembre 1946 sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS), ou qui peuvent faire valoir des bonifications pour tâches d’assistance et tâches éducatives correspondantes selon la LAVS (let. b) et qui disposent d’une fortune nette inférieure à la moitié des seuils fixés à l’art. 9a LPC (let. c).
Selon l’art. 19 al. 1 LPtra, sont compétents pour la réception et l’examen des demandes, pour la fixation des prestations transitoires et pour leur versement les organes désignés en vertu de l’art. 21 al. 2 LPC par le canton dans lequel le bénéficiaire est domicilié.
3.2 Aux termes de l'art. 9a LPC (en vigueur depuis le 1er janvier 2021), les personnes dont la fortune nette est inférieure aux seuils suivants ont droit à des prestations complémentaires (al. 1) : CHF 100'000.- pour les personnes seules
(let. a). L’immeuble qui sert d’habitation au bénéficiaire de prestations complémentaires ou à une autre personne comprise dans le calcul de ces prestations et dont l’une de ces personnes au moins est propriétaire n’est pas considéré comme un élément de la fortune nette au sens de l’al. 1 (al. 2). Les parts de fortune visées à l’art. 11a al. 2 à 4 LPC font partie de la fortune nette au sens de l’al. 1 (al. 3). Le Conseil fédéral peut ajuster ces valeurs de manière appropriée s’il modifie les prestations visées à l’art. 19 LPC (al. 4).
Il découle de cette nouvelle disposition légale, appliquée a contrario, que le droit même à des prestations complémentaires fédérales est désormais exclu pour les personnes assurées dont la fortune nette dépasse l'un de ces seuils fixés à
l'art. 9a LPC.
3.3 L'art. 17 al. 1 de l'ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC-AVS/AI - RS 831.301) dispose que la fortune nette est calculée en déduisant les dettes prouvées de la fortune brute.
Conformément à l'art. 17a OPC-AVS/AI, la fortune prise en compte doit être évaluée selon les règles de la législation sur l’impôt cantonal direct du canton du domicile (al. 1). Lorsque des immeubles ne servent pas d’habitation au requérant ou à une personne comprise dans le calcul de la prestation complémentaire, ils seront pris en compte à la valeur vénale (al. 4).
3.4 Selon la jurisprudence, par valeur vénale d'un immeuble selon l'art. 17
al. 4 OPC-AVS/AI, l'on entend le prix de vente du bien dans le cadre de transactions qui se déroulent dans des conditions normales (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 50/00 Gr du 8 février 2001 consid. 2a).
La valeur vénale, soit la valeur qu'atteindrait un immeuble au cours de transactions normales, est en règle générale nettement plus élevée que la valeur fiscale ; il ne se justifie pas d'effectuer une réévaluation jusqu'à concurrence de la valeur vénale tant que le bénéficiaire de prestations complémentaires ou toute autre personne comprise dans le calcul de ladite prestation vit dans sa propre maison. Il n'en va pas de même si l'immeuble ne sert pas d'habitation aux intéressés ; il convient alors de prendre en compte la valeur que l'immeuble représente véritablement sur le marché. En effet, il ne serait pas équitable de garder un immeuble pour les héritiers, à la charge de la collectivité publique qui octroie des prestations complémentaires (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P.13/01 du 25 février 2002 consid 5c/aa ; RCC 1991 p. 424).
Dans un cas où l’administration avait fixé la valeur vénale d’un immeuble conformément à la pratique cantonale, consistant à retenir la moyenne entre la valeur d’assurance et la valeur fiscale, le Tribunal fédéral des assurances a considéré que cette méthode était appropriée. Il a souligné que la valeur du marché d’une parcelle construite suppose généralement une expertise concrète et actuelle, ce qui n’est pas praticable en matière de prestations complémentaires, de sorte que la valeur vénale visée à l’art. 17 al. 4 OPC-AVS/AI doit, dans la mesure du possible, s’établir sur d’autres valeurs. La valeur d’assurance étant généralement supérieure à la valeur vénale, celle-ci étant elle-même généralement supérieure à la valeur fiscale, la pratique cantonale dans le cas d’espèce conduisait en règle générale à des résultats adéquats, sous réserve des cas dans lesquels cette méthode aboutissait à des évaluations manifestement erronées en raison de circonstances particulières (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 50/00 du 8 février 2001 consid. 2b).
