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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1822/2021

ATAS/1259/2021 du 08.12.2021 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1822/2021 ATAS/1259/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 8 décembre 2021

4ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée c/o
M. B______, à ONEX, représentée par INCLUSION HANDICAP

 

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

A.      a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1990 en Erythrée, est arrivée en Suisse le 24 juillet 2014. Elle y a rejoint son mari, également Érythréen, né en 1974, domicilié à Genève depuis 2010. Elle a obtenu un livret N en 2014 puis un livret B-OASA en mars 2015. Les époux ont trois enfants, nés en 2008, 2014 et 2015, et bénéficient de l’aide de l’Hospice général.

b. Le 20 décembre 2019, l’assurée a sollicité des prestations de la part de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI), indiquant souffrir de la maladie de Perthes – ostéonécrose de la hanche gauche, depuis sa naissance.

c. Dans le cadre de l’instruction du dossier, l’OAI a obtenu divers rapports médicaux.

Par avis du 5 janvier 2021, la doctoresse C______, médecin auprès du service médical régional de l’OAI (ci-après : le SMR), a conclu à une incapacité totale de travail depuis au moins octobre 2019 en raison d’une coxarthrose gauche sur une maladie de Perthes, avec une ostéonécrose de la tête fémorale de stade IV. La marche prolongée, les stations debout et assise prolongées, ainsi que le port de charges et les déplacements en terrain irrégulier, avec des échelles ou des escaliers, n’étaient pas possibles.

d. L’OAI a retenu le statut de ménagère à 100% et a procédé à une enquête économique sur le ménage. Le total de l’empêchement pondéré sans exigibilité se montait à 45.8%, le total de l’exigibilité retenue à 32.5%, de sorte que l’empêchement pondéré avec exigibilité était fixé à 13.3%.

B.       a. Le 26 février 2021, l’OAI a informé l’assurée qu’il envisageait de rejeter sa demande de prestations, motif pris que les empêchements dans le ménage avaient été évalués à 13.3% en tenant compte de l’aide exigible de son mari. Or, un taux inférieur à 40% n’ouvrait pas le droit à des prestations sous forme de rente.

b. Par courriel du 23 mars 2021, l’assurée s'est opposée au projet de décision.

Dans un courrier daté du 12 mai 2021, elle a reproché à l’OAI de ne jamais lui avoir demandé si elle aurait travaillé sans atteinte à la santé et d’avoir ainsi violé son droit d’être entendue. Elle a soutenu qu’elle souhaitait subvenir financièrement aux besoins de sa famille depuis sa venue en Suisse et travailler à 100%, étant précisé que son mari était sans emploi. Le fait d’avoir des enfants n’était pas un indice quant à une volonté de rester à la maison. De plus, elle présentait déjà des douleurs avant l’incapacité totale de travail qui lui avait été reconnue dès octobre 2019, et des douleurs pouvaient subjectivement empêcher un·e assuré·e de travailler, même en l’absence d’incapacité de travail médicalement attestée. Enfin, elle avait l’interdiction de travailler en Erythrée car elle avait été déchue de ses droits, son époux militaire ayant déserté. Le statut de personne active devait lui être reconnu et elle avait droit à une rente entière depuis le 1er octobre 2020.

c. Par décision du 17 mai 2021, l’OAI a rejeté la demande de l’assurée, reprenant les termes de son projet du 26 février 2021.

Le jour même, l’OAI a informé l’assurée avoir reçu sa contestation, mais que la décision avait déjà été notifiée puisqu’un délai lui avait été accordé jusqu'au
15 mai 2021 au plus tard. Elle était priée de s’adresser directement à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice.

C.       a. Par acte du 26 mai 2021, l’assurée, représentée par un mandataire professionnel, a interjeté recours contre la décision du 17 mai 2021. Elle a conclu, sous suite de frais et dépens, à son annulation, à l’octroi d’une rente entière d’invalidité depuis le
1er octobre 2020 et à ce que les frais de procédure soient mis à la charge de l’intimé. Elle a fait grief à ce dernier d’avoir violé son droit d’être entendue une seconde fois en notifiant sa décision sans tenir compte de ses explications relatives au statut. Compte tenu de la violation répétée de son droit d’être entendue entraînant l’obligation de recourir, les frais de procédure devraient être mis à la charge de l’intimé, indépendamment de l’issue du litige. Sur le fond, elle a maintenu les arguments développés dans son opposition.

