Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/388/2025 du 08.04.2025 sur JTAPI/824/2024 ( ICCIFD ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3330/2023-ICCIFD ATA/388/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 8 avril 2025 4ème section |
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dans la cause
Hoirie de feu A______, soit B______, C______ et D______ recourants
représentés par Me Mattia DEBERTI, avocat
contre
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimées
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 26 août 2024 (JTAPI/824/2024)
A. a. Feu A______, décédé en septembre 2020, et son frère E______, tous deux agriculteurs, étaient propriétaires de la parcelle n° 1'922, issue de la division de l’ancienne parcelle n° 301, sise dans la commune de G______, en bordure de l’établissement fermé de F______. Cette parcelle est située en zone agricole et borde plusieurs terrains affectés à la zone agricole, qui se trouvent dans la commune de H______.
L’établissement de F______ se trouve sur la parcelle n° 1'080, au ______, chemin H______, dans la commune de G______, en zone de bois et forêts et en zone 4A destinée à des équipements publics. Cette parcelle est propriété de l’État de Genève.
Jouxtant la parcelle n° 1'080, la parcelle n° 1’922 appartient désormais aussi à l’État de Genève et abrite un parking et un cordon boisé, vu les événements suivants.
b. L'hoirie de feu A______ est composée de ses trois enfants, B______, C______ et D______.
B. a. Par arrêté du 19 mars 2014, le Conseil d’État a approuvé l’acte de promesse de vente et d’achat entre lesdits agriculteurs et l’État de Genève concernant la parcelle n° 1'922 de la commune de G______ sous la dénomination « site pénitentiaire F______ II », compte tenu de la loi n° 11272 ouvrant un crédit pour l’agrandissement dudit établissement, du dossier d’autorisation de construire y relatif et du projet de modification des limites de zones dit « F______ II » sur les communes de G______ et de H______ concernant la parcelle n° 1’922. Cette promesse de vente et d’achat a été conclue devant notaire les 17 et 19 mars 2014.
Le prix de vente dû auxdits agriculteurs était fixé à CHF 1'399'544.-. Cette somme se décomposait de la manière suivante : un montant de CHF 67'344.- fixé à hauteur de CHF 8.- le m2 pour la surface de 8'418 m2 destinée à être reboisée et un montant de CHF 1'332'200.- pour le solde de la parcelle, destinée au site pénitentiaire et fixée à hauteur de CHF 100.- le m2. L’État de Genève consentait également à verser aux agriculteurs une indemnité pour perte de culture de CHF 0.50 cts le m2 par année, calculé pro rata temporis entre l’enregistrement de l’acte et le jour de la vente définitive.
Cette promesse de vente était subordonnée à la réalisation des trois conditions suspensives suivantes : l’obtention par les agriculteurs d’une décision exécutoire de la Commission foncière agricole (ci-après : CFA) autorisant la division de leur ancienne parcelle n° 301 et le désassujettissement de la sous-parcelle correspondant à la nouvelle parcelle n° 1'922 ; l’obtention de l’accord du conseil municipal de la commune de H______ autorisant la vente, par cette dernière, de la parcelle n° 2’022 aux agriculteurs ; et l’obtention par ceux-ci de la CFA de l’autorisation d’acquérir cette parcelle n° 2'022 de la commune de H______.
b. L’extension de l’établissement pénitentiaire F______ II sur la parcelle n° 1’080 de la commune de G______ a été autorisée en novembre 2013 (DD 1______).
c. En mai 2014, la plantation d’une forêt sur l’ancienne parcelle n° 301 de la commune de G______, appartenant aux agriculteurs précités, a été autorisée conformément à la compensation de défrichement prévue dans l’autorisation DD 1______ (DD 2______).
d. Le projet susmentionné de modification de limites de zones dit « F______ II » prévoyait, sur la parcelle n° 1’922, la création d’une zone de bois et forêts pour une surface de 8'418 m2 et d’une zone de développement 4A affectée à de l’équipement public pour une surface de 13'192 m2. Il a fait l’objet du projet de loi n° 11695 déposé par le Conseil d’État, le 23 juillet 2015, auprès du Grand Conseil en vue de l’extension de l’établissement F______ I. Selon ce projet de loi, la réalisation de l’équipement public sur la parcelle n° 1'922 était déclarée d’utilité publique, de sorte que l’acquisition des immeubles et droits nécessaires à la réalisation pouvait être poursuivie par voie d’expropriation. La parcelle n° 1'922 faisait partie de l’inventaire des surfaces d’assolement (SDA) et générait une perte de celles-ci, sans affecter le quota cantonal fixé par le plan sectoriel fédéral. L’emprise du projet d’extension de F______ se faisait sur une surface boisée, alors classée en zone des bois et forêts, ce qui rendait nécessaire un défrichement d’une surface de 8'418 m2 ; celui-ci serait compensé par ledit projet de loi prévoyant la création d’une forêt sur la parcelle n° 1’922. L’autorisation de construire DD 1______ et l’autorisation de défrichement n° 3______ étaient entrées en force.
C. a. Par décision du 22 septembre 2014 (recte : 2015), la CFA a autorisé la division de l’ancienne parcelle n° 301, prononcé le désassujettissement de la nouvelle parcelle n° 1'922 à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11) et requis la mention du non-assujettissement de cette parcelle auprès du registre foncier.
Compte tenu des éléments précités et constatant que le parking extérieur et la plantation d’une forêt sur la parcelle n° 1'922 avaient déjà été réalisés, cette dernière n’était dès lors plus appropriée à l’agriculture et pouvait donc être désassujettie.
b. Par acte notarié des 22 décembre 2015 et 1er février 2016, la commune de H______, en vertu d’une délibération de son conseil municipal du 24 février 2014, a vendu aux agriculteurs précités, acquéreurs en copropriété pour une moitié chacun, la parcelle n° 2'022, sise dans la commune de H______, en zone agricole, d’une surface de 32'436 m2. Le prix de vente s’élevait à CHF 194'616.-.
Cette vente avait été autorisée par décision de la CFA du 13 mai 2014, selon laquelle cette parcelle n° 2'022 était assujettie à la LDFR, les deux acheteurs étaient des exploitants agricoles au sens de l’art. 9 LDFR et le prix convenu n’était pas surfait.
c. Par acte notarié des 22 décembre 2015 et 29 février 2016, les agriculteurs précités ont vendu à l’État de Genève la nouvelle parcelle n° 1'922, d’une surface de 21'740 m2, en exécution de la promesse de vente, pour un prix de vente fixé à CHF 1'399'544.-. Cet acte concernait à la fois cette vente et la division parcellaire de l’ancienne parcelle n° 301 en deux nouvelles parcelles n° 1'922 et n° 1'923. Cette opération était autorisée par la décision précitée de la CFA.
D. a. Le 28 juin 2016, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) a établi le « bordereau » relatif aux impôts sur les bénéfices et gains immobiliers (ci‑après : IBGI) de 2016 à l’égard de feu A______. Le montant d’impôt était fixé à CHF 150'204.10, sur la base d’un prix de vente total de CHF 699'772.-, d’un gain immobilier imposable de CHF 447'036.- et d’un taux de 33,6 % pour une durée de possession de 49 ans.
b. Le contribuable a formé réclamation contre ce « bordereau » IBGI 2016 en juillet 2016. Cette procédure a abouti à un jugement du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) du 19 février 2018 confirmant l’irrecevabilité de la réclamation prononcée par l’AFC en septembre 2017 compte tenu de la jurisprudence cantonale ne soumettant pas à recours la communication fiscale indiquant au contribuable le montant à consigner au titre d’IBGI (JTAPI/154/2018).
c. Pendant cette procédure, le Grand Conseil a refusé, le 2 mars 2017, le projet de loi précité concernant la modification des limites de zones dit « F______ II ».
d. Le 31 juillet 2019, l’AFC a notifié au contribuable les bordereaux et avis de taxation concernant les impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) et l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) pour l’année 2016.
