Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1054/2024 du 03.09.2024 ( AIDSO ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3300/2023-AIDSO ATA/1054/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 3 septembre 2024 2ème section |
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dans la cause
A______ et B______ recourants
contre
HOSPICE GÉNÉRAL intimé
_________
A. a. A______, née le ______ 1987 et B______, né le ______ 1967 (ci-après : les époux) sont mariés et ont trois enfants nés entre 2015 et 2021.
b. Ils ont bénéficié de prestations d'aide financière de l'Hospice général (ci-après : l'hospice) du 1er au 31 juillet 2018, pour un montant de CHF 2'083.30, et du 1er au 30 novembre 2021, pour un montant de CHF 3'517.10.
c. Les 26 juin 2018 et 10 novembre 2021, les époux ont signé le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général », confirmant avoir pris acte de la subsidiarité des prestations d’aide financière versées par l’hospice à toute autre ressource provenant du travail, de la famille, de la fortune et de prestations sociales, s'engager à tout mettre en œuvre pour améliorer sa situation sociale et financière, s'engager à donner immédiatement et spontanément à l’hospice tout renseignement et toute pièce nécessaire à l’établissement de sa situation personnelle, familiale et économique, tant en Suisse qu’à l’étranger, s'engager à informer immédiatement et spontanément l’hospice de tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant de ses prestations d’aide financière, notamment de toute modification de sa situation personnelle, familiale et économique tant en Suisse qu’à l’étranger, et s'engager à rembourser à l’hospice toute prestation exigible perçue indûment, prendre acte qu'en cas de violation de la loi et en particulier de ses engagements, l'hospice se réservait le droit de réduire ou de supprimer les prestations d'aide financière accordées et, le cas échéant, de déposer une plainte pénale à leur encontre.
B. a. Le 11 novembre 2021, les époux ont rempli le formulaire de demande d'aide financière.
b. Lors de l'entretien d'accueil du 29 novembre 2021 auquel s'est rendu B______, il a indiqué à l'assistante sociale que son épouse venait d'accoucher et qu'elle était, préalablement, inscrite à l'assurance chômage. Selon l'hospice, l'assistante sociale aurait dit à B______ que l'aide financière serait versée à titre d'avance, son épouse devant d'abord entreprendre les démarches pour obtenir l'allocation de maternité ainsi que les prestations complémentaires familiales (ci-après : PCFam).
Lors de ce rendez-vous, B______ a signé un ordre de paiement à l'intention du service des prestations complémentaires (ci-après : SPC), afin que le SPC verse directement à l'hospice, en remboursement des avances accordées et à concurrence de celles-ci, le rétroactif de prestations complémentaires familiales et d'aide sociale. Au cas où le rétroactif parviendrait par erreur au bénéficiaire, celui‑ci s'engageait à en aviser immédiatement l'hospice et à lui restituer les montants indûment perçus.
c. Le 11 janvier, B______ a remis au centre d'action sociale (ci-après : CAS) de la Servette la décision de la caisse de compensation de l'assurance vieillesse et survivants (ci-après : AVS) octroyant rétroactivement à A______, pour le mois de novembre 2021, un montant de CHF 3'696.- correspondant à l'allocation de maternité fédérale pour cette période.
d. Par décision du 26 avril 2022, le CAS de la Servette a adressé aux époux une décision de demande de restitution d'un montant de CHF 3'517.10 correspondant aux prestations d'aide financières accordées pour le mois de novembre 2021 à titre d'avance.
C. a. Le 24 mai 2022, les époux ont formé opposition à la décision précitée.
Ils avaient demandé l'aide financière pour subvenir aux besoins de leur famille. Leur assistante sociale leur avait assuré qu'ils n'allaient pas devoir rembourser le montant de CHF 3'517.10, et que le SPC serait sollicité pour rembourser cette somme à l'hospice.
Le fait que A______ ait perçu rétroactivement l'allocation de maternité n'aurait dès lors pas dû avoir d'influence sur leur situation, d'autant plus qu'ils n'étaient pas en mesure de rembourser le montant réclamé sans mettre à mal l'équilibre de la famille.
b. Par décision du 11 septembre 2023, le directeur général de l'hospice a rejeté l'opposition.
Les prestations versées avaient été accordées sans inclure l'allocation de maternité, qui avait été allouée et versée postérieurement par la caisse de compensation. Elles avaient été versées à titre d'avance, et la demande de remboursement était fondée.
Lors d'un entretien téléphonique ayant eu lieu le 3 février 2022, l'assistante sociale avait indiqué à B______ qu'au vu de la décision de la caisse de compensation de verser à son épouse un rétroactif, une demande de remboursement lui parviendrait prochainement.
Une remise n'était pas envisageable. Ils n'étaient en effet pas de bonne foi car ils savaient devoir rembourser les prestations reçues au titre de l'aide sociale, les mêmes prestations ne pouvant pas être perçues à double.