b. Dans sa réponse du 23 juin 2021, l’intimé a conclu au rejet du recours. Lors de son évaluation du statut de la recourante, il avait tenu compte du fait que cette dernière s’était mariée à 16 ans et n’avait pas suivi de formation professionnelle ou académique après l’école obligatoire, ni dans son pays d’origine, ni en Suisse. Elle n’avait jamais été inscrite auprès de l’assurance-chômage et n’avait pas cherché d’emploi. Elle avait eu son premier enfant à 18 ans et les deux derniers étaient en bas âge. Enfin, elle était entrée en Suisse en 2014, alors que le début de l’incapacité de travail avait été fixé au mois d’octobre 2019. Elle avait toujours cotisé comme étant sans activité lucrative. En conclusion, soit la recourante était déjà empêchée de travailler lors de son arrivée en Suisse et les conditions d’assurance n’étaient alors pas remplies, soit elle ne l’était pas et devait être considérée comme non active.

c. Par réplique du 5 juillet 2021, la recourante a persisté et souligné que l'intimé, dont la vision était rétrograde, ne pouvait faire abstraction de la situation en Erythrée jusqu’en 2014, en particulier de la guerre et de la pauvreté.

d. La chambre de céans a entendu les parties le 10 novembre 2021.

À cette occasion, la recourante a maintenu ses conclusions, relevant qu’il ne lui paraissait pas normal de retenir un statut de ménagère, qu’il n’y avait aucun moyen de preuve externe et qu’on ne pouvait que tenir compte de sa volonté interne. Elle a derechef affirmé qu’elle aurait exercé une activité professionnelle si elle n’avait pas présenté de douleurs. À cause de ces dernières, elle ne pouvait pas travailler alors qu’elle le souhaitait.

Le représentant de l’intimé a persisté dans ses conclusions, soutenant qu’il était difficile de travailler à 100% avec un ménage et trois enfants.

e. En date du 23 novembre 2021, la recourante a précisé à la chambre de céans, pièces à l’appui, qu’elle avait suivi des cours de français du 6 septembre 2016 au
15 juin 2017 et du 19 septembre 2017 au 8 février 2018, et qu’elle avait passé un test en mai 2021. Ceci démontrait son souhait de ne pas rester à la maison, mais de s’intégrer dans le but de pouvoir travailler.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.        Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA et art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

4.        Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente d'invalidité.

5.        Dans un moyen de nature formelle, qu'il convient d'examiner en premier lieu dès lors que son admission pourrait conduire à l'annulation de la décision attaquée sans examen du litige sur le fond (ATF 124 V 90 consid. 2), la recourante invoque une violation de son droit d’être entendue. Elle fait grief à l’intimé d’avoir rendu la décision litigieuse avant même d’avoir examiné ses arguments, la contraignant ainsi à recourir auprès de la chambre de céans. Elle a notamment rappelé que son courrier d’opposition du 12 mai 2021 avait été envoyé le jour même, soit dans le délai octroyé par l’intimé.

6.        a. À teneur de l’art. 42 LPGA, les parties ont le droit d’être entendues.

Aux termes de l’art. 49 al. 3 LPGA, les décisions indiquent les voies de droit. Elles doivent être motivées si elles ne font pas entièrement droit aux demandes des parties. La notification irrégulière d’une décision ne doit entraîner aucun préjudice pour l’intéressé.

En vertu de l'art. 57a LAI, au moyen d'un préavis, l'office AI communique à l'assuré toute décision finale qu'il entend prendre au sujet d'une demande de prestations ou au sujet de la suppression ou de la réduction d'une prestation déjà allouée. L'assuré a le droit d'être entendu, conformément à l'art. 42 LPGA.

Selon l'art. 73ter RAI, les parties peuvent faire part à l'office AI de leurs observations sur le préavis dans un délai de 30 jours (al. 1). L'assuré peut communiquer ses observations à l'office AI par écrit ou oralement, lors d'un entretien personnel. Si l'audition a lieu oralement, l'office AI établit un procès-verbal sommaire qui est signé par l'assuré (al. 2).

Par ailleurs, aux termes de l'art. 74 RAI, une fois l'instruction de la demande achevée, l'office AI se prononce sur la demande de prestations (al. 1). La motivation tient compte des observations qui ont été faites par les parties sur le préavis, pour autant qu'elles portent sur des points déterminants (al. 2).

