Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1479/2024 du 17.12.2024 ( FORMA ) , ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3487/2024-FORMA ATA/1479/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 17 décembre 2024 2ème section |
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dans la cause
A______ recourante
contre
DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé
A. a. A______ s’est inscrite le 3 novembre 2023 auprès de l’Institut universitaire de formation pour l’enseignement de l’Université de Genève (ci‑après : IUFE) afin d’être admise en 1ère année de maîtrise universitaire en enseignement secondaire (ci-après : MASE) pour l’année académique 2024/2025, dans la discipline « droit ».
Pour l’année en question, il y avait deux places de stage.
b. Constatant qu’elle remplissait les prérequis académiques, l’IUFE a transmis le dossier de A______ au service des ressources humaines du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP), chargé de l’attribution des places de stage.
c. Examinant le dossier de l’intéressée selon les critères fixés dans la directive « Attribution des stages Forensec par le DIP » (D.E.RH.00.21), le service du DIP a classé son dossier en 4ème place. Dès lors que seules deux places étaient disponibles, aucune place de stage ne pouvait lui être attribuée. Elle pouvait demander une décision motivée.
d. Par décision du 10 juillet 2024, l’IUFE a indiqué à la précitée que, ne disposant pas d’une place de stage, elle n’était pas admise en 1ère année de formation en MASE.
e. A______ ayant sollicité une décision motivée, le DIP a détaillé, dans sa décision du 23 septembre 2024, la manière dont il avait évalué le dossier de la candidate. Au terme de cette évaluation, elle avait obtenu 90 points sur le nombre maximum de 240.
B. a. Par acte expédié le 21 octobre 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation. Elle a conclu au renvoi du dossier au DIP pour nouvelle décision, à ce que le DIP soit invité à préciser la directive précitée afin « que les critères d’évaluation des dossiers et la manière d’attribuer les points pour chaque critère soi[en]t explicites ».
Elle était remplaçante en droit et en culture générale auprès du DIP depuis le 15 août 2019. Du 1er septembre 2019 au 3 octobre 2024, elle avait effectué 473.50 périodes d’enseignement de remplacements ponctuels. Elle a également détaillé les périodes de remplacement de longue durée exercé entre le 3 février 2020 et le 30 juin 2024, soit au total 40,48. Elle avait été engagée du 1er septembre 2021 au 31 août 2022 comme suppléante en droit à raison de deux périodes par semaine, du 1er septembre 2022 au 31 août 2023 comme maîtresse en formation dans l’enseignement professionnel en culture générale à raison de six périodes par semaine et l’année scolaire suivante, dans la même fonction, à raison de neuf périodes par semaine. Elle avait également été chargée de la formation des gérants de fortune au sein d’une banque concernant la réglementation bancaire, élément dont il n’avait pas été tenu compte. Enfin, elle enseignait la culture générale au centre de formation professionnelle depuis la rentrée 2022 (ci-après : CFPC), de sorte qu’elle était polyvalente.
La directive était trop vague et l’appréciation de son dossier avait omis de tenir compte de la variété de son expérience professionnelle et de celle postérieure à février 2024.
b. Le DIP a conclu au rejet du recours.
Il avait retenu 292.46 périodes de remplacements ponctuels, de l’ensemble des remplacements de longue durée, à l’exception de celui allant du 3 février au 26 juin 2020 et de l’ensemble des contrats de suppléances. La formation dispensée aux gérants de fortune relevait de son contrat de travail de juriste et non d’une activité principale de formation. L’enseignement de la culture générale ne permettait pas d’obtenir des points pour le critère de la polyvalence. Le critère de la polyvalence n’était rempli que si la candidate était au bénéfice d’un baccalauréat universitaire dans une autre discipline que le droit et qu’il s’agissait d’une discipline générale mais spécifiquement enseignée dans les centres de formation professionnelle. Même si la culture générale devait permettre l’attribution de points, l’ensemble des autres candidats s’en verraient également attribuer, de sorte que cela ne modifierait pas le classement de la recourante.
c. Dans sa réplique, la candidate a relevé que la directive ne faisait que décrire le processus de sélection des stagiaires et fixer les grands principes en la matière, sans fixer les critères d’évaluation.