Un montant de CHF 612'769.- avait été pris en compte dans son revenu brut, à titre de bénéfice net de son activité indépendante exercée sous société simple avec son frère. Selon l’avis de taxation y relatif, le prix de vente licite du terrain selon la LDFR était de CHF 173'920.- (21'740 m2 x CHF 8.-), montant auquel était déduit un coût d’acquisition de CHF 11'384.- ; la part exonérée au sens des normes topiques relatives aux ICC et IFD était ainsi de CHF 162'536.- (CHF 173'920.- - CHF 11'384.-). La somme de CHF 1'225'624.- (soit la différence entre le prix de vente contractuel de CHF 1'399'544.- et la part exonérée de CHF 162'536.-) représentait le bénéfice imposable total et sa quote-part se montait à la moitié, soit CHF 612'812.-. En était déduit une somme de CHF 43.- liée à l’impôt immobilier complémentaire, pour arriver au montant de CHF 612'769.- ajoutée à son revenu.
Le décompte final ICC 2016 imputait l’IBGI fixé à CHF 150'204.10 sur le montant de l’impôt dû.
e. Dans sa réclamation de fin août 2019, le contribuable s’est plaint de ne plus pouvoir bénéficier des privilèges fiscaux faute de pouvoir qualifier la parcelle vendue d’agricole en raison d’un changement qu’il n’avait pas pu anticiper. Il avait vendu, avec son frère, la parcelle n° 1'922 à l’État de Genève pour éviter une procédure d’expropriation. Ils auraient préféré continuer à exploiter leur ancienne parcelle au lieu de devoir la diviser pour en vendre une partie à un prix certes supérieur à celui de la zone agricole, mais environ quinze fois inférieur au prix de la zone à bâtir. Il s’agissait d’une transaction immobilière inévitable répondant à un but d’utilité publique, soit l’agrandissement de l’établissement fermé de F______.
Dans une écriture complémentaire, il soutenait qu’un montant de CHF 182'456.85 devait être déduit du bénéfice imposable fixé à CHF 612'812.-, puisque lui et son frère, copropriétaire de la parcelle, avaient dû payer ce montant à chacun des deux cohéritiers de cette parcelle, à titre de droit au gain. Rappelant la chronologie des événements précités, notamment l’acquisition de la parcelle n° 2'022 en remplacement de la parcelle vendue pour les besoins de leur exploitation agricole, il estimait que les conditions du remploi étaient réunies. Ainsi, un montant de CHF 97'308.-, correspondant à la moitié du prix d’achat de la parcelle n° 2'022, devait être déduit de l’assiette de calcul de l’impôt. En conséquence, le bénéfice net imposable était de CHF 333'004.15, et non de CHF 612'769.-.
f. Par deux décisions distinctes du 1er septembre 2023, l’AFC a rejeté la réclamation de feu A______ et maintenu ses taxations ICC et IFD de 2016, sous réserve d’une modification de la taxation non pertinente pour le présent litige.
La parcelle n° 1'922 n’était plus soumise à la LDFR au moment de sa vente, après son désassujettissement par la CFA, de sorte qu’elle ne pouvait plus être qualifiée d’immeuble agricole. Ainsi, le produit en résultant ne pouvait pas bénéficier d’une imposition privilégiée et devait être taxé à titre de revenu.
Le fait d’être devenu copropriétaire avec son frère, à raison d’une moitié chacun, de l’ancienne parcelle n° 301 à la suite d’un acte de donation du 20 septembre 2007, ne changeait rien au fait que les éventuels bénéfices résultant d’une aliénation étaient imposables en le chef du propriétaire et vendeur du bien. La jurisprudence précisait que le droit au gain résultait d’un partage des biens des cohéritiers et servait à l’ajustement successoral.
La possibilité du remploi, en cas de remplacement de biens immobilisés nécessaires à l’exploitation, était soumise à des conditions : les biens immobilisés acquis en remploi devaient aussi être nécessaires à l’exploitation et se trouver en Suisse. La parcelle n° 2'022 avait été acquise en 2016 au prix de CHF 194'616.-, pour une surface de 32'436 m2, soit CHF 6.- le m2. Toutefois, la réalisation des réserves latentes correspondant à la partie du prix excédant le prix maximum licite d’un immeuble agricole ne pouvait pas bénéficier du remploi au sens de la loi cantonale, car la partie excédentaire ne correspondait pas à des actifs nécessaires à l’exploitation, cette plus-value étant due au fait que le terrain était désassujetti de la LDFR et n’était donc plus adapté à l’agriculture. Il ne pouvait pas être question de similarité de fonctions lorsqu’un bien-fonds était cédé à un prix au m2 nettement supérieur à celui de la parcelle acquise en remplacement.
g. Par jugement du 26 août 2024, le TAPI a rejeté le recours des héritiers du contribuable contre les deux décisions sur réclamation, après avoir requis les états financiers 2016 de l’activité agricole des agriculteurs.
Le produit de la vente de la parcelle n° 1'922 ne pouvait pas bénéficier du privilège fiscal instauré par les art. 18 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et art. 19 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), puisque cette parcelle ne répondait plus à la notion d’immeuble agricole depuis son désassujettissement à la LDFR prononcé par la CFA le 22 septembre 2015.
Le montant de CHF 182'456.85 versé à chacun des deux co-héritiers de leur père, correspondant à un droit au gain au sens de l’art. 28 LDFR, ne devait pas être déduit du bénéfice réalisé sur la vente de la parcelle n° 1'922, contrairement à la demande du contribuable. Cette somme constituait une affectation du bénéfice, qui n’était pas pertinente fiscalement. Elle n’avait ainsi aucune incidence sur le calcul du revenu imposable du contribuable et ne constituait pas non plus une charge justifiée par l’usage commercial.
La demande du contribuable de voir la moitié du prix d’acquisition de la parcelle n° 2'022 (soit CHF 97'308.-) soustraite du bénéfice réalisé lors de la vente de la parcelle n° 1'922, au motif que la parcelle n° 2'022 avait été acquise en remploi, n’était pas examinée par le TAPI. Ce dernier a laissé ouverte la question de savoir si cette dernière remplissait les conditions pour servir de bien de remploi à la vente de la parcelle n° 1'922. En effet, en remplissant le formulaire pour l’IBGI le 7 avril 2016, le contribuable n’avait pas coché la case « remploi » (ch. 4.4, p. 2). Il aurait pourtant dû le faire si la parcelle n° 2'022 avait servi de remploi car il l’avait déjà acquise au moment où il avait vendu la parcelle n° 1'922. Par ailleurs, il ne ressortait pas des comptes 2016 de l’exploitation agricole des frères agriculteurs qu’en 2016, la parcelle n° 2'022 avait fait l’objet d’un amortissement. La demande de remploi, sollicitée pour la première fois dans le complément de réclamation du 30 septembre 2019, ne pouvait dès lors être admise.
E. a. Par acte déposé au guichet le 26 septembre 2024, les héritiers du contribuable ont interjeté recours contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation et au renvoi du dossier à l’AFC pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le privilège fiscal applicable aux immeubles agricoles devait être appliqué à la vente de la parcelle n° 1'922. Malgré son désassujettissement à la LDFR, cette parcelle se trouvait toujours, tout comme au moment de sa vente, en zone agricole, hors de la zone à bâtir, contrairement aux affaires citées par le TAPI impliquant un déclassement en zone à bâtir. De plus, au moment de sa vente, cette parcelle faisait partie de l’entreprise agricole de feu leur père et de son frère depuis des décennies, ce qui n’était pas contesté, et était intégrée chaque année dans la surface agricole utile (SAU) de leur entreprise agricole. La condition de l’utilisation agricole licite de la parcelle était aussi réunie, puisque celle-ci n’était visée par aucune zone de protection. L’utilisation agricole y était donc licite. Remplissant toutes les conditions de l’art. 2 al. 1 let. a et b LDFR, la parcelle n° 1'922 était assujettie à la LDFR « ex lege » et répondait à la définition d’un immeuble agricole pouvant bénéficier d’une imposition privilégiée.
Son désassujettissement n’aurait pas dû être prononcé par la CFA. L’usage « non agricole de la parcelle venait à peine de s’interrompre au moment de la vente » et il était toujours possible qu’elle retrouve un usage agricole à l’avenir, le parking n’ayant été construit que par un terrassement et la pose de gravier, ce qui était une situation réversible. L’autorisation de sa vente à l’État de Genève pour la création d’un parking aurait dû être prononcée sur la base de l’art. 65 al. 1 let. a LDFR. Ainsi, la parcelle n° 1'922 conservait malgré tout son affectation agricole et il était possible de continuer à l’utiliser à des fins agricoles. La décision de la CFA quant à son désassujettissement ne pouvait pas être utilisée à des fins fiscales pour taxer différemment les contribuables en l’assimilant à un terrain déclassé en zone à bâtir. D’ailleurs, le prix moyen de la vente de cette parcelle était de CHF 64.35 le m2, ce qui était très éloigné du prix moyen au m2 en zone à bâtir à Genève.
Dans ces circonstances et en vertu de l’art. 8 al. 1 2e phr. LHID, les gains découlant de la vente de ladite parcelle ne pouvaient pas être inclus dans les revenus de l’activité indépendante des agriculteurs, mais pouvaient seulement être imposés conformément à la réglementation de l’IBGI. Comme la détention de l’immeuble était supérieure à 25 ans, le taux d’imposition du gain était nul. Cette taxation devait être annulée.
À titre subsidiaire seulement se posait la question du remploi, puisqu’une partie du produit de cette vente avait été affectée à l’acquisition d’une parcelle de remplacement sur la commune de H______ pour le prix de CHF 194'616.-. Le fait de ne pas avoir coché la case du remploi dans le formulaire IBGI du 7 avril 2016 et de ne pas avoir prévu d’amortissement en 2016 ne trouvaient in casu « pas de justification ». La question du remploi se posait en lien avec la taxation ordinaire du contribuable, qui pouvait seulement être contestée au stade de la réclamation et au moment de laquelle il pouvait faire valoir « ses déductions, notamment en remploi ». Il en allait de même pour l’absence d’amortissement dans la comptabilité des agriculteurs. En effet, dans la mesure où ces derniers considéraient que le gain réalisé par la vente de l’immeuble devait être soumis à l’IBGI, il aurait été contraire à leur thèse de prévoir un amortissement dans leur comptabilité pour la parcelle acquise en remplacement. Ils auraient prévu cet amortissement si le produit réalisé par la vente de la parcelle n° 1'922 avait été intégré dans leurs comptes de 2016. Ils s’étonnaient du raisonnement du jugement querellé, qui permettait d’intégrer le produit de la vente dans leur revenu imposable sans leur donner la possibilité de faire valoir les « déductions y relatives, notamment l’amortissement découlant du bien acquis en remploi ». L’AFC n’avait d’ailleurs pas refusé la « déduction du remploi » pour tardiveté, mais estimait qu’il n’y avait pas de similarité de fonction entre le bien vendu et celui acquis en remplacement.
En l’espèce, le terrain, sis en zone agricole, affecté à des cultures de rente avait été remplacé par un autre terrain, avec une affectation identique, de sorte que la condition de la nécessité pour son entreprise était indiscutable. L’exigence de « l’égalité de fonction » n’était plus applicable depuis la réforme de l’imposition des entreprises II entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Les conditions des art. 30 LIFD et 21 LIPP étaient donc réalisées, ce d’autant plus que la pratique admettait un délai de deux ans dès la conclusion du contrat de vente. Ce délai avait été in casu respecté. La parcelle n° 1'922 d’une surface de 21'740 m2 avait été remplacée par la parcelle n° 2'022 d’une surface de 32'436 m2 pour combler directement les besoins de leur exploitation agricole. Les agriculteurs avaient ainsi vendu un bien nécessaire à leur exploitation et réinvesti une partie du produit de la vente pour acquérir un bien de remplacement, tout autant nécessaire à leur exploitation. Les art. 30 al. 1 et 64 al. 1 LIFD étaient donc pleinement applicables à leur cas, à titre subsidiaire. Ils pouvaient ainsi prétendre à une « déduction » de CHF 97'308.- pour le bien acquis en remploi dans l’hypothèse où le produit réalisé par la vente de la parcelle n° 1'922 venait à être intégré aux revenus de leur activité professionnelle d’agriculteurs.
b. L’AFC a conclu au rejet du recours, précisant que le prix obtenu pour la vente de la parcelle n° 1'922 n’était pas de CHF 64.35 le m2, mais de CHF 100 le m2, montant très supérieur au prix maximum licite de CHF 8.- le m2 pour la vente d’une parcelle située en zone agricole.
c. Les recourants ont persisté dans leurs conclusions, en soulignant que le prix de vente au m2 de la parcelle n° 1'922 (soit CHF 64.-, et non CHF 100.-) était largement inférieur au prix du marché en zone à bâtir. Le prix moyen d’un terrain non bâti en zone 5 était en 2016 de CHF 1'474.- le m2 et en zone 4 de développement à CHF 694.- le m2. Sa parcelle n’avait donc pas été vendue comme si elle se trouvait en zone constructible et n’avait d’ailleurs jamais été déclassée, puisqu’elle se trouvait toujours en zone agricole. Concernant la question du remploi, l’absence d’amortissement dans les comptes 2016 de l’exploitation agricole s’expliquait par le fait que les deux parcelles, celle vendue et celle acquise en remploi, faisaient partie de la fortune privée du contribuable et de son frère.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile par les héritiers du contribuable, destinataires du jugement litigieux, devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 2 loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 60 al. 1 let. a et b et 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).
2. Le présent litige porte sur la détermination du revenu imposable du père des recourants dans le cadre de sa taxation ICC et IFD de 2016. Plus particulièrement, la question litigieuse concerne le traitement fiscal du produit de la vente de la parcelle n° 1'922, par le contribuable et son copropriétaire, à l’État de Genève, aux fins de l’agrandissement de l’établissement pénitentiaire existant dans la parcelle adjacente.
2.1 Le montant de l’IBGI n’est pas contesté dans la présente procédure de recours. De plus, les recourants ne remettent plus en cause l’absence de prise en compte des montants versés, à titre de droit au gain au sens de l’art. 28 LDFR, aux cohéritiers de la parcelle n° 1'922. Ces éléments ne font donc plus partie de l’objet du litige devant la chambre administrative.
2.2 S’agissant de la conclusion subsidiaire tendant au remploi sollicité par le père des recourants dans le cadre de la procédure en réclamation devant l’AFC, il y a lieu de rappeler que le département (soit pour lui, l’AFC, art. 4 al. 1 LPFisc) jouit des mêmes compétences dans la procédure de réclamation que dans celle de taxation (art. 42 al. 1 LPFisc). Il peut, dans le cadre de la décision sur réclamation, après instruction, déterminer à nouveau tous les éléments de l’impôt et, après avoir entendu le contribuable, également modifier la taxation au désavantage de celui-ci (art. 43 al. 1 LPFisc). Il en va de même dans la procédure de recours pour le TAPI (art. 50 al. 2 et 51 LPFisc) ainsi que pour la chambre administrative (art. 54 LPFisc). Dès lors et pour les raisons exposées plus bas, la question de savoir si le fait, pour le contribuable, de se prévaloir du remploi au stade de la réclamation seulement, et non déjà au stade de la déclaration fiscale et du formulaire IBGI, constitue un comportement contraire au principe de la bonne foi, excluant l’examen du remploi par l’autorité de recours, peut rester ouverte dans les circonstances particulières du présent cas. En effet, bien que le remploi ne constitue pas en soi une déduction fiscale (art. 9 et 10 LHID ; art. 27 LIFD ; art. 30 LIPP) contrairement à ce que semblent penser les recourants, il est susceptible d’avoir, à certaines conditions et dans la mesure des réserves latentes reportées (art. 30 LIFD ; art. 8 al. 4 LHID ; art. 21 LIPP), une influence sur le revenu imposable et le montant de l’impôt dû en 2016 par le contribuable à titre d’ICC et IFD. La conclusion tendant à l’examen du remploi reste donc dans le cadre de l’objet du litige.
2.3 Par ailleurs, il n’est pas contesté qu’avant sa vente à l’État de Genève, le père des recourants et son frère, tous deux agriculteurs, ont utilisé la parcelle n° 1'922 à des fins agricoles dans le cadre de leur exploitation agricole, et ce pendant plusieurs années. Leur statut d’exploitants agricoles au sens de la LDFR ressort d’ailleurs explicitement de l’autorisation de la CFA relative à leur acquisition de la parcelle n° 2'022. Dans ces circonstances, il y a lieu d’admettre, contrairement à ce que semblent penser les recourants, que ces deux parcelles font partie de la fortune commerciale puisqu’elles répondent à la définition de cette notion au sens des art. 19 al. 3 LIPP, 8 al. 2 LHID et 18 al. 2 phr. 3 LIFD. En effet, selon ces dispositions, la fortune commerciale comprend tous les éléments de fortune qui servent entièrement ou de manière prépondérante à l’exercice de l’activité lucrative indépendante. Le fait que les agriculteurs aient acquis la parcelle n° 1'922 à la suite d’une donation, dans le cadre d’une succession, n’affecte pas son utilisation exclusivement agricole dans le cadre de leur exploitation professionnelle, à tout le moins jusqu’au moment de son aliénation.
2.4 Enfin, les arguments des recourants visant à remettre en cause la décision de la CFA de septembre 2015 prononçant le désassujettissement de la parcelle n° 1'922 à la LDFR, sont exorbitants au présent litige. Cette décision, non contestée, est d’ailleurs entrée en force. Une éventuelle application erronée du droit, telle que soutenue par le recourant, ne peut en outre pas constituer un motif de révision de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_467/2019 du 24 janvier 2020 consid. 4.1 et les arrêts cités).
3. Il convient d’identifier le traitement fiscal du produit de la vente de la parcelle n° 1'922 ayant servi à l’activité lucrative indépendante du père des recourants, agriculteur. Ces derniers soutiennent, à titre principal, que ce produit doit bénéficier du privilège fiscal propre aux immeubles agricoles au sens des art. 18 al. 4 LIFD, 8 al. 1 phr. 1 in fine LHID et 19 al. 5 LIPP. À titre subsidiaire, ils revendiquent l’application du remploi en vertu des art. 30 LIFD, 8 al. 4 LHID et 21 LIPP.
3.1 Tous les bénéfices en capital provenant de l’aliénation, de la réalisation ou de la réévaluation comptable d’éléments de la fortune commerciale font partie du produit de l’activité lucrative indépendante (art. 18 al. 2 phr. 1 LIFD, art. 8 al. 1 phr. 1 ab initio LHID, art. 19 al. 2 LIPP).
3.2 Les bénéfices provenant de l’aliénation d’immeubles agricoles ou sylvicoles ne sont ajoutés au revenu imposable que jusqu’à concurrence des dépenses d’investissement (art. 18 al. 4 LIFD, art. 8 al. 1 phr. 1 in fine LHID, art. 19 al. 5 ab initio LIPP). L’art. 19 al. 5 in fine LIPP précise que la part de bénéfice qui excède les dépenses d’investissement est soumise à l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers à titre définitif. L’art. 8 al. 1 phr. 2 LHID réserve l’art. 12 al. 4 LHID. La part du produit d’aliénation supérieure aux dépenses d’investissement (prix d’acquisition ou autre valeur s’y substituant, impenses) d’un immeuble agricole ou sylvicole, soit la plus-value, est soumise à l’impôt sur les gains immobiliers (art. 12 al. 1 LHID ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_467/2019 précité consid. 3.2).
3.2.1 Ainsi, les gains provenant de l'aliénation d'immeubles agricoles ou sylvicoles bénéficient de l'exception selon laquelle seuls les amortissements récupérés sont soumis à l'impôt fédéral et cantonal sur le revenu, alors que le gain issu d'une augmentation de valeur à proprement parler est soumis exclusivement à l'impôt sur le gain immobilier cantonal et communal et n'est pas assujetti à une imposition au plan fédéral (ATF 138 II 32). L'imposition limitée des immeubles agricoles et sylvicole équivaut à une exonération partielle de l'impôt sur le revenu, du moment que le gain provenant de l'aliénation de tout autre immeuble faisant partie de la fortune commerciale est soumis entièrement à l'impôt sur le revenu (arrêt du Tribunal fédéral 2C_467/2019 précité consid. 3.3).
3.2.2 Lorsqu’on se trouve dans un cas d’application de l’art. 18 al. 4 LIFD, la prise en compte globale des amortissements cumulés s’impose au plan fiscal, même si le bilan comptabilise de manière distincte les terres et les constructions. Cette conclusion du Tribunal fédéral découle du lien systématique étroit entre les art. 18 al. 4 LIFD et art. 12 al. 1 LHID. Dans le contexte agricole et sylvicole, le législateur a voulu délimiter la part du gain immobilier relevant de l’impôt sur le revenu (à savoir, au maximum, la part correspondant aux amortissements qui avaient pu être antérieurement déduits de l’impôt fédéral direct, soit les amortissements récupérés), de celle qui relève de l’impôt sur les gains immobiliers (soit la plus-value conjoncturelle), sans qu’il y ait de double imposition ni de lacune d’imposition. Il est ainsi conforme au droit fédéral de considérer que l’ensemble des amortissements cumulés ayant été portés en déduction du revenu imposable font partie des dépenses d’investissement au sens de l’art. 18 al. 4 LIFD dans un cas où le recourant a transféré ses immeubles agricoles de sa fortune commerciale à sa fortune privée lorsqu’il a cessé son activité agricole en 2014, ce qui constitue une réalisation systématique au sens de l’art. 18 al. 2 LIFD (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2018 du 25 mars 2020 consid. 4.4 et 4.5).
3.3 L’art. 12 LHID règle l’impôt sur les gains immobiliers. Il distingue l’aliénation des immeubles appartenant à la fortune commerciale du contribuable (al. 4) de celle concernant des immeubles agricoles ou faisant partie de la fortune privée du contribuable (al. 1).
3.3.1 Selon l’art. 12 al. 1 LHID, l’impôt sur les gains immobiliers a pour objet les gains réalisés lors de l’aliénation de tout ou partie d’un immeuble faisant partie de la fortune privée du contribuable ou d’un immeuble agricole ou sylvicole, à condition que le produit de l’aliénation soit supérieur aux dépenses d’investissement (prix d’acquisition ou autre valeur s’y substituant, impenses). Pour les immeubles faisant partie de la fortune commerciale du contribuable, l’art. 12 al. 4 LHID dispose que les cantons peuvent percevoir l’impôt sur les gains immobiliers également sur les gains réalisés lors de l’aliénation desdits immeubles, à condition que ces gains ne soient pas soumis à l’impôt sur le revenu ou sur le bénéfice ou que l’impôt sur les gains immobiliers soit déduit de l’impôt sur le revenu ou sur le bénéfice (phr. 1).
3.3.2 En vertu de l’art. 12 al. 3 let. d LHID, l’imposition est différée en cas d’aliénation totale ou partielle d’un immeuble agricole ou sylvicole, à condition que le produit de l’aliénation soit utilisé dans un délai raisonnable pour l’acquisition d’un immeuble de remplacement exploité par le contribuable lui-même ou pour l’amélioration d’immeubles agricoles ou sylvicoles appartenant au contribuable et exploités par lui-même.
Il en va de même s’il s’agit d’immeubles appartenant à la fortune commerciale du contribuable, dans les deux cas visés par l’art. 12 al. 4 LHID, s’il s’agit de faits visés à la let. a de cette norme. Parmi ces faits, figure l’hypothèse de l’art. 8 al. 4 LHID : lorsque des biens immobilisés nécessaires à l’exploitation sont remplacés, les réserves latentes de ces biens peuvent être reportées sur les biens immobilisés acquis en remploi, si ces biens sont également nécessaires à l’exploitation et se trouvent en Suisse (phr. 1).
3.3.3 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la prorogation de l’imposition prévue par l’art. 12 al. 3 LHID signifie qu’un transfert constituant en soi un acte d’aliénation n’est cependant pas soumis à imposition. Tout se passe, sous l’angle de l’impôt sur les gains immobiliers, comme si le transfert n’avait pas eu lieu ou, en d’autres termes, comme s’il n’y avait pas eu réalisation d’un gain. La prorogation n’implique toutefois pas une exemption définitive. Le mécanisme du report d’imposition ne constitue pas une exonération fiscale (ATF 141 II 207 consid. 4.2.1). En effet, l’augmentation de valeur qui s’est produite entre la dernière aliénation imposable et l’acte prorogeant l’imposition n’est que provisoirement pas taxée ; l’imposition est simplement différée jusqu’à nouvelle aliénation imposable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_786/2023 du 10 octobre 2024 consid. 4.3.1 et les arrêts cités).
3.4 L’application du privilège fiscal relative à l’aliénation des immeubles agricoles et sylvicoles (art. art. 18 al. 4 LIFD, art. 8 al. 1 phr. 1 in fine LHID, art. 19 al. 5 ab initio LIPP) présuppose l’existence d’un immeuble agricole. Dès lors, la qualification de l’immeuble est cruciale pour bénéficier dudit privilège fiscal.
C’est cette question qui a été examinée par le Tribunal fédéral dans l’arrêt de référence 2C_11/2011 du 2 décembre 2011, publié in ATF 138 II 32, traduit in JdT 2013 I 39 et in RDAF 2012 II 117, cette dernière publication étant suivie d’une note critique de Bastien VERREY au sujet dudit arrêt.
3.4.1 Selon cette jurisprudence, ledit privilège fiscal est limité puisque la notion d' « immeuble agricole et sylvicole » doit être interprétée en conformité avec le champ d'application et de protection ainsi que les restrictions d'aliénation prévus par le droit foncier rural. L'exception ne s'applique donc pas à un terrain non bâti situé intégralement en zone à bâtir qui ne constitue pas l'« aire environnante appropriée » d'un bien-fonds comprenant des bâtiments et installations agricoles (ATF 138 II 32 consid. 2.2. et 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_467/2019 précité consid. 3.4).
3.4.2 Selon Yves NOËL, il s’agit d’un arrêt très controversé qui a profondément modifié le dispositif fiscal des aliénations d’immeubles agricoles. Le régime spécial prévu à l’art. 18 al. 4 LIFD n’est désormais plus applicable qu’aux parcelles situées en zone agricole. Pour les parcelles hors zone agricole, même exploitées comme telles par l’agriculteur, le régime ordinaire des aliénations commerciales (art. 18 al. 2 LIFD) s’applique. Cet auteur explique que pour le Tribunal fédéral, le régime spécial de l’art. 18 al. 4 LIFD relève du « privilège », qui ne se justifie que lorsqu’il est contre-balancé par les restrictions à l’aliénation prévue dans la LDFR. Si donc la parcelle n’est pas soumise à cette législation, parce que située hors zone agricole, elle n’a pas droit à ce régime. Par simplification, l’arrêt retient en outre qu’il n’y a pas à revenir sur le passé, en distinguant la période antérieure au changement de zone de celle qui lui est consécutive. L’entier du gain est soumis à l’impôt sur le revenu. L’auteur est critique avec cet arrêt fédéral, considérant que le lien entre régime spécial de l’art. 18 al. 4 LIFD et la LDFR est une « pure création jurisprudentielle » qui ne repose sur aucun des travaux préparatoires de l’une ou l’autre loi (Yves NOËL in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand – Impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, n. 93a ad art. 18 LIFD).
3.4.3 Dans la présente espèce, la parcelle litigieuse ne se trouve pas en zone à bâtir, mais est restée en zone agricole, après sa vente à l’État de Genève – finalisée en février 2016 – liée à l’agrandissement de l’établissement pénitentiaire adjacent, compte tenu du refus du Grand Conseil du 2 mars 2017 concernant le déclassement envisagé par le projet de loi n° 11695. Elle ne tombe donc en tant que tel pas dans le champ d’application de l’arrêt de référence précité du Tribunal fédéral.
La question se pose toutefois de savoir si cette parcelle peut pour ce seul motif bénéficier du privilège fiscal susmentionné ou si les immeubles sis en zone agricole doivent également répondre aux critères posés par ledit arrêt de référence, dans la mesure où celui-ci vise à définir la condition essentielle d’application dudit privilège posée par les normes fiscales susmentionnées. Cette question est en l’espèce d’autant plus sensible que la parcelle litigieuse ne répond plus à la notion d’immeuble agricole au sens de la LDFR, après le prononcé de son désassujettissement à cette loi par la décision de la CFA en septembre 2015, entrée en force, qui fait au surplus l’objet d’une mention au registre foncier.
4. Il convient ainsi, après quelques rappels généraux, de passer en revue la jurisprudence fédérale ayant suivi l’arrêt de référence précité de décembre 2011, pour identifier les conditions d’application de cette jurisprudence fédérale et déterminer les critères applicables à la qualification de la parcelle litigieuse, sise in casu en zone agricole et ayant toujours été utilisée à des fins agricoles par des exploitants agricoles au sens de la LDFR dans le cadre de leur activité professionnelle, jusqu’à sa vente à l’État de Genève due à l’agrandissement de l’établissement pénitentiaire adjacent.
4.1 La zone agricole est régie par les art. 16 ss de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700). Elle sert à garantir la base d’approvisionnement du pays à long terme, à sauvegarder le paysage et les espaces de délassement et à assurer l’équilibre écologique ; elle doit être maintenue autant que possible libre de toute construction en raison de ses différentes fonctions (art. 16 al. 1 ab initio LAT). Les autorisations ordinaires en zone agricole sont régies par les art. 16a à 16b LAT.
Hors de la zone à bâtir, il est possible de déroger au principe selon lequel l’autorisation de construire est délivrée en cas de conformité à l’affectation de la zone (art. 22 al. 2 let. a LAT), conformément aux art. 24 ss LAT. Tel est en particulier le cas, en vertu de l’art. 24 LAT, pour de nouvelles constructions ou installations ou pour tout changement d’affectation si l’implantation de ces constructions ou installations hors de la zone à bâtir est imposée par leur destination (let. a) et qu’aucun intérêt prépondérant ne s’y oppose (let. b).
4.2 La LDFR poursuit plusieurs objectifs (art. 1 al. 1 LDFR), notamment encourager la propriété foncière rurale (let. a) et lutter contre les prix surfaits des terrains agricoles (let. c). Elle contient des dispositions sur différents objets (art. 1 al. 2 LDFR), tels que l’acquisition des entreprises et des immeubles agricoles (let. a) et le morcellement des immeubles agricoles (let. c). Son champ d’application général est prévu à l’art. 2 LDFR.
4.2.1 En vertu de l’art. 2 al. 1 LDFR, cette loi s’applique aux immeubles agricoles isolés ou aux immeubles agricoles faisant partie d’une entreprise agricole : a) qui sont situés en dehors d’une zone à bâtir au sens de l’art. 15 LAT, et b) dont l’utilisation agricole est licite. L’art. 2 al. 2 LDFR dispose que cette loi s’applique en outre : a) aux immeubles et parties d’immeubles comprenant des bâtiments et installations agricoles, y compris une aire environnante appropriée, qui sont situés dans une zone à bâtir et font partie d’une entreprise agricole ; b) aux forêts qui font partie d’une entreprise agricole ; c) aux immeubles situés en partie dans une zone à bâtir, tant qu’ils ne sont pas partagés conformément aux zones d’affectation ; d) aux immeubles à usage mixte, qui ne sont pas partagés en une partie agricole et une partie non agricole. L’art. 2 al. 3 LDFR prévoit une exception à son application pour certains terrains de moindre étendue.
4.2.2 L’art. 6 LDFR définit la notion d’immeuble agricole. Est agricole l’immeuble approprié à un usage agricole ou horticole (al. 1).
4.2.3 Des restrictions de droit public dans les rapports juridiques concernant les entreprises et les immeubles agricoles sont prévues aux art. 58 ss LDFR (titre 3). Elles concernent le morcellement des immeubles agricoles, en principe interdit sous réserve d’exceptions et d’autorisations exceptionnelles (art. 58 à 60 LDFR), et l’acquisition des entreprises et immeubles agricoles (art. 61 à 69 LDFR). Celui qui entend acquérir une entreprise ou un immeuble agricole doit obtenir une autorisation (art. 61 al. 1 LDFR), sous réserve des exceptions prévues dans la loi, notamment l’acquisition faite dans le cadre d’une expropriation (art. 62 let. e LDFR). L’acquisition par les pouvoirs publics est spécialement régie à l’art. 65 LDFR. Selon son al. 1, l’acquisition par la collectivité ou par ses établissements est autorisée quand : elle est nécessaire à l’exécution d’une tâche publique prévue conformément aux plans du droit de l’aménagement du territoire (let. a).
4.2.4 L’art. 86 al. 1 LDFR prévoit la mention au registre foncier dans deux cas : a) immeubles agricoles situés dans la zone à bâtir qui sont régis par la LDFR (art. 2) ; b) immeubles non agricoles situés en dehors de la zone à bâtir qui ne sont pas régis par la LDFR (art. 2). Par ailleurs, les dispositions de procédure et les voies de recours contre les décisions prises en vertu de la LDFR figurent à son titre 5 (art. 80 ss LDFR).
4.3 L’arrêt de référence du Tribunal fédéral 2C_11/2011 précité (ATF 138 II 32 = JdT 2013 I 39 = RDAF 2012 II 117) concerne une parcelle sise en zone à bâtir, contrairement à la présente espèce après le revirement de situation dû au refus susévoqué du Grand Conseil du 2 mars 2017.
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral part du constat que la notion d’immeuble agricole et sylvicole n’est pas définie dans les dispositions fiscales. Sa définition doit tenir compte de trois lois spécifiques, à savoir la LDFR, la LAT et la loi fédérale du 29 avril 1998 sur l’agriculture (LAgr – RS 910.1), dont le but commun est de préserver, en faveur de l’entreprise agricole, la propriété de la terre agricole qui représente un facteur de production essentielle pour l’économie nationale. La notion fiscale d’« immeuble agricole et sylvicole » doit être concrétisée en harmonie avec le champ d’application et de protection ainsi qu’avec les restrictions à l’aliénation qui dérivent du droit foncier rural. Ainsi, on ne doit parler d’un immeuble privilégié fiscalement que lorsque les conditions de la LDFR sont valablement réunies. Cela est principalement le cas dans l’hypothèse de l’art. 2 al. 1 LDFR, soit les immeubles agricoles isolés ou les immeubles faisant partie d’entreprise agricole, situés en dehors d’une zone à bâtir au sens de l’art. 15 LAT et dont l’utilisation agricole est licite. L’application de la LDFR, et par conséquent aussi de la règle fiscale dérogatoire en question, vaut pour les quatre cas spécifiques énumérés à l’art. 2 al. 2 LDFR (consid. 2.2.1). Jusqu’alors était appliqué le critère de l’utilisation effective de l’immeuble par l’agriculteur pour déterminer le traitement fiscal applicable. Cette approche est écartée par cette jurisprudence dans le sens déjà évoqué plus haut (consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_908/2019 du 20 octobre 2020 consid. 2.2.1 ; 2C_255/2019 du 9 mars 2020 consid. 2.2.1).
4.3.1 Dans l’arrêt 2C_467/2019 du 24 janvier 2020, cité par le jugement querellé et rappelé ci-dessus, le Tribunal fédéral s’est fondé sur la décision, erronée, de l’autorité compétente, selon laquelle l’immeuble en cause était agricole. Cette décision, rendue avant la publication de l’arrêt de référence du 2 décembre 2011 au recueil officiel début mai 2012, était erronée en ce sens que les recourants ne contestaient pas que la parcelle aliénée n’était pas soumise à la LDFR. Comme le bénéfice de l’aliénation de la parcelle avait déjà été soumis à l’impôt cantonal sur les gains immobiliers, l’autorité fiscale n’avait pas ajouté ledit bénéfice au revenu imposable sur le plan cantonal. En revanche, l’autorité cantonale avait, à raison selon le Tribunal fédéral, tenu compte de ce revenu pour l’IFD, l’immeuble en cause devant être qualifié d’immeuble commercial non agricole (consid. 4.1. et 4.2).
4.3.2 Selon l’arrêt 2C_255/2019 du Tribunal fédéral du 9 mars 2020, l'art. 18 al. 4 LIFD ne prévoit aucune condition préalable, dans la mesure où l'utilisation et l'affectation ultérieures de l'immeuble n'ont pas d'importance. L'état de fait présuppose uniquement une qualification d'immeuble agricole et/ou sylvicole jusqu'au prélèvement privé ou à l'aliénation. Le fait que l'acquéreur retire irrévocablement l'immeuble litigieux du cycle agricole n'empêche pas l'application de l'art. 18 al. 4 LIFD. Il est toutefois indispensable que l'immeuble ait été protégé par le droit foncier rural jusqu'à son aliénation (point de vue rétrospectif ; consid. 2.2.3 et arrêt cité).
Cet arrêt précise également que l'imposition sur la base de l'art. 18 al. 2 phr. 2 LIFD respectivement de l'art. 18 al. 4 LIFD ne doit intervenir que lorsqu'il est établi de manière irréfutable que la réalisation relevant de la systématique fiscale a effectivement eu lieu. Dans le champ d'application de l'art. 18 al. 4 LIFD, le prélèvement privé a un effet de réduction d'impôt. Dans la question de fait de savoir si et, le cas échéant, quand le transfert a eu lieu, le fardeau de la preuve incombe donc au contribuable (théorie des normes ; consid. 2.2.5).
4.3.3 Dans un arrêt 2C_247/2020 du 18 juin 2020, le Tribunal fédéral a d’abord rappelé son arrêt de référence rendu en 2011, selon lequel par « immeuble agricole », il faut entendre les immeubles qui sont soumis au droit foncier rural selon LDFR, c’est-à-dire principalement des terrains situés en dehors de la zone à bâtir au sens de l'art. 15 LAT, sur lesquels une exploitation agricole est autorisée (art. 2 al. 1 LDFR) et qui se prêtent objectivement à une exploitation agricole (art. 6 al. 1 LDFR ; ATF 138 II 32 consid. 2.2.1 et 2.3.1). Il a ensuite précisé, à l’appui de différents arrêts, que cette jurisprudence avait été complétée à plusieurs égards. Ainsi, les immeubles, qui ne sont pas soumis au droit foncier rural en raison d'une surface insuffisante (art. 2 al. 3 LDFR), constituent néanmoins des immeubles agricoles au sens des art. 18 al. 4 LIFD et 8 al. 1 LHID, tant qu'ils se prêtent objectivement à une exploitation agricole au sens de l'art. 6 al. 1 LDFR. À l'inverse, le contribuable ne peut pas se prévaloir du privilège des art. 18 al. 4 LIFD et 8 al. 1 LHID, pour cause d'abus de droit, lorsqu'il aliène un immeuble soumis en soi à la LDFR, mais qu'il ne respecte pas les prescriptions de la LDFR, comme l'interdiction de morcellement de l'art. 58 al. 2 LDFR (consid. 3.1).
Dans cette affaire, les terrains concernés par le litige n'avaient jamais été classés en zone à bâtir, mais avaient toujours été situés en dehors de la zone à bâtir, de sorte qu’il ne pouvait être affirmé que le recourant avait vendu du terrain à bâtir. Cela étant, il était admis que les acquéreurs des trois parcelles n'avaient pas l'intention de les utiliser à des fins agricoles. Toutefois, l'utilisation et l'affectation ultérieures du terrain étaient sans importance pour l'octroi du privilège fiscal relatif aux immeubles agricoles (art. 8 al. 1 in fine LHID). Le fait que les acquéreurs retirent irrévocablement l'immeuble litigieux du cycle agricole ne s'opposait ainsi pas à l'application de la norme cantonale prévoyant ledit privilège fiscal, tant que l'immeuble remplissait les exigences d'un immeuble agricole ou forestier jusqu'à sa réalisation (point de vue rétrospectif ; consid. 3.5.2 et les arrêts cités).
Dans la mesure où, dans cette affaire, le terrain vendu se trouvait entièrement en zone agricole avec une zone de hameau superposée, il restait en principe soumis à la protection du droit foncier et remplissait les conditions de la norme cantonale prévoyant le privilège fiscal pour les immeubles agricoles, s’il était resté apte à l’exploitation agricole jusqu’à son morcellement. Dès lors, selon le Tribunal fédéral, le critère essentiel était de savoir si et, le cas échéant, quand la parcelle mère avait perdu son aptitude à l’exploitation agricole. Car si, au moment de l'aliénation et des prélèvements privés, les trois parcelles ne se prêtaient pas à une exploitation agricole au sens de l'art. 6 al. 1 LDFR, il ne s'agissait pas d'immeubles agricoles et, par conséquent, la différence entre les frais d'investissement et le produit de l'aliénation ou la valeur de réalisation devait également être soumise à l'impôt sur le revenu. Dans le cas contraire, cette partie devait être exclue de l'impôt sur le revenu en vertu de la norme cantonale en cause (consid. 3.6).
4.4 Ainsi, il découle de la jurisprudence précitée que le critère essentiel, y compris pour des parcelles sises hors de la zone à bâtir, est que la parcelle aliénée puisse être qualifiée d’immeuble agricole au sens de l’art. 6 al. 1 LDFR, c’est-à-dire qu’elle soit apte à l’exploitation agricole, jusqu’au moment de son aliénation. L’utilisation et l’affectation ultérieure du terrain, après sa vente, n’est pas déterminante pour l’application du privilège fiscal propre aux immeubles agricoles prévu par les dispositions fiscales susmentionnées.
5. Dès lors et conformément aux arrêts 2C_255/2019 et 2C_247/2020 précités, la question décisive est in casu de savoir si, au moment de son aliénation, la parcelle n° 1’922 a perdu son aptitude à l’usage agricole au sens de l’art. 6 al. 1 LDFR.
5.1 La particularité du présent cas est que la décision de la CFA prononçant le désassujettissement de la parcelle n° 1'922 a eu lieu le 22 septembre 2015, soit entre l’acte notarié de la promesse de vente et achat des 17 et 19 mars 2014 et celui de la vente définitive des 22 décembre 2015 et 29 février 2016. C’est à juste titre que les autorités précédentes ont retenu le moment de la vente notariée comme moment déterminant de la qualification de l’immeuble puisqu’il correspond au moment de son aliénation, c’est-à-dire du transfert de propriété de l’immeuble du vendeur à l’acheteur.
5.1.1 En effet, certes, selon le Tribunal fédéral, lorsqu’une promesse de vente – faite par acte authentique en vertu de l’art. 216 al. 2 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) – contient tous les éléments du contrat de vente immobilière, elle vaut vente et donne directement naissance aux prétentions qui seraient issues d’un contrat de vente (ATF 129 III 264 consid. 3.2.1 ; Bénédict FOËX/Irène MARTIN-RIVARA in Luc THÉVENOZ/Franz WERRO [éd.], Commentaire romand – Code des obligations I, 3e éd., 2021, n. 22 ad art. 216 CO). Parmi les éléments essentiels devant revêtir la forme authentique, on compte la désignation des parties et de l’immeuble vendu, l’indication du prix de vente, les engagements de transférer la propriété et de l’acquérir et l’engagement de payer le prix (ibid., n. 10 ad art. 216 CO).
Toutefois, les ventes conditionnelles d’immeuble ne sont inscrites au registre foncier qu’après l’avènement de la condition (art. 217 al. 1 CO). Cette disposition vise certaines modalités de l’inscription de la propriété au registre foncier (Bénédict FOËX/Edouard BENOIT, op. cit., n. 2 ad art. 217 CO). Sont ici visées les conditions suspensives au sens de l’art. 151 CO. Parmi celles-ci, peuvent figurer les conditions légales, telle que celle d’obtenir une autorisation au sens de la LDFR, si les parties le demandent (ibid., n. 3 et 8 ad art. 217 CO). L’art. 218 CO renvoie d’ailleurs, pour l’aliénation des immeubles agricoles, à la LDFR dont certaines dispositions ont été évoquées plus haut.
Selon l’art. 151 CO, le contrat est conditionnel, lorsque l’existence de l’obligation qui en forme l’objet est subordonnée à l’arrivée d’un événement incertain (al. 1). Il ne produit d’effets qu’à compter du moment où la condition s’accomplit, si les parties n’ont pas manifesté une intention contraire (al. 2). Le contrat affecté de conditions suspensives est en suspens, pendente conditione (art. 151 al. 2 CO). Partant, il ne constitue pas (encore) un titre d’acquisition susceptible de fonder une inscription. Dès l’accomplissement de la condition, le contrat de vente produit tous ses effets et l’inscription du transfert au registre foncier peut être requise. Si la condition ne vient pas à chef, le contrat devient caduc ; l’acheteur ayant déjà payé tout ou partie du prix de vente disposant d’une action en enrichissement illégitime (ibid., n. 4 et 5 ad art. 217 CO).
5.1.2 En l’espèce, bien que l’acte notarié de promesse de vente et d’achat entre les deux agriculteurs et l’État de Genève, approuvé par le Conseil d’État le 19 mars 2014, contienne tous les éléments essentiels à la vente de la parcelle n° 1'922, notamment le prix de vente, il est toutefois subordonné à la réalisation de trois conditions suspensives, notamment la décision de désassujettissement de cette parcelle à la LDFR. Dès lors, son aliénation, c’est-à-dire le moment du transfert de propriété sur cette parcelle, ne peut intervenir qu’après la réalisation des trois conditions suspensives, soit notamment après la décision de désassujettissement à la LDFR prononcée le 22 septembre 2015 par la CFA, entrée en force. C’est donc à raison que l’AFC et le TAPI ont retenu le moment de l’acte notarié de la vente de la parcelle n° 1'922 comme moment déterminant pour l’examen de la condition de l’aptitude à l’usage agricole au sens de l’art. 6 al. 1 LDFR.
5.2 Au moment de ladite vente notariée survenue les 22 décembre 2015 et 29 février 2016, la parcelle n° 1'922 avait perdu l’aptitude à l’exploitation agricole au sens de l’art. 6 al. 1 LDFR compte tenu de la décision de désassujettissement du 22 septembre 2015 de la CFA. Outre le fait que cette décision est entrée en force, elle se fonde sur des éléments objectifs, soit la plantation d’une forêt sans lien avec une exploitation agricole et la réalisation du parking extérieur. Les arguments du recourant selon lesquels il s’agirait d’éléments réversibles ne sont ainsi pas déterminants compte tenu de la décision précitée de la CFA, instance spécialisée en la matière. Ils sont tout au plus tardifs. Il en va de même de la prétendue application de l’art. 65 al. 1 let. a LDFR, exigeant la conformité aux plans du droit d’aménagement du territoire, étant donné que la parcelle est restée en zone agricole après le refus précité du Grand Conseil le 2 mars 2017.
Dans ces circonstances, et malgré le projet initial de déclassement de la parcelle litigieuse en partie en zone à bâtir prévoyant au besoin la voie de l’expropriation, il y a lieu de constater qu’au moment de l’aliénation de cette parcelle, la CFA a retenu, de manière obligatoire, par la décision précitée du 22 septembre 2015, la perte de son aptitude à l’usage agricole au sens de la LDFR. Dès lors, la parcelle n° 1'922 ne peut être qualifiée d’immeuble agricole au sens des art. 18 al. 4 LIFD, 8 al. 1 phr. 1 in fine LHID et 19 al. 5 LIPP. Les recourants ne peuvent donc pas bénéficier du privilège fiscal propre aux immeubles agricoles. Leur recours doit être rejeté sur ce point.
6. Il convient à présent d’examiner la conclusion subsidiaire des recourants tendant à bénéficier du remploi au sens des art. 30 LIFD, 8 al. 4 LHID et 21 LIPP.
En effet, dans les circonstances du présent cas, il y a lieu d’admettre que le contribuable, père des recourants et agriculteur ayant exploité pendant des années la parcelle litigieuse dans le cadre de son exploitation agricole, pouvait de bonne foi croire être propriétaire d’un immeuble agricole au sens de la LDFR et ainsi espérer bénéficier du privilège fiscal susmentionné propre à ce type d’immeuble. Dans ces circonstances particulières et compte tenu de la jurisprudence précitée limitant l’octroi dudit privilège comme cela vient d’être exposé, le fait que le contribuable ait attendu la procédure de réclamation pour revendiquer l’application du remploi à la vente litigieuse de sa parcelle ne suffit en soi pas pour refuser d’examiner cette conclusion, qui reste dans le cadre de l’objet du litige et du pouvoir d’examen et de décision de l’AFC, comme évoqué plus haut.
6.1 En matière d’activité lucrative indépendante de personnes physiques, le remploi est réglé à l’art. 30 LIFD, dans des termes similaires au remploi applicable aux personnes morales (art. 64 LIFD), ainsi qu’aux art. 8 al. 4 LHID et 21 LIPP.
Selon l’art. 30 al. 1 LIFD, lorsque des biens immobilisés nécessaires à l’exploitation sont remplacés, les réserves latentes de ces biens peuvent être reportées sur les biens immobilisés acquis en remploi, si ces biens sont également nécessaires à l’exploitation et se trouvent en Suisse (phr. 1). Seuls les biens immobilisés qui servent directement à l’exploitation sont considérés comme nécessaires à celle-ci ; n’en font pas partie, notamment, les biens qui ne sont utiles à l’entreprise que par leur valeur de placement ou leur rendement (al. 3). L’al. 2 de cette norme précise que lorsque le remploi n’intervient pas pendant le même exercice, une provision correspondant aux réserves latentes peut être constituée. Cette provision doit être dissoute et utilisée pour l’amortissement de l’élément acquis en remploi ou portée au crédit du compte de résultats dans un délai raisonnable.
L’art. 21 LIPP dispose que, lorsque des biens immobilisés nécessaires à l’exploitation sont remplacés, les réserves latentes de ces biens peuvent être reportées, dans un délai raisonnable, sur les biens immobilisés acquis en remploi, si ces biens sont également nécessaires à l’exploitation et se trouvent en Suisse (phr. 1). L’art. 8 al. 4 phr. 1 LHID a une teneur quasi identique.
6.2 Le remploi n’est admis qu’à quatre conditions cumulatives, étant précisé que si elles sont réalisées, le remploi entraîne un report de l’imposition sur les réserves latentes, jusqu’à la réalisation ultérieure des biens de remplacement (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5e éd., 2021, n. 81 et 82).
Parmi lesdites conditions, on trouve les trois suivantes. L’objet du remploi et son remplaçant sont des biens immobilisés nécessaires à l’exploitation. Seules les biens immobilisés servant directement à l’exploitation sont considérés comme nécessaires à celle-ci (Xavier OBERSON, op. cit., n. 83). De plus, le remploi doit s’effectuer dans un délai raisonnable, généralement un délai de deux ans. Le réinvestissement doit en outre avoir lieu sur le territoire suisse (ibid., n. 84 et 85). Depuis le 1er janvier 2011, l’exigence selon laquelle le bien de remplacement doit remplir la même fonction a été supprimée. Par ailleurs, il était auparavant déjà admis une certaine souplesse, en ce sens que le bien ne devait pas nécessairement être identique, mais il était nécessaire que le bien acquis en remploi serve la même fonction technique et économique que le bien remplacé dans le cadre de l’exploitation existante de l’entreprise (ibid., n. 88).
La quatrième condition est celle exigeant que la valeur comptable du bien remplacé soit préservée. Le rendement réalisé lors de la sortie de l’élément immobilisé, objet du remploi, doit nécessairement être neutralisé. Cela peut se faire de deux manières. Lorsque le bien sorti est remplacé dans la même période, la différence entre le prix de réalisation et la valeur comptable du bien sorti doit servir à amortir le bien de remplacement. En revanche, si le remploi n’intervient pas dans le même exercice, une « provision » correspondant aux réserves latentes peut être constituée. Lors d’un achat dont le prix est inférieur au prix de vente de l’objet remplacé, les réserves latentes sont alors réalisées, dans la mesure de la part non réinvestie du produit de vente (Xavier OBERSON, op. cit., n. 86 et 87). Les réserves latentes peuvent résulter du fait que la valeur réelle d’un actif dépasse celle de sa valeur comptable. Une réserve latente ne peut être imposée que lorsqu’elle est réalisée. Tel est notamment le cas lorsque le bien englobant la plus-value est aliéné ou, d’une autre manière, transformé en somme d’argent (réalisation effective ; ibid. n. 73 et 74).
Le report de l’imposition découlant de l’application du remploi au sens de l’art. 64 LIFD (valant aussi pour le remploi au sens de l’art. 30 LIFD) implique la comptabilisation d’une charge contrebalançant le produit réalisé de la vente de l’objet aliéné. Lorsque le coût d’acquisition du nouveau bien est inférieur au prix de vente de l’ancien bien, les réserves latentes du bien aliéné ne peuvent pas être intégralement reportées sur l’actif acquis en remploi. Dans cette hypothèse, les réserves latentes correspondant à la part du produit de la vente non réinvestie sont soumises à l’impôt (Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand – Impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, n. 17 et 19 ad art. 64 LIFD).
6.3 En l’espèce, il n’est pas contesté que le prix total de la parcelle n° 2'022, achetée, a été de CHF 194'616.-, soit un montant considérablement inférieur au prix total de la parcelle n° 1'922, vendue, s’élevant à CHF 1'399'544.-. Dans ces circonstances, et en l’absence d’amortissements comptabilisés dans les comptes de l’entreprise agricole du père des recourants, la différence entre ces deux sommes n’est pas une valeur comptable mais une somme d’argent effectivement perçue par le contribuable et sujette ainsi à imposition.
Même à considérer l’existence de réserves latentes sur la parcelle n° 1'922, ce qui est in casu douteux pour les raisons évoquées par l’AFC dans ses décisions sur réclamation, leur réinvestissement dans l’achat de la parcelle n° 2'022 aurait pour effet de les réaliser à hauteur de ladite différence, supprimant ainsi toute réserve latente éventuelle sur la parcelle achetée. Faute de réserve latente reportée sur le nouveau bien acheté par hypothèse en remploi du bien vendu, il n’y aurait aucune imposition à différer dans le temps au sens des normes fiscales précitées relatives au remploi. Par conséquent, la demande de remploi devrait être rejetée, faute d’objet dont l’imposition devrait être reportée. En tous les cas, le remploi ne constitue en soi pas un montant déductible du revenu imposable, comme semblent le penser les recourants. La conclusion tendant au remploi doit donc être écartée.
Le recours est dès lors rejeté.
7. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 26 septembre 2024 par l'hoirie de feu A______, soit B______, C______ et D______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 26 août 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire d'B______, C______ et D______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Mattia DEBERTI, avocat des recourants, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Michèle PERNET, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. SCHEFFRE
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| la présidente siégeant :
E. McGREGOR |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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