Conformément à l’art 38 al. 3 LPGA, lorsque le délai échoit un samedi, un dimanche ou un jour férié selon le droit fédéral ou cantonal, son terme est reporté au premier jour ouvrable qui suit. Le droit cantonal déterminant est celui du canton où la partie ou son mandataire a son domicile ou son siège.

b. Selon la jurisprudence et la doctrine, le délai de l'art. 73ter LAI est un délai d'ordre qui peut être prolongé pour de justes motifs (ATF 143 V 71 consid. 4.3). Prolongé ou non, il doit être respecté par l'office AI. Ce dernier commet ainsi une violation du droit de l'assuré à être entendu, lorsqu'il statue avant l'échéance du délai imparti à l'assuré pour qu'il se détermine sur le projet de décision, en écartant ainsi des moyens déposés en temps utile, ou en n'entrant pas en matière sans tenir compte d'une demande de prolongation du délai présentée par l'assuré dans le délai de trente jours, par exemple, afin qu'il puisse se faire conseiller par le représentant qu'il a désigné entre-temps (arrêts du Tribunal fédéral des assurances I 658/04 du 27 janvier 2006 consid. 5 et I 459/02 du 29 octobre 2002 consid. 4 ; Michel VALTÉRIO, Commentaire de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité, 2018, n°8 ad art. 57a LAI).

La violation du droit d’être entendu – pour autant qu’elle ne soit pas d’une gravité particulière – est réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s’exprimer devant une autorité de recours jouissant d’un plein pouvoir d’examen. Au demeurant, la réparation d’un vice éventuel ne doit avoir lieu qu’à titre exceptionnel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_181/2013 du 20 août 2013 consid. 3.3 et la référence).

c. Enfin, la circulaire sur la procédure dans l'assurance-invalidité (ch. 3013), dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2018, stipule que le délai de 30 jours prévu par l'art. 73ter RAI peut être prolongé dans des cas dûment motivés. Si à l'expiration du délai de trente jours, mais avant que la décision ne soit rendue, l'assuré apporte de nouveaux éléments pouvant influencer la décision, ceux-ci doivent être pris en compte.

7.        a. En l'espèce, par courriel du 23 mars 2021, la recourante a formé opposition à l'encontre du projet de décision 26 février 2021 et sollicité la prolongation du délai pour faire valoir ses observations.

L'intimé a dans un premier temps refusé, arguant que « l'art. 57a, al 3 » LAI ne permettait pas de prolonger le délai de préavis (cf. courriel du 23 mars 2021), avant d'accepter cette demande et d'accorder une prolongation au 15 mai 2021
(cf. courriel du 24 mars 2021). Le dernier jour du délai étant un samedi, son terme a été reporté au lundi 17 mai 2021.

Ainsi, le courrier du 12 mai 2021, par lequel la recourante a complété sa contestation, a bien été envoyé en temps utiles. En notifiant sa décision litigieuse le 17 mai 2021, l'intimé a donc violé le droit d'être entendu de l’intéressée, et l’a effectivement contrainte à saisir la chambre de céans, ce qu'il lui a d'ailleurs expressément prié de faire (cf. courrier du 17 mai 2021).

b. Cette violation du droit d'être entendu peut cependant être considérée comme réparée, dès lors que la recourante a eu la possibilité de faire valoir toutes ses objections devant la chambre de céans, laquelle dispose d'un pouvoir d'examen identique à celui de l'intimé.

8.        Il convient à présent d'examiner le droit de la recourante à une rente, et plus particulièrement de se déterminer sur son statut.

9.        a. Conformément aux art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI, est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident.

À teneur de l'art. 6 LPGA, est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l'aptitude de l'assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d'activité, le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique.

Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

b. La notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

10.    En vertu de l'art. 28 al. 1 LAI, l'assuré a droit à une rente d'invalidité aux conditions suivantes : sa capacité de gain ou sa capacité d'accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a) ; il a présenté une incapacité de travail
(art. 6 LPGA) d'au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b) ; au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c). L'art. 28 al. 2 LAI dispose que l'assuré a droit à une rente entière s'il est invalide à 70 % au moins, à trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s'il est invalide à 50 % au moins ou à un quart de rente s'il est invalide à 40 % au moins.

