Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/400/2025 du 08.04.2025 sur JTAPI/509/2024 ( ICC ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1787/2023-ICC ATA/400/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 8 avril 2025 4ème section |
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dans la cause
A______ SA recourante
représentée par Me Alexandre FALTIN, avocat
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimée
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 mai 2024 (JTAPI/509/2024)
A. a. En 2018, A______ SA (ci-après : la contribuable) était propriétaire des six biens-fonds suivants :
- la parcelle n° 762 à B______, sise chemin C______ ;
- la parcelle n° 1’623 à D______, sise route E______ ;
- la parcelle n° 834 à D______, sise route F______ ;
- la parcelle n°1’301 à B______, sise chemin G______ ;
- la parcelle n° 4’306 à H______, sise chemin I______ ;
- la parcelle n° 5’429 à H______, sise chemin J______.
Il s’agissait de terrains nus ou avec des bâtiments voués à la destruction, sis en zone constructible. La parcelle n° 5’429, une étroite bande de terrain, a été cédée gratuitement à la commune de H______ en 2021, pour servir de passage entre divers immeubles.
b. Par bordereau ICC 2018 du 17 novembre 2022, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a imposé ces parcelles, au titre de l’impôt immobilier complémentaire (ci-après : IIC) au taux de 2‰ applicable aux immeubles appartenant à des sociétés.
c. Sur réclamation de la contribuable, qui se prévalait du taux de 1‰ applicable aux terrains improductifs, le 20 avril 2023 l’AFC-GE a confirmé le bordereau précité en ce qui concerne les six immeubles susmentionnés, au motif qu’ils ne pouvaient pas être qualifiés de terrains improductifs au sens de l'art. 76 al. 4 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05).
B. a. La contribuable a recouru au Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), concluant à la réformation de la décision de taxation en ce sens que les six parcelles considérées devaient être imposées au taux de 1‰.
L’art. 76 al. 4 LCP n’était pas applicable. Les six parcelles étaient des terrains improductifs au sens de l’art. 77 al. 1 LCP, car elles ne produisaient aucun revenu. Le taux applicable était donc de 1‰ et non de 2‰.
b. L'AFC-GE a répondu que l’art. 76 al. 4 LCP était inapplicable, la recourante étant une personne morale. Le caractère improductif d’un terrain au sens de l’art. 77 al. 1 LCP devait résulter de la nature du sol, conformément à la jurisprudence du Tribunal administratif (ci-après : TA ; devenu en 2011 la chambre administrative de la Cour de justice) et du TAPI, ce qui était le cas de la parcelle n° 5'429, improductive vu sa configuration, mais pas des autres parcelles. Celles-ci n’avaient généré aucun rendement car les bâtiments présents étaient inhabitables et destinés à destruction, mais cela était essentiellement dû à la volonté du propriétaire et non à la nature du sol.
c. La contribuable a répliqué que la notion d’improductivité était claire. L’interprétation de la jurisprudence était erronée, car le TA avait admis que l’improductivité pouvait résulter non seulement de raisons inhérentes à la nature de l’immeuble, mais aussi du fait qu'il s'agissait d'un terrain à bâtir. Le sens et le but de l’art. 77 al. 1 LCP justifiaient un IIC plus léger si le terrain ne rapportait rien, car il n’y avait alors pas de rendement pour couvrir l’impôt.
d. En duplique, l’AFC-GE a admis que les terrains improductifs au sens de l’art. 76 al. 4 LCP incluaient aussi les terrains qui étaient improductifs temporairement, en raison de la volonté de l’État (par une loi) ou du propriétaire et non en raison de leur nature. La notion de « terrains complètement improductifs » à l’art. 77 al. 1 LCP était toutefois plus restrictive et visait seulement les terrains qui ne produisaient absolument rien, dans leur entièreté et de manière durable. Il s’agissait des terrains qui n’étaient pas à même de générer des revenus en raison de la nature du sol, et non des terrains à bâtir ou ceux sur lesquels des constructions étaient encore en cours. L’absence de rendements pouvant couvrir l’IIC n’était pas déterminante, car les impôts fonciers, de nature réelle, frappaient l'objet sans égard à la capacité contributive du propriétaire.
e. La contribuable a contesté que le législateur ait instauré de critère temporel à l’art. 77 al. 1 LCP. Le mot « complètement » ne se confondait pas avec « durablement », mais impliquait simplement que l’improductivité d’un terrain ne pouvait être admise si seule une partie du terrain était improductive.
f. Par jugement du 27 mai 2024, le TAPI a partiellement admis le recours. Les terrains litigieux, situés dans une zone constructible, ne pouvaient pas être qualifiés d’improductifs, compte tenu de la jurisprudence du TA et du TAPI. Cette conclusion s’imposait même si le terme « complètement » improductif avait probablement un aspect géographique, et non temporel comme soutenu par l’AFC-GE, car il n’était ni allégué ni démontré que les parcelles détenues étaient intégralement inconstructibles en raison de leur nature ou de leur situation. La question de savoir si l’immeuble avait généré un revenu était sans importance, s’agissant d’un impôt de nature réelle. Le taux réduit était cependant applicable à la parcelle n° 5'429, qui était impropre à la construction.
C. a. Par acte posté le 25 juin 2024, la contribuable a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à sa réformation et à l’application du taux de 1‰ également aux cinq autres immeubles et, subsidiairement, à l'annulation du jugement attaqué et au renvoi de la cause à l’AFC-GE ou au TAPI pour établissement de nouvelles taxations dans le sens des considérants.
La signification du mot « improductif » était claire et la question n’était pas de savoir si le terrain était bâti ou sis en zone constructible, mais s’il produisait des revenus. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif, les terrains improductifs incluaient les terrains à bâtir qui étaient dans un état durablement ou momentanément improductif. Les jugements cités du TAPI contredisaient la jurisprudence du TA, ce qui revenait à un revirement de jurisprudence inadmissible. L’AFC-GE et le TAPI admettaient que la parcelle n° 5'429 remplissait les conditions de l’art. 77 al. 1 LCP, alors qu’elle était sise en zone constructible et ne correspondait pas aux exemples d’improductivité évoqués (glaciers, falaises, marécages).
b. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours. Le terme « complètement improductif » devait être interprété selon le principe du sens donné aux notions par l’institution étatique dans son ensemble. Un terrain n’était complètement improductif au sens de l’art. 77 al.1 LCP que s’il l’était définitivement et en raison de la nature du sol. L’office fédéral de la statistique considérait en effet comme complètement improductives les surfaces non utilisées à des fins agricoles, forestières ou urbanistiques, qui ne produisaient aucune récolte ou ressource économique exploitable, soit principalement les lacs et cours d’eau, les glaciers, les rochers et éboulis ainsi que les zones de végétation improductive. Les exceptions à l’IIC en lien avec les personnes morales devaient être interprétées de manière particulièrement restrictive, vu la volonté du législateur d’éviter que les personnes morales puissent échapper à l’imposition de leurs biens immobiliers et de les faire participer aux dépenses de la collectivité publique occasionnées par les immeubles. L’absence momentanée de revenus générés par le terrain n’était pas pertinente, car la simple existence d’un immeuble sur le territoire du canton ou de la commune provoquait l’assujettissement à l’IIC, indépendamment de la capacité contributive de l’assujetti, comme admis par la doctrine et la Conférence suisse des impôts (ci‑après : CSI) dans son Information fiscale sur l’impôt foncier de janvier 2019.
c. La recourante a contesté le concept d’« interprétation selon le sens donné par l’institution étatique dans son ensemble » et la pertinence du document de l’office fédéral de la statistique pour interpréter l’art. 77 al. 1 LCP. Les travaux préparatoires cités ne concernaient pas le taux applicable aux terrains improductifs. L’impôt étant perçu en fonction de l’état de l’immeuble au 31 décembre de la période fiscale, l’AFC-GE ne pouvait exiger que l’improductivité soit définitive.
d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le litige concerne l’IIC perçu pour l’année fiscale 2018 sur cinq parcelles, le sort de la parcelle n° 5'429 à H______ n’étant plus litigieux.
