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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2224/2025

ATA/1154/2025 du 20.10.2025 ( PRISON ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2224/2025-PRISON ATA/1154/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 octobre 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Dushyantha Janith PIYADIGAMAGE, avocat

contre

B______ intimé



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré à l’Établissement fermé La Brenaz depuis le 5 juin 2024.

Il a fait l’objet, le 6 février 2025, d’une sanction de trois jours de suppression des activités communes en raison de violences physique envers un codétenu, comportement inadéquat, trouble à l’ordre ou à la tranquillité dans l’établissement et pour voir adopté un comportement contraire au but de l’établissement. Le 1er juin 2025, il a été sanctionné d’un avertissement pour insulte d’un codétenu et comportement contraire au but de l’établissement.

b. Selon le rapport d’incident du 24 mai 2025, un appel était parvenu à l’agent de détention à 8h29 lors duquel il avait entendu plusieurs personnes crier et une personne dire : « C’est toi qui a cherché la bagarre ». Le gardien principal avait constaté, le même jour lors de la ronde médicale, que plusieurs détenus se trouvaient dans la cellule d’A______, qui présentait plusieurs petites lésions sur le flanc gauche. Ce dernier avait désigné le détenu A. comme étant son agresseur. Il avait ensuite emmené A______ à l’infirmerie où il avait été soigné. Le rapport complémentaire du même jour, établi par le sous-chef, décrit les images de vidéosurveillance visionné et comporte les déclarations des détenus M. et A.

Le codétenu M., auditionné le 24 mai 2025 à 09h03, a déclaré qu’A______ avait tapé contre la porte de sa cellule le matin en question et que cela avait réveillé tout le monde. Il était énervé en raison de la fouille effectuée la veille. M. l’avait calmé dans sa cellule. Il lui avait dit d’arrêter de réveiller les gens. Il était retourné dans sa cellule et avait entendu des cris. Quand il était allé voir, A______ et A. se dirigeait vers la cellule du précité. Ils parlaient, puis s’étaient mis à se battre. Les deux avaient « tapé ». Lorsqu’il avait vu du sang, il était parti. Ensuite, les agents de détention étaient arrivés.

A. a déclaré au sous-chef l’ayant entendu le même jour à 09h25 qu’A______ était fâché et énervé. Ce dernier avait tapé à sa porte de cellule tôt le matin et l’avait insulté devant les agents de détention. Il lui avait dit de ne pas lui parler comme à un « gamin » et de ne pas l’insulter. A______ avait ensuite quitté sa cellule et lui-même était allé chez le détenu K. A______ l’avait suivi et lui avait dit de venir dans sa cellule en lui disant qu’il devait lui parler. Ils s’étaient parlé et il s’était retrouvé par terre. Il s’était défendu avec ses mains.

c. Selon le rapport du Docteur C______, médecin auprès du département de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) du 26 mai 2025, A______ avait dit s’être fait agresser par un codétenu qui lui reprochait de ne pas le saluer de manière adéquate. Il lui avait demandé de la laisser tranquille, mais le codétenu lui avait donné des coups de lame de rasoir au torse, au flanc gauche, à l’abdomen, à l’oreille gauche et au bras gauche. Selon le rapport médical, l’ensemble des lésions étaient superficielles. Elles avaient été désinfectées, un strip avait été posé et un antalgique prescrit.

d. Entendu sur les faits, A______ a déclaré que le détenu A. était venu dans sa cellule et l’avait agressé. Il n’avait pas eu le temps de venir voir une lame qui l’avait coupé. Il allait porter plainte.

e. Par décision du 24 mai 2025, le sous-chef a infligé à A______ une sanction de trois jours de cellule forte, suppression de toutes les activités, y compris visites, formations, loisirs et repas en commun, pour bagarre, exercice d’une violence physique ou verbale à l’égard d’un codétenu, comportement contraire au but de l’établissement, trouble de l’ordre ou de la tranquillité dans l’établissement.

B. a. Par acte expédié le 23 juin 2025 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette sanction, concluant au constat que celle-ci n’était pas « imposable » et à l’octroi d’une « juste indemnité ». Il a requis, à titre préalable, la nomination d’office de son conseil, l’apport de son dossier de détenu, de son dossier médical, des images de vidéosurveillance ainsi que la tenue d’une audience de comparution personnelle.

Son parcours carcéral était exemplaire. Il avait été agressé de onze coups de rasoir. Pour se défendre, il avait donné des coups de pied en direction de son agresseur en jurant en raison de la douleur liée aux blessures subies. Ses actes de défense étaient licites.

b. La direction de la prison a conclu au rejet du recours.