3.5 Les Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC, valables dès le 1er avril 2011) prévoient notamment que lorsque des immeubles ou bien-fonds ne servent pas d’habitation au requérant ou à une personne comprise dans le calcul de la prestation complémentaire, ils seront pris en compte à la valeur vénale actuelle (valeur du marché ; DPC ch. 3445.03).
Si la valeur actuelle (valeur du marché) d’un immeuble n’est pas connue, on peut se fonder sur la valeur moyenne entre la valeur selon la législation sur l’impôt cantonal direct et la valeur d’assurance immobilière, pour autant que la valeur ainsi obtenue ne soit pas manifestement erronée. Quant aux immeubles sis à l’étranger, on peut se fonder sur une estimation établie à l’étranger s’il n’est pas raisonnablement possible de procéder à une autre estimation (DPC ch. 3445.04).
4. L'obligation générale de diminuer le dommage impose à celui qui requiert des prestations de prendre toutes les mesures qu'une personne raisonnable adopterait dans la même situation si elle ne pouvait attendre aucune indemnisation de tiers (ATF 133 V 504 consid. 4.2).
5. En l’espèce, il est établi que le recourant est propriétaire d’un bien immobilier situé en Valais.
5.1 La chambre de céans constate d’emblée avec l’intimé que s’il devait être retenu que le recourant s’est constitué un nouveau domicile en Valais, comme pourraient le suggérer ses allégations portant sur le temps passé dans son mayen et sur son attachement à ce bien immobilier et à la région, le canton de Genève ne serait pas compétent pour octroyer les prestations litigieuses.
Cela étant, le recourant a clairement déclaré, dans le formulaire de demande de prestations transitoires, qu’il s’agissait d’une résidence secondaire. De plus, il a indiqué dans le cadre de la présente procédure que son pied-à-terre à Genève était également important pour son équilibre. En l’état, aucun élément objectif ne permet de remettre en cause l’existence du domicile à Genève, conformément aux indications qui ressortent du registre informatisé de l’office cantonal de la population et des migrations.
5.2 Partant, le recourant étant bien domicilié à Genève, son mayen sis en Valais est effectivement une résidence secondaire. S’agissant d’un bien immobilier ne lui servant pas d’habitation, il doit être pris en compte à sa valeur vénale, dans le calcul de son droit à des prestations complémentaires.
Dès lors que la valeur fiscale est généralement bien inférieure à la valeur vénale et que cette dernière ne peut pas être déduite des pièces du dossier, le montant de CHF 104'349.- retenu par intimé à titre de fortune immobilière, conformément aux indications contenues dans le formulaire de déclaration d’impôt du service cantonal des contributions du canton du Valais, n’apparait pas critiquable. Il sera notamment rappelé à cet égard que le recourant a expliqué avoir acquis le mayen pour une « très modique somme » dans le cadre d’un programme de réhabilitation de mayens développé par la Commune, de sorte que le prix d’acquisition n’est pas pertinent. Ce d’autant plus que l’intéressé a effectué d’importants travaux de rénovations, pendant plusieurs années, qui ont permis de transformer la grange en un mayen habitable.
Partant, c’est à bon droit que l’intimé a tenu compte d’un montant de
CHF 104'349.- à titre de fortune immobilière, dans le cadre de l’examen du seuil prévu par l’art. 5 LPtra, soit la moitié du seuil fixé à l’art. 9a LPC.
6. Compte tenu de ce qui précède, le recours est rejeté.
7. Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Le rejette.
3. Dit que la procédure est gratuite.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Nathalie KOMAISKI |
| La présidente
Joanna JODRY |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le