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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/658/2024

ATA/1242/2025 du 04.11.2025 sur JTAPI/1118/2024 ( ICCIFD ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ATTEINTE À LA SANTÉ PHYSIQUE;DÉDUCTION DU REVENU(DROIT FISCAL);FRAIS SUPPLÉMENTAIRES CAUSÉS PAR L'INVALIDITÉ
Normes : LIFD.25; LIPP.28; LIFD.33.al1.leth bis; LIPP.32.letc; Cst; Cst; Cst
Résumé : Admission partielle du recours contre le jugement confirmant le refus de déduire des revenus du contribuable certains frais de déplacement qu’il a déclarés durant les années fiscales litigieuses. Il n’est pas contesté que le recourant, en raison de son handicap, n’est pas à même de faire usage des transports publics et ne peut se déplacer qu’au moyen de son véhicule motorisé privé. Il importe en revanche de déterminer si chacun des frais déclarés a été occasionné stricto sensu par son handicap. Le certificat médical produit pour attester que ses trajets au fitness étaient étroitement liés à son handicap, bien qu’établi postérieurement aux périodes fiscales litigieuses, permet d’admettre l’existence d’un lien de cause à effet entre le handicap (de longue date) et ces frais. Les frais nécessaires pour se rendre à la poste, à la pharmacie ou à la banque ne sont pas déductibles au titre de frais liés à son handicap, car le recourant – alors qu’il supporte le fardeau de la preuve des éléments diminuant sa taxation – n’a pas démontré que s’il n’avait pas été handicapé, il n’aurait pas utilisé un véhicule individuel pour ces autres déplacements, compte tenu de la proximité suffisante des transports publics. Enfin, dans la mesure où il n’a perçu aucune allocation pour impotent, il ne peut pas non plus prétendre à une déduction forfaitaire annuelle correspondant au forfait impotence grave.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/658/2024-ICCIFD ATA/1242/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 novembre 2025

4ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______ recourants
représentés par TOUS-MANDATS.CH Sàrl, mandataire

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
et
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 novembre 2024 (JTAPI/1118/2024)


EN FAIT

A. a. Les époux A______ et B______ sont domiciliés au C______, à D______, dans la villa appartenant au mari.

b. À teneur de leur déclaration fiscale 2020, la valeur locative après abattement de cette villa s’élevait à CHF 9'842.-.

c. Dans leur déclaration concernant l’ICC 2020, les contribuables ont revendiqué la déduction de leurs frais professionnels effectifs. Ceux-ci se composaient, pour la contribuable, de CHF 400.- de frais de repas, de CHF 125.- de frais de déplacement et de CHF 2'460.- de frais de « bureau télétravail maison dans studio » (code 41.63). Il était précisé qu’elle avait télétravaillé sans interruption du 12 mars 2020 au 30 juin 2021, car elle était une « personne à risque ».

Dans le cadre de l’IFD 2020, la déduction pour frais professionnels se limitait au forfait applicable.

d. Les contribuables ont également revendiqué, dans le cadre de l’ICC et de l’IFD 2020, une déduction de CHF 11'794.- pour des frais liés au handicap du contribuable, précisant qu’il s’agissait de « frais de déplacement et de véhicule liés à un handicap ». Ils ont laissé vide la case « Allocations pour impotents » (code 98.42).

Ils ont sollicité des déductions similaires durant les périodes fiscales 2018 et 2019, à hauteur de CHF 14'384.- et de CHF 14'045.- respectivement.

B. a. Par demandes de renseignements des 12 juillet et 7 octobre 2022 concernant les périodes fiscales 2018, 2019 et 2020, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a demandé aux contribuables de lui remettre, notamment, le détail de leurs frais de déplacement pour se rendre chez leurs médecins respectifs ainsi qu’une copie du carnet d’entretien et de la carte grise de leur véhicule.

b. Les 29 septembre 2022 et 15 décembre 2022, B______ a notamment transmis à l’AFC-GE les documents suivants :

-            Des tableaux récapitulatifs faisant état d’achats d’essence de 1'845 litres en 2018, de 1'800 litres en 2019 et de 1'513 litres en 2020.