Il était arbitraire de ne pas tenir compte de l’expérience professionnelle acquise avant la période déterminée par le DIP. Celle-ci comportait notamment l’enseignement pendant la période du Covid, soit une expérience riche en termes d’adaptation des leçons, d’utilisation des outils informatiques et du maintien du lien avec les élèves. Elle ne savait toujours pas si le DIP avait pris en compte 292.46 périodes de remplacements ou 367.51. En tous les cas, 100 périodes de remplacements ponctuels et un remplacement de longue durée n’avaient pas été pris en compte.
Rien ne justifiait de ne pas tenir compte de la diversité de l’enseignement dispensé dans le secondaire II, alors que tel était le cas du secondaire I. Si elle avait su que des répétitoires pouvaient être pris en compte, elle aurait mentionné ceux effectués de janvier 2006 à novembre 2007.
Enfin, ne pas tenir compte de l’enseignement de la culture générale du fait qu’elle n’est enseignée que dans les centres de formation professionnelle n’était pas une justification mais relevait de l’arbitraire. Les critères d’évaluation étaient opaques.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Est litigieux le classement de la recourante à la suite de l’évaluation de son dossier.
2.1 Conformément à l'art. 133 de la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP - C 1 10), le nombre de places de stage en responsabilité dans l'enseignement secondaire et tertiaire B et leur attribution sont déterminés par le DIP (al. 1) ; les stages, en particulier les stages en responsabilité rémunérés, doivent avoir lieu dans l'enseignement public et répondre aux exigences de formation fixées par l'institution du degré tertiaire A – l'IUFE (art. 4 al. 2 let. a LIP) – chargée de la formation des enseignants et le DIP ; la formation des étudiants doit permettre une forte articulation entre connaissances théoriques et expériences pratiques (al. 2).
2.2 D'après la jurisprudence de la chambre de céans relative aux stages tant dans l'enseignement primaire et spécialisé (art. 132 LIP) que dans l'enseignement secondaire et tertiaire B (art. 133 LIP), les places de stage ne peuvent être mises à disposition que par le DIP, qui les attribue dans la mesure du possible aux étudiants présélectionnés par l'université. Cette dernière est ainsi autorisée à prévoir ces modalités d'admission au moyen d'un règlement interne. L'admission des étudiants en fonction du nombre de places disponibles sur le terrain est nécessaire pour permettre une formation efficace des enseignants axée sur la pratique, tout en évitant que de nombreux étudiants se retrouvent dans l'impossibilité de valider des études qu'ils auraient accomplies jusqu'à la fin, faute d'avoir finalement pu trouver une place de stage. Cette limitation respecte donc le principe de la proportionnalité (ATA/320/2018 du 10 avril 2018 consid. 7e ; ATA/1215/2017 du 22 août 2017 consid. 8f).
2.3 L’IUFE est un institut interfacultaire au sens de l’art. 19 al. 1 let. b du statut de l’université, adopté le 16 mars 2011, approuvé par le Conseil d’État le 27 juillet 2011 (ci-après : le statut). Il est placé sous l’autorité du rectorat (art. 1.2 du règlement d’organisation de l’IUFE du 25 février 2019). Il a pour mission première de développer et organiser les formations professionnelles et initiales des enseignantes et enseignants (art. 2.1 règlement d’organisation).
2.4 Pour qu’un candidat puisse être admis à la formation des enseignantes et enseignants du secondaire, il doit, entre autres conditions, avoir obtenu une place de stage dans l’enseignement secondaire public genevois, attribuée et attestée par le DIP (art. 7.1 let. d règlement d’études 2023 de la formation en enseignement du secondaire ; ci-après : FORENSEC).
Les modalités et les critères régissant la procédure d'attribution des places de stage dans l’enseignement secondaire public genevois sont fixés par le DIP et indiqués par lui (art. 7.5 règlement FORENSEC). L’attribution des places de stage dans l’enseignement secondaire public genevois est du ressort exclusif du DIP. La procédure d’attribution des places de stage est gérée par le DIP et l’attribution est indiquée directement au candidat par le DIP (art. 133 LIP ; art. 7.6 règlement FORENSEC).
2.5 La directive (publiée sur le site Internet du DIP (https://www.ge.ch/document/ 19572/telecharger), précise qu’elle a pour objectif de décrire le principe, les responsabilités et les étapes du processus d’attribution des places de stage pour la formation en enseignement secondaire. Il se déroule en quatre étapes, à savoir 1) la vérification de l’admissibilité – admise in casu – 2) l’évaluation administrative du dosser, 3) l’évaluation des compétences en entretien et 4) le classement.
L’étape 2) prévoit que le service des ressources humaines de l’enseignement secondaire I et II du DIP évalue les candidatures au regard de l’expérience professionnelle pertinente, de la formation, de la présentation générale du dossier et de la maîtrise du français. Les dimensions sont quantitativement quotées et les candidatures sont classées en fonction des points obtenus. Si le nombre de dossiers par discipline est supérieur au quota, 150% du quota est retenu pour l’étape suivante, en fonction du classement.
3. En l’espèce, le DIP a exposé que pour apprécier le critère de l’expérience professionnelle, il avait tenu compte, pour l’ensemble des dossiers évalués, de la période allant de fin août 2020 à fin février 2024 ou à fin juillet 2024 lorsque les candidats étaient au bénéfice d’un contrat de remplacement de longue durée et pour les suppléances contractualisées. La recourante conteste ce critère, estimant qu’il conviendrait d’étendre la période prise en compte. L’autorité intimée n’a fourni aucune explication relative à la durée prise en compte. Il n’est ainsi pas possible d’en déterminer le caractère pertinent, voire non arbitraire.
Le DIP a détaillé les périodes d’enseignement réalisées par la recourante durant la période de référence, retenant le nombre de périodes de remplacements ponctuels de la recourante totalisant 367.51 et les contrats de longue durée. Il a indiqué qu’il avait pondéré les différents types de remplacements. Derechef, le DIP ne fournit pas davantage d’explications. Ainsi, il n’est pas possible de savoir comment chaque type de remplacement – ponctuel, de longue durée, suppléance – a été valorisé et si le nombre de points attribués pour chacun d’eux est correcte. Aucune explication relative à chaque type d’enseignement ni grille d’évaluation n’a été fournie. La chambre de céans n’est ainsi pas en mesure de se prononcer sur le bien-fondé du nombre de points (50) attribués à la recourante pour le critère de l’expérience de l’enseignement secondaire. Le recours sera donc admis sur ce point et la cause renvoyée au DIP afin qu’il justifie de manière détaillée la manière dont il a attribué des points aux différentes expériences d’enseignement prises en considération.
Il sera encore relevé que la recourante conteste à tort le fait que l’enseignement dispensé aux gérants de fortune lorsqu’elle était employée de banque n’a pas été pris en compte au titre de son expérience professionnelle liée à l’enseignement. Le DIP a expliqué que, l’intéressée ayant été engagée comme juriste par la banque, son activité principale n’était pas consacrée à l’enseignement. Ce raisonnement ne prête pas le flanc à la critique. Il ne paraît en effet pas arbitraire de ne pas tenir compte de l’expérience professionnelle n’étant pas directement et entièrement consacrée à l’enseignement.
Il n’est de même pas arbitraire de ne pas avoir tenu compte de l’enseignement de la culture générale au CFPC, du fait qu’il n’existe pas de bachelor dans cette matière, d’une part, et que le MASE vise l’enseignement secondaire II dans lequel une telle branche n’est pas enseignée, d’autre part.
Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et le dossier renvoyé au DIP pour nouvelle décision, motivée.
4. Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument. La recourante agissant en personne en n’ayant pas allégué avoir exposé des frais, il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 21 octobre 2024 par A______ contre la décision du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 23 septembre 2024 ;
au fond :
l’admet ;
annule la décision précitée et renvoie le dossier pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;
dit qu'il n'est pas perçu d’émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
M. MICHEL |
| le président siégeant :
J.-M. VERNIORY |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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