Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1121/2024 du 24.09.2024 sur JTAPI/929/2023 ( DOMPU ) , ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/561/2023-DOMPU ATA/1121/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 24 septembre 2024 2ème section |
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dans la cause
A______ recourant
représenté par Me Michael LAVERGNAT, avocat
contre
VILLE DE GENÈVE intimée
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 août 2023 (JTAPI/929/2023)
A. a. A______ (ci-après : l’exploitant) exploite le café-restaurant B______ (ci-après : B______), sis 7-9 C______, au rez-de-chaussée, d’une surface intérieure de 170 m2.
Le B______ bénéficie également d’un accès à ses locaux du côté du D______.
Depuis octobre 2016, l’exploitant dispose d’une autorisation de la Ville de Genève (ci-après : la ville) d’installer des sections de terrasse sur le D______, le long du Rhône, en face de plusieurs arcades, dont celle du B______, ainsi qu’une section sur la C______.
b. Le 19 novembre 2020, l’exploitant a été autorisé à installer, au titre de terrasse d’été, sur le D______, d’aval en amont du Rhône, deux sections de 11.04 m2 et 12.04 m2 devant une arcade vide, une section de 50.40 m2 devant le B______, deux sections de 15.90 m2 et de 16.64 m2 devant l’arcade de la boutique E______, sise 11, C______, ainsi qu’une section de 12.56 m2 sur le trottoir de la C______.
Cette permission, n° 1______, était renouvelable d’année en année du 1er mars au 31 octobre.
c. Le 29 juillet 2021, la ville a autorisé l'extension de la terrasse du B______ à l'entrée du 14, D______ jusqu'au 31 octobre 2022, en application des mesures d’aide aux entreprises à la suite de la pandémie du COVID-19.
Cette entrée constitue l’accès à l’immeuble sis C______, ne disposant pas d’entrée du côté de cette rue-ci, contrairement au bâtiment voisin sis 11, C______.
d. Dès 2020, la boutique E______ ainsi que celle occupant le rez-de-chaussée de l’immeuble sis 13, C______, ont donné puis renouvelé leur accord à l’installation de la terrasse du B______ devant leurs arcades, D______. Cette terrasse favorisait leur commerce, notamment en attirant les clients et en évitant l’occupation du quai par des vélos ou des travaux.
B. a. Le 11 novembre 2022, la ville a informé l’exploitant avoir reçu plusieurs oppositions du propriétaire des immeubles sis 11 et 13, C______ (ci-après : le propriétaire) à l’extension de la terrasse du B______ devant ces deux bâtiments. Cette extension prétéritait l’accès à l’entrée située 14, D______, desservant des locaux loués comme prestigieux. Cela avait causé des plaintes des locataires, qui exigeaient des mesures pour y remédier.
L’exploitant a objecté que le propriétaire avait choisi de déplacer l’entrée de l’immeuble sis 13, C______ à l’arrière du bâtiment pour augmenter la surface de la boutique du rez-de-chaussée. La porte heurtait les passants dans l’espace subsistant de deux mètres parce qu’elle s’ouvrait vers l’extérieur, et non à cause de la terrasse.
Par gain de paix, il solliciterait néanmoins l’autorisation de décaler sa terrasse, de sorte qu’elle n’occupe plus l’espace devant l’immeuble sis 13, C______, mais non devant celui sis 11, C______. La boutique E______ avait en effet toujours donné son accord à la présence d’une terrasse face à sa vitrine. L’entrée de l’immeuble sis 11, C______ se situait en outre du côté de cette rue-ci, de sorte que la terrasse, dans son étendue d’origine, ne gênait pas non plus les autres locataires.
b. Par décision du 19 janvier 2023, déclarée exécutoire nonobstant recours, la ville a annulé la permission n° 1______du 19 novembre 2020, et l’a remplacée par une autorisation n’incluant pas les deux sections de terrasse devant la boutique E______, ceci avec effet dès le 1er mars 2023.
L’opposition du propriétaire prévalait sur l’accord donné par les exploitants des arcades du rez-de-chaussée. En cas d’action judiciaire des locataires des étages, il devrait en effet répondre des défauts de la chose louée et la ville pourrait en être tenue responsable.
c. L’exploitant a sollicité la reconsidération de la décision, mais la ville a refusé d’y donner suite.
d. Le 1er mars 2024, la ville a permis que la section de terrasse de 50.40 m2 sur le D______ soit exploitée à l’année. Le statut des autres sections ainsi que la surface totale autorisée demeuraient inchangés.
C. a. Par acte du 17 février 2023, l’exploitant a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision du 19 janvier 2023, concluant à son annulation.