Considérant que son véhicule consommait neuf litres aux 100 km, il estimait avoir parcouru 20'499 km en 2018, 19'997 km en 2019 et 16'815 km en 2020.

Les frais de déplacement liés à son handicap s’élevaient ainsi à CHF 14'384.- en 2018 (20'499 km x CHF 0.70 + CHF 35.- de frais de parking), à CHF 14'045.- en 2019 (19'997 km x CHF 0.70 + CHF 47.- de frais de parking) et à CHF 11'794.- en 2020 (16'815 km x CHF 0.70 + CHF 23.- de frais de parking).

-            Des listes de ses « médecins, orthopédiste, physiothérapeute », décrivant les trajets qu’il avait effectués en 2018, 2019 et 2020 pour se rendre auprès de ses soignants (par exemple « Dr[e] E______, rhumatologue, 10 km, 8 x l’an, soit 20 km aller-retour x 8 = 160 km » ; « autres médecins, laboratoires, pharmacies, opticiens, etc., 10 km, 52 x l’an, soit 20 km aller‑retour x 52 = 1'040 km »).

Ces listes faisaient également état de ses trajets pour se rendre au fitness (par exemple « F______, fitness, 4 km, 100 x l’an, soit 8 km aller‑retour x 100 = 800 km »).

Ses « déplacements médecins et thérapies » totalisaient ainsi 5'747 km en 2018, 5'789 km en 2019 et 4'095 km en 2020.

c. Dans ses avis de taxation ICC et IFD du 25 janvier 2023 relatifs aux périodes fiscales 2018, 2019 et 2020, l’AFC-GE a admis des déductions de CHF 2'642.-, CHF 2'653.- et CHF 2'307.- respectivement, à titre de frais liés à un handicap.

Elle a indiqué que les frais de déplacement avaient été admis selon la liste établie par B______, à raison de 3'747 km en 2018, 3'789 km en 2019 et 3'295 km en 2020, « y compris les 1'040 km non détaillés par [ses] soins », multipliés par CHF 0.70.

Concernant la période fiscale 2020, l’AFC-GE a considéré que les frais liés au télétravail de l’épouse pendant la pandémie de Covid-19 n’étaient pas déductibles, car cette situation n’était pas considérée comme durable. Les frais de repas déclarés par elle étaient en revanche admis à hauteur de CHF 1'600.- dans le cadre de l’ICC. Ses frais de déplacement étaient également admis à hauteur de CHF 500.-.

d. Par réclamations du 6 mars 2023 concernant les périodes fiscales 2018, 2019 et 2020, les époux A_____ et B______ ont contesté que la situation de A______ n’ait pas eu un caractère durable. Elle était en effet une personne « à risque » et avait télétravaillé pendant plus d’une année sans interruption. Elle avait à cette fin réquisitionné le studio (représentant 25% de la valeur locative) et l’avait transformé en bureau.

S’agissant des frais de déplacement de B______, le domicile de ce dernier se situant à plus de 500 mètres à pied de l’arrêt de bus, il ne pouvait renoncer à l’utilisation d’un véhicule motorisé, ce qui était attesté par les certificats médicaux du Dr G______ et de la Dre E______ du mois de mai 2021 versés au dossier. Le certificat de cette dernière avait en outre attesté de la nécessité d’une pratique régulière du fitness.

e. Par courrier du 10 novembre 2023, les contribuables ont indiqué à l’AFC-GE que l’employeur de l’épouse, la H______, n’établissait pas « ce genre d’attestation ». Il n’avait jamais été affirmé que la contribuable ne disposait pas d’une place de travail. Celle-ci était en revanche considérée comme une personne « à haut risque », raison pour laquelle elle avait travaillé à domicile sans interruption durant la pandémie de Covid-19.

f. Par décisions du 12 janvier 2024 expédiées sous pli simple, mentionnant le 23 janvier 2024 comme date de notification, l’AFC-GE a rejeté les réclamations susmentionnées dans la mesure où elles portaient sur les frais d’utilisation du studio (période fiscale 2020) et les frais liés à un handicap (périodes fiscales 2018, 2019 et 2020).