Elle a produit les images de vidéosurveillance et précisé qu’elle avait remis le dossier du recourant à son conseil. Elle n’avait pas accès au dossier médical et invitait le recourant à le solliciter auprès du service médical pénitentiaire.

Le recourant avait eu une altercation physique avec un codétenu, ce qui contrevenait au régime carcéral. Il ressortait des déclarations des détenus M. et A. et des images de vidéosurveillance qu’il avait eu un rôle actif ayant conduit à l’altercation avec A. La sanction tenait compte de la gravité de la faute et du fait que le recourant avait déjà été sanctionné pour ce type de comportement.

c. Le conseil du recourant est venu visionner les images de vidéosurveillance auprès de la chambre administrative.

d. Avec sa réplique, il a produit copie de l’ordonnance pénale rendue le 24 juin 2025 par le Ministère public déclarant le détenu A. coupable de lésions corporelles simples sur la personne du recourant.

La chambre administrative devait admettre de statuer immédiatement sur la demande d’indemnité, la libération conditionnelle du recourant étant prévue en janvier 2026, ce qui ne lui laisserait pas le temps de faire valoir ses moyens avant son départ de Suisse.

Sa défense était demeurée légitime et proportionnée.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

f. Il ressort de l’ordonnance pénale précitée que le détenu A. a reconnu les faits et qu’il ne pouvait pas se prévaloir de la légitime défense dès lors qu’il s’était rendu dans la cellule du recourant, muni d’une lame de rasoir et avait refermé la porte de la cellule derrière lui.

g. La chambre de céans a visionné les images de vidéosurveillance.

Il sera revenu ci-après, dans la partie « En Droit », sur le contenu de celles-ci.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

En revanche, les conclusions pécuniaires visant à être indemnisé pour trois jours de placement en cellule forte sont irrecevables, la chambre administrative n’étant pas compétente pour se prononcer à cet égard. En effet, de telles prétentions, fondées sur la loi sur la responsabilité de l'État et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40), sont de la compétence du Tribunal civil de première instance (art. 7 al. 1 LREC). Contrairement à ce que souhaiterait le recourant, la chambre administrative ne peut pas créer sa compétence ; elle est à cet égard strictement liée par les dispositions légales régissant sa compétence matérielle et fonctionnelle.

2.             Il ne sera pas procédé aux actes d’instruction sollicités, la chambre de céans étant en mesure de trancher le litige sur la base des éléments d’ores et déjà en sa possession.

3.             Le recourant conteste la sanction, faisant valoir qu’il s’était limité à se défendre.

3.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

3.2 Le statut des personnes incarcérées à La Brenaz est régi par le règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d’exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 (REPSD - F 1 50.08), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 REPSD). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l’égard du personnel, des autres détenus et des tiers (art. 43 REPSD).

3.3 Selon l’art. 43 REPSD, la personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers. Selon l’art. 44 REPSD, il est interdit notamment d'exercer une violence physique ou verbale à l'égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers (let. h), de troubler l'ordre ou la tranquillité dans l'établissement ou les environs immédiats (let. i) et d'une façon générale, d'adopter un comportement contraire au but de l'établissement (let. j).

3.4 Si un détenu enfreint le REPSD, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 46 al. 1 REPSD). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 46 al. 2 REPSD). Le directeur de l’établissement et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer, notamment, les arrêts pour dix jours au plus (art. 46 al. 3 let. d REPSD).

3.5 Quiconque, de manière contraire au droit, est attaqué ou menacé d'une attaque imminente a le droit de repousser l'attaque par des moyens proportionnés aux circonstances ; le même droit appartient aux tiers (art. 15 CP). Si l'auteur, en repoussant l'attaque, a excédé les limites de la légitime défense au sens de l'art. 15 CP, le juge atténue la peine (art. 16 al. 1 CP). Si cet excès provient d'un état excusable d'excitation ou de saisissement causé par l'attaque, l'auteur n'agit pas de manière coupable (art. 16 al. 2 CP).

3.6 La légitime défense suppose une attaque, c'est-à-dire un comportement visant à porter atteinte à un bien juridiquement protégé, ou la menace d'une attaque, soit le risque que l'atteinte se réalise. Il doit s'agir d'une attaque actuelle ou à tout le moins imminente, ce qui implique que l'atteinte soit effective ou qu'elle menace de se produire incessamment (ATF 106 IV 12 consid. 2a ; 104 IV 232 consid. c ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_813/2025 du 10 janvier 2025 consid. 3.1).

Si une preuve stricte n'est pas exigée, la personne se prévalant d’une légitime défense doit rendre vraisemblable l'existence du fait justificatif. Il convient ainsi d'examiner si la version des faits invoquée pour justifier la licéité des actes de légitime défense apparaît crédible et plausible eu égard à l'ensemble des circonstances (Gérard PIQUEREZ/Alain MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3e éd., Genève/Bâle/Zurich 2011, n. 555, p. 189).

La défense doit apparaître proportionnée au regard de l’ensemble des circonstances. On doit notamment examiner la gravité de l'attaque, les biens juridiques menacés par celle‑ci et par les moyens de défense, la nature de ces derniers ainsi que l'usage concret qui en a été fait (ATF 136 IV 49 consid. 3.2 ; 102 IV 65 consid. 2a ; 101 IV 119).

3.7 En l’espèce, les images de vidéosurveillance ne portent que sur le lieu de vie commun et le couloir donnant accès aux cellules. On y voit le recourant entrer calmement dans sa cellule, suivi du détenu A., qui ferme la porte derrière lui. Quelques secondes plus tard, le détenu K. entre également dans la cellule, laissant la porte ouverte, et peu après d’autres détenus s’agglutinent devant la cellule. Après environ deux minutes, le détenu A. en ressort et remonte le couloir en enlevant son t-shirt. Lorsqu’il revient, quelques minutes plus tard dans le couloir, sans son t-shirt, plusieurs détenus le prennent à part, gesticulant et lui parlant avec insistance, l’un d’entre eux saisissant sa main pour voir ce qu’elle contient.

Il est établi que le détenu A., qui a reconnu les faits dans la procédure pénale, a blessé le recourant au moyen d’une lame de rasoir. Il ressort également des photos jointes au rapport médical que les blessures infligées à celui-ci provenaient d’une lame de rasoir. Les déclarations du détenu A. selon lesquelles il s’était défendu avec ses mains sont donc fausses. Par ailleurs, le Ministère public a considéré que A. ne pouvait pas se prévaloir de la légitime défense, dès lors qu’il s’était rendu dans la cellule du recourant, muni d’une lame de rasoir, et avait refermé la porte de la cellule derrière lui.

Le détenu K. a déclaré qu’il avait entendu des cris, était sorti de sa cellule et avait vu le recourant et A. qui se dirigeaient vers la cellule du recourant, s’étaient parlé, puis mis à sa battre. Ce récit est contredit par les images de vidéosurveillance où l’on voit que A. et le recourant sont entrés dans la cellule de ce dernier, dont A. a fermé la porte, et y sont restés quelques instants seuls, avant que le détenu K. ouvre la porte de cette cellule. Celui-ci n’a donc pas assisté au début de l’altercation.

Au vu de ces éléments, il convient de retenir que, s’il est certain que le recourant a subi des lésions infligées par A. au moyen d’une lame de rasoir, il ne peut être considéré qu’il aurait « eu un rôle actif ayant mené à l’altercation » avec A. Comme l’a relevé le Ministère public, A. est entré dans la cellule du recourant, muni d’une lame de rasoir, et en a fermé la porte. Tout porte à croire qu’il entendait en découdre avec le recourant, y compris en faisant usage, le cas échéant, d’une lame de rasoir.

Dans ces circonstances, il y a lieu de retenir que le recourant, qui ne conteste pas s’être défendu avec ses mains, s’est trouvé dans une situation de légitime défense, ce que la chambre administrative peut constater, en l’absence d’une procédure pénale ayant examiné ce point. L’agression au moyen d’une lame de rasoir était susceptible de porter une atteinte grave à la personne du recourant. Sa riposte ne semble pas avoir été disproportionnée. Il se trouvait dans un espace exigu ne lui permettant pas de fuir et son agresseur, lorsqu’il est sorti de la cellule, ne présentait sur les images de vidéosurveillance aucune blessure ni aucun autre signe d’une atteinte à sa personne, se tenant et marchant droit. Il ne s’est d’ailleurs pas plaint d’avoir subi des blessures au cours de cette altercation.

Compte tenu de ce qui précède, le reproche adressé au recourant d’avoir participé à une bagarre et exercé une violence physique sur son codétenu et, ainsi, adopté un comportement contraire au REPSD n’est pas fondé. La sanction doit donc être annulée.

Celle-ci ayant déjà été exécutée, son illicéité sera constatée.

4.             La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument. Le recourant obtenant gain de cause, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- lui sera allouée (art. 87 LPA), et sa demande d’assistance juridique admise.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté le 23 juin 2025 par A______ contre la décision de la direction de B______ du 24 mai 2025 ;

constate le caractère illicite de la sanction de trois jours de cellule forte, suppression de toutes les activités, y compris visites, formations, loisirs et repas en commun du 24 mai 2025 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dushyantha Janith PIYADIGAMAGE, avocat du recourant, ainsi qu'à B______.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY et Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :