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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/279/2019

ATAS/362/2020 du 07.05.2020 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/279/2019 ATAS/362/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 7 mai 2020

3ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée au GRAND-LANCY, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Eric MAUGUE

recourante

 

contre

HDI GLOBAL SE, sise avenue d'Ouchy 14, LAUSANNE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Didier ELSIG

intimée

 

 

 

 

 

EN FAIT

1.        Monsieur B_______ (ci-après : l'assuré), né en 1961, marié à Madame A______ (ci-après : l'épouse de l'assuré), père d'un garçon né en avril 1997, était employé depuis janvier 2003 auprès de l'association C______ (ci-après : l'employeur) en qualité d'assistant social. A ce titre, il était assuré contre le risque d'accident, professionnel ou non, auprès de HDI GLOBAL SE (ci-après : l'assureur).

2.        Le 29 janvier 2016, la police judiciaire a procédé à la levée de corps de l'assuré, immolé par le feu à D______.

3.        Le 12 mai 2016, la veuve du défunt a sollicité de l'assureur qu'il se détermine sur un éventuel droit aux prestations pour elle et son fils, suite au suicide de son époux.

4.        A cette fin, l'assureur a réuni les documents suivants.

5.        Dans un rapport du 24 septembre 2015, la doctoresse E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie et psychiatre traitant, a diagnostiqué un état dépressif sévère sans symptôme psychotique (F32.2). Elle disait avoir constaté, notamment, une détresse avec perte de l'estime de soi, des idées de dévalorisation avec des sentiments de culpabilité, l'existence de pensées selon lesquelles la mort résoudrait les problèmes, sans projet de passage à l'acte, des ruminations importantes et une nette diminution de l'intérêt, y compris pour les loisirs. L'incapacité de travail était totale depuis le 24 juin 2015.

6.        A la demande de l'assureur perte de gain maladie de l'employeur, le 1er octobre 2015, le docteur F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie d'enfants et d'adolescents, a rédigé un rapport dans lequel il a retenu le diagnostic de trouble de l'adaptation, réaction dépressive prolongée (F43.21). S'agissant des idéations suicidaires, l'assuré avait répondu que, quelquefois, il avait eu peur, qu'il s'était vu parfois sauter dans le vide. Selon le médecin, le trouble était en cours de rémission et l'assuré devait reprendre une activité à plein temps au plus tard le 15 octobre 2015.

7.        Du 24 novembre au 14 décembre 2015, l'assuré avait séjourné à l'unité de psychiatrie de la clinique de la Lignière. Un trouble anxio-dépressif réactionnel, épisode moyen à sévère avait été diagnostiqué. Il s'agissait de la première hospitalisation en milieu psychiatrique de l'assuré, qui développait progressivement un tableau clinique compatible avec une décompensation anxio-dépressive dans un contexte professionnel très difficile, le patient ayant été licencié de son travail d'assistant social après 14 ans. En avril 2015, il avait reçu sa lettre de licenciement, d'une façon qu'il jugeait arbitraire et injuste. Il n'avait reçu que des réponses négatives à ses recherches d'emploi, ce qui l'avait complètement découragé, provoquant des ruminations anxieuses, d'importants troubles du sommeil et une grande fatigue. Dans ce contexte, il avait fait un tentamen médicamenteux avec alcool le 21 novembre 2015, tout en ayant prévenu son épouse de son geste, et avait été hospitalisé aux urgences. A l'entrée, il n'y avait ni troubles du cours ou du contenu de la pensée, ni éléments florides de la lignée psychotique. A la sortie, l'état psychique de l'assuré restait encore très fragile ; l'évolution avait été très discrète (cf. rapport du 30 décembre 2015 de la doctoresse G______, spécialiste FMH médecin praticien).

8.        Le 23 décembre 2015, la doctoresse H______, spécialiste FMH en médecine interne générale, avait été appelée au domicile de l'assuré et avait diagnostiqué une récidive de symptômes de la lignée dépressive, avec idéation suicidaire. Le retour à la maison avec la perspective de devoir s'inscrire à l'assurance-chômage avait réactivé tous les symptômes d'anxiété et d'insomnie. L'assuré ne pouvait s'engager à ne pas passer à l'acte (cf. rapport du 30 décembre 2015).

9.        Du 23 décembre 2015 au 5 janvier 2016, l'assuré avait séjourné au département de santé mentale et de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), où un trouble dépressif récurrent, épisode sévère, sans symptôme psychotique (F33.2) avait été diagnostiqué. Il avait été hospitalisé en raison d'un état dépressif réactionnel à sa situation professionnelle, avec des idées suicidaires fluctuantes. Deux jours avant son hospitalisation, il était monté au Salève dans le but de se suicider, mais n'aurait pas eu le courage de passer à l'acte.

L'intéressé disait avoir des idées suicidaires, fluctuantes, et beaucoup de ruminations. Il présentait un ralentissement psychomoteur assez important. Sa pensée était bien organisée, son discours clair, cohérent et informatif. Il n'y avait ni idées délirantes, ni hallucinations rapportées, ni attitudes d'écoute en cours d'entretien. La perte de son travail semblait avoir révélé des fragilités du patient en lien avec sa famille. L'assuré parlait de l'anxiété majeure qu'il ressentait face à sa situation et aux démarches à entreprendre auprès du chômage.

A sa sortie, il n'y avait ni idéation suicidaire, ni troubles du contenu de la pensée, ni hallucinations. Le discours était clair, cohérent, informatif et fluide. Un suivi en ambulatoire au Centre ambulatoire de psychiatrie et psychothérapie intégrée (CAPPI) avait été organisé (cf. lettre de sortie du 5 janvier 2016 de la doctoresse I______, cheffe de clinique).

10.    Le 7 janvier 2016, la doctoresse J______ avait effectué une visite à domicile, suite à l'appel de l'épouse de l'assuré. Le diagnostic d'état dépressif avec paranoïa avait été posé. L'assuré avait refusé la prise en charge ambulatoire au CAPPI. Il était calme, avec un faciès inexpressif, n'exprimant ni idéation suicidaire, ni troubles du déroulement de la pensée, mais un refus de discuter les incohérences. Il réfutait le fait d'être paranoïaque, mais disait avoir été espionné par son voisin de chambre à l'hôpital et avoir été mis sur écoute téléphonique. Le médecin avait décidé de l'envoyer pour évaluation aux HUG, sous placement à des fins d'assistance (cf. rapport du 13 janvier 2016).

11.    Le 7 janvier 2016, l'assuré avait été hospitalisé à l'hôpital psychiatrique de Belle-Idée.

12.    Dans un rapport du 29/30 janvier 2016 à l'assureur perte de gain maladie, la Dresse E______ avait diagnostiqué un état dépressif sévère avec symptômes psychotiques (F32.3). L'assuré avait été hospitalisé à la clinique de la Lignière du 25 novembre au 14 décembre 2015, suite à une tentative de suicide. Il en était sorti en mauvaise condition, juste avant les Fêtes et en son absence. Selon elle, il y avait eu vraisemblablement une nouvelle tentative de suicide ou des menaces suicidaires avec évaluation aux HUG, puis hospitalisation à Belle-Idée, où l'assuré se trouvait encore. Il ne fallait pas s'attendre à une aggravation.

13.    Le 29 janvier 2016, l'assuré s'était immolé par le feu dans les bois.

14.    Selon le rapport de police du 1er février 2016, une veste, une sacoche, un estagnon d'essence vidé de son contenu et une boîte d'allumettes avaient été découverts à une cinquantaine de mètres du corps calciné. La voiture, au nom de l'épouse de l'assuré, se trouvait à une centaine de mètres du corps. A l'intérieur, se trouvait un plan des lieux trouvé sur internet et imprimé sur une page A4.

L'enquête a permis de conclure à un suicide.

15.    Le 15 avril 2016, la doctoresse K______, cheffe de clinique de l'hôpital psychiatrique de Belle-Idée, a établi une lettre de décès portant sur l'hospitalisation de l'assuré du 7 au 29 janvier 2016.

Le patient souffrait d'un trouble dépressif récurrent, épisode sévère avec symptômes psychotiques (F33.3). Il avait été hospitalisé en raison d'idées suicidaires. Sur le plan psychiatrique, l'assuré avait décrit un épisode de dépression quand il avait 28 ans. Après son licenciement, en mai 2015, il avait débuté un suivi psychiatrique auprès de la Dresse E______, qui avait mis en place un traitement. Le 21 novembre 2015, le patient avait fait un abus médicamenteux par prise d'alcool dans un but suicidaire.

A l'admission, l'assuré était désorienté dans le temps. Il avait évoqué des idées délirantes de persécution (il se sentait surveillé sur son téléphone). Il niait avoir des idées suicidaires. Au début de son hospitalisation, l'assuré, très en retrait, présentait une perplexité importante, une latence dans les réponses, ainsi que des troubles de la mémoire et de la concentration.

Pendant le séjour, il y avait eu modification du traitement médicamenteux (augmentation de la Sertraline et introduction d'Olanzapine). Suite à ces modifications, l'état psychique du patient avait progressivement changé, avec une diminution du retrait, un discours qui devenait clair, structuré, sans latence. Le patient avait évoqué également le sentiment d'une amélioration, avec une augmentation de l'élan vital et une diminution de la passivité dans l'élaboration de son programme de soins. Il disait trouver des points positifs à cette hospitalisation, notamment l'amélioration de son humeur.

Suite à l'amélioration clinique du patient, un premier week-end de congé avait été organisé et les médecins avaient noté, à son retour, encore une amélioration de son état psychique, avec comme hypothèse la « ré-afférentation » avec son environnement quotidien. Toujours dans l'idée d'une reprise de la vie quotidienne, les médecins avaient organisé un entretien avec le CAPPI afin d'évaluer la possibilité d'une reprise de suivi dans cette structure. L'entretien s'étant déroulé sans problème selon le patient, le suivi au CAPPI avait été intégré dans la suite de sa prise en charge.

Afin de poursuivre la cohérence de la prise en charge, les médecins avaient organisé un second congé durant le week-end du 30 et 31 janvier 2016, et comptaient revoir le patient à son retour afin de discuter d'une sortie probable.

Le 29 janvier 2016, quelques heures après le départ du patient de l'hôpital, son épouse avait appelé pour signaler son absence. Elle avait expliqué qu'il avait rendez-vous pour manger à midi à la maison avec son fils. Ce dernier avait trouvé une note « bon appétit » sur la table. Un avis de disparition avait été envoyé à la police.

L'épouse avait ensuite rappelé pour annoncer que son époux avait été retrouvé mort. Selon elle, il aurait trouvé une lettre de son employeur lui annonçant son licenciement, suite à quoi il aurait quitté le domicile et mis fin à ses jours.

16.    Le 20 septembre 2016, le docteur L______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et médecin conseil de l'assureur, a réfuté un raptus suicidaire, expliquant que cela aurait impliqué un geste immédiat et non prémédité.

17.    Le 26 septembre 2016, l'assureur a mandaté la doctoresse M______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, afin de déterminer s'il y avait, au moment des faits, incapacité de discernement partielle ou totale.

18.    Dans un rapport du 7 mars 2017, la Dresse M______ a conclu qu'au vu de la discordance entre le profil de l'assuré et son attitude pendant ses derniers jours de vie, l'intéressé n'avait plus son discernement au moment de son passage à l'acte suicidaire. De surcroît, son incapacité complète à entendre raison, décrite tant par son épouse que par ses médecins, permettait d'attester que l'incapacité de discernement était totale au moment des faits. Ce suicide avait été commis en s'appuyant sur des croyances sortant du champ de la réalité. La perte du contact avec la réalité avait duré quelques semaines, puisque le psychiatre traitant l'avait déjà décelée le 15 décembre 2015. L'incapacité totale de discernement avait, par conséquent, aussi été durable, ce qui avait permis à l'intéressé de préparer, puis de commettre son suicide en l'absence de jugement adéquat et sans la capacité d'estimer la portée de ses actes.