3. À teneur de l’art. 76 LCP, un impôt immobilier complémentaire de 1‰ est perçu chaque année sur la valeur des immeubles situés dans le canton (al. 1), auprès de la personne inscrite comme propriétaire ou usufruitier au registre foncier (al. 5). L’IIC est perçu sur la valeur des immeubles sans défalcation d’aucune dette (al. 2). Outre dans le cas prévu à l’al. 3, non pertinent en l’espèce, il est réduit à 0.5‰ pour les terrains improductifs dont le maintien constitue un élément de prospérité pour le canton ou peut être considéré d’intérêt général (al. 4). Pour les immeubles appartenant à des personnes morales ayant leur siège dans le canton ou hors du canton, à l’exception des terrains complètement improductifs et des immeubles qui servent directement à l’industrie, au commerce ou à l’exploitation de la personne morale qui les possède, l’art. 77 al. 1 LCP porte le taux à 1.5‰ pour les personnes morales qui ne poursuivent pas un but lucratif (let. a) et à 2‰ pour les sociétés exclusivement immobilières (let. b) ou qui poursuivent un but lucratif (let. c).
4. Est litigieuse la question de savoir si les cinq parcelles concernées doivent être considérées comme complètement improductives au sens de l’art. 77 al. 1 LCP.
4.1 La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge doit rechercher la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur telle qu’elle ressort, entre autres, des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 141 II 280 consid. 6.1 ; 140 II 202 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_961/2016 du 30 mars 2017 consid. 4.1 ; 2C_354/2016 du 13 décembre 2016 consid. 5.1). Le juge ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 135 II 243 consid. 4.1 ; 133 III 175 consid. 3.3.1 ; 133 V 57 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_102/2016 du 20 décembre 2016 consid. 2.3).
4.2 En matière fiscale, le sens d’une norme doit en principe être dégagé en interprétant ses termes en tant que notions de droit fiscal, qui ne correspondent pas nécessairement au sens utilisé dans d’autres domaines, comme la pratique et la science économiques ou le droit civil (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5e éd., 2021, § 4 n. 5 s.). Il est ainsi admis qu’il faut à chaque fois interpréter la norme fiscale pour voir si elle entend ou non reprendre la notion correspondante de droit civil, dont on peut s'écarter lorsque des motifs fondés justifient une interprétation autonome (arrêt du Tribunal fédéral 2C_277/2011 du 17 octobre 2011 consid. 4.2.3 ; ATA/772/2024 du 25 juin 2024 consid. 3.8 ; Xavier OBERSON, op. cit., § 4 n. 5 et 6).
4.3 L’AFC-GE considère que la notion de « terrains complètement improductifs » figurant à l’art. 77 al. 1 LCP vise uniquement une improductivité définitive résultant de la nature même du terrain, à l’exclusion des terrains constructibles.
L’art. 77 al. 1 LCP ne définit pas les « terrains complètement improductifs ». Il n’y a pas non plus de définition légale de la notion de « terrains improductifs » figurant à l’art. 76 al. 4 LCP ainsi qu’à l’art. 50 let. d de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) concernant l’évaluation des « terrains improductifs ou à bâtir ». Les parties s’accordent pour dire que, d’un point de vue littéral, est improductif ce qui ne produit rien, c’est-à-dire ne rapporte aucun revenu ou rendement. Selon la 9e édition du dictionnaire de l'Académie française, improductif signifie tout d'abord « Qui ne produit pas, qui ne rapporte rien », définition associée à l'exemple « Une terre improductive ». Le texte de l’art. 77 al. 1 LCP ne prévoit pas de conditions particulières relatives à la nature, la cause ou la durée de l’absence de revenu ou rendement. Dans le cas d’espèce, il n’est pas contesté que les cinq parcelles litigieuses, bien qu’elles soient constructibles, n’ont généré aucun rendement pendant la période fiscale. Elles sont ainsi a priori improductives au sens de l’art. 77 al. 1 LCP, selon une interprétation littérale de cette disposition.
4.4 L’arrêt du Tribunal administratif du 10 novembre 1976 (publié in RDAF 1977 p. 269), cité dans le jugement attaqué, confirme cette interprétation.
Dans cet arrêt, le TA a rappelé que le taux plus favorable prévu à l’art. 76 al. 4 LCP était soumis à deux conditions : « le caractère de terrain improductif, d'une part, joint à la notion d'élément de prospérité ou d'intérêt général, d'autre part ». Il a poursuivi en ces termes : « La LCP ne définit pas les termes "terrains improductifs", mais assimile ces derniers, pour l'évaluation des immeubles, aux terrains "à bâtir" références omises. Cela ne signifie toutefois pas que les notions de "terrains improductifs" et de "terrains à bâtir" se recouvrent exactement, la première catégorie s'avérant plus vaste que la seconde à cause de la nature même du sol, par exemple glaciers, falaises, marécages, qui peuvent parfois empêcher toute construction » (consid. 5). Il résulte de cet arrêt que l’improductivité du terrain, qui est la première des deux conditions cumulatives prévues à l’art. 76 al. 4 LCP, peut soit résulter de la nature du sol, soit relever d’une seconde catégorie que sont les terrains à bâtir. L’AFC-GE a admis, dans sa duplique devant le TAPI, que l’art. 76 al. 4 LCP ne visait pas que les terrains définitivement improductifs en raison de la nature de leur sol, mais également les terrains temporairement improductifs en raison de la volonté de l’État (par une loi) ou du propriétaire.
Le TA avait admis le caractère improductif du terrain, sur lequel le contribuable ne pouvait pas construire en raison d’une loi relative aux autorisations de construire dans les zones riveraines de l'aéroport et d’une décision du département des travaux publics, même si celui-ci avait, ultérieurement, obtenu une autorisation de construire. Selon l’arrêt, ce « terrain à bâtir, momentanément improductif » ne remplissait par contre « pas l'une ou l'autre des conditions supplémentaires posées à l'art. 76 al. 4 LCP », car il était maintenu à l'état de terrain vague dans l'intérêt exclusif de son propriétaire, sans égard à la poursuite d'un but d'intérêt général en vue duquel le propriétaire consentirait à l'absence d'utilisation ou de rendement de son immeuble, et il n'était, pour divers motifs, pas question de l'intérêt général à la sécurité du trafic aérien non plus (consid. 5). Ces considérations au sujet des intentions du propriétaire et de l’intérêt à l’improductivité ne concernaient pas la condition du caractère improductif du terrain, mais la seconde condition, relative à la prospérité du canton et l’intérêt général, qui est propre à l’art. 76 al. 4 LCP.
4.5 Le jugement attaqué se réfère à deux jugements du TAPI qui se fondent sur l’arrêt susmentionné.
Dans ses jugements des 7 septembre 2020 (JTAPI/745/2020) et 26 février 2024 (JTAPI/163/2024), le TAPI a tout d’abord considéré qu’il convenait de se référer à l’arrêt du Tribunal administratif de 1976, rendu en application de l’art. 76 al. 4 LCP, pour interpréter la notion de terrains complètement improductifs figurant à l’art. 77 al. 1 LCP.
Dans son jugement du 7 septembre 2020, le TAPI a ensuite cité le passage de l’arrêt qui décrivait les deux catégories de terrains improductifs, à savoir les terrains à bâtir et les terrains inconstructibles par la nature du sol (consid. 9). Il a continué en indiquant que l’AFC‑GE, en se fondant essentiellement sur cet arrêt, considérait que le caractère improductif au sens de l’art. 77 al. 1 LCP ne dépendait pas de la volonté du propriétaire ou de l’État mais de la nature du sol, à l’exclusion des terrains litigieux, qui étaient constructibles et donc pas improductifs par nature (consid. 10). Le TAPI a conclu que, « au vu de la jurisprudence rappelée ci‑dessus », les parcelles en cause (sur lesquelles les travaux de construction étaient en cours mais pas encore terminés) ne pouvaient pas être considérées comme complètement improductives. Cette conclusion a été reprise, sans autre examen, dans le jugement du TAPI du 26 février 2024.
Or, la conclusion tirée dans le jugement du 7 septembre 2020 contredit l’arrêt sur lequel le TAPI déclarait se fonder. Le TA n’a pas considéré que les terrains à bâtir sont exclus du taux réduit du fait qu’ils ne sont improductifs que momentanément et pas définitivement en raison de leur nature, mais a, au contraire, confirmé que le caractère improductif peut aussi être donné dans un tel cas. La motivation très succincte du jugement ne permet pas de comprendre pourquoi le TAPI s’écartait de l’arrêt du TA et de savoir si cela procédait d’une lecture erronée de l’arrêt auquel il disait pourtant se référer ou d’une volonté délibérée et, dans ce cas, quels en étaient les motifs. Dans ces circonstances, l’on ne saurait sans autre suivre la jurisprudence du TAPI et il convient de se référer directement à l’arrêt du Tribunal administratif sur lequel elle se fonde et dont la teneur a été exposée ci-dessus.
4.6 L’autorité administrative se prévaut d’une interprétation selon le sens donné aux notions par l’institution étatique dans son ensemble et se réfère à la notion de « surface improductive » utilisée par l’office fédéral de la statistique.
4.6.1 D’une manière générale, l’approche préconisée par l’AFC-GE ne correspond pas aux méthodes d’interprétation reconnues rappelées ci‑dessus. L’autorité intimée n’explicite pas le fondement légal, jurisprudentiel ou doctrinal d’une interprétation par « l’institution étatique dans son ensemble » et elle n’explique pas comment cette démarche s’articulerait avec le principe selon lequel les concepts de droit fiscal doivent en général être interprétés en tant que tels.
4.6.2 L’instance étatique mentionnée par l’AFC-GE, à savoir l’office fédéral de la statistique, œuvre dans un domaine de l’activité administrative totalement étranger au droit fiscal, régie par une réglementation propre très éloignée de la LCP. Il s’agit d’une autorité fédérale nullement concernée par les impôts, qu’ils soient fédéraux ou relèvent de la compétence exclusive des cantons, comme c’est le cas de l’IIC, impôt cantonal non harmonisé sur le plan fédéral.
Le document produit, un extrait d’une page intitulé « Vue d’ensemble : l’utilisation du sol en évolution », concerne les statistiques relatives à l’utilisation du sol suisse, qui classent les surfaces en quatre catégories selon le type d’occupation : habitat et infrastructure, agriculture (y compris les alpages), surfaces boisées (forêts et bosquets) et surfaces improductives. Ces dernières sont décrites comme « peu ‑ voire pas du tout - exploitées par l’être humain » et comprenant « avant tout les lacs et les cours d’eau, mais aussi les zones de montagne recouvertes de végétation improductive, de rochers, d’éboulis et de glaciers ». Ce document, de nature descriptive, ne contient pas de définition légale de la notion de « surfaces improductives » qui y figure et n’envisage pas, parmi les exemples d’occupation possible, les terrains qui sont constructibles mais qui ne sont pas déjà occupés par l’habitat ou l’infrastructure. Le fait que les exemples de surfaces improductives donnés dans ce document seraient, s’ils se trouvaient dans le canton de Genève, considérés comme improductifs au sens de l’art. 77 al. 1 LCP en raison de la nature de leur sol, ne permet pas d’en déduire qu’ils sont les seuls à pouvoir être qualifiés comme tels, étant rappelée la jurisprudence cantonale, qui inclut une seconde catégorie que sont les terrains à bâtir.
Pour ces motifs, le document produit et la pratique de l’office fédéral de la statistique qu’il reflète ne sont pas pertinents pour interpréter l’art. 77 al.1 LCP.
4.7 La distinction faite par l’autorité intimée entre « terrains improductifs » et « terrains complètement improductifs » ne convainc pas.
Dans la mesure où, littéralement, le mot improductif signifie « ce qui ne produit rien », un terrain dont ne serait-ce qu’une partie produit des revenus n’est pas improductif, que cet adjectif soit ou non précédé du mot « complètement ». L’autorité intimée ne semble d’ailleurs pas toujours différencier les deux notions, notamment lorsqu’elle propose d’interpréter le terme « complètement improductifs » figurant à l’art. 77 al. 1 LCP à la lumière de la notion de surfaces simplement « improductives » utilisée par l’office fédéral de la statistique. L’adverbe « complètement » signifie « de manière complète ». La chambre administrative considère, comme le TAPI, que ce mot n’a pas de portée temporelle et qu’il n’est pas synonyme de « durablement » ou « définitivement ». L’on ne saurait, par une interprétation large de ce seul adverbe, introduire une condition supplémentaire relative à la nature du sol ou au caractère durable ou permanent de l’improductivité, qui ne ressort pas du texte de la loi. C’est le lieu de rappeler que devant le TAPI, l’AFC-GE fondait l’idée que le terrain devait être improductif par la nature du sol et non par la volonté du propriétaire ou de l’État, sur l’arrêt du TA de 1976 tel qu’interprété par le TAPI dans son jugement du 7 septembre 2020. Or, comme exposé, cette interprétation n’est pas déterminante dans la mesure où le TA avait précisément admis que les terrains à bâtir pouvaient faire partie des terrains improductifs, même si leur improductivité était momentanée.
5. L’interprétation historique et téléologique ne conduit pas à un résultat différent.
5.1 Il ressort des travaux préparatoires que l’introduction de l’IIC visait non seulement à réduire les droits de mutation, jugés trop élevés, mais également à atteindre les propriétaires de biens immobiliers qui, grâce à la défalcation totale des créances hypothécaires, pouvaient n’avoir à payer pour leurs immeubles aucune taxe sur la fortune. La nouvelle taxe devait aussi empêcher la formation de sociétés anonymes ayant pour but essentiel d’échapper à l’impôt ou de réduire les effets de sa progressivité. L’éclosion de sociétés purement immobilières privait l’État de ressources importantes. Alors que les immeubles appartenant aux personnes physiques changeaient nécessairement de propriétaire à des intervalles plus ou moins rapprochés, soit par réalisation, soit par dévolution, et qu’à l’occasion de ces changements l’autorité fiscale percevait des droits de mutation ou d’enregistrement, le transfert des biens immobiliers appartenant aux sociétés purement immobilières et aux autres sociétés, qui pouvaient rester plusieurs générations dans les mêmes mains, ne procurait aucune recette à l’État (MGC 1923 A 44-54, p. 48 s ; MGC 1923 I 373-424, p. 380 s. ; MGC 1932 A 601-603, p. 601 s.). L’IIC applicable aux personnes morales visait à contrebalancer un privilège, dès lors que les personnes physiques payaient un impôt progressif et étaient exposées à payer des droits de mutation (MGC 1923 I 373-424, p. 386). L’IIC devait ainsi frapper d’une taxe de 1‰ les immeubles appartenant à des personnes physiques et de 2‰ ceux appartenant à des personnes morales, taux abaissé à 1½ ‰ en commission (MGC 1923 A 44-54, p. 48 s ; MGC 1923 I 373-424, p. 402, 407 et 414), puis augmenté à 2‰ en 1932 (MGC 1932 A 601-603).
5.2 Seule est litigieuse la question de savoir si les terrains imposés sont improductifs, ce qui les soumettrait à un taux différent que celui qui s’applique aux autres immeubles détenus par des sociétés. Les travaux préparatoires n’abordent pas ce point. Ils n’explicitent en particulier pas les motifs à l’origine de l’exception aménagée pour les terrains improductifs et ne viennent ainsi ni confirmer ni infirmer les affirmations de la recourante selon lesquelles cette exception visait à ne pas surimposer des immeubles qui ne génèrent aucun rendement ou à permettre de couvrir l’impôt au moyen des rendements obtenus. Comme le relève l'autorité intimée, il ressort des travaux parlementaires que le législateur a voulu soumettre les personnes morales à un taux d’IIC plus élevé que les personnes physiques, pour compenser certains privilèges. Il ressort cependant de la lettre de la loi qu’il a en même temps voulu exclure les terrains improductifs de ce taux plus élevé. L’existence même de cette exception démontre que le législateur a considéré qu’il ne se justifiait pas de porter le taux de l’IIC à 2‰ pour les terrains qui ne produisent aucun revenu, mais les raisons à l’origine de cette considération ne ressortent pas des travaux parlementaires. Ceux-ci n’amènent ainsi pas d’éléments décisifs pour l’interprétation de la notion litigieuse en l’espèce.
5.3 C’est à juste titre que le jugement attaqué et l’AFC-GE rappellent que l'assujettissement à l’IIC est provoqué par la simple présence de l’immeuble sur le territoire du canton et qu’en tant qu’impôt dit réel, il ne frappe que l'objet considéré, sans égard à la capacité contributive de son propriétaire. Indépendamment de la nature de l’Information fiscale de mars 2019 concernant l’impôt foncier éditée par la Conférence suisse des impôts (CSI) mentionnée dans ce contexte, qui, sans en être une, reflète les sources de droit en la matière (en l’occurrence cantonales ou communales), force est de constater que ce document n’aborde pas la question des terrains improductifs.
Le fait que l’assujettissement d’un bien immobilier à un impôt réel comme l’IIC ne dépende pas de la capacité contributive de son propriétaire, ne signifie en tout cas pas qu’il est sans importance de savoir s’il a généré un revenu ou non, vu qu’il s’agit, en droit genevois, d’un critère déterminant pour le qualifier le cas échéant de terrain improductif au sens des art. 76 al. 4 ou 77 al. 1 LCP. C’est le lieu de relever que l’admission du caractère improductif d’un terrain pour une période fiscale déterminée ne préjuge en rien son traitement fiscal à l’avenir. S’agissant plus particulièrement des terrains à bâtir, qui peuvent par exemple être en attente d’autorisations de construire ou sur lesquels les travaux de construction sont à terminer, leur situation est susceptible d’évoluer et ils seront soumis aux taux prévus aux let. a à c de l’art. 77 al. 1 LCP dès qu’ils seront devenus productifs.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer la jurisprudence du TA selon laquelle la notion de terrains complètement improductifs figurant à l’art. 77 al. 1 LCP n’est pas limitée aux terrains qui sont durablement improductifs en raison de leur nature, mais peut également viser certains terrains à bâtir qui ne produisent aucun revenu ou rendement. Ainsi, lorsque, comme dans l’arrêt précité du TA, un terrain est constructible mais ne produit pas de rendement en raison d’une réglementation légale ou d’une décision administrative, ou lorsque le propriétaire est en attente d’une telle décision, notamment une autorisation de construction, il y a lieu de le qualifier d’improductif et d’appliquer le taux d’IIC de 1‰. La chambre de céans considère, en revanche, que lorsque l’improductivité résulte uniquement de la volonté de la société propriétaire du terrain, le choix de celle-ci de renoncer à tout rendement ne justifie pas une réduction du taux habituellement applicable aux immeubles appartenant à une société et l’IIC doit être calculé au taux de 2‰.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis partiellement et le jugement querellé annulé. Le dossier ne permettant pas à la chambre administrative de déterminer si, dans le cas d’espèce, l’improductivité des terrains litigieux est due uniquement à la volonté de la recourante ou si elle résulte d’autres facteurs, la cause sera renvoyée au TAPI pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants précités.
6. Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée à la recourante, qui y a conclu et a eu recours aux services d’un mandataire (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 25 juin 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 mai 2024 ;
au fond :
l’admet partiellement ;
annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 mai 2024 (JTAPI/509/2024) ;
renvoie le dossier au Tribunal administratif de première instance pour instruction complémentaire et nouvelle décision ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;
alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 1’000.-, à la charge de l’État de Genève (administration fiscale cantonale) ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Alexandre FALTIN, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. SCHEFFRE
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| la présidente siégeant :
E. McGREGOR |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| le greffier : |