11.    Lors de l'examen initial du droit à la rente, il convient d'examiner quelle est la méthode d'évaluation de l'invalidité qu'il s'agit d'appliquer. Le choix de l'une des trois méthodes reconnues, soit la méthode générale de comparaison des revenus (art. 28a al. 1 LAI en corrélation avec l'art. 16 LPGA), la méthode spécifique
(art. 28a al. 2 LAI en corrélation avec les art. 27 du règlement sur l'assurance-invalidité [RAI - RS 831.201] et 8 al. 3 LPGA), ou la méthode mixte (art. 28a
al. 3 LAI en corrélation avec l'art. 27bis RAI, ainsi que les art. 16 LPGA et 28a
al. 2 LAI en corrélation avec les art. 27 RAI et 8 al. 3 LPGA) dépendra du statut du bénéficiaire potentiel de la rente : assuré exerçant une activité lucrative à temps complet, assuré non actif, assuré exerçant une activité lucrative à temps partiel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_82/2016 du 9 juin 2016 consid. 3.2).

12.   On décidera que l'assuré appartient à l'une ou l'autre de ces trois catégories en fonction de ce qu'il aurait fait dans les mêmes circonstances si l'atteinte à la santé n'était pas survenue. Lorsque l'assuré accomplit ses travaux habituels, il convient d'examiner, à la lumière de sa situation personnelle, familiale, sociale et professionnelle, si, étant valide il aurait consacré l'essentiel de son activité à son ménage ou s'il aurait exercé une activité lucrative. Pour déterminer le champ d'activité probable de l'assuré, il faut notamment prendre en considération la situation financière du ménage, l'éducation des enfants, l'âge de l'assuré, ses qualifications professionnelles, sa formation ainsi que ses affinités et talents personnels
(ATF 137 V 334 consid. 3.2 ; ATF 117 V 194 consid. 3b ; Pratique VSI 1997 p. 301 ss consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_722/2016 du 17 février 2017 consid. 2.2). Cette évaluation tiendra également compte de la volonté hypothétique de l'assurée, qui comme fait interne ne peut être l'objet d'une administration directe de la preuve et doit être déduite d'indices extérieurs (arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2015 du
11 mai 2015 consid. 2.3 et l'arrêt cité) établis au degré de la vraisemblance prépondérante tel que requis en droit des assurances sociales (ATF 126 V 353
consid. 5b). Il a déjà été jugé que la détermination d’un·e assuré·e pouvait être influencée par sa perception de ses problèmes de santé et de son aptitude à exercer une activité lucrative (arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2013 du 9 août 2013 consid. 3.2).

En tant qu'il s'agit d'analyser une situation par nature hypothétique, le raisonnement retenu, s'il doit être basé sur des motifs objectifs, ne peut se référer en définitive qu'à l'expérience générale de la vie (ATF 117 V 194 consid. 3b in fine).

Selon la pratique, la question du statut doit être tranchée sur la base de l'évolution de la situation jusqu'au prononcé de la décision administrative litigieuse, encore que, pour admettre l'éventualité de la reprise d'une activité lucrative partielle ou complète, il faut que la force probatoire reconnue habituellement en droit des assurances sociales atteigne le degré de vraisemblance prépondérante (ATF 141 V 15
consid. 3.1 ; ATF 137 V 334 consid. 3.2 ; ATF 125 V 146 consid. 2c ainsi que les références).

13.    Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables
(ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

14.    En l'occurrence, l'intimé a retenu le statut de personne non active. Il a pris en considération le fait que la recourante s’était mariée à 16 ans et n’avait pas suivi de formation professionnelle ou académique après l’école obligatoire, ni dans son pays d’origine, ni en Suisse. Elle n’avait jamais été inscrite auprès de l’assurance-chômage, ni n’avait cherché d’emploi. Elle avait eu son premier enfant à 18 ans et les deux derniers étaient en bas âge. Enfin, elle était entrée en Suisse en 2014, alors que le début de l’incapacité de travail avait été fixé au mois d’octobre 2019, et elle avait toujours cotisé comme personne sans activité lucrative.

La recourante a contesté cette appréciation. Elle a soutenu que, sans atteinte à la santé, elle aurait travaillé à 100% après la naissance de son troisième enfant, afin de subvenir financièrement aux besoins de sa famille, ajoutant que son mari était sans emploi. Elle a expliqué ne pas avoir eu le droit de travailler en Erythrée car elle avait été déchue de ses droits, son époux militaire ayant déserté. S'agissant de son absence d'activité professionnelle en Suisse, elle a rappelé qu’il existait une interdiction de travailler durant un certain laps de temps après la naissance d’un enfant, et a exposé qu'elle présentait déjà des douleurs avant l’incapacité totale de travail qui lui avait été reconnue dès le mois d'octobre 2019. Elle a reproché à l'intimé de considérer qu'une femme ayant trois enfants ne pouvait être professionnellement active. Une telle vision rétrograde n’avait plus court en Suisse en 2021. Suivre l’argumentation de l’intimé reviendrait à exiger des assurées étrangères à faire vœu de chasteté après leur mariage ou avant leur venue en Suisse pour démontrer leur volonté de travailler, ce qui était tout simplement inadmissible. Lors de son audition, elle a notamment déclaré à la chambre de céans qu’on ne pouvait pas vivre sans travailler, même mentalement, que cela comptait beaucoup pour elle. Elle aurait voulu être un bon exemple pour ses enfants, qui auraient vu qu'il fallait travailler et ne pas attendre d'argent. Elle souffrait de sa situation car elle était jeune et ça serait le moment de réaliser des choses. Elle aurait bien géré un travail à temps plein, même avec trois enfants, car cela était faisable avec une bonne organisation, si on était en bonne santé.

15.    a. La chambre de céans constate tout d’abord que l’intimé n’a nullement interrogé la recourante avant de tirer des conclusions quant à son statut. Il ne lui a posé aucune question, notamment sur sa volonté d’exercer une activité lucrative, sur la situation professionnelle de son époux, sur la répartition des tâches au sein du ménage, sur l’éducation des enfants ou encore sur ses centres d’intérêt.

b. S’agissant de la situation familiale, le fait que le recourante soit mère de trois enfants, dont deux encore en bas âge au moment de la décision litigieuse, ne permet de tirer aucune conclusion quant à sa volonté d’exercer ou non une activité professionnelle. On rappellera à cet égard que le mari de l’intéressée, qui n’a jamais travaillé en Suisse, participe non seulement à l’éducation des enfants, mais qu’il assume en outre la plupart des tâches ménagères de la famille, comme les courses, les repas, le ménage et le repassage (cf. enquête ménagère). On peut donc en déduire que le couple aurait sans peine réussi à s’organiser pour permettre à la recourante de travailler à 100% après la naissance de son troisième enfant, comme elle le soutient.

c. Quant aux situations personnelle et sociale, il sied de relever que la recourante ne parlait pas du tout le français lorsqu’elle s’est installée à Genève. Elle a suivi des cours de langue proposés par l’Hospice général, du 6 septembre 2016 au
15 juin 2017 (118 heures de cours) et du 19 septembre 2017 au 8 février 2018
(120 heures de cours). Elle s’est ensuite inscrite pour passer un test au mois de
mai 2021. Ces démarches, débutées 9 mois après son troisième accouchement, démontrent une certaine volonté d’intégration, de participer à la vie sociale, malgré les atteintes à la santé.

En outre, la recourante est encore très jeune et les époux n’ont aucune source de revenus hormis l’aide accordée par l’Hospice général. Si le mari de la recourante a acheté une voiture pour passer ses examens de chauffeur de taxi (cf. enquête ménagère), il n’a jusqu’à présent pas été en mesure d’exercer cette activité.

d. En ce qui concerne la situation professionnelle de la recourante, la chambre de céans considère que l’absence de toute activité en Erythrée n’est pas déterminante. En effet, après avoir terminé l'école obligatoire en 2005, l'intéressée a été mariée en 2006, à l'âge de 16 ans, et a donné naissance à son premier enfant en 2008. Son mari a quitté leur pays d'origine en septembre 2008 et elle a donc dû élever leur enfant sans lui, avec l’aide de ses beaux-parents chez qui elle vivait depuis son mariage. De plus, elle a exposé qu’elle n’avait pas eu le droit de travailler suite à la désertion de son époux. La véracité de ces allégations n'est pas remise en cause.

L'intéressée a rejoint son époux à Genève en 2014 et le couple a eu deux autres enfants, les ______ 2014 et ______ 2015. Ces deux grossesses et accouchements, survenus dans un laps de temps très rapproché, permettent de justifier l'absence de toute activité professionnelle ou recherche d'emploi jusqu'à
mi-avril 2016, compte tenu de la durée du congé maternité dans le canton de Genève.

Pour la période subséquente, soit entre le printemps 2016 et l’automne 2019, l’absence de travail, de recherche d’emploi et d’inscription au chômage ne constitue pas un indice suffisant, en l’état actuel du dossier, pour établir l'absence de volonté de reprendre un travail. En effet, l’intéressée a suivi des cours de français durant cette période, mais surtout elle indique que sa détermination a été influencée par la perception qu'elle avait de ses problèmes de santé et de son aptitude à exercer une activité lucrative. Elle a ainsi expliqué que la situation s’était empirée progressivement depuis 2016 et que la douleur était devenue « insupportable » à partir de 2016-2017, après la naissance de son troisième enfant, raison pour laquelle elle n’avait pas pu travailler.

e. En l’absence de tout rapport médical portant sur l’état de santé de la recourante durant cette période, il n’est pas possible de se déterminer sur ses allégations.

C’est le lieu de relever que l’intimé a procédé à une instruction médicale très sommaire. Selon les pièces du dossier, la recourante souffre d’une ostéonécrose de la hanche de stade 4 suite à la maladie de Perthes, dont l’évolution est défavorable. Elle a bénéficié d'infiltrations de corticoïde et de séances de physiothérapie, sans amélioration (cf. rapports des Hôpitaux universitaires du canton de Genève [ci-après : les HUG] des 21 janvier et 19 août 2020). Depuis le mois de mai 2019, elle utilise des béquilles pour se déplacer (cf. demande de moyens auxiliaires du 11 juin 2020) et une arthroplastie totale de la hanche a été proposée à la patiente qui réfléchit pour l'heure à une telle intervention (cf. rapports des HUG des 4 février et 19 août 2020). Les rapports transmis à l’intimé attestent d’une incapacité totale de travail
(cf. rapports les HUG des 21 janvier et 19 août 2020). Le SMR a ainsi considéré que ladite incapacité était totale depuis « au moins » 2019.

Cette appréciation est discutable et ne saurait être confirmée sur la base des pièces soumises à l’appréciation de la chambre de céans. En effet, il est relevé que la demande de prestations de la recourante fait état d’une atteinte à la santé existant « depuis la naissance ». La recourante a consulté des médecins dès son arrivée en Suisse en 2014. Une radiographie de la hanche gauche a été pratiquée le
28 novembre 2014 aux HUG en raison de douleurs avec une boiterie. Cet examen a révélé une ostéonécrose et une déformation de la tête fémorale gauche. On ignore le degré de l’atteinte à cette époque et il est possible qu’elle fût alors déjà très importante puisque la recourante a déclaré lors de son audition que la mise en place d’une prothèse avait déjà été évoquée. En outre, lors de son audition, elle a signalé des difficultés à réaliser les tâches ménagères dès 2008, précisant par exemple qu’elle ne pouvait pas cuisiner seule et devait être aidée. Elle l’était également par ses beaux-parents pour s’occuper de son enfant et effectuer les tâches ménagères. Les rapports au dossier ne contiennent aucun renseignement sur les plaintes de la recourante, les traitements entrepris, les limitations fonctionnelles et l’évaluation de sa capacité de travail avant 2019.

16.    Partant, la chambre de céans n’est pas en mesure de prendre position sur la situation globale de la recourante, au regard de l'expérience générale de la vie.

17.    Il convient donc de renvoyer le dossier à l’intimé pour qu’il en complète l’instruction, en sollicitant notamment des rapports médicaux détaillés des médecins du programme « santé migrant » et des orthopédistes des HUG qui ont suivi la recourante depuis son arrivée en Suisse, afin de clarifier l’évolution de son état de santé et de sa capacité de travail.

18.    Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision litigieuse annulée et la cause sera renvoyée à l’intimé pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

Pour le surplus, la recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 2'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61
let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émolument et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.      L’admet partiellement.

3.      Annule la décision de l’intimé du 17 mai 2021.

4.      Renvoie la cause à l’intimé pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

5.      Condamne l'intimé à verser à la recourante une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens.

6.      Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l'intimé.

7.      Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le