19.    Le 26 mars 2017, le Dr L______ a estimé que la prise en charge du suicide par l'assureur se justifiait. La Dresse M______ s'était donné de la peine pour collecter suffisamment d'informations. Son appréciation ne portait pas sur le raptus, mais sur l'état psychiatrique de l'assuré au moment des faits. Sa démonstration concernant une évolution psychiatrique vers un déni de la réalité semblait étayée. Même si l'assuré avait partiellement prémédité son acte, ceci survenait dans un état psychique l'empêchant de réaliser réellement son impact. Cela faisait fortement suspecter un problème paranoïaque, se rapprochant d'une psychose.

20.    A la demande de l'assureur, la Dresse M______ a expliqué, le 23 mai 2017, qu'elle n'avait pas jugé nécessaire de rencontrer personnellement la veuve du défunt. Elle lui avait notamment fourni les lettres de sortie des hospitalisations psychiatriques ; sa disponibilité et sa collaboration avaient été exemplaires. Elle précisait que la teneur du message de l'assuré à son fils le 29 janvier 2016 était : « Tu peux réchauffer ton repas Biz Papa ».

21.    Le 6 juillet 2017, l'assureur a adressé à la veuve du défunt une copie du rapport de la Dresse M______, dont il estimait qu'il ne répondait pas aux critères d'une expertise, puisque ce médecin ne l'avait pas rencontrée. Un mandat d'expertise avait par conséquent été confié au docteur N______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. La veuve du défunt était priée de se rendre à sa consultation le mardi 22 août à 10 h. 30. L'assureur lui communiquait une copie du mandat et du questionnaire adressés au Dr N______ et un délai de 20 jours lui était octroyé pour faire part de toute remarque ou objection.

22.    Le 10 juillet 2017, la veuve a notamment indiqué n'avoir reçu ni la copie du mandat, ni celle du questionnaire.

23.    Le 26 juillet 2017, l'assureur a précisé que, contrairement, à ce qu'indiquait son précédent courrier, il n'y avait pas de questionnaire adressé à l'expert. A la demande de la veuve, le rendez-vous serait reporté à une date lui convenant mieux.

24.    Le 16 août 2017, la veuve a sollicité des explications, notamment quant aux reproches faits à l'expertise de la Dresse M______. Elle s'étonnait en outre de devoir être entendue par l'expert nouvellement désigné. Enfin, elle ne comprenait pas la décision de l'assureur de transmettre le dossier à un nouvel expert, basé en Valais, alors qu'elle était domiciliée à Genève.

25.    Le 28 août 2017, l'assureur lui a répondu qu'il souhaitait compléter l'instruction du dossier. Sauf motif valable de récusation invoqué dans les 10 jours, une convocation lui serait adressée par l'expert.

26.    Les 31 août, 8 et 13 septembre 2017, la veuve de l'assuré a réitéré ses objections. Elle ne comprenait pas pour quelle raison un complément d'expertise n'était pas demandé à la Dresse M______. Elle soupçonnait l'assureur de tenter de renverser les résultats de l'expertise et souhaitait connaître les liens qu'il avait avec le Dr N______, étant rappelé qu'elle avait toujours pleinement collaboré.

27.    Les 12 et 13 septembre 2017, l'assureur a expliqué qu'il manquait une entrevue personnelle entre elle et la Dresse M______. De simples discussions téléphoniques ne pouvaient y remédier. Au vu des objections soulevées, le Dr N______ se déplacerait à Genève. Enfin, l'assureur disait faire appel, pour la première fois, à cet expert ; il n'existait aucun lien entre eux, de quelque nature que ce soit.

28.    Le 19 septembre 2017, le Dr N______ a convoqué la veuve de l'assuré à une entrevue le 18 octobre 2017 à Genève.

29.    Le 22 septembre 2017, l'intéressée a indiqué qu'elle n'y donnerait pas suite, la nécessité d'un complément d'expertise n'étant absolument pas établie.

30.    Le 22 septembre 2017, la veuve du défunt a répété à l'assureur que la décision d'ordonner un complément d'expertise devait reposer sur des raisons objectives et non sur de simples convenances personnelles. Elle jugeait cette demande de complément arbitraire, de sorte qu'elle refusait d'y participer.

31.    Le 29 septembre 2017, l'assureur a indiqué qu'à la demande du Dr N______, la convocation était élargie à l'audition du fils du défunt. Demeuraient réservées les auditions d'autres personnes, telles que celles des collègues de travail de l'assuré.

32.    Le 9 octobre 2017, la veuve a fait valoir que la Dresse M______ avait respecté toutes les directives légales lors de l'établissement de son rapport. L'instruction était complète. Tout complément était selon elle inutile et arbitraire.

33.    Les 10 et 16 octobre 2017, l'assureur lui a répondu que la convocation était maintenue.

34.    Le 23 octobre 2017, le Dr N______ a informé l'assureur que la veuve du défunt et son fils ne s'étaient pas présentés. Il rédigerait une appréciation sur la base du dossier, tout en précisant ne pouvoir conclure, puisqu'il n'avait pas rencontré les proches du défunt, comme cela était la règle pour lui dans un tel cas.

35.    Dans un rapport du 15 décembre 2017, le Dr N______ a notamment conclu que le raptus pouvait être raisonnablement exclu, car l'assuré avait planifié son suicide. En outre, il n'y avait pas d'arguments pour admettre une conviction délirante d'intensité telle qu'elle doive être corrélée à une totale incapacité de discernement, comme l'évoquait la Dresse M______. Même s'il y avait eu des symptômes psychotiques, ceux-ci ne dominaient pas le tableau clinique. L'assuré avait apparemment évolué favorablement, puisque l'hôpital lui avait octroyé un deuxième congé. Si son jugement avait pu être altéré par des symptômes psychotiques, il ne l'était pas au point qu'on doive admettre une « totale » incapacité de discernement avec un degré de vraisemblance prépondérante, sous réserve de ce que pourraient donner des investigations complémentaires. N'ayant pas eu la possibilité de rencontrer la veuve et le fils du défunt, il n'était pas à même de conclure de façon définitive.

36.    Le 23 décembre 2017, l'assureur a adressé ce rapport à la veuve du défunt.

37.    Le 3 janvier 2017 (recte : 2018), le Dr L______ a estimé que l'avis du Dr N______ paraissait plus compréhensible et, surtout, mieux étayé sur le plan médical, les références aux troubles psychiatriques de l'assuré étant bien documentées. Il était plus convaincant et explicite que celui de la Dresse M______. Il rejoignait son sentiment premier, d'un acte mûrement préparé et planifié dans le cadre d'un état dépressif réactionnel à un licenciement professionnel. Le Dr N______démontrait que l'assuré avait déjà un état psychique fragile, même s'il avait réussi à se stabiliser socialement.

38.    Par courriers des 24 janvier, 20 mars et 16 mai 2018, la veuve du défunt a fait valoir notamment que le rapport de la Dresse M______ répondait à toutes les exigences jurisprudentielles, que, partant, une « second opinion » ne se justifiait pas et que l'avis du Dr N______ devait être écarté. Ce dernier travaillait très régulièrement pour les compagnies d'assurance et manquait d'impartialité.

39.    Par décision du 31 mai 2018, l'assureur a estimé que le suicide de l'assuré ne pouvait être qualifié d'accident, faute d'incapacité totale de discernement. Partant, il refusait d'allouer des prestations au titre de l'assurance-accidents.

40.    Le 2 juillet 2018, la veuve du défunt s'est opposée à cette décision. Il convenait de s'en tenir aux conclusions de la Dresse M______ et d'écarter le rapport du Dr N______, désigné unilatéralement et manquant d'impartialité en raison du lien qu'il entretenait avec les assureurs.

41.    Le 5 octobre 2018, l'assureur a sollicité de la Dresse M______ une copie des pièces utilisées pour établir son rapport d'expertise et, de la Dresse E______, une copie des dossiers complets relatifs aux hospitalisations de l'assuré en 2015 et 2016.

42.    Le 24 novembre 2018, le Dr N______ a estimé que les documents qui lui étaient soumis (à savoir, la lettre de sortie du 30 décembre 2015, le rapport du 30 décembre 2015, la lettre de sortie du 5 janvier 2016, le rapport concernant la visite à domicile du 7 janvier 2016 et la lettre de décès du 15 avril 2016) allaient dans le sens d'une aggravation des troubles psychiques. Ils ne permettaient toutefois pas de prouver que l'assuré avait été délirant au moment de son immolation et qu'il s'était suicidé suite à ses convictions psychotiques.

43.    Par décision sur opposition du 7 décembre 2018, l'assureur a confirmé son refus d'allouer des prestations en se référant au rapport précité du Dr N______.

44.    Par acte du 24 janvier 2019, la veuve du défunt a interjeté recours contre cette décision, en concluant, sous suite de frais et dépens, à l'octroi de prestations en faveur de son fils et elle.

Elle argue que, dans l'hypothèse d'un suicide, il existe une présomption naturelle qu'un tel acte n'est pas volontaire et qu'il doit être considéré comme d'origine accidentelle.

Elle ajoute que le rapport d'expertise de la Dresse M______ remplit toutes les exigences jurisprudentielles pour se voir accorder pleine valeur probante. L'absence d'entretien avec elle n'était qu'un simple prétexte pour écarter ce rapport et désigner, unilatéralement, le Dr N______. Or, l'intimée n'était pas fondée à solliciter une « second opinion », mais, au vu des conclusions de la Dresse M______, tenue de verser les prestations légales pour survivants.

Subsidiairement, la recourante fait valoir que la désignation du Dr N______ ne s'est pas déroulée de manière conforme, de sorte que ce rapport doit être écarté de la procédure.

45.    Le 7 mars 2019, l'intimée a requis de l'employeur une copie des lettres de licenciement adressées à l'assuré.

46.    Invitée à se déterminer, l'intimée, dans sa réponse du 8 avril 2019, a conclu au rejet du recours.

Au moment fatidique, l'incapacité de discernement de l'assuré n'était pas totale au sens de la législation et l'acte n'était donc pas « involontaire ». Au vu des tentatives précédentes de suicide et des préparatifs effectués le 29 janvier 2016, les conclusions de la Dresse M______ ne pouvaient être retenues.

Son rapport d'expertise souffrait également de plusieurs vices formels et matériels. Elle n'avait, notamment, pas mentionné le fait, pourtant essentiel, que le défunt avait trouvé en rentrant chez lui un courrier envoyé par son employeur qui lui confirmait son licenciement et la date imminente (le 31 janvier 2016) de la fin de son délai de congé. Vu l'état dans lequel se trouvait l'assuré à sa sortie le 29 janvier 2016, soit l'absence de traits de latence et de symptômes psychotiques, il existait une indéniable capacité de discernement. Comme expliqué par le Dr N______, il y avait chez l'assuré une certaine logique à la base de son passage à l'acte.

L'intimée produit notamment la lettre de licenciement du 15 avril 2015, ainsi que le courrier de l'employeur du 28 janvier 2016 annonçant que le délai de congé arriverait à échéance le 31 janvier 2016 et qu'aucun salaire ne serait versé à compter du 1er février 2016. Etait rappelée à l'employé son obligation de collaborer avec l'assureur perte de gain maladie et de lui fournir les informations requises dans son courrier du 23 octobre 2015, à savoir un rapport de son médecin exposant les circonstances empêchant la reprise du travail, à défaut duquel il serait seul responsable du fait que cet assureur ne puisse lui verser les indemnités pour perte de gain.

47.    Dans sa réplique du 14 mai 2019, la recourante a requis l'audition des parties et de la Dresse M______.

Elle assure que, contrairement à ce qu'avance l'intimée, l'assuré était parfaitement au courant de son licenciement et s'était fait à cette idée de longue date. Dans son esprit, la fin des rapports de travail devait d'ailleurs intervenir le 31 décembre 2015 et non pas le 31 janvier 2016. Preuve en était l'échange de courriels entre l'assuré et son employeur le 7 janvier 2016.

La conclusion du Dr N______ selon laquelle la Dresse M______ aurait dû prendre en compte ce « qu'implique la lecture par l'assuré de la lettre de licenciement le jour du suicide en termes de relation de cause à effet » était symptomatique de la partialité de l'appréciation de ce médecin.

Selon la recourante, la lecture de la lettre de licenciement le jour-même du suicide était sans pertinence, alors que l'intimée et l'expert en font grand cas.

48.    Dans sa duplique du 12 juillet 2019, l'intimée a sollicité l'audition des parties et des médecins, tout en arguant que seule une expertise judiciaire permettrait de départager les avis des spécialistes, parvenus à des conclusions diamétralement opposées. Cela semblait d'autant plus nécessaire que de nouvelles pièces avaient été produites par la recourante en cours de procédure. Or, il convenait que l'ensemble de la correspondance échangée entre l'assuré et son employeur soit versé à la procédure.

EN DROIT

 

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d'espèce est ainsi établie.

2.        À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

Toutefois, les modifications légales contenues dans la LPGA constituent, en règle générale, une version formalisée dans la loi de la jurisprudence relative aux notions correspondantes avant l'entrée en vigueur de la LPGA; il n'en découle aucune modification du point de vue de leur contenu, de sorte que la jurisprudence développée à leur propos peut être reprise et appliquée (ATF 130 V 343 consid. 3).

3.        Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où l'événement est survenu avant cette date, le droit aux prestations d'assurance est soumis à l'ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016 du 23 mai 2017 consid. 2.2). Les dispositions légales seront citées ci-après dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2016.

4.        Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pendant la période du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (art. 38 al. 4 let. c LPGA et art. 89C let. c de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]), le recours est recevable (art. 56ss LPGA et 62ss LPA).

5.        Le litige porte sur le point de savoir si, au moment où il s'est donné la mort, l'assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement. 

6.        a. Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle. Est réputé accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA).

Si l'assuré a provoqué intentionnellement l'atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d'assurance n'est allouée, sauf l'indemnité pour frais funéraires (art. 37 al. 1 LAA).

Même s'il est prouvé que l'assuré entendait se mutiler ou se donner la mort, l'art. 37 al. 1 LAA n'est pas applicable si, au moment où il a agi, l'assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement, ou si le suicide, la tentative de suicide ou l'automutilation est la conséquence évidente d'un accident couvert par l'assurance (art. 48 de l'Ordonnance sur l'assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA).

b. Le suicide comme tel n'est un accident assuré que s'il a été commis dans un état d'incapacité de discernement au sens de l'art. 16 du Code civil du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Par conséquent, il faut, pour entraîner la responsabilité de l'assureur-accidents, que, au moment de l'acte et compte tenu de l'ensemble des circonstances objectives et subjectives, en relation aussi avec l'acte en question, l'intéressé ait été privé de toute possibilité de se déterminer raisonnablement en raison notamment d'une déficience mentale ou de troubles psychiques (ATF 140 V 220 consid. 3; ATF 129 V 95; ATF 113 V 61 consid. 2a; RAMA 1990 n° U 96 p. 182 consid. 2). L'incapacité de discernement n'est donc pas appréciée dans l'abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l'acte (principe de la relativité du discernement; voir par exemple ATF 134 II 235 consid. 4.3.2). Le suicide doit avoir pour origine une maladie mentale symptomatique (arrêt du Tribunal fédéral 8C_195/2015 du 10 février 2016). L'existence d'une maladie psychique ou d'un grave trouble de la conscience doit être établie conformément à la règle du degré de vraisemblance prépondérante (ATF 129 V 177 consid. 3.1 ; ATF 119 V 335 consid. 1 ; ATF 118 V 286 consid. 1b). Il doit s'agir de symptômes psychopathologiques comme la folie, les hallucinations, la stupeur profonde, le raptus, etc. Le motif qui a conduit au suicide ou à la tentative doit être en relation avec les symptômes psychopathologiques (arrêt du Tribunal fédéral 8C_195/2015 du 8 janvier 2013 consid. 2.2). L'acte doit être insensé. Un simple geste disproportionné, au cours duquel le suicidaire apprécie unilatéralement et précipitamment sa situation dans un moment de dépression et de désespoir ne suffit pas (arrêt du Tribunal fédéral 8C_783/2018 du 4 avril 2019 consid. 4 et les références citées).

Pour établir l'absence de capacité de discernement, il ne suffit pas de considérer l'acte de suicide et, partant, d'examiner si cet acte est déraisonnable, inconcevable ou encore insensé. Il convient bien plutôt d'examiner, compte tenu de l'ensemble des circonstances, en particulier du comportement et des conditions d'existence de l'assuré avant le suicide, s'il était raisonnablement en mesure d'éviter ou non de mettre fin ou de tenter de mettre fin à ses jours. Le fait que le suicide en soi s'explique seulement par un état pathologique excluant la libre formation de la volonté ne constitue qu'un indice d'une incapacité de discernement (arrêt du Tribunal fédéral 8C_916/2011 du 8 janvier 2013 consid. 2.2).

7.        La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit à des prestations, l'administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b).

8.        Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 125 V 351consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).

Ainsi, en principe, lorsqu'au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc).

9.        a. Selon l'art. 61 let. c LPGA, le tribunal établit avec la collaboration des parties les faits déterminants pour la solution du litige; il administre les preuves nécessaires et les apprécie librement.  Dans le domaine des assurances sociales, la procédure est régie par le principe inquisitoire, d'après lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par le juge. Mais ce principe n'est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 et les références; cf. ATF 130 I 180 consid. 3.2). 

b. Celui qui réclame des prestations d'assurance doit apporter la preuve de l'existence d'un accident, soit également la preuve du caractère involontaire de l'atteinte et, en cas de suicide, la preuve de l'incapacité de discernement au moment de l'acte au sens de l'art. 16 CC. Dans la procédure en matière d'assurance sociale, régie par le principe inquisitoire, l'obligation des parties d'apporter la preuve des faits qu'elles allèguent signifie seulement qu'à défaut, elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuve. Cette règle de preuve ne s'applique cependant que lorsqu'il est impossible, en se fondant sur l'appréciation des preuves conformément au principe inquisitoire, d'établir un état de fait qui apparaisse au moins vraisemblablement correspondre à la réalité (ATF 117 V 261 consid. 3b et la référence citée; arrêts du Tribunal fédéral des assurances U 379/06 du 19 octobre 2006 consid. 2 et U 328/02 du 9 décembre 2003 consid. 3.1 avec les références citées).

c. Savoir si le suicide ou la tentative de suicide a été commis dans un état d'incapacité de discernement doit être résolu selon la règle du degré de la vraisemblance prépondérante généralement appliquée en matière d'assurances sociales. Le juge retiendra alors, parmi plusieurs présentations des faits, celle qui lui apparaît comme la plus vraisemblable (arrêt du Tribunal fédéral 8C_916/2011 du 8 janvier 2013 consid. 2.2 et les références). Il n'existe donc pas un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré; le défaut de preuve va au détriment de la partie qui entendait tirer un droit du fait non prouvé (ATF 126 V 319 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_195/2015 du 10 février 2016).

10.    Si l'administration ou le juge, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles ils doivent procéder d'office, sont convaincus que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d'autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu d'administrer d'autres preuves (appréciation anticipée des preuves ; ATF 122 II 464 consid. 4a, ATF 122 III 219 consid. 3c). Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d'être entendu selon l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101 - Cst; SVR 2001 IV n. 10 p. 28 consid. 4b), la jurisprudence rendue sous l'empire de l'art. 4 aCst. étant toujours valable (ATF 124 V 90 consid. 4b, ATF 122 V 157 consid. 1d).

11.    a. La recourante fait d'abord valoir que, dans l'hypothèse d'un suicide, il existe une présomption naturelle qu'un tel acte n'est pas volontaire et qu'il doit être considéré comme d'origine accidentelle.

b. Selon la jurisprudence, lorsqu'il y a doute sur le point de savoir si la mort est due à un accident ou à un suicide, il faut se fonder sur la force de l'instinct de conservation de l'être humain et poser comme règle générale la présomption naturelle du caractère involontaire de la mort, ce qui conduit à admettre la thèse de l'accident. Le fait que l'assuré s'est volontairement enlevé la vie ne sera considéré comme prouvé que s'il existe des indices sérieux excluant toute autre explication qui soit conforme aux circonstances. Il convient donc d'examiner dans de tels cas si les circonstances sont suffisamment convaincantes pour que soit renversée la présomption du caractère involontaire de la mort. Lorsque les indices parlant en faveur d'un suicide ne sont pas suffisamment convaincants pour renverser objectivement la présomption qu'il s'est agi d'un accident, c'est à l'assureur-accidents d'en supporter les conséquences (arrêt du Tribunal fédéral 8C_453/2016 du 1er mai 2017 consid. 2 et les références citées).  

c. Contrairement à ce que soutient la recourante, la présomption du caractère involontaire de la mort n'a lieu qu'en ce qui concerne la question de savoir si le décès est dû à un accident ou à un suicide, et ne se rapporte pas à la capacité (respectivement l'incapacité) de discernement (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_552/2019 du 23 décembre 2019 consid. 5.1).

En l'occurrence, au vu du dossier, et notamment du rapport de police du 1er février 2016, le suicide est clairement établi, l'intervention d'un tiers ayant été exclue, ce que la recourante ne conteste au demeurant pas. Il lui appartient dès lors d'apporter la preuve de l'incapacité de discernement de son ex-époux au moment de l'acte.

12.    En l'occurrence, la recourante, se fondant sur les conclusions de la Dresse M______, fait valoir que son ex-époux souffrait d'une incapacité totale de discernement au moment où il s'est immolé.

Dans son rapport du 7 mars 2017, la Dresse M______ a estimé que le suicide par immolation avait été commis en s'appuyant sur des croyances sortant du champ de la réalité ; les pensées erronées qui avaient motivé l'assuré à agir de la sorte n'avaient pas été mues par la raison et il n'avait pas pu estimer de manière adéquate la portée de ses actes. L'assuré avait subi une perte durable du contact avec la réalité (elle avait en tout cas persisté quelques semaines, puisque le psychiatre traitant l'avait déjà décelée le 15 décembre 2015) et l'incapacité totale de discernement avait donc aussi été durable.

A la lecture de l'ensemble des pièces versées au dossier, on relève que, contrairement à ce que retient la Dresse M______, aucun rapport ne fait état de l'existence chez l'assuré d'une perte durable de contact avec la réalité remontant au 15 décembre 2015 ou d'un trouble délirant, alors qu'il a fait l'objet de trois hospitalisations psychiatriques à compter du 24 novembre 2015, dont une qui était encore en cours au moment où il s'est suicidé. De surcroît, la Dresse M______ se fonde notamment sur les informations fournies lors de deux échanges téléphoniques par la Dresse E______, psychiatre traitant, alors que celle-ci a reconnu n'avoir que peu vu son patient en raison de ses hospitalisations et de ses propres absences. D'ailleurs, son dernier entretien avec l'assuré remonte au 15 décembre 2015, soit près d'un mois et demi avant son suicide. On relèvera par ailleurs qu'au cours de la dernière hospitalisation, le traitement antidépressif a été augmenté et un neuroleptique (Olanzapine) a été introduit, grâce auxquels une amélioration progressive de l'état psychique a été constatée tant par l'assuré que par les médecins, lesquels envisageaient de discuter avec le patient, à son retour de congé, d'une probable sortie (cf. rapport du 15 avril 2016 de la Dresse O______). Force est de constater que l'évaluation de la capacité de discernement effectuée par la Dresse M______ ne prend nullement en compte l'amélioration de l'état psychique de l'assuré au cours de cette hospitalisation.