Il a également sollicité la restitution de l’effet suspensif du recours, ce à quoi le TAPI a fait droit par décision du 22 mars 2023.
b. La ville a produit les oppositions écrites du propriétaire.
Le 15 juin 2020, ce dernier avait indiqué ne pas souhaiter de terrasse devant son immeuble. Sur invitation de la ville à préciser les motifs de sa contestation, il l’avait informée avoir sondé ses locataires au sujet de l’impact de la terrasse sur leur activité et recueilli des mécontentements. De manière générale, il ne pouvait pas tolérer un empiètement pour des locaux loués comme des surfaces de prestige.
Le 12 mai 2022, il avait réitéré sa demande de suppression de la terrasse devant l’immeuble sis 13, C______, au motif qu’elle restreignait l’entrée située au 14, D______.
Le 6 juin suivant, il avait relancé la ville en lui transmettant le message du 25 juin 2020 de l’une des locataires de l’immeuble sis 13, C______. Celle-ci y relevait avoir exceptionnellement toléré un agrandissement de la terrasse durant la crise sanitaire liée au COVID-19, mais ne plus souhaiter que des tables soient installées face à l’entrée de l’immeuble. Le 12 mai 2022, elle avait de nouveau déploré se retrouver nez à nez avec des clients lorsqu’elle sortait de chez elle, ce qui n’était plus tolérable.
Le 5 juillet 2022, la ville avait assuré au propriétaire que sa demande était analysée par les juristes du service compétent, la situation étant singulière. Elle lui avait aussi confirmé que l’extension de la terrasse à la hauteur du bâtiment sis 14, D______ était bien « une extension covid autorisée sur la base de la décision du Conseil administratif du 9 février 2022 […] autorisée que jusqu’au 31 octobre 2022 […] sur la base des accords des locataires des arcades du rez devant lesquelles le mobilier de terrasse est installé » conformément aux « critères édictés par le Conseil administratif ».
Le 24 avril 2023, le propriétaire avait reproché à la ville une absence de réponse à ses doléances, alors que le B______ entendait encore installer sa terrasse devant l’immeuble sis 11, C______. Cela n’était pas acceptable au vu des nuisances sonores et de la gêne occasionnée par le passage des piétons.
c. Par jugement du 30 août 2023, le TAPI a rejeté le recours.
Le droit d’être entendu de l’exploitant avait été respecté, dans la mesure où il avait pu s’exprimer à la suite de l’opposition du propriétaire, puis dans le cadre de la procédure de recours. La motivation de la décision querellée comportait les éléments l’ayant conduit à faire prévaloir ladite opposition.
Sur le fond, la ville n’avait pas fait un usage abusif ou excessif de son important pouvoir d’appréciation en privilégiant la tranquillité des riverains locataires, notamment celle du propriétaire. Elle pouvait se fonder sur le désaccord du précité nonobstant sa pratique de se satisfaire de l’accord des exploitants des arcades. Le propriétaire s’était en l’occurrence spontanément opposé à l’extension de la terrasse. Rien n’indiquait pour le surplus que la ville exigeait désormais systématiquement l’accord des propriétaires et qu’elle avait ainsi changé sa pratique.
La décision litigieuse visait à préserver l’intérêt des tiers, sans empêcher l’exploitation de la terrasse, mais en en réduisant les dimensions, de sorte que le contenu minimal de la liberté économique de l’exploitant était préservé.
Aucune inégalité de traitement avec d’autres établissements exerçant sur le même marché n’avait été démontrée.
D. a. Par acte du 2 octobre 2023, l’exploitant a recouru auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI, concluant à son annulation ainsi qu'à celle de la décision du 19 janvier 2023.
Les premiers juges avaient violé son droit d’être entendu en s’abstenant de traiter la question des défauts de la chose louée engendrés par l’extension de la terrasse et de la possible action récursoire du propriétaire contre l’autorité. Pourtant, cet argument constituait l’unique motivation de la ville et l’exploitant l’avait réfuté dans le détail.
Les premiers juges avaient retenu à tort que le refus de la ville était dicté par une réflexion axée sur la tranquillité des riverains locataires. Les nuisances sonores n’avaient en effet pas justifié la décision querellée, ni par ailleurs été étayées. Elles n’avaient été évoquées par le propriétaire, sans preuve, que le 24 avril 2023.
L’unique doléance figurant au dossier, concernant l’empiètement devant le 14, D______, était sans objet, l’extension de la terrasse due au COVID-19 ayant pris fin antérieurement à la décision litigieuse. Le dossier ne comportait donc aucune preuve de la volonté des locataires d’obtenir le retrait de la terrasse actuelle. L’exploitant avait au contraire démontré que les commerces riverains souhaitaient son maintien.
La ville n’avait donc pas pris en considération les intérêts du propriétaire concrètement en jeu, en se fondant sur le risque purement hypothétique d’une action récursoire du précité en cas de demande de réduction du loyer des locataires. Lui‑même était par contre durement touché par la décision litigieuse, qui le contraignait à réduire son activité et à licencier un collaborateur.
La ville avait en définitive abusé de son pouvoir d’appréciation en donnant suite au souhait d’un puissant propriétaire foncier, sans nécessité au regard de l’intérêt public.
b. La ville a conclu au rejet du recours.
Les intérêts d’un tiers devant la propriété duquel l’exploitant d’un établissement public entendait installer une terrasse devaient être pris en considération, indépendamment de l’existence de plaintes de ses locataires. La ville n’avait ainsi pas obtempéré à une injonction du propriétaire et l’éventualité d’actions des locataires de l’immeuble, qui n’était pas exclue, ne constituait pas l’unique motif de sa décision.
L’exploitant disposait déjà d’une terrasse d’été généreuse, de 86.04 m2, en partie devant un autre immeuble. Il avait été autorisé à exploiter 32.54 m2 supplémentaires devant l’immeuble du propriétaire. Dès lors que cette situation ne convenait plus au précité, il n’était pas abusif de la revoir. Il était douteux que la ville dût vérifier la réalité des nuisances invoquées, lesquelles étaient de toute manière notoires en lien avec l’exploitation d’une terrasse.
L’exploitant ne pouvait pour le surplus pas se plaindre d’une inégalité de traitement.
c. Le 1er décembre 2023, la chambre administrative a procédé à un transport sur place.
Selon les explications des parties, il n’y avait jamais eu de terrasse à la hauteur du 14, D______, sauf durant la période de la crise sanitaire liée au COVID-19. La section supprimée par la décision litigieuse concernait l’espace situé devant la boutique E______.
Dans les cas de terrasse débordant devant un autre immeuble, l’accord de l’exploitant de l’arcade concernée était systématiquement recueilli. Les autres locataires et le propriétaire n’étaient en général pas consultés. La ville n’avait pas formalisé cette pratique dans des directives ou ordonnances.
Dans le cadre du présent contentieux, le propriétaire avait pris position spontanément. La ville avait tenu compte de l’opposition du précité en tant que telle, et non de celle du seul locataire dont la plainte figurait au dossier.
d. Invité à s’exprimer sur le transport sur place, l’exploitant a persisté dans ses conclusions et sollicité la production par la ville des « critères édictés par le Conseil administratif », mentionnés dans son message au propriétaire du 5 juillet 2022.
e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le recourant se plaint d’une motivation insuffisante du jugement querellé et sollicite la production de pièces complémentaires par la ville.
2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu implique notamment l’obligation pour l’autorité de motiver ses décisions, afin que le justiciable puisse les comprendre et exercer ses droits de recours à bon escient (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 et 141 V 557 consid. 3.2.1). Il suffit cependant que l’autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause (ATF 142 II 154 consid. 4.2). L’autorité n’est pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties et peut se limiter aux questions décisives (ATF 146 II 335 consid. 5.1 et 142 II 154 consid. 4.2).
Le droit d’être entendu comprend aussi le droit pour la personne intéressée de produire ou obtenir la production des preuves pertinentes. Il n’empêche toutefois pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).
2.2 En l’espèce, il résulte suffisamment clairement de la motivation du jugement querellé qu’aux yeux des premiers juges, la ville n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation en faisant prévaloir le désaccord du propriétaire. Le recourant a ainsi pu comprendre ce point et le critiquer utilement dans le cadre de la présente procédure. Son grief tiré de l’absence de défaut de la chose louée n’apparaît pas décisif dans le raisonnement tenu par le TAPI, de sorte que son droit d’être entendu n’a pas été violé.
Les éléments au dossier permettent pour le surplus l’examen de la cause. Il résulte en particulier du transport sur place que la décision querellée a été prise sur la base d’une pratique non formalisée dans un quelconque document. Demander à la ville de produire les critères édictés par le Conseil administratif, dont l’existence est douteuse et qui concerneraient de surcroît seulement l’extension des terrasses durant la période du COVID-19, s’avérait très certainement vain et en toute hypothèse inutile.
3. Le présent litige a pour objet l’autorisation du recourant d’exploiter comme terrasse d’été les deux sections de 15.90 m2 et 16.64 m2 situées sur le D______, devant l’arcade de la boutique E______, sise 11, C______.
3.1 Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a), et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).
3.2 Aux termes de l’art. 13 al. 1 de la loi sur le domaine public du 24 juin 1961 (LDPu - L 1 5), l'établissement de constructions ou d'installations permanentes ou non permanentes sur le domaine public, son utilisation à des fins industrielles ou commerciales ou toute autre occupation de celui-ci excédant l'usage commun sont subordonnés à une permission.
Les permissions sont accordées par l’autorité cantonale ou communale qui administre le domaine public (art. 15 LDPu).
L’art. 19 LDPu précise que les permissions sont délivrées à titre précaire (al. 1). Elles peuvent être retirées sans indemnité pour de justes motifs, notamment si l’intérêt général l’exige (al. 2).
Selon l’art. 1 du règlement concernant l'utilisation du domaine public du 21 décembre 1988 (RUDP - L 1 10.12), toute utilisation du domaine public excédant l’usage commun, au sens des articles 13 LDPU et 56 de la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10) doit faire l’objet d’une permission octroyée, sous réserve de celles qui sont de la compétence du Conseil d’Etat, par (al. 1) : le département de la santé et des mobilités pour les voies publiques cantonales au sens de l'art. 4 LRoutes (let. a) ; l’autorité communale pour les voies publiques communales au sens de l’art. 4 LRoutes (let. b). Dans les limites de la loi et le respect des conditions liées à l’octroi de la permission, les particuliers disposent d’un droit à l’utilisation du domaine public excédant l’usage commun lorsqu’aucun intérêt prépondérant ne s’y oppose (al. 2). Lors de l’octroi de la permission, l’autorité compétente tient compte des intérêts légitimes du requérant, de ceux des autres usagers du domaine public et des voisins, de ceux découlant des concessions ou droits d’usage exclusifs concédés par les autorités compétentes, ainsi que du besoin d’animation de la zone concernée (al. 3).
3.3 L'art. 56 LRoutes prévoit également que toute utilisation des voies publiques qui excède l'usage commun, à savoir tout empiètement, occupation, travail, installation, dépôt ou saillie sur ou sous la voie publique, doit faire l'objet d'une permission ou d'une concession préalable (al. 1 et 2), délivrée, selon l'art. 57 al. 1 LRoutes, par l'autorité communale lorsqu'il s'agit d'une voie communale.
L’art. 57 al. 3 LRoutes permet à l'autorité compétente d’assortir de conditions et même de refuser les permissions d'occupation de la voie publique pour tout objet ou installation sur la voie publique qui, par sa couleur, ses dimensions, son éclairage, sa forme ou le genre de sujets présentés, peut nuire au bon aspect d'une localité, d'un quartier, d'une voie publique, d'un site ou d'un point de vue.
3.4 Le règlement sur les terrasses d'établissements publics du 6 avril 2005 (RTEP - LC 21 314) est applicable à toutes les terrasses situées sur le domaine public communal de la ville (art. 1 RTEP), notamment aux terrasses d'été, soit celles qui sont installées entre les mois de mars et d'octobre inclus (art. 2 ch. 1 RTEP).
L'art. 5 RTEP prévoit que les permissions ne sont octroyées qu'à titre précaire et peuvent être retirées à tout moment pour de justes motifs (al. 1). Les permissions peuvent être assorties de conditions quant à l'esthétique des éléments composant la terrasse (al. 2).
3.5 En matière de gestion du domaine public communal, plus particulièrement dans l'octroi ou le refus de permissions d'utilisation excédant l'usage commun, les communes genevoises jouissent, en vertu du droit cantonal, d'une importante liberté d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_959/2021 du 30 novembre 2022 consid. 2.3, non publié in ATF 148 II 564).
Celui qui, pour l'exercice d'une activité économique, doit faire usage du domaine public peut invoquer la liberté économique garantie par l'art. 27 Cst. Il a, dans cette mesure, un droit conditionnel à l'octroi d'une autorisation pour un usage commun accru du domaine public. Le refus d'une telle autorisation peut constituer une atteinte à la liberté économique et il est soumis à conditions : il doit être justifié par un intérêt public prépondérant – des motifs de police n'entrent assurément pas seuls en considération –, reposer sur des motifs objectifs et respecter le principe de la proportionnalité ; la pratique administrative en matière d'autorisation ne doit pas vider de leur substance les droits fondamentaux, en particulier le droit à l'égalité (art. 8 Cst.), ni de manière générale ni au détriment de certains citoyens (ATF 121 I 279 consid. 2a et 119 Ia 445 consid. 1a/bb et 2a). Dans la pondération des intérêts en présence entrent en considération les questions d'ordre culturel, d'aménagement du territoire, d'esthétique et de besoins du consommateur local (arrêt du Tribunal fédéral 2C_819/2014 du 3 avril 2015 consid. 5.2).
3.6 En l’espèce, il est constant que le D______ se trouve sur le domaine public communal, de sorte que la ville est compétente pour délivrer la permission litigieuse.
Le recourant, exploitant d’un café-restaurant situé au rez-de-chaussée, recourt durant l’été, et même désormais partiellement toute l’année, à l’utilisation d’une terrasse extérieure, installée sur le domaine public. La nécessité de cet usage dans le cadre son activité économique n’est pas remise en cause sur le principe, dès lors que la décision litigieuse maintient quatre sections de terrasse sur les six autorisées préalablement.
Le refus de la ville de permettre l’installation de la terrasse également sur les deux sections litigieuses porte néanmoins une certaine atteinte à la liberté économique du recourant. Elle doit dès lors être justifiée par un intérêt public prépondérant, reposer sur des motifs objectifs et respecter le principe de la proportionnalité.
La ville a fondé son refus sur l’opposition soulevée par le propriétaire et le risque de devoir l’indemniser pour les défauts des locaux loués qu’engendrerait le maintien de la terrasse sur les deux sections litigieuses. Or, comme mis en exergue par le recourant, le locataire principalement concerné, soit la boutique E______ dont l’arcade fait face à ces deux sections, a toujours donné son accord à ce qu’une terrasse y soit installée. Quant aux autres locataires de l’immeuble sis 11, C______, ils accèdent au bâtiment du côté de cette rue-ci. Louant les locaux des étages, ils ne sont de surcroît pas particulièrement touchés par l’installation de la terrasse devant l’immeuble, cette dernière occupant de toute manière la suite du D______, en direction de la place Bel-Air. Aucun d’eux ne s’en est par ailleurs plaint à teneur du dossier.
Le recourant met également en avant, à juste titre, que les locataires de l’immeuble voisin, sis 13, C______, bien qu’accédant aux locaux loués par le D______, ne sont pas davantage touchés. Il n’est en effet plus question, depuis le 31 octobre 2022, d’étendre la terrasse du B______ jusqu’à leur entrée située au 14 du quai précité. La seule locataire dont une plainte figure au dossier a précisément et uniquement déploré le fait qu’une terrasse soit installée en face de l’entrée de l’immeuble, et de se retrouver nez à nez avec des clients en sortant de chez elle, ce qui n’est plus d’actualité.
Le propriétaire n’est donc pas concrètement exposé au risque d’actions tirées du défaut de la chose louée de ses locataires. Il ne peut plus généralement pas prétendre que la terrasse du B______, du seul fait qu’elle soit étendue aux deux sections litigieuses, l’entrave dans la location de locaux qu’il tient pour prestigieux. Ses immeubles se situent en effet au centre-ville, sur une importante artère, au bord du Rhône, de sorte qu’ils sont naturellement entourés de commerces et de restaurants, le cas échéant avec terrasses, ce que ces locataires ne peuvent pas ignorer.
Au vu de ce qui précède, le refus de la ville ne repose pas sur un motif objectif ni ne répond à un intérêt public prépondérant. Elle ne peut en particulier pas justifier sa décision par des motifs de tranquillité publique, dès lors que la terrasse, déjà existante et située dans un quartier du centre-ville très fréquenté, hébergeant de nombreux autres restaurants et commerces, n’a donné lieu à aucune plainte du propriétaire pour bruit excessif avant la présente procédure.
La décision querellée, en ce qu’elle contrevient à la liberté économique du recourant, consacre ainsi un abus du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée.
Bien fondé, le recours sera admis. Le jugement du TAPI du 30 août 2023 ainsi que la décision de la ville du 19 janvier précédent seront annulés, et la cause sera renvoyée à l’autorité intimée pour qu’elle inclue les deux sections litigieuses dans la nouvelle permission en faveur du recourant d’installer une terrasse.
4. Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1’500.- sera allouée au recourant, à la charge de la ville (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 2 octobre 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 août 2023 ;
au fond :
l’admet ;
annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 août 2023 et la décision de Ville de Genève du 19 janvier 2023 ;
renvoie la cause à la Ville de Genève pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;
alloue une indemnité de procédure de CHF 1’500.- à A______, à la charge de la Ville de Genève ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Michael LAVERGNAT, avocat du recourant, à la Ville de Genève ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
J. PASTEUR
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| le président siégeant :
J.-M. VERNIORY |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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