D. a. Par acte du 3 octobre 2023 adressé au CAS de la Servette, les époux ont demandé la remise de la somme précitée.
Contrairement à ce qui figurait dans la décision attaquée, B______ avait signé un ordre de paiement au SPC pour qu'il procède, le moment venu, au remboursement des avances de l'hospice. Il n'avait refusé de signer aucun document qui lui avait été soumis. C'était lui qui avait initié la démarche de solliciter l'hospice, ce qui était la raison pour laquelle il préférait que l'aide financière de l'hospice soit versée sur son compte plutôt que sur celui de son épouse.
Ils sollicitaient la remise du remboursement demandé car leur situation financière ne leur permettait pas d'y faire face.
b. Le 12 octobre 2023, l'hospice a transmis l'acte précité à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) pour raison de compétence.
c. Le 17 octobre 2023, le juge délégué a fixé un délai aux recourants pour confirmer que leur recours ne portait que sur le refus de remise, en lui indiquant le cas échéant les motifs qui les amenaient à contester ledit refus.
d. Le 24 octobre 2023, les recourants ont confirmé que leur recours portait « principalement » sur le refus de remise. Le motif en était leur situation financière précaire qui ne leur permettait pas de rembourser le montant demandé. Ils avaient toujours fait montre de bonne foi dans leurs rapports avec l'hospice, et n'avait pas refusé de signer l'ordre de paiement. Il contestait que l'assistante sociale eût évoqué, lors de l'entretien téléphonique du 3 février 2022, une demande de remboursement à venir. Il lui avait seulement été dit qu'ils ne pouvaient plus bénéficier de l'aide sociale.
e. Le 7 décembre 2023, l'hospice a conclu au rejet du recours.
Les recourants ne contestaient ni dans son principe ni dans sa quotité la demande de remboursement. S'agissant de la remise, ils n'étaient pas de bonne foi. Celle-ci devait, selon la jurisprudence, être niée lorsque la personne enrichie pouvait, au moment du versement, s'attendre à son obligation de restituer. L'art. 37 de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04) concernant les avances ne permettait pas de solliciter une remise. Lorsqu'un bénéficiaire percevait un arriéré de prestations ou d'assurances sociales pour une période pour laquelle il avait perçu des prestations d'aide financière de l'hospice, il ne pouvait ignorer qu'il devait les rembourser à ce dernier.
La condition de la situation financière difficile n'avait dès lors pas à être examinée, mais les recourants n'avaient quoi qu'il en fût donné aucune information permettant d'évaluer leur situation actuelle sur ce plan.
Il était avéré que le recourant avait signé l'ordre de paiement au SPC, la décision attaquée contenant à cet égard un lapsus calami. Cela était toutefois sans incidence sur l'issue du litige. L'allégation selon laquelle l'assistante sociale n'aurait pas attiré l'attention de B______ sur une demande de remboursement à venir était contestée, mais cela ne changeait rien au fait que les recourants savaient devoir rembourser à l'hospice l'allocation de maternité.
f. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 19 janvier 2024 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.
g. Le 19 janvier 2024, les recourants se sont déterminés. L'hospice reconnaissait avoir menti au sujet de la signature de l'ordre de paiement. De plus, s'il leur avait été dit que l'aide financière en cause devrait être remboursée, ils ne l'auraient pas acceptée. Leur situation financière ne s'était pas améliorée et était source de stress quotidien.
h. L'hospice ne s'est quant à lui pas manifesté.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Ni le recours ni la réplique du recourant ne contiennent de conclusions.
2.1 Selon l’art. 65 LPA, l’acte de recours contient sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). En outre, il doit contenir l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve. Les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes. À défaut, un bref délai pour satisfaire à ces exigences est fixé au recourant, sous peine d’irrecevabilité (al. 2).
2.2 Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pourvu que le juge et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/595/2024 du 14 mai 2024 consid. 2.2). Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/593/2023 du 6 juin 2023 consid. 2.2).
2.3 En l'espèce, les recourants ont confirmé contester le refus de remise. Le fait qu'ils aient mentionné que leur recours portait « principalement » sur ce point, bien que moins explicite, suggère qu'ils entendent également contester la décision de restitution. Il sera ainsi entré en matière sur ces deux aspects.
3. Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de restitution de CHF 3'517.10.
3.1 La LIASI a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1). Elle vise à garantir à ceux qui se trouvent dans la détresse matérielle et morale des conditions d’existence conformes à la dignité humaine (art. 1 al. 2 2e phr.). Avec le règlement d’exécution de la LIASI du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01), elle concrétise les art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 39 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00 ; ATA/256/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b).
3.2 Si les prestations d’aide financières prévues par la LIASI ont été accordées à titre d’avances, dans l’attente de prestations sociales ou d’assurances sociales, les prestations d’aide financière sont remboursables, à concurrence du montant versé par l’hospice durant la période d’attente, dès l’octroi desdites prestations sociales ou d’assurances sociales (art. 37 al. 1 LIASI).
L'hospice demande au fournisseur de prestations que les arriérés de prestations afférents à la période d'attente soient versés en ses mains jusqu'à concurrence des prestations d'aide financière fournies durant la même période (art. 37 al. 2 LIASI).
Il en va de même lorsque des prestations sociales ou d'assurances sociales sont versées au bénéficiaire avec effet rétroactif pour une période durant laquelle il a perçu des prestations d'aide financière (art. 37 al. 3 LIASI).
L'action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l'hospice a eu connaissance du fait qui ouvre le droit au remboursement ; le droit au remboursement s'éteint au plus tard dix ans après la survenance du fait (art. 37 al. 4 LIASI).
3.3 En l’espèce, les recourants ont perçu des prestations d’aide financière de l’hospice pour le mois de novembre 2021 à hauteur de CHF 3'517.10, alors que, pour la même période, une indemnité de maternité d'un montant de CHF 3'696.-, et donc supérieur, a été versé rétroactivement à la recourante en décembre 2021.
En raison de la subsidiarité des prestations d’aide financière prévue par
l’art. 9 LIASI et au vu du caractère remboursable des prestations de l’hospice lorsque des prestations sociales ou d'assurances sociales sont versées au bénéficiaire avec effet rétroactif (art. 37 al. 3 LIASI précité), les recourants sont effectivement tenus de rembourser à l’hospice la somme litigieuse de CHF 3'517.10, étant précisé que ce montant n'étant pas contesté, il n'y a pas lieu de le remettre en question. Le fait que le recourant ait signé un ordre de paiement valable auprès du SPC tend à démontrer qu'il savait que les prestations de sécurité sociale étaient remboursables – ce qui découle également du document « Mon engagement » qu'il a signé à deux reprises –, mais n'a pas d'influence directe sur l'issue du litige dès lors que l'indemnité de maternité a été versée non par le SPC mais par une caisse de compensation patronale. Il en va de même de la question de savoir si l'assistante sociale a ou non averti le recourant d'une demande de remboursement à venir, un tel avertissement ne représentant en tout hypothèse qu'un rappel pour information et non un réquisit légal ou réglementaire.
Enfin, le droit à la restitution n'est pas prescrit, ce qui n'est pas contesté.
La décision de l’hospice de réclamer le remboursement de CHF 3'517.10 est en conséquence conforme au droit.
4. Reste à examiner le bien-fondé de la demande de remise sollicitée à titre subsidiaire.
4.1 Conformément à l'art. 42 LIASI, le bénéficiaire de bonne foi n’est tenu au remboursement, total ou partiel, que dans la mesure où il ne serait pas mis, de ce fait, dans une situation difficile (al. 1). Dans ce cas, il doit formuler par écrit une demande de remise dans un délai de 30 jours dès la notification de la demande de remboursement. Cette demande de remise est adressée à l'hospice (al. 2).
De jurisprudence constante, les conditions de la bonne foi et de la condition financière difficile sont cumulatives (ATA/50/2024 du 16 janvier 2024 consid. 4.1 ; ATA/1231/2022 du 6 décembre 2022 consid. 4g).
La condition de la bonne foi doit être réalisée dans la période où l’assuré concerné a reçu les prestations indues dont la restitution est exigée (arrêt du Tribunal fédéral 8C_766/2007 du 17 avril 2008 consid. 4).
4.2 La bonne foi doit être niée quand l’enrichi pouvait, au moment du versement, s’attendre à son obligation de restituer parce qu’il savait ou devait savoir, en faisant preuve de l’attention requise, que la prestation était indue (art. 3 al. 2 CC ; ATF 130 V 414 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_385/2011 du 13 février 2012 consid. 3; ATA/1310/2023 du 5 décembre 2023 consid. 3).
4.3 En l'espèce, il découle des considérants qui précèdent que les recourants savaient, ou à tout le moins devaient savoir, que l'aide financière reçue l'était à titre d'avance et que le montant correspondant devait être reversé dès réception du rétroactif versé par la caisse de compensation. Il en découle qu'ils ne sauraient être de bonne foi en gardant par-devers eux le montant d'une prestation sociale qu'ils ont déjà reçu.
En l'absence de bonne foi, les recourants ne remplissent pas l'une des deux conditions cumulatives nécessaires pour obtenir la remise sollicitée, si bien qu'il n'est pas nécessaire de vérifier leurs allégations au sujet de leur situation financière.
Mal fondé également sur ce point, le recours sera rejeté.
5. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 ‑ RFPA – E 5 10.03) et, au vu de son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 3 octobre 2023 par A______ et B______ contre la décision sur opposition de l'Hospice général du 11 septembre 2023 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à A______ et B______ ainsi qu'à l'Hospice général.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
M. RODRIGUEZ ELLWANGER
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| le président siégeant :
J.-M. VERNIORY |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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