Qui plus est, la Dresse M______ est d'avis que le mode de passage à l'acte suicidaire ne correspond pas au profil d'un homme « qui a dit ne pas vouloir mourir ». Or, cette appréciation est contredite par les rapports médicaux qui font état non seulement d'idées suicidaires (cf. rapport du 23 décembre 2015 de la Dresse H______, lettre de sortie du 5 janvier 2016 de la Dresse I______ et rapport du 15 avril 2016 de la Dresse O______), mais également de comportements suicidaires préalables à l'événement, puisque l'assuré a fait un tentamen médicamenteux avec alcool le 21 novembre 2015 et est monté au Salève dans le but de se suicider le 21 décembre 2015 (cf. lettre de sortie du 5 janvier 2016 de la Dresse I______). Il est relevé que la Dresse M______ ne mentionne pas ce dernier élément dans son rapport.

Pour ces motifs, les conclusions de la Dresse M______ n'apparaissent pas convaincantes, de sorte qu'une pleine valeur probante ne peut être reconnue à son rapport.

Au dossier figure également le rapport d'expertise du Dr N______.

La recourante fait valoir que ce rapport devrait être écarté au motif que l'intimée a désigné l'expert unilatéralement et qu'elle n'a pas établi de questionnaire.

13.    a. La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 [Cst. - RS 101]), en particulier, le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos
(ATF 135 I 279 consid. 2.3 ; ATF 135 II 286 consid. 5.1 ; ATF 132 V 368
consid. 3.1).

Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit en principe entraîner l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond. Selon la jurisprudence, la violation du droit d'être entendu - pour autant qu'elle ne soit pas d'une gravité particulière - est réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Au demeurant, la réparation d'un vice éventuel ne doit avoir lieu qu'exceptionnellement (ATF 127 V 431 consid. 3d/aa ; ATF 126 V 131 consid. 2b et les références).

b. En vertu de l'art. 44 LPGA, si l'assureur doit recourir aux services d'un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Celles-ci peuvent récuser l'expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions.

Lorsque l'assureur-accidents ordonne une expertise avant de rendre une décision au sens de l'art. 49 LPGA, il doit respecter le droit de l'assuré d'être entendu à ce stade déjà, sans attendre la phase - éventuelle - de la procédure d'opposition prévue par l'art. 52 LPGA. S'il omet de le faire, privant ainsi l'assuré de la faculté d'exercer ses droits de participation à l'établissement d'une expertise, le vice de procédure ne peut être réparé, du moins lorsque l'expertise constitue l'élément central et prépondérant de l'instruction (ATF 120 V 357 consid. 2b ; RAMA 2000 n° U 369 p. 104 consid. 2b, 1996 n° U 265 p. 294 consid. 3c).

À l'ATF 137 V 210 consid. 3, le Tribunal fédéral a instauré de nouveaux principes visant à consolider le caractère équitable des procédures administratives et de recours judiciaires en matière d'assurance-invalidité par le renforcement des droits de participation de l'assuré à l'établissement d'une expertise (droit de se prononcer sur le choix de l'expert, de connaître les questions qui lui seront posées et d'en formuler d'autres) et ce afin que soient garantis les droits des parties découlant notamment du droit d'être entendu et de la notion de procès équitable
(art. 29 al. 2 Cst., art. 42 LPGA et art. 6 ch. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 [CEDH -
RS 0.101] ; ATF 137 V 210 consid. 3.2.4.6 et 3.2.4.9). Il est notamment revenu sur la jurisprudence de l'ATF 132 V 93 selon laquelle la mise en oeuvre d'une expertise par l'assureur social ne revêtait pas le caractère d'une décision. Il a jugé qu'en l'absence d'accord entre les parties, une telle mise en oeuvre doit revêtir la forme d'une décision au sens de l'art. 49 LPGA correspondant à la notion de décision selon l'art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du
20 décembre 1968 (PA- RS 172.021) laquelle peut être attaquée devant les tribunaux cantonaux des assurances sociales respectivement le Tribunal administratif fédéral (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6 et 3.4.2.7). Il a modifié la jurisprudence de l'ATF 133 V 446 en ce sens que l'assuré a le droit de se déterminer préalablement sur les questions à l'attention des experts dans le cadre de la décision de mise en oeuvre de l'expertise (ATF 137 V 210 consid 3.4.2.9). Dans des arrêts ultérieurs, il a indiqué que ces principes et recommandations sont également applicables par analogie aux expertises mono- et bidisciplinaires (ATF 139 V 349 consid. 5.4) et dans le domaine de l'assurance-accidents, étant précisé que la personne assurée bénéficie des droits de participation antérieurs en ce sens qu'elle peut s'exprimer sur les questions posées à l'expert (ATF 138 V 318 consid. 6.1).

Le Tribunal fédéral a par ailleurs précisé que l'assuré peut faire valoir contre une décision incidente d'expertise médicale non seulement des motifs formels de récusation contre les experts, mais également des motifs matériels, tels que par exemple le grief que l'expertise constituerait une seconde opinion superflue, contre la forme ou l'étendue de l'expertise, par exemple le choix des disciplines médicales dans une expertise pluridisciplinaire, ou contre l'expert désigné, en ce qui concerne notamment sa compétence professionnelle (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.7 ; ATF 138 V 271 consid. 1.1). Il a également considéré qu'il convient d'accorder une importance plus grande que cela a été le cas jusqu'ici, à la mise en oeuvre consensuelle d'une expertise, en s'inspirant notamment de l'art. 93 de la loi fédérale sur l'assurance militaire du 19 juin 1992 (LAM - RS 833.1) qui prescrit que l'assurance militaire doit rendre une décision incidente susceptible de recours (seulement) lorsqu'elle est en désaccord avec le requérant ou ses proches sur le choix de l'expert. Selon le Tribunal fédéral, il est de la responsabilité tant de l'assureur social que de l'assuré de parer aux alourdissements de la procédure qui peuvent être évités. Il faut également garder à l'esprit qu'une expertise qui repose sur un accord mutuel donne des résultats plus concluants et mieux acceptés par l'assuré (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6).