La taxation 2020 était maintenue en ce qui concernait les frais liés au télétravail de la contribuable. Le télétravail se définissait comme l’occupation durable d’une pièce uniquement dédiée à l’activité professionnelle lorsque l’employeur ne mettait aucune place de travail à disposition. Il ne pouvait être considéré comme durable lorsqu’il était dû à des restrictions sanitaires temporaires ou lorsque l’employeur mettait une place à la disposition de son collaborateur et offrait en parallèle à ce dernier la liberté de télétravailler pour des motifs de convenance personnelle ou de santé (personne à risque). La contribuable n’avait d’ailleurs pas été en mesure de fournir à l’AFC-GE une attestation de son employeur selon laquelle aucune place de travail ne lui était mise à disposition.

Les taxations étaient également maintenues en ce qui concernait les frais liés au handicap du contribuable. Selon les jugements du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) du 13 août 2015 (JTAPI/963/2015) et du 7 mars 2022 (JTAPI/215/2022) portant sur les taxations 2011 et 2016 des époux, seuls étaient déductibles les frais étroitement liés à un handicap, soit les frais de déplacement du contribuable auprès de ses médecins, orthopédiste et physiothérapeute. Les autres frais de déplacement du précité ne constituaient pas des frais déductibles selon la circulaire n° 11 de l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) du 31 août 2005 (ch. 4.3.6 « Frais de transport et de véhicule » ; ci-après : circulaire n° 11), dont l'interprétation était très restrictive. Le contribuable ne pouvait pas non plus bénéficier d’une déduction forfaitaire annuelle pour impotence étant donné qu’il ne percevait aucune allocation pour impotent.

C. a. Par actes expédiés le 23 février 2024, les époux A_____ et B______ ont recouru auprès du TAPI contre les décisions sur réclamation du 23 (recte : 12) janvier 2024.

Ils ont sollicité l’annulation de ces décisions en tant qu’elles refusaient la déductibilité des frais de déplacement de CHF 14'384.40, de CHF 14'044.75 et de CHF 11'793.60 durant les périodes fiscales 2018 à 2020, ainsi que la déductibilité des autres frais professionnels effectifs de CHF 2'460.- durant la période fiscale 2020. Ils ont conclu à ce qu’il soit ordonné à l’AFC-GE de prendre en considération l’ensemble des frais de déplacement déclarés, à concurrence du surcoût résultant de l’utilisation d’un véhicule individuel au lieu des transports publics, et à l’émission de nouveaux bordereaux tenant compte des considérants.

À la forme, ils ont exposé que l’AFC-GE avait notifié les bordereaux ICC/IFD 2018, 2019 et 2020 le 23 janvier 2024. Leurs recours avaient été déposés dans les 30 jours et étaient par conséquent recevables.

Sur le fond, ils ont réitéré leurs arguments relatifs à la déductibilité de leurs frais professionnels et de déplacement. Cette déductibilité s’appliquait en particulier pour les trajets vers et depuis le fitness, cette activité ayant été prescrite par le médecin traitant du contribuable en complément à la physiothérapie. Était notamment produit un certificat médical du 5 mai 2022 émanant de la Dre E______, valable un an, à teneur duquel le contribuable souffrait d’une affection rhumatologique chronique avec un important handicap fonctionnel, rendant indispensable la pratique régulière d’exercices de fitness ciblés. Les déplacements quotidiens qui ne relevaient pas de la convenance personnelle et qui n’avaient pas de caractère récréatif, mais qui visaient à accomplir des tâches essentielles comme se rendre à la poste, à la pharmacie et à la banque, devaient également être pris en compte.