S'agissant plus particulièrement de la mise en oeuvre d'une expertise consensuelle, le Tribunal fédéral a précisé dans un arrêt subséquent qu'il est dans l'intérêt des parties d'éviter une prolongation de la procédure en s'efforçant de parvenir à un consensus sur l'expertise, après que des objections matérielles ou formelles ont été soulevées par l'assuré. La recevabilité des objections n'est soumise à aucun délai, étant précisé que conformément au principe de la bonne foi, l'assuré est tenu de les formuler dès que possible. Si le consensus n'est pas atteint, l'assureur ordonnera une expertise, en rendant une décision qui pourra être attaquée par l'assuré
(ATF 138 V 271 consid. 1.1). Le Tribunal fédéral a encore rappelé que depuis l'ATF 137 V 210, il existe en principe une obligation de la part de l'assureur de s'efforcer à mettre en oeuvre une expertise consensuelle avant de rendre une décision (arrêt du Tribunal fédéral 9C_908/2012 du 22 février 2013 consid. 5.1).

c. La Cour de céans a jugé qu'indépendamment des griefs invoqués par l'assuré à l'encontre de l'expert, la cause devait être renvoyée à l'assureur, au motif que ce dernier n'avait pas essayé de parvenir à un accord avec l'assuré sur le choix de l'expert, ce qui violait les droits de participation de l'assuré dans la procédure de désignation de l'expert (ATAS/226/2013 et ATAS/263/2013). Dans ce dernier arrêt, la chambre de céans a également précisé que ce n'est pas uniquement en présence de justes motifs de récusation à l'encontre de l'expert que l'assuré peut émettre des contre-propositions.

Dans un arrêt (ATAS/598/2014 du 8 mars 2014) rendu en application de l'art. 133 al. 2 LOJ, la Cour de céans a considéré que le droit d'être entendu d'une assurée avait été violé, l'assurance n'ayant transmis les informations (nom de l'établissement chargé de l'expertise médicale, les questions soumises à l'expert avec un délai pour faire part de ses éventuelles remarques, délai que la recourante n'avait pas utilisé. Puis, un mois avant l'expertise, le nom des experts et la date des examens, sans que la patiente ne formule de remarques) qu'à la recourante alors qu'elle était représentée par un mandataire, avec élection de domicile. En privant la recourante de ses droits de participation à l'établissement d'une expertise déterminante pour statuer sur son droit aux prestations, la violation du droit d'être entendu ne pouvait pas être réparée. L'assurance avait privé le conseil de la recourante de la faculté de connaître les questions posées à l'expert et de formuler ses propres questions vidant ainsi de leur substance les nouvelles exigences procédurales qui visent à renforcer le caractère équitable de la procédure administrative. De plus, en ne communiquant pas les noms des experts au conseil de la recourante, il avait également empêché celui-ci de se prononcer sur le choix des experts et d'émettre des contre-propositions ; partant il avait violé son obligation de tendre à mettre en oeuvre une expertise consensuelle. Comme le vice ne pouvait être réparé à ce stade de la procédure, l'expertise ne pouvait pas être considérée comme un moyen de preuve approprié et les décisions fondées sur celle-ci devaient être annulées. La mise en oeuvre de l'expertise devait être reprise « ab initio » afin que les experts soient choisis après discussions entre les parties.

d. En l'occurrence, dans la mesure où la recourante a non seulement contesté la nécessité de la mise en oeuvre d'une nouvelle expertise, mais également soulevé la question des éventuels liens professionnels, financiers, personnels ou de toute autre nature que l'intimée entretenait avec le Dr N______, il est indéniable que celle-ci aurait dû rendre une décision incidente d'expertise susceptible de recours, avant de convoquer la recourante à la consultation de ce médecin. Qui plus est, indépendamment des griefs invoqués par la recourante, force est de constater que l'intimée n'a pas tenté de parvenir à un accord avec elle sur le choix de l'expert, que ce soit en proposant le nom d'un autre médecin, ou en l'invitant à émettre des contre-propositions. S'il est exact que le droit de participation de la recourante à l'établissement d'une expertise ne lui confère pas un droit de veto vis-à-vis de l'expert, il n'en reste pas moins que la Cour de céans a déjà jugé que les évolutions de jurisprudence témoignaient de la nécessité de trouver un consensus sur le nom des experts. Enfin, quand bien même l'intimée n'a pas établi un questionnaire à l'attention de l'expert, elle aurait dû, à tout le moins, informer la recourante que le mandat était identique à celui adressé à la Dresse M______ le 26 septembre 2016, à savoir déterminer si l'assuré était en incapacité de discernement partielle ou totale le 29 janvier 2016.

Partant, l'intimée a manifestement violé les droits de participation de la recourante dans la procédure de désignation de l'expert.

Le rapport du Dr N______ doit par conséquent être écarté et c'est à tort que l'intimée s'est fondée sur ses conclusions pour rendre sa décision litigieuse.

Cette violation du droit d'être entendu ne peut évidemment être réparée qu'en reprenant la procédure de désignation « ab initio ». À défaut, la recourante serait privée de la possibilité d'obtenir la désignation consensuelle d'un expert.

Par conséquent, il incombe à l'intimée de mettre en oeuvre une nouvelle expertise psychiatrique, après avoir désigné, consensuellement, un nouvel expert.

14.    Vu ce qui précède, le recours est partiellement admis et la décision querellée annulée. La cause est renvoyée à l'intimée pour instruction complémentaire au sens des considérants, désignation d'un nouvel expert de manière conforme à ce que préconise la jurisprudence et nouvelle décision.

La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 3'000.- lui est accordée à titre de participation à ses frais et dépens, à charge de l'intimée (art. 61 let. g LPGA; art. 89H al. 3 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA ; RS E 5 10.03).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition de l'intimée du 7 décembre 2018.

4.        Renvoie la cause à l'intimée pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

5.        Condamne l'intimée à verser à la recourante une indemnité de CHF 3'000.- à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marie-Catherine SÉCHAUD

 

La Présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral de la santé publique par le greffe le