b. Les recours susmentionnés, enregistrés sous numéros de cause A/658/2024 (période fiscale 2020), A/660/2024 (période fiscale 2019) et A/661/2024 (période fiscale 2018), comportaient la signature électronique du mandataire des contribuables.

c. Le TAPI a imparti aux contribuables un délai au 13 mars 2024 pour lui transmettre des exemplaires des recours munis de la signature manuscrite originale de leur mandataire, sous peine d’irrecevabilité.

d. Par courrier du 6 mars 2024, le mandataire des contribuables a transmis au TAPI trois exemplaires des recours portant sa signature manuscrite, sans toutefois mentionner les numéros de procédure auxquels ils se référaient.

e. Par jugements JTAPI/376/2024 et JTAPI/377/2024 du 23 avril 2024, rendus dans les causes A/660/2024 et A/661/2024, le TAPI a déclaré irrecevables les recours portant sur les périodes fiscales 2018 et 2019, faute de comporter une signature olographe.

f. Les contribuables ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre les jugements précités, concluant à leur annulation et au renvoi de la cause au TAPI pour examen au fond.

Ils avaient adressé au TAPI une seule enveloppe qui contenait les trois recours signés manuscritement. Le greffe du TAPI, pensant qu’il s'agissait de trois exemplaires similaires dans la même cause, les avait tous les trois classés dans la procédure A/658/2024, ce à tort, les deux autres recours ayant ainsi été déclarés irrecevables. La présidente du TAPI en charge de ces procédures avait confirmé l’erreur de son greffe mais avait expliqué que pour des raisons de compétence, il convenait de déposer un recours auprès de la chambre de céans.

g. Le TAPI a confirmé ces faits.

h. Par arrêts ATA/703/2024 et ATA/704/2024 du 10 juin 2024, la chambre administrative a admis les recours, annulé les jugements et renvoyé les causes A/660/2024 et A/661/2024 au TAPI pour examen des autres conditions de recevabilité et, le cas échéant, du fond du litige.

i. Dans ses réponses du 22 avril 2024 concernant les causes A/658/2024, A/660/2024 et A/661/2024, l’AFC-GE a conclu au rejet des recours et à la confirmation des décisions sur réclamation du 12 janvier 2024.

Il convenait de s’en tenir au jugement rendu le 7 mars 2022 qui concernait les mêmes parties et portait sur les mêmes faits. Conformément à ce jugement, le contribuable pouvait uniquement déduire ses frais de déplacement auprès de ses médecins, orthopédiste et physiothérapeute, à l’exclusion de ceux destinés à l’accomplissement de ses tâches quotidiennes, récréatives ou sociales, lesquels n’avaient pas été occasionnés, stricto sensu, par son handicap. Le contribuable n’avait pas non plus établi que, pour ces autres déplacements, il aurait emprunté exclusivement les transports publics s’il n’avait pas été handicapé. Aucune déduction ne pouvait enfin être admise pour les trajets au fitness dès lors que le contribuable n’avait pas démontré que cette activité était étroitement liée à son handicap.

j. Les contribuables n’ont pas répliqué.

k. Par jugement du 11 novembre 2024, le TAPI a ordonné la jonction des causes A/658/2024, A/660/2024 et A/664/2024 sous le premier numéro de cause et rejeté les recours.

Il était acquis que les frais de véhicule privé du contribuable étaient déductibles, pour autant qu’ils aient été occasionnés stricto sensu par son handicap. L’AFC-GE avait défalqué de ses revenus 2018, 2019 et 2020 des montants correspondant aux trajets qu’il avait effectués pour se rendre chez ses divers soignants. En revanche, les décisions querellées ne prêtaient pas le flanc à la critique en tant qu’elles refusaient de déduire de ses revenus les frais de déplacement correspondant aux trajets qu’il avait effectués pour se rendre à son fitness.

La contribuable n’avait produit aucune pièce susceptible de justifier la déduction des frais professionnels qu’elle invoquait, correspondant à la valeur locative du studio situé dans la villa de son époux, qu’elle avait transformé en bureau. À supposer que les faits puissent être considérés comme établis, l’issue du litige n’en serait pas modifiée. Puisque la contribuable disposait d’une place de travail dans les locaux de son employeuse durant l’année fiscale 2020, elle n’était pas fondée à déduire de son revenu les frais d’utilisation d’une pièce privée au motif que son employeuse ne lui mettait pas de bureau à disposition. Les frais effectifs qu’elle pouvait déduire de ses revenus dans le cadre de l’ICC 2020 s’élevaient, dans le meilleur des cas, à un montant inférieur aux déductions totales admises par l’AFC-GE dans ce cadre. Partant, la contribuable ne disposait, en toute hypothèse, d’aucun intérêt à solliciter la modification de sa taxation sur ce point.

D. a. Par acte posté le 11 décembre 2024, A______ et B______ ont recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement précité, concluant à son annulation et à ce qu’il soit ordonné à l’AFC-GE de « prendre en considération l’ensemble des frais de déplacements déclarés et ce, compte tenu de l’état de santé de Monsieur B______, qui ne lui permet pas de prendre les transports publics pour l’ensemble de ses déplacements et ce, à concurrence du surcoût résultant de l’utilisation d’un véhicule individuel au lieu des transports publics », ou d’accorder au minimum le montant de CHF 7'500.- « correspondant à une déduction forfaitaire annuelle correspondant au forfait impotence grave en lieu et place de ses frais effectifs liés à ses difficultés à se mouvoir en lien direct avec son handicap », et de notifier de nouveaux bordereaux tenant compte des considérants.

Le grave handicap du recourant datait de septembre 1980. En raison de ce handicap et de ses difficultés à se mouvoir, il était obligé d’utiliser un véhicule motorisé individuel privé pour l’ensemble de ses déplacements quotidiens. Ses difficultés à se déplacer s’étaient encore aggravées depuis 2010.

Ils ont produit divers documents le concernant, notamment des évaluations et certificats médicaux, une attestation de son fitness, des tableaux récapitulatifs des frais de déplacement par année, des listes détaillées de ses médecins, orthopédiste et physiothérapeutes par année ainsi que des factures d’achat et d’entretien de véhicules.

b. Le 8 janvier 2025, les recourants ont produit une nouvelle pièce, soit un certificat médical du 16 décembre 2024 du Dr I______. Ce dernier certifiait qu’en raison de son handicap, le recourant ne pouvait se mouvoir qu’avec son véhicule individuel, et au besoin un taxi, pour ses déplacements journaliers. Vu sa limitation à un périmètre de marche de 100 mètres au maximum, il était impossible pour lui d’emprunter les transports publics pour l’ensemble de ses déplacements quotidiens.

c. Par réponse du 31 janvier 2025, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours ainsi qu’au maintien de ses décisions. Aucun argument nouveau susceptible d’influer sur le sort du litige n’était avancé, et aucune nouvelle pièce déterminante n’était produite. Le jugement du TAPI du 11 novembre 2024 devait être confirmé.

d. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 21 mars 2025 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

e. Par réplique du 11 mars 2025, les recourants ont insisté sur la pertinence des certificats médicaux fournis, qui attestaient de l’incapacité du recourant à se déplacer au-delà d’un périmètre de 100 mètres. Il leur semblait dès lors inconcevable de ne pas accorder, au minimum, la déduction de CHF 7'500.- « au titre d[e] frais de déplacement pour handicaps graves ».

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 145 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Seul est encore litigieux le point de savoir s’il y a lieu de déduire des revenus du recourant les frais de déplacement qu’il a déclarés durant les années fiscales 2018 à 2020.

2.1 En matière d’impôts directs, le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés dans les dispositions topiques, à savoir les art. 26 à 33a LIFD et les art. 29 à 37 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08 ; art. 25 LIFD ; art. 28 LIPP). Sont déduits du revenu les frais liés au handicap du contribuable ou d’une personne à l’entretien de laquelle il subvient lorsque le contribuable ou cette personne est handicapé au sens de la loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées du 13 décembre 2002 (LHand - RS 151.3) et que le contribuable supporte lui-même les frais (art. 33 al. 1 let. hbis LIFD).

L'art. 32 let. c LIPP a une teneur identique à celle de l'art. 33 al. 1 let. hbis LIFD.

Il ressort du libellé de l'art. 33 al. 1 let. hbis LIFD et de la genèse du texte que toutes les dépenses effectuées en lien avec un handicap ne peuvent pas être déduites du revenu. Seuls sont déductibles les frais liés à un handicap, c'est-à-dire ceux qui sont en principe et dans une large mesure la conséquence directe du handicap au sens de la LHand (arrêt du Tribunal fédéral 9C_655/2022 du 31 octobre 2023 consid. 5.1.1).

2.2 L’AFC-CH a édicté la circulaire n° 11 sur la déductibilité des frais de maladie et d'accident et des frais liés à un handicap. Afin d'assurer l'application uniforme de certaines dispositions légales, l'administration peut expliciter l'interprétation qu'elle leur donne dans des directives. Celles-ci n'ont pas force de loi et ne lient ni les administrés, ni les tribunaux, ni même l'administration. Elles ne dispensent pas cette dernière de se prononcer à la lumière des circonstances du cas d'espèce (ATF 145 II 2 consid. 4.3).

2.3 Les frais sont liés à un handicap lorsqu’ils sont occasionnés (lien de cause à effet) par un handicap et qu’ils ne constituent ni des frais d’entretien courant, ni des dépenses somptuaires. Les frais d’entretien courant sont les dépenses servant à satisfaire les besoins individuels, parmi lesquelles figurent les frais usuels d’alimentation, d’habillement, de logement, de soins corporels, de loisirs et de divertissements. Les dépenses engagées par simple souci de confort personnel ou excessivement élevées qui excèdent ce qui est usuel et nécessaire (dépenses somptuaires telles l’achat d’un fauteuil roulant de course ou l’aménagement d’une piscine) ne sont pas déductibles (circulaire n° 11, ch. 4.2).

Les frais liés à un handicap comprennent en particulier les frais de transport et de véhicule. Les frais de transport pour se rendre chez le médecin, au lieu des thérapies, dans des structures de jour, etc. sont déductibles s’ils sont occasionnés par le handicap. Le montant déductible est plafonné au coût des transports publics ou d’un service de transport de personnes handicapées. Si l’usage de ce genre de transport n'est pas possible ou raisonnablement exigible de la part de la personne handicapée, seuls les frais d’utilisation d’un véhicule motorisé individuel (indemnité kilométrique) peuvent être portés en déduction. Les frais engendrés par d’autres déplacements (en particulier les déplacements récréatifs) ne sont en général pas déductibles au titre de frais liés à un handicap. Ils ouvrent exceptionnellement droit à une déduction si la personne établit de manière plausible qu’elle emprunterait exclusivement les transports publics si elle n’était pas handicapée mais que son handicap ne le lui permet pas. Dans ce cas, ces frais sont déductibles à concurrence du surcoût résultant de l’utilisation d’un véhicule individuel au lieu des transports publics (circulaire n° 11, ch. 4.3.6).

À la place des frais qu’elles ont effectivement supportés, les personnes handicapées peuvent prétendre à une déduction forfaitaire annuelle variant selon leur situation. Les bénéficiaires d’une allocation pour impotence faible peuvent déduire CHF 2'500.-, ceux d’une allocation pour impotence moyenne CHF 5'000.- et ceux d’une allocation pour impotence grave CHF 7'500.- (circulaire n° 11, ch. 4.4).

Le contribuable doit établir la preuve des frais de maladie et d’accident et des frais liés à un handicap dont il se prévaut pour lui-même ou une personne à sa charge au moyen de certificats médicaux, de factures, de justificatifs d’assurance, etc. La nature du handicap et les frais qu’il occasionne peuvent être établis au moyen d’un questionnaire médical. Le contribuable qui prétend à la déduction de frais liés à un handicap peut faire remplir ce questionnaire par son médecin et le joindre à sa déclaration d’impôt (circulaire n° 11, ch. 6).

2.4 En vertu des principes de l'étanchéité des exercices et de la périodicité de l'impôt, chaque exercice est considéré comme un tout autonome, sans que le résultat d'un exercice puisse avoir une influence sur les suivants, et le contribuable ne saurait choisir au cours de quelle année fiscale il fait valoir les déductions autorisées. Les déductions doivent être demandées dans la déclaration d'impôts de l'année au cours de laquelle les faits justifiant l'octroi des déductions se sont produits (ATA/436/2025 du 15 avril 2025 consid. 3.5 ; ATA/1367/2023 du 19 décembre 2023 consid. 6.1) ; plus généralement, les deux principes précités impliquent que tous les revenus effectivement réalisés ainsi que tous les frais engagés durant la période fiscale en cause sont déterminants pour la taxation de cette période (arrêt du Tribunal fédéral 2C_87/2015 du 23 octobre 2015 consid. 8.1.2 ; Message concernant les lois fédérales sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes ainsi que sur l'impôt fédéral du 25 mai 1983, FF 1983 III p. 177).

2.5 Le principe de la légalité gouverne l'ensemble de l'activité de l'État (art. 5 al. 1 et 36 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101). Il revêt une importance particulière en droit fiscal où il est érigé en droit constitutionnel indépendant à l'art. 127 al. 1 Cst., qui prévoit que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l'objet de l'impôt et son mode de calcul doivent être définis par la loi (ATF 135 I 130 consid. 7.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_858/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1). Il exige non seulement que le cercle des contribuables mais également que les exceptions à l'assujettissement soient définies dans une loi au sens formel (ATF 122 I 305 consid. 6b/dd ; 103 Ia 505 consid. 3a).

Les exonérations, exemptions, restitutions ainsi que les déductions ont un caractère exceptionnel et doivent être expressément prévues par des dispositions appelant une interprétation restrictive des normes applicables (ATF 146 II 6 consid. 4.1 ; 143 II 402 consid. 5.3 ; ATA/21/2024 du 9 janvier 2024 consid. 3.6). Le principe de légalité interdit donc d’introduire des déductions fiscales qui ne sont pas prévues par la loi (ATA/1728/2019 du 26 novembre 2019 consid. 4).

2.6 Selon la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public, l’autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés ; cette maxime oblige notamment les autorités compétentes à prendre en considération d’office l’ensemble des pièces pertinentes qui ont été versées au dossier. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l’établissement des faits ; il incombe à celles-ci d’étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu’il s’agit d’élucider des faits qu’elles sont le mieux à même de connaître (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_649/2020 du 10 novembre 2020 consid. 6.4 ; ATA/790/2023 du 18 juillet 2023 consid. 3.7).

2.7 En matière fiscale, il appartient à l’autorité de démontrer l’existence d’éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d’impôts. S’agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d’en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l’échec de cette preuve, ces règles s’appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.5 ; ATA/731/2023 du 4 juillet 2023 consid. 5.4).

3.             En l’espèce, le recourant fait valoir qu’il ne peut utiliser que son véhicule privé pour se déplacer en raison de son handicap et de ses difficultés à se mouvoir. Ces dernières datent de son accident en 1980, et non, comme le laissait entendre le TAPI, du 12 mai 2021 – date de l’attestation du Dr G______ certifiant que « pour des raisons médicales, [il] ne peut se déplacer qu’en véhicule motorisé privé » et que « [l]’utilisation des transports en commun est impossible en raison d’une limitation du périmètre de marche à 100 mètres ».

À titre liminaire, il convient de préciser que le fait que le recourant ne soit pas à même de faire usage des transports publics, en raison de son handicap, et ne puisse se déplacer qu’au moyen de son véhicule motorisé privé n’est pas contesté.

Il importe en revanche de déterminer, pour chacun des frais de véhicule privé déclarés par le recourant, si celui-ci a été occasionné stricto sensu par son handicap.

3.1 Selon l’intéressé, puisqu’il lui est impossible de se déplacer au-delà de 100 mètres sans un véhicule motorisé privé, ses déplacements au fitness doivent être pris en considération dans leur intégralité. Il a produit un certificat médical pour attester que ses trajets au fitness étaient étroitement liés à son handicap. Celui-ci, établi le 5 mai 2022, indique que la « pratique régulière d’exercices ciblés en fitness est indispensable ».

Le TAPI ne peut être suivi lorsqu’il soutient que le fait que ledit certificat a été établi postérieurement aux périodes fiscales litigieuses ne suffit pas pour admettre l’existence d’un lien de cause à effet entre le handicap et ces frais durant les années fiscales 2018, 2019 et 2020. En effet, la chambre de céans constate, comme cela ressort des certificats médicaux produits, que le handicap du recourant ne date pas de 2022. Dès lors, on ne voit pas de raison in casu de retenir que la pratique régulière d’exercices ciblés en fitness n’était pas indispensable de 2018 à 2020 déjà, mais le serait devenue seulement en 2022.

Ainsi, la déduction des frais de trajet au fitness supportés par le contribuable durant les années litigieuses doit être admise.

3.2 Le recourant sollicite également la déduction des frais engendrés par d’autres déplacements, en l’occurrence ceux « nécessaires pour effectuer des tâches essentielles telles que se rendre à la poste, à la pharmacie, à la banque ».

Force est de constater que l’intéressé – alors qu’il supporte le fardeau de la preuve des éléments diminuant sa taxation – n’a pas démontré que s’il n’avait pas été handicapé, il n’aurait pas utilisé un véhicule individuel pour ces autres déplacements, compte tenu de la proximité suffisante des transports publics. C’est pourtant dans cette hypothèse qu’une déduction aurait été admise à concurrence du surcoût résultant de l’utilisation d’un véhicule individuel au lieu des transports publics.

Dans les circonstances présentes, il n’y a donc pas lieu de s’écarter du principe général selon lequel ces frais ne sont pas déductibles au titre de frais « liés à » un handicap.

3.3 Enfin, dans la mesure où le recourant n’a perçu aucune allocation pour impotent durant les années litigieuses, il ne peut pas non plus prétendre à une déduction forfaitaire annuelle « correspondant au forfait impotence grave » – à hauteur de CHF 7'500.- – en lieu et place des frais qu’il a effectivement supportés.

Il découle de ce qui précède que le recours sera partiellement admis et la cause renvoyée à l’AFC-GE pour nouveau calcul des bordereaux ICC et IFD 2018 à 2020, conformément aux considérants qui précèdent. Il sera précisé en tant que de besoin que ledit renvoi ne donne aucune marge d’appréciation aux intimées, dans la mesure où il ne porte que sur les calculs à effectuer en exécution du présent arrêt et sur l’édition de nouveaux bordereaux.

4.             En application de l’art. 87 al. 1 LPA, les recourants, qui succombent dans une large mesure, seront condamnés solidairement au paiement d’un émolument réduit s’élevant à CHF 300.-. Au vu de l’admission partielle du recours, une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 LPA), à la charge de l’État de Genève.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 décembre 2024 par A______ et B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 novembre 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

renvoie la cause à l’AFC-GE pour nouveaux bordereaux ICC et IFD 2018, 2019 et 2020 au sens des considérants ;

confirme le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 novembre 2024 pour le surplus ;

met à la charge solidaire de A______ et B______ un émolument de CHF 300.- ;

alloue à A______ et B______, solidairement entre eux, une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l’État de Genève (administration fiscale cantonale) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature des recourants ou de leur mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à TOUS-MANDATS.CH Sàrl, mandataire des recourants, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Eleanor McGREGOR, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. RAMADOO

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :