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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/900/2024

ATA/732/2024 du 18.06.2024 ( FPUBL ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/900/2024-FPUBL ATA/732/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 juin 2024

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Jean-Philippe ANTHONIOZ, avocat

contre

DEPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé

_________



EN FAIT

A. a. A______, citoyenne suisse, est née le ______ 1991.

b. Depuis son enfance, elle souffre d’affections psychiques, notamment d’un trouble du déficit de l’attention (ci-après : TDAH) et d’un trouble de la régulation émotionnelle. Ces troubles, qui ont provoqué d’importants échecs dans sa scolarité, n’ont été découverts et traités qu’à l’âge adulte.

c. Le 14 mars 2011, par ordonnance du Tribunal tutélaire, devenu entre-temps le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE), elle a été placée, à sa demande, sous tutelle (aujourd’hui curatelle de portée générale). Sa mère et son père ont été désignés tuteurs (aujourd’hui curateurs).

Selon la docteure B______, psychiatre FMH et cheffe de clinique, elle présentait une immaturité affective et une fragilité psychique très importante, elle était atteinte de troubles de l’attention et de la mémoire et était incapable de préserver sa personne et ses intérêts, de sorte qu’elle devait être aidée et protégée.

Cette mesure est toujours en vigueur.

d. De 2011 à 2014, elle a effectué un apprentissage de cuisinière auprès de la FONDATION C______, qui emploie des personnes en difficulté. Elle a échoué aux examens du certificat professionnel de capacité (ci-après : CFC).

e. Par jugement du 28 octobre 2014, le Tribunal correctionnel a retenu D______ coupable de viol et d’actes d’ordre sexuel avec des enfants et l’a condamné à une peine privative de liberté de 30 mois, au bénéfice du sursis partiel. Il a reconnu A______ coupable de complicité de viol et d’actes d’ordre sexuel avec des enfants, et l’a condamnée à une peine privative de liberté de quinze mois au bénéfice du sursis.

Le 20 juin 2009, A______ était en compagnie de son ami intime D______, né le ______ 1988, et de son amie E______, née le ______ 1993, lorsque celui-ci les avait conduites dans un parking avant de contraindre E______ à le masturber puis à subir une pénétration sur la banquette arrière de la voiture alors que A______ était assise sur le siège du passager avant.

Avant l’acte sexuel et la masturbation forcée, E______ avait dit « non » et signifié aux deux auteurs qu’elle ne voulait pas accomplir cet acte. Elle avait continué à manifester sa désapprobation et à demander à D______ d’arrêter. A______ avait entraîné E______, qui avait confiance en elle, et avait remis un préservatif à D______. Elle savait que E______ ne voulait pas et lui avait intimé de se taire quand elle exprimait sa réticence. Elle avait contribué, objectivement et subjectivement, de manière déterminante, à ce qu’il y ait un acte sexuel. Elle avait ajouté à la pression psychique, à dessein.

Le Tribunal correctionnel a retenu que la responsabilité de A______ était moyennement restreinte. Elle avait agi pour plaire à D______, ce qui était en lien avec les troubles dont elle souffrait. Sa prise de conscience de sa faute était faible. Elle avait toutefois fait preuve d’amendement, en travaillant sur son psychisme pour diminuer l’effet de ses troubles et le risque de récidive. La procédure avait été longue et elle avait fait et perpétuait des efforts pour s’insérer et elle terminait un apprentissage dans une activité qui la motivait.

À l’audience, la Dre B______, thérapeute de A______, a indiqué qu’elle l’avait connue alors qu’elle était âgée de 18 ans, suicidaire, se mettant en danger, vivant des relations compliquées, notamment avec sa famille, fusionnelle, influençable et dominée par les attentes des autres. Son intelligence était à la limite inférieure de la norme. Les déficits étaient du domaine affectif mais aussi cognitif. Après des débuts fluctuants, elle s’était investie dans sa psychothérapie et le désir de plaire à l’autre s’était atténué.

f. Avec effet au 1er juillet 2015, l’office cantonal de l’assurance invalidité (ci - après : OCAI) a octroyé à A______ une rente en raison d’une invalidité à 100%.

g. Après son échec aux examens de CFC, la FONDATION C______ n’a pas gardé A______ à son service.

Par contrat de travail en emploi adapté du 25 octobre 2022, celle-ci a été engagée par la FONDATION F______ (ci-après : la fondation) en qualité d’aide de cuisine dans son foyer de G______, pour un salaire mensuel brut de CHF 1'050.-, porté à CHF 1'086.40 dès le 1er janvier 2024.

B. a. Le 12 octobre 2023, le département de l’instruction publique, de la jeunesse et des sports (ci-après : DIP) a reçu du Ministère public genevois l’extrait de type 2 du casier judiciaire de A______.

b. Il ressort d’une note interne intitulée « Entretien VOSTRA du 30 octobre 2023 » que A______ a été entendue le même jour par H______, juriste, et I______, avocate-stagiaire, à la direction de la coordination des prestations déléguées et de la surveillance (ci-après : DCPDS) du DIP.

A______ était accompagnée de sa mère parce qu’elle était sous curatelle, et les personnes présentes, le DCPDS et le nouveau casier judiciaire VOSTRA lui avaient été présentés.

La note poursuit ainsi :

« Madame A______ a expliqué qu’elle était à l’Assurance‑invalidité, elle a des difficultés émotives, elle se perd et a de la peine à gérer ses émotions. C’est une personne influençable, qui donne de l’argent facilement. Il s’agit d’une personne très négative. Elle est suivie par des psychologues.

« Elle a expliqué qu’elle se levait tous les matins, et que c’était difficile.

« Elle travaille à F______ depuis 1 an en tant qu’employée de cuisine. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas de contact direct avec les enfants, cela lui arrive de les croiser mais sinon elle est derrière le comptoir et sert les enfants.

« Elle a indiqué qu’elle était félicitée pour son travail, pour son comportement et sa ponctualité.

« Si elle perdait son travail en raison de cette infraction, ce serait très compliqué pour elle, elle souhaite pouvoir continuer à faire à manger aux enfants, elle s’épanouit dans son travail.

« Elle a essayé de nous raconter les faits, mais c’était très difficile, elle et sa mère étaient toutes deux très émotives.

« Concernant les faits survenus en 2009, elle a indiqué qu’elle aurait présenté une amie à son petit copain de l’époque et qu’il aurait abusé de cette dernière. Elle a indiqué qu’elle n’aurait pas vu les faits et aurait été influencée.

« En parlant de son ex-copain, elle a utilisé des mots tels que "pédophile", "fils de pute", "connard", "action, sanctionner". Elle ne comprend pas pourquoi il pourrait continuer sa vie normalement malgré cette infraction alors qu’elle ne le pourrait pas.

« Elle nous a indiqué qu’elle n’avait pas de contact avec les enfants mais nous a dit qu’il lui arrivait que certains viennent lui faire des câlins, elle a ainsi bien des contacts avec eux.

« Elle nous a indiqué qu’elle ferait son possible pour retrouver le jugement et nous le transmettre ainsi que les certificats de travail qu’elle détient.

« Après le départ de Madame A______ ainsi que sa mère, nous avons discuté avec Madame H______ et sommes arrivées à la conclusion que l’état d’irresponsabilité dans lequel se trouvait Madame A______ n’avait certainement pas été retenu puisqu’aucune mention n’en était faite dans le casier judiciaire. De plus, une peine privative de liberté de 15 mois lui avait été infligée. Ainsi, elle n’a certainement pas seulement présenté son amie à son ex petit copain mais a dû participer à l’infraction d’une manière plus importante.

« Au regard de la gravité des infractions retenues dans le jugement, de la peine privative de liberté de 15 mois (les peines pécuniaires sont possibles pour de telles infractions, ce qui n’a pas été retenu ; ceci nous prouve que les infractions sont d’une gravité importante). En outre, il s’agit d’une personne instable, qui s’énerve vite et facilement et qui profère des injures. Finalement, elle est bien en contact avec des enfants malgré son poste d’employée de cuisine. »

La note interne ne comporte pas de signature ni n’indique qu’elle aurait été remise à A______ ou à sa mère.

c. Par décision du 16 février 2024, notifiée à A______, déclarée exécutoire nonobstant recours, la conseillère d’État en charge du DIP a fait interdiction à A______ de travailler avec des mineurs pour une durée indéterminée.

A______ avait indiqué lors de l’entretien du 30 octobre 2023 qu’elle était sous curatelle et que malgré sa fonction d’employée de cuisine, il lui arrivait d’avoir des contacts directs avec les enfants, qu’elle adorait son travail, « et particulièrement le fait de recevoir des câlins de la part des enfants. ».

Au regard des éléments qui ressortaient du jugement du Tribunal correctionnel qu’elle avait communiqué ainsi que de la gravité des infractions, qui étaient incompatibles avec le travail avec les mineurs, le DIP considérait qu’elle ne pouvait exercer un métier en lien avec des enfants.

La décision était fondée sur l’art. 19 al. 4 de l’ordonnance réglant le placement d'enfants à des fins d'entretien et en vue de l'adoption du 19 octobre 1977 (OPE - RS 211.222.338) et l’art. 32 al. 1 let. c de la loi sur l'enfance et la jeunesse du 1er mars 2018 (LEJ ‑ J 6 01).

d. Le 26 février 2024, le DIP a indiqué à la fondation qu’après avoir reçu l’extrait du casier judiciaire de A______ et entendu cette dernière, il considérait qu’elle ne pouvait pas exercer un métier en lien avec les enfants.

Il avait prononcé une décision lui faisant interdiction de travailler avec des mineurs, pour une durée indéterminée et avec effet immédiat. Il invitait la fondation à faire le nécessaire pour qu’elle ne soit plus en contact avec des enfants.

e. Le 1er mars 2024, la fondation a indiqué avoir pris note de la décision.

A______ était en arrêt maladie, et dès son retour une solution conforme à la décision lui serait proposée. Elle semblait avoir largement partagé la décision (détaillée) reçue avec son entourage professionnel. La fondation avait compris qu’elle serait notifiée en amont afin de pouvoir atténuer l’impact de la décision et protéger la personnalité de A______, qui était au bénéfice d’un emploi adapté et d’une rente d’invalidité. Elle avait été prise de court, ignorant si la curatrice avait été prévenue, et regrettait vivement cette situation s’agissant d’une personne qu’elle avait le devoir d’accompagner de façon particulièrement respectueuse compte tenu de sa situation spécifique d’invalidité. Elle espérait que le dossier ne prendrait pas une tournure négative largement évitable.

C. a. Par acte remis à la poste le 12 mars 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du 16 février 2014, concluant à son annulation. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée au DIP pour nouvelle décision. Préalablement, l’effet suspensif devait être restitué au recours et trois témoins devaient être entendus.

Le caractère exécutoire nonobstant recours de la décision n’avait pas été indiqué dans le dispositif mais dans les voies de droit, ce qui rendait douteuse son effectivité.

Elle avait été transparente durant son audition. La décision querellée avait été prise sans que lui ait été donnée la possibilité de s’exprimer sur les mesures envisagées par le DIP.

Les faits remontaient à plus de quinze ans, et s’étaient produits alors qu’elle était majeure de quelques semaines à peine, souffrait d’affections mentales, était anosognosique et influencée par le mauvais comportement d’un tiers. Elle n’avait jamais eu de relations sexuelles avec la victime.

Elle était suivie depuis de manière régulière. Le docteur J______ et la psychologue K______ étaient en charge du suivi. Elle avait pris conscience de la gravité de ses actes.

Elle n’avait plus jamais commis aucune infraction depuis les événements de 2009. L’inscription à son casier judiciaire serait radiée le 29 octobre 2024. Dans son dernier rapport de 2022, la FONDATION C______ avait relevé la grande maturité qu’elle avait acquise.

Une évaluation de fin de stage du 19 août 2022 relevait d’excellentes aptitudes dans les capacités cognitives, intellectuelles, sociales et professionnelles, ainsi que la confiance qu’on pouvait lui accorder.

Elle n’était pas en contact direct avec les enfants du foyer de G______. Les câlins retenus par le DIP n’avaient eu lieu qu’à une reprise, au terme d’un stage découverte d’un enfant qui avait tenu à remercier toute l’équipe et qui l’avait prise dans ses bras.

Le Dr J______ avait attesté le 27 février 2024 qu’elle ne présentait aucun risque pour travailler avec des mineurs.

La décision entraînerait des conséquences dramatiques pour elle, soit la perte de son emploi en milieu protégé, dans lequel elle se plaisait et qui donnait entièrement satisfaction à son employeur.

Son droit d’être entendue avait été violé. Elle n’avait pu se déterminer sur la mesure envisagée par le DIP.

Sa liberté économique, le principe de la primauté du droit fédéral et la loi avaient été violés. L’autorité avait abusé de son pouvoir d’appréciation et violé le principe de proportionnalité.

L’interdiction professionnelle était une mesure pénale réglée exhaustivement par le Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Seul un juge pénal était compétent pour prononcer une interdiction en raison d’un crime ou d’un délit.

Les faits avaient été constatés de manière inexacte. Elle n’était pas en contact régulier avec les enfants et elle n’avait pas déclaré qu’elle aimait particulièrement recevoir des câlins de leur part. Le DIP n’avait pas tenu compte de ce qu’elle n’était pas l’auteure des infractions, qu’une responsabilité moyennement restreinte avait été retenue, qu’elle avait agi pour plaire à D______ en lien avec les troubles dont elle souffrait, qu’elle avait pris conscience de ses actes, qu’elle avait fait des efforts pour s’insérer socialement, présenté des excuses à la victime et entamé un suivi médical, et que le risque de récidive avait été jugé mesuré, ce qui avait permis l’octroi du sursis.

Les infractions en matière sexuelle étaient commises à 98% par des hommes. Le risque évoqué par le DIP était en réalité insignifiant.

b. Le 13 mars 2024, le DIP, répondant à un courrier du 6 mars 2024, a indiqué au conseil de A______ que celle-ci était accompagnée par sa mère lors de son audition, et que la décision, notifiée à sa mandante domiciliée chez sa mère, respectait son droit d’être entendue.

c. Le 28 mars 2024, le DIP s’est opposé à la restitution de l’effet suspensif.

La fondation avait indiqué qu’une solution interne, conforme à la décision, serait proposée à la recourante.

d. Le 3 avril 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions sur effet suspensif.

e. Le 18 avril 2024, le DIP a conclu au rejet du recours.

Il ne s’était pas substitué aux autorités pénales mais s’était fondé sur le droit public fédéral et cantonal. Depuis l’entrée en vigueur du casier judiciaire VOSTRA le 23 janvier 2023, l’autorité administrative de protection des enfants était tenue de s’assurer que les personnes travaillant avec des enfants dans une institution de placement d’enfants n’avaient pas commis d’infraction pénale incompatible avec le travail avec des mineurs. Dans le cadre de l’examen de la liste du personnel transmise en 2023 par la fondation, il avait demandé au Ministère public l’extrait 2 du casier judiciaire.

Il importait peu que le recourante fût en contact ponctuellement avec des enfants hébergés par la fondation. Au vu des infractions commises, il était inenvisageable qu’elle soit en contact avec des mineurs dans le cadre de l’accomplissement de son travail. La culpabilité ne pouvait être minimisée. Malgré l’ancienneté des faits, les excuses présentées, le travail thérapeutique et l’insertion sociale, il ne pouvait être fait abstraction du risque qu’elle représentait pour les enfants hébergés par la fondation.

La recourante avait elle-même indiqué lors de son audition qu’elle avait des difficultés émotives, qu’elle se perdait et peinait à gérer ses émotions, qu’elle était une personne influençable et très négative. Les collaboratrices qui avaient mené l’entretien avaient constaté qu’elle était une personne instable qui s’énervait vite et facilement et qui proférait des injures.

Le droit fédéral commandait expressément que le passé pénal du personnel des établissements de placement d’enfants soit pris en considération dans le cadre de la surveillance exercée par l’autorité de protection de l’enfant.

Contrairement à ce que prétendait la recourante, l’extrait 2 de son casier judiciaire mentionnant la condamnation serait encore visible par l’autorité de protection de l’enfance jusqu’au 18 juin 2030.

Le principe de précaution prévalait dans la pesée des intérêts dans le cadre de la protection du bien et de l’intérêt supérieur des enfants.

La recourante n’avait pas perdu son emploi et ses craintes à ce sujet étaient infondées.

f. Le 30 avril 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions au fond.

Elle n’avait jamais souffert d’aucune pathologie en relation avec les enfants.

g. Le 8 mai 2024, le juge délégué a entendu les parties et des témoins.

ga. A______ a déclaré qu’à la suite de la décision querellée, elle avait été déplacée dans les cuisines d’un foyer à la L______, pour un stage, à l’issue duquel une place n’avait pu lui être attribuée. Elle s’était à nouveau sentie en échec. Sa référente l’avait alors placée dans un foyer aux M______, où elle pourrait peut‑être trouver sa place. Elle devait reprendre confiance en elle. Au foyer de G______, elle arrivait le matin en cuisine. Ils étaient huit, avec les référents, et elle n’était jamais seule. Lors des repas, il y avait un tournus et ils servaient à tour de rôle des enfants durant une semaine. Ils attendaient derrière le bain-marie et les enfants venaient se faire servir dans la file d’attente. Elle n’était jamais seule : il y avait toujours un éducateur avec l’enfant et un référent avec elle. Concernant les câlins, elle confirmait qu’à une reprise un pensionnaire âgé d’une dizaine d’années qui avait passé la matinée en cuisine pour une sorte de sensibilisation avait pris chaque membre de l’équipe, à tour de rôle, dans ses bras pour exprimer sa gratitude. Elle voyait tous les quinze jours sa psychothérapeute, K______. Elle était toujours suivie par le Dr J______, qui continuait à lui prescrire du Concerta. Elle travaillait tous les jours sur les troubles de l’attention dont elle souffrait. Elle voyait souvent ses nièces, âgées de 7 et 3 ans. Elle faisait des activités avec elles. Le week‑end précédent, elle avait fait du roller-skate avec l’une d’elles. La grande avait les mêmes difficultés qu’elle et elle l’aidait à surmonter les obstacles. Elle jouait aussi avec les enfants de son cousin et de sa cousine. Elle n’avait pas d’attirance sexuelle pour les enfants. Elle les aimait comme des membres de sa famille. Elle suivait une formation pour apprendre à former des personnes handicapées. Elle avait déjà participé à la formation de deux stagiaires en cuisine. Elle avait à chaque fois passé une semaine avec eux. Elle n’avait jamais été seule avec eux.

gb. N______, mère de la recourante, a expliqué que celle-ci souffrait à l’adolescence de troubles qui n’avaient été ni diagnostiqués ni traités. Elle avait subi des échecs scolaires importants et s’était trouvée avec des personnes qui avaient abusé de sa vulnérabilité et qui l’avaient poussée à dilapider son compte d’épargne. La mise sous tutelle avait été demandée pour la préserver de ces personnes. Elle n’avait jamais observé chez sa fille des comportements problématiques avec les enfants. À l’époque des faits, sa fille était très influençable. Son sens des responsabilités et sa capacité à gérer ses affaires s’étaient considérablement améliorés depuis lors. Elle n’était plus influençable comme avant. Elle s’était vraiment améliorée. Elle était très investie dans son projet professionnel. Elle voulait devenir cuisinière. Elle avait un ami depuis quelques années, une bonne personne qui avait un métier et qu’elle connaissait.

gc. Les représentantes du DIP ont expliqué que depuis le 1er septembre 2023, le DIP demandait chaque année la liste actualisée de tout le personnel soumis à l’OPE, soit environ 15'000 personnes dans le canton. Il adressait ensuite cette liste au Ministère public par tranches de 500 noms, et celui-ci lui indiquait quelles personnes avaient un casier judiciaire et lui adressait pour chacune d’elles un extrait de celui-ci indiquant les condamnations et les procédures pénales en cours. Un groupe de trois personnes examinait chaque situation signalée pour déterminer si l’infraction mentionnée au casier était compatible avec une activité avec les enfants. Le cas de la recourante était le premier d’interdiction de travailler. Il y avait environ 30 personnes dans chaque tranche de 500 noms qui avaient des antécédents ou des procédures en cours. Toutes ne présentaient pas des infractions faisant douter de leur capacité à travailler avec des enfants. Lorsqu’un cas était détecté, la personne était convoquée. Aucun procès-verbal de l’audition de la recourante n’avait été établi. L’audition était synthétisée dans la note interne du 30 octobre 2023. Au moment de l’audition, le DIP n’avait que l’extrait VOSTRA. Durant l’audition, il n’avait pas été dit formellement à la recourante que le DIP l’entendait car il envisageait de lui interdire de travailler avec des enfants. L’affirmation du § 10 de la décision attaquée, selon laquelle « […] il vous arrivait d’avoir des contacts directs avec les enfants, que vous adoriez votre travail, et particulièrement le fait de recevoir des câlins de la part des enfants » était fondée sur la note interne.

gd. O______, chef de cuisine au bénéfice d’une année de formation de maître socio-professionnel, a expliqué qu’il était le responsable direct de la recourante au foyer de G______ et l’avait suivie pendant un an et demi. Elle était toujours de bonne humeur, ponctuelle, travailleuse, en demande permanente de tâches. Elle avait de bonnes connaissances professionnelles et une bonne logique de travail, même si elle se distrayait quelquefois. Elle avait de bonnes relations avec tout le monde. Elle respectait la hiérarchie et tout ce qu’on lui disait. Il n’y avait jamais eu de problème. Elle avait parfois besoin d’être rassurée. Elle avait des contacts avec les enfants qui venaient chercher leurs repas accompagnés de leurs éducateurs. Elle n’avait aucun problème avec les enfants. Elle avait une relation empathique. Elle essayait de se mettre en lien avec eux. Outre les pensionnaires handicapés, le foyer accueillait chaque jour une cinquantaine d’enfants de l’école primaire voisine pour les cuisines scolaires. Il arrivait à la recourante de les servir au self-service. Il n’avait jamais observé de comportement inadéquat de la recourante, en particulier des comportements inadéquats avec les enfants. Il se souvenait du pensionnaire qui avait fait un petit stage en cuisine et qui avait remercié tout le monde. Certains pensionnaires étaient très tactiles et prenaient spontanément le personnel dans leurs bras. La recourante n’avait droit qu’à une dernière tentative de passer son CFC. Il était un peu prématuré pour elle de se représenter. Elle suivait effectivement une formation de formatrice, qui devait aboutir à une reconnaissance cantonale. Quand un stagiaire venait, elle était apte à lui inculquer ce qu’elle savait faire, et cela se passait toujours très bien. Il tenait à dire qu’ils avaient quand même été surpris lorsque la recourante avait reçu sa décision. Il ne pensait pas qu’elle soit un danger pour les enfants ou les mineurs.

ge. P______, responsable du département formation de la fondation, a expliqué qu’il suivait de loin la situation et l’évolution de la recourante. Elle avait souscrit à la charte « Zéro tolérance » portant sur la violence et tous les types d’abus. Il n’y avait jamais eu de retour négatif à son sujet, en particulier au sujet des pensionnaires ou des tiers. Les exigences étaient plus élevées au restaurant des M______ et le stress plus grand qu’à G______, au détriment de l’encadrement nécessité par la recourante. Celle-ci avait fait un deuil quand elle avait dû quitter le foyer de G______. G______ ou Q______, qui accueillait des enfants en bas âge, étaient des structures mieux adaptées pour elle.

gf. Au terme de l’audition, le DIP a indiqué qu’il n’était pas insensible aux arguments relatifs à la proportionnalité de la mesure et que sa présidente n’était pas opposée à une transaction que pourraient conclure les parties et qui porterait sur une interdiction non plus définitive mais limitée dans le temps.

h. Le 17 mai 2024, le DIP a persisté dans ses conclusions.

Bien que les enquêtes eussent montré que la recourante ne semblait a priori pas constituer un risque pour les mineurs fréquentant la fondation, il ne pouvait prendre aucun risque, compte tenu des graves infractions pénales pour lesquelles elle avait été condamnée et de la population très vulnérable accueillie par la fondation.

Il résultait d’un arrêt récent du Tribunal fédéral, qu’il produisait, que la recourante entrait bien dans le large champ d’application de l’art. 32 al. 1 let. a LEJ.

Le DIP était disposé à réduire dans le temps sa décision d’interdiction pour le cas où la recourante serait disposée à transiger.

Il avait consulté l’office fédéral de la justice, qui lui avait indiqué que la date à partir de laquelle le jugement ne serait plus visible était le 15 juin 2025, selon l’art. 38 al. 3 let. d de la loi fédérale sur le casier informatique VOSTRA du 17 juin 2016 (LCJ - RS 330).

i. Le 21 mai 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions au fond et en restitution de l’effet suspensif. Subsidiairement, la durée de l’interdiction devait être abrégée.

Il n’était pas admissible que le DIP notifie immédiatement à l’employeur une interdiction de travailler. Cela avait stigmatisé la recourante et porté une grave atteinte à sa personnalité et à sa réputation.

Quinze ans s’étaient écoulés depuis l’infraction. Il n’existait objectivement aucun risque suffisamment concret et tangible qui justifie le prononcé d’une interdiction à vie de travailler avec les enfants. L’audition du Dr J______ pourrait au besoin confirmer cela.

j. Le 22 mai 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante conclut à titre préalable à l’audition de témoins.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s’étend qu’aux éléments pertinents pour l’issue du litige et n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n’implique pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, la chambre de céans a entendu O______ et P______. Les auditions de la référente et du neuropédiatre de la recourante ne sont pas nécessaires pour trancher le litige, ainsi qu’il sera vu plus loin. Elles ne seront pas ordonnées.

3.             Dans un grief qu’il convient d’examiner préliminairement, la recourante se plaint de la violation de son droit d’être entendue.

3.1 Le droit d’être entendu comprend également le droit pour la personne concernée de s’expliquer avant qu’une décision ne soit prise à son détriment et celui d’avoir accès au dossier. En tant que droit de participation, le droit d’être entendu englobe donc tous les droits qui doivent être attribués à une partie pour qu’elle puisse faire valoir efficacement son point de vue dans une procédure (ATF 148 II 73 consid. 7.3.1 ; 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_700/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3 et les références).

3.2 En matière de rapports de travail de droit public, la jurisprudence admet que des occasions relativement informelles de s'exprimer avant le licenciement peuvent remplir les exigences du droit constitutionnel d'être entendu, pour autant que la personne concernée ait compris qu'une telle mesure pouvait entrer en ligne de compte à son encontre (ATF 144 I 11 consid. 5.3 in fine ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_176/2022 du 21 septembre 2022 consid. 4.1). La personne concernée ne doit pas seulement connaître les faits qui lui sont reprochés, mais doit également savoir qu'une décision allant dans une certaine direction est envisagée à son égard (arrêt du Tribunal fédéral 8C_158/2009 du 2 septembre 2009 consid. 5.2, non publié aux ATF 136 I 39, et les arrêts cités).

3.3 La violation du droit d’être entendu doit en principe entraîner l’annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond (ATF 141 V 495 consid. 2.2 ; 140 I 68 consid. 9.3 ; 135 I 279 consid. 2.6.1). Une réparation devant l’instance de recours est possible si celle-ci jouit du même pouvoir d’examen que l’autorité intimée (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 133 I 201 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_302/2018 du 14 mars 2019 consid. 2.1). Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle-ci dispose d’un libre pouvoir d’examen en fait et en droit (art. 61 LPA). Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d’être entendu, même si l’autorité de recours n’a pas la compétence d’apprécier l’opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral du 12 mai 2020 8C_257/2019 consid. 2.5 et les références citées), sous réserve que ledit vice ne revête pas un caractère de gravité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5). La réparation d’un vice de procédure en instance de recours peut se justifier en présence d’un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).

3.4 En l’espèce, l’intimé a convoqué la recourante pour l’entendre. Il ne soutient pas avoir indiqué à l’avance l’objet et l’enjeu de l’audition. Il n’a pas tenu de procès‑verbal de l’audition. La note de service censée synthétiser l’audition ne permet pas de comprendre ce que l’intimé a dit à la recourante, ni ce que cette dernière aurait compris, sur les motifs de son audition et les mesures envisagées à son égard. L’intimé a admis lors des enquêtes qu’il n’a pas indiqué à la recourante lors de son audition qu’il l’entendait parce qu’il envisageait de lui interdire de travailler avec des enfants.

Par ailleurs, au moment de l’audition, l’intimé ne possédait pas encore le jugement pénal sur lequel il a fondé la décision querellée, que la recourante allait lui fournir par la suite, à sa demande.

L’instruction n’était donc pas complète avec l’audition de la recourante, et l’intimé ne soutient pas lui avoir communiqué ses intentions ni donné l’occasion de s’exprimer une fois l’instruction achevée. Il ne soutient pas non plus lui avoir remis une copie de la note de service – qui contient des appréciations sur le caractère et la santé psychique de la recourante déterminantes pour la décision et apparemment fondées sur les seules observations des juristes ayant conduit l’entretien – ou toute autre forme de procès-verbal de son audition.

Il suit de là que la recourante n’a pas pu saisir les enjeux de son audition, ni même de la procédure en général, et n’a pas été en mesure de s’exprimer avant que la décision soit prise. Ces circonstances sont constitutives d’une violation du droit d’être entendue de la recourante. Cette violation apparaît particulièrement grave compte tenu : (1) de la sévérité de la décision, qui interdit à vie à la recourante de travailler avec des enfants et porte ainsi une atteinte grave à sa liberté économique, (2) du caractère déterminant du jugement pénal et (3) du caractère déterminant d’observations sur la personnalité et la santé psychique de la recourante qui ressortissent prima facie à la compétence de psychiatres ou de psychologues forensiques et commandent, ainsi qu’il sera vu plus loin, une instruction spécifique.

Le vice formel affectant la décision n’apparaît ainsi pas réparable devant la chambre de céans, dès lors qu’il n’appartient pas à celle-ci de se substituer à l’autorité pour accomplir l’instruction de la décision. Cela est d’autant plus vrai que l’intimé semble encore occupé à établir une pratique en matière de contrôle des personnes travaillant avec des enfants.

Pour ce premier motif, la décision devra être annulée.

4.             Dans un second grief formel, la recourante conteste la compétence de l’autorité pour lui interdire de travailler avec les enfants.

L’intimé a fondé sa décision sur les art. 316 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), 19 al. 4 OPE et 32 al. 1 let. c LEJ.

4.1 De jurisprudence constante, la chambre administrative est habilitée à revoir, à titre préjudiciel et à l’occasion de l’examen d’un cas concret, la conformité des normes de droit cantonal au droit fédéral (ATA/675/2021 du 29 juin 2021 consid. 6 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3e éd., 2012, p. 345 ss n. 2.7.3). Cette compétence découle du principe de la primauté du droit fédéral sur le droit des cantons, ancré à l’art. 49 Cst. (ATF 138 I 410 consid. 3.1 ; ATA/397/2021 du 13 avril 2021 consid. 6). D’une manière générale, les lois cantonales ne doivent rien contenir de contraire à la Cst., aux lois et ordonnances du droit fédéral (ATF 145 IV 10 consid. 2.1 ; ATA/1299/2020 du 15 décembre 2020 consid. 4a ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/ Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. 1, 4éd., 2021, p. 33 ss n. 1982 ss). Le contrôle préjudiciel permet de déceler et de sanctionner la violation par une loi ou une ordonnance cantonale des droits garantis aux citoyens par le droit supérieur. Toutefois, dans le cadre d'un contrôle concret, seule la décision d'application de la norme viciée peut être annulée (ATA/1367/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6b ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 352 ss n. 2.7.4.2).

La juridiction constitutionnelle suisse consacre de façon générale le système diffus de contrôle de constitutionnalité. Toute autorité chargée de l’application des normes doit examiner si celles-ci sont conformes au droit supérieur et, si tel n’est pas le cas, refuser de les mettre en œuvre. Cette obligation est désignée par l’expression « contrôle préjudiciel général » (Giorgio MALINVERNI et al., op. cit., p. 733 n. 1982). Le contrôle préjudiciel général s’exerce également sur les actes législatifs cantonaux, en tout cas dans la mesure où leur conformité au droit fédéral et au droit international est en cause. Cette conclusion s’impose en vertu du principe de la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal (art. 49 al. 1 Cst. ; Giorgio MALINVERNI et al., op. cit., p. 736 n. 1991).

4.2 Selon l'art. 5 al. 1 Cst., le droit est la base et la limite de l'activité de l'État. Le principe de la légalité se compose de deux éléments : le principe de la suprématie de la loi et le principe de l'exigence de la base légale. Le premier signifie que l'autorité doit respecter l'ensemble des normes juridiques ainsi que la hiérarchie des normes. Le second implique que l'autorité ne peut agir que si la loi le lui permet ; son action doit avoir un fondement dans une loi (Pierre MOOR et al., op. cit., vol. I, 3e éd., 2012, p. 621, 624 et 650 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 448, 467 ss et 476 ss).

Le principe de la légalité exige que les autorités n’agissent que dans le cadre fixé par la loi (ATF 147 I 1 consid. 4.3.1). Hormis en droit pénal et fiscal où il a une signification particulière, le principe de la légalité n’est pas un droit constitutionnel du citoyen. Il s’agit d’un principe constitutionnel qui ne peut pas être invoqué en tant que tel, mais seulement en relation avec la violation, notamment, du principe de la séparation des pouvoirs, de l’égalité de traitement, de l’interdiction de l’arbitraire ou la violation d’un droit fondamental spécial (ATF 146 II 56 consid. 6.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_776/2020 du 7 juillet 2022 consid. 7.1).

4.3 Selon l'art. 27 al. 1 Cst., la liberté économique est garantie. Elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2 Cst.). La liberté économique protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 137 I 167 consid. 3.1 ; 135 I 130 consid. 4.2). L’art. 36 Cst. exige que toute restriction d’un droit fondamental soit fondée sur une base légale (al. 1), justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2) et proportionnée au but visé (al. 3).

Les restrictions à la liberté économique peuvent consister en des mesures de police ou d'autres mesures d'intérêt général tendant à procurer du bien-être à l'ensemble ou à une grande partie des citoyens ou à accroître ce bien-être, telles des mesures sociales ou de politique sociale. Ces restrictions ne doivent toutefois pas se fonder sur des motifs de politique économique et intervenir dans la libre concurrence pour favoriser certaines formes d'exploitation en dirigeant l'économie selon un certain plan, à moins qu'elles ne soient prévues par une disposition constitutionnelle spéciale ou fondées sur les droits régaliens des cantons (arrêt du Tribunal fédéral 2A.456/2004 du 23 mai 2005 consid. 4.2).

4.4 La LEJ, entrée en vigueur le 19 mai 2018, a pour but, entre autres, de protéger les enfants menacés dans leur intégrité physique et psychique (art. 1 let. d LEJ). Elle s’applique à tous les enfants et jeunes domiciliés ou résidant dans le canton ou scolarisés dans les établissements publics ou subventionnés du canton (art. 2). Selon la LEJ, est un enfant tout être humain âgé de moins de 18 ans et un jeune tout être humain âgé de 18 ans révolus et au maximum de 25 ans (art. 4). Le DIP est chargé d’appliquer la LEJ (art. 6).

Parmi les « missions », la LEJ désigne entre autres la « protection » (chapitre III section 3), soit l’ensemble des mesures socio-éducatives visant à prévenir, limiter ou faire disparaître un danger qui menacerait un enfant en raison des difficultés rencontrées par les parents dans l’exercice de leurs responsabilités, à assister les familles, à rétablir les conditions favorables au développement de l’enfant et, si nécessaire, à l’éloigner (art. 22 LEJ). Ces mesures visent à prévenir, limiter ou faire disparaître le danger qui menace l’enfant (art. 23 al. 1 LEJ), et consistent en l’assistance éducative et personnelle (art. 25), la lutte contre la maltraitance (art. 26), la clause péril (art. 27), le placement (art. 28), la protection internationale (art. 29), les expertises (art. 30) et la désignation des institutions pour le traitement des addictions.

Au chapitre IV, intitulé « autorisation de surveillance », l’art. 32 LEJ al. 1 prévoit qu’en vertu de l’art. 316 al. 1 CC, de l’OPE, et de l’ordonnance sur les prestations de la Confédération dans le domaine de l’exécution des peines et des mesures, du 21 novembre 2007 (OPPM - RS 341.1), le DIP est l’autorité compétente (a) pour autoriser et surveiller le placement d’enfants chez des parents nourriciers, dans une institution et à la journée ; (b) pour les prestations fournies dans le cadre du placement chez des parents nourriciers ; (c) pour interdire à une personne, pour une durée déterminée ou indéterminée, l’accueil de mineurs soit à titre personnel, soit dans le cadre d’un groupe ou d’une institution et cela notamment pour les recevoir, les réunir, les héberger, leur donner un enseignement, organiser ou diriger leurs loisirs. Cette compétence s’étend également aux personnes et institutions dispensées d’autorisation ou de surveillance ; (d) pour désigner l’office de liaison au sens de l’article 26 de l’ordonnance sur les prestations de la Confédération dans le domaine de l’exécution des peines et des mesures du 21 novembre 2007 (OPPM - RS 341.1). Selon l’al. 2 de cette même disposition, les hospitalisations sociales d’enfants ne doivent être permises qu’en dernier recours et si aucune alternative n’a pu être trouvée.

L’exposé des motifs du Conseil d’État du 25 janvier 2017 à l’appui du PL 12054, qui deviendra la LEJ, fait explicitement référence à l’OPE. Au sujet de l’art. 30 al. 1 let. c, qui deviendra l’art. 32 al. 1 let. c LE, il indique qu’il est donné la compétence au département d'interdire, pour une durée déterminée ou indéterminée, à des personnes et des institutions, l'accueil de mineurs à titre personnel ou dans le cadre d'un groupe ou d'une institution, pour les recevoir, les réunir, les héberger, leur donner un enseignement, organiser ou diriger leurs loisirs. « Sont visés par cette disposition notamment les moniteurs, répétiteurs, entraîneurs sportifs, éducateurs, enseignants, etc. qui auraient commis des actes de violence ou d'abus sexuels sur des mineurs » (p. 43). Le rapport de la commission de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et du sport du 8 janvier 2018 ne semble pas avoir abordé cette disposition. La disposition a été adoptée sans discussion lors du deuxième débat le 1er mars 2018.

Le règlement d’application de la LEJ du 9 juin 2021 (REJ - J 6 01.01) prévoit, à son art. 69, que, indépendamment du régime de l'autorisation et de la surveillance, le service peut interdire l'accueil de mineures et de mineurs à toute requérante ou tout requérant qui ne satisfait pas, soit sur le plan de l'éducation, soit quant à son caractère, ses qualités personnelles ou à son état de santé, aux exigences de sa tâche et des objectifs du placement, ou que les conditions matérielles ne sont manifestement pas remplies (al. 1), et que concernant les institutions, soumises ou non à autorisation, l'accueil de mineures et de mineurs peut être interdit en sus si les qualifications de la personne responsable de l'institution et du personnel ne sont pas suffisantes, que les conditions d'accueil, l'encadrement des enfants, l'état sanitaire, la sécurité du bâtiment ne permettent pas d'offrir une sécurité adéquate aux mineures et aux mineurs, et/ou que les objectifs éducatifs sont contraires à l'ordre public (al. 2).

4.5 Au chapitre C du droit de la filiation (art. 307-317 CC), consacré à la protection de l’enfant, le CC prévoit, au titre des mesures protectrices, la curatelle (art. 308 CC), le retrait du droit des parents de déterminer le lieu de résidence de l’enfant (art 310 CC) et le retrait de l’autorité parentale (art. 311 et 312 CC), tout en réservant les faits nouveaux (art. 313 CC). La procédure pour la protection des adultes est applicable par analogie (art. 314 CC). L’enfant est entendu (art. 314a CC). Un représentant lui est désigné en cas de besoin (art. 314abis CC). Le placement dans une institution fermée ou dans un établissement psychiatrique est réglé spécifiquement (art. 314b à 314 d CC). Les parties à la procédure et les tiers ont l’obligation de collaborer à l’établissement des faits (art. 314e CC). Le chapitre règle encore le for (art. 315 CC), la compétence du juge (art. 315a CC) et la modification des mesures (art. 315b CC).

Sous le titre VIII « surveillance des enfants placés chez des parents nourriciers », l’art. 316 CC prévoit que le placement d’enfants auprès de parents nourriciers est soumis à l’autorisation et à la surveillance de l’autorité de protection de l’enfant ou d’un autre office du domicile des parents nourriciers, désigné par le droit cantonal (al. 1). Lorsqu’un enfant est placé en vue de son adoption, une autorité cantonale unique est compétente. (al. 1bis). Le Conseil fédéral édicte des prescriptions d’exécution (al. 2).

4.6 Selon l’art. 1 OPE, le placement d’enfants hors du foyer familial est soumis à autorisation et à surveillance (al. 1). Indépendamment du régime de l’autorisation, le placement peut être interdit lorsque les personnes intéressées ne satisfont pas, soit sur le plan de l’éducation, soit quant à leur caractère ou à leur état de santé, aux exigences de leur tâche, ou que les conditions matérielles ne sont manifestement pas remplies (al. 2). Selon l’al. 3 de cette même disposition, sont réservées : (a) les attributions des parents, de l’autorité de protection de l’enfant et des tribunaux pour mineurs ; (b) les dispositions de droit public assurant la protection des mineurs, notamment dans le domaine de la lutte contre la tuberculose. Aucune autorisation n’est exigée pour la prise en charge et le placement d’enfants dans le cadre de programmes d’échange scolaire, d’engagements au pair et de séjours de nature comparable, hors du domicile familial, qui ne sont pas ordonnés par les autorités (al. 4). Selon l’art. 2 al. 1, est compétente pour délivrer l’autorisation ou recevoir l’annonce et pour exercer la surveillance : (a) s’agissant du placement de l’enfant chez des parents nourriciers, dans une institution ou à la journée, l’autorité de protection de l’enfant du lieu de placement ; (b) ’agissant des prestations fournies dans le cadre du placement chez des parents nourriciers, une autorité cantonale centrale désignée par le canton du siège ou du domicile du prestataire. Ces tâches peuvent être confiées à d’autres autorités (al. 2).

Selon l’art. 3 al. 1 OPE, les cantons peuvent, aux fins d’assurer la protection des mineurs vivant en dehors de leur foyer, édicter des dispositions allant au-delà de celles de l’ordonnance.

L’OPE soumet à autorisation les parents nourriciers (art. 4 à 11 OPE), les mamans de jour (art. 12), et les institutions (art. 13 à 20 OPE), soit, selon l’art. 13 al. 1 OPE, les institutions qui s’occupent d’accueillir (a) plusieurs enfants, pour la journée et la nuit, aux fins de prendre soin d’eux, de les éduquer, de leur donner une formation, de les soumettre à observation ou de leur faire suivre un traitement ; (b) plusieurs enfants de moins de 12 ans, placés régulièrement à la journée (crèches, garderies et autres établissements analogues). Selon l’al. 2 de la même disposition, sont dispensés de requérir l’autorisation officielle (a) les institutions cantonales, communales ou privées d’utilité publique soumises à une surveillance spéciale par la législation scolaire, sanitaire ou sociale et (c) les colonies et camps de vacances, sous réserve de dispositions cantonales contraires.

La demande d’autorisation doit contenir tout élément utile à son appréciation, mais indiquer au moins, entre autres, les données d’identité et la formation du directeur et du personnel (art. 14 al. 1 let. c OPE).

L’art. 15 al. 1 let. b OPE prévoit que l’autorisation ne peut être délivrée que si les qualités personnelles, l’état de santé, les aptitudes éducatives et la formation du directeur de l’établissement et de ses collaborateurs leur permettent d’assumer leur tâche et si l’effectif du personnel est suffisant par rapport au nombre des pensionnaires.

Avant de délivrer l’autorisation, l’autorité détermine de manière appropriée si les conditions d’accueil sont remplies, notamment en procédant à des visites, en ayant des entretiens, en prenant des renseignements et, s’il le faut, en recourant à des experts. Elle demande un extrait 2 du casier judiciaire destiné aux autorités pour s’assurer de la réputation du directeur et du personnel (art. 15 al. 2 OPE).

La direction ou l’organisme responsable de l’institution présente chaque année à l’autorité de surveillance une liste des données d’identité du directeur et du personnel (art. 17 al. 3 OPE).

Selon l’art. 18 OPE, le directeur et, le cas échéant, l’organisme ayant la charge de l’institution communiquent en temps utile à l’autorité toute modification importante qu’ils ont l’intention d’apporter à l’organisation, à l’équipement ou à l’activité de l’établissement, notamment l’engagement de nouveaux collaborateurs ainsi que les décisions d’agrandir, de transférer ou de cesser l’exploitation (al. 1). L’autorité demande un extrait 2 du casier judiciaire destiné aux autorités pour s’assurer de la réputation des nouveaux collaborateurs. (al. 4).

Chaque année, l’autorité s’assure de la réputation des personnes mentionnées dans la liste que lui remet l’établissement en vertu de l’art. 17 al. 3 sur la base d’un extrait 2 du casier judiciaire destiné aux autorités (art. 19 al. 4 OPE).

Selon l’art. 20 OPE, lorsqu’il est impossible de corriger certains défauts, même après avoir chargé des personnes expérimentées de donner des conseils ou d’intervenir, l’autorité met le directeur de l’établissement en demeure de prendre sans retard les mesures nécessaires pour remédier aux manques constatés; elle en informe l’organisme ayant la charge de l’institution (al. 1). L’autorité peut soumettre l’établissement à une surveillance spéciale et arrêter à cet effet des prescriptions particulières (al. 2). Si ces mesures n’ont pas d’effet ou apparaissent d’emblée insuffisantes, l’autorité retire l’autorisation. Elle prend en temps utile les dispositions nécessaires pour la fermeture de l’établissement et, s’il le faut, aide au relogement des enfants; lorsqu’il y a péril en la demeure, elle prend immédiatement les mesures nécessaires (al. 3).

4.7 La LCJ règle le traitement, dans le casier judiciaire informatique VOSTRA, des données concernant des personnes physiques (art. 1 al. 1), et notamment les délais de saisie des données, le temps pendant lequel elles figurent sur les extraits du casier judiciaire et le moment de leur élimination de VOSTRA (al. 2 let. e) et les droits et les obligations des autorités qui ont le droit de consulter VOSTRA en ligne ou sur demande écrite, ou auxquelles des données du casier judiciaire sont communiquées de manière automatique (al. 2 let. g).

Les jugements suisses qui portent sur une infraction relevant du droit fédéral commise par un adulte doivent être saisis s’ils sont entrés en force (art. 18 al. 1 let. a LCJ).

Selon l’art. 37 al. 1 LCJ, l’extrait 1 destiné aux autorités permet de consulter : (a) les données d’identification de la personne ; (b) les jugements ; (c) les décisions ultérieures ; (d) le cas échéant, les copies électroniques des jugements, des décisions ultérieures et des formulaires de communication, sous réserve des exceptions relatives à la communication d’extraits aux autorités étrangères ; (e) les procédures pénales en cours.

Selon l’art. 38 LCJ, l’extrait 2 destiné aux autorités permet de consulter les données figurant sur l’extrait 1 destiné aux autorités, à l’exception des copies électroniques des jugements et des décisions ultérieures (al. 1). Les données se rapportant à un jugements dans lesquels est prononcé une peine privative de liberté assortie d’un sursis ou d’un sursis partiel qui n’a pas été révoqué, une peine pécuniaire, un travail d’intérêt général ou une amende relevant du droit pénal des adultes cessent de figurer sur l’extrait après dix ans (al. 3 let. d).

L’art. 46 LCJ désignant les autorités ayant un droit de consultation en ligne de l’extrait 2 ne mentionne pas le DIP en ce qui concerne la surveillance des lieux de placement. Celui-ci ne peut obtenir des extraits 2 du casier judiciaire que sur demande écrite (art. 51 let. c LCJ).

4.8 L’art. 123c Cst., fruit de l’initiative populaire « Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants », accepté en votation populaire le 18 mai 2014 et entré en vigueur le même jour, prévoit que quiconque est condamné pour avoir porté atteinte à l’intégrité sexuelle d’un enfant ou d’une personne dépendante est définitivement privé du droit d’exercer une activité professionnelle ou bénévole en contact avec des mineurs ou des personnes dépendantes.

4.8.1 Selon le message du Conseil fédéral 10 octobre 2012 relatif à l'initiative populaire « Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants » et au contre-projet indirect sous la forme d’une modification du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs (FF 2012 8151), l’initiative contenait des notions imprécises qui ne permettaient pas immédiatement d’en déterminer le champ d’application exact, ce qui appelait une interprétation (ch. 3.2.1 p. 8167). En outre, elle ne prévoyait pas la façon dont l’interdiction d’exercer une activité devait être réalisée sur le terrain. Les auteurs de l’initiative laissaient donc implicitement au législateur le soin de concrétiser cette disposition constitutionnelle. Cet aspect du dossier était fondamental pour garantir le succès de la mesure proposée (ch. 3.3 p. 8174). La condamnation, la privation du droit d’exercer une activité en contact avec des mineurs ou des personnes dépendantes, étaient autant de termes qui devaient être soigneusement analysés avant d’en comprendre le sens réel. Les auteurs visés et les infractions susceptibles de mener à une interdiction devaient également être déterminés (ch. 4.2.1 p. 8175). L’interdiction absolue et définitive posée par le texte de l’initiative entrait en contradiction avec des principes constitutionnels et des règles non impératives du droit international (ch. 4.2.3 et 4.2.4 p. 8175-8176). Le message souligne les problèmes en matière d’ingérence dans la vie privée et familiale et à la liberté personnelle, et insiste sur la nécessité d’une pondération des intérêts en présence et l’exigence de respecter le principe de proportionnalité (p. 8176, 8177, 8181, 8182, 8184, 8186, not. 8208 à 8210). Selon le message, le principe de proportionnalité doit faire l’objet d’une évaluation dans chaque cas (p. 8192).

4.8.2 Le 13 décembre 2013, les Chambres ont adopté à titre de contre-projet indirect à l’initiative les art. 67 al. 2, 67b, 67c et 67d CP, qui sont entrés en vigueur le 1er janvier 2015.

Selon l’art. 67 al. 2 CP, si l’auteur a commis un crime ou un délit contre un mineur ou une autre personne particulièrement vulnérable et qu’il y a lieu de craindre qu’il commette un nouvel acte de même genre dans l’exercice d’une activité professionnelle ou d’une activité non professionnelle organisée impliquant des contacts réguliers avec des mineurs ou d’autres personnes particulièrement vulnérables, le juge peut lui interdire l’exercice de cette activité pour une durée de un à dix ans.

L’art. 67a CP définit les activités professionnelles (al. 1) et la portée de l’interdiction (al. 2 et 5). Il prévoit que s’il y a lieu de craindre que l’auteur commette des infractions dans l’exercice de son activité alors même qu’il agit selon les instructions et sous le contrôle d’un supérieur ou d’un surveillant, le juge lui interdit totalement l’exercice de cette activité (al. 3).

La levée d’une interdiction peut être prononcée ou sa durée ou son contenu limités sur demande ou d’office, mais après dix ans seulement en ce qui concerne les interdictions à vie, s’il n’y a plus lieu de craindre que l’auteur commette un nouveau crime ou délit dans l’exercice de l’activité concernée ou en cas de contact avec des personnes déterminées ou des membres d’un groupe déterminé et s’il a réparé le dommage qu’il a causé autant qu’on pouvait l’attendre de lui (art. 67c al. 4 à 6 CP).

Selon l’art. 67d CP, s’il s’avère, pendant l’exécution d’une interdiction d’exercer une activité, d’une interdiction de contact ou d’une interdiction géographique, que l’auteur réunit les conditions d’une extension de l’interdiction ou d’une interdiction supplémentaire de ce type, le juge peut, ultérieurement, étendre l’interdiction ou en ordonner une nouvelle à la demande des autorités d’exécution (al. 1). S’il s’avère, pendant l’exécution d’une peine privative de liberté ou d’une mesure entraînant une privation de liberté, que l’auteur réunit les conditions d’une interdiction au sens de l’art. 67 al. 1 ou 2, ou de l’art. 67b, le juge peut, ultérieurement, ordonner cette interdiction à la demande des autorités d’exécution (al. 2).

4.8.3 Le 16 mars 2018, suite à l’approbation par le peuple et les cantons du nouvel art. 123c Cst., elles ont adopté l’art. 67 al. 2bis et 4bis CP nouveaux, modifié l’art. 67 al. 3 et adopté l’art. 67c al. 6bis CP, en vigueur depuis le 1er janvier 2019.

Selon l’art. 67 al. 2bis CP, le juge peut prononcer à vie une interdiction au sens de l’al. 2 s’il est à prévoir qu’une durée de dix ans ne suffira pas pour que l’auteur ne représente plus de danger. À la demande des autorités d’exécution, il peut prolonger de cinq ans en cinq ans au plus une interdiction limitée dans le temps prononcée en vertu de l’al. 2 lorsque cette prolongation est nécessaire pour empêcher l’auteur de commettre un nouveau crime ou délit de même genre que celui qui a donné lieu à l’interdiction.

Selon l’art. 67 al. 3 CP, s’il a été prononcé contre l’auteur une peine ou une mesure prévue aux art. 59 à 61, 63 ou 64 CP pour un des actes suivants, le juge lui interdit à vie l’exercice de toute activité professionnelle et de toute activité non professionnelle organisée impliquant des contacts réguliers avec des mineurs : (a) traite d’êtres humains (art. 182 CP) si l’infraction a été commise à des fins d’exploitation sexuelle et que la victime était mineure ; (b) actes d’ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP), des personnes dépendantes (art. 188 CP) ou des mineurs contre rémunération (art. 196 CP) ; (c) contrainte sexuelle (art. 189 CP), viol (art. 190 CP), actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), actes d’ordre sexuel avec des personnes hospitalisées, détenues ou prévenues (art. 192 CP), abus de la détresse (art. 193 CP), exhibitionnisme (art. 194 CP), encouragement à la prostitution (art. 195 CP) ou désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (art. 198 CP), si la victime était mineure ; (d) pornographie (art. 197 CP) (1) au sens de l’art. 197 al. 1 ou 3 CP ou (2) au sens de l’art. 197 al. 4 ou 5, si les objets ou représentations avaient comme contenu des actes d’ordre sexuel avec des mineurs. L’al. 4 règle la situation lorsque la victime est un adulte vulnérable.

L’art. 67 al. 4bis CP prévoit que dans les cas de très peu de gravité, le juge peut exceptionnellement renoncer à prononcer une interdiction d’exercer une activité au sens des al. 3 ou 4 lorsqu’elle ne paraît pas nécessaire pour détourner l’auteur d’autres infractions passibles de cette même mesure. Il ne peut le faire si l’auteur (a) a été condamné pour traite d’êtres humains (art. 182 CP), contrainte sexuelle (art. 189), viol (art. 190 CP), actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191) ou encouragement à la prostitution (art. 195 CP) ou qu’il (b) est pédophile conformément aux critères de classification internationalement reconnus.

Selon l’art. 67c al. 6bis CP, les interdictions prévues à l’art. 67 al. 3 ou 4, ne peuvent pas être levées.

4.8.4 Le message du Conseil fédéral du 3 juin 2016 relatif à la modification du CP suite à l’adoption de l'initiative populaire « Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants » (FF 2015 5905) rappelle la nécessité de respecter le principe de proportionnalité dans la restriction des droits fondamentaux (ch. 1.2.3 p. 5915). Il analyse la portée de l’art. 123c Cst. et observe que : (a) la pédophilie est un trouble de la personnalité décrit par les classifications CIM-10 de l’organisation mondiale de la santé et DSM-V de l’association américaine de psychiatrie comme une préférence sexuelle pour les enfants, qu’il s’agisse de garçons, de filles, ou de sujet de l’un ou l’autre sexe, généralement d’âge prépubère ou au début de la puberté, et répondant à des critères diagnostiques précis (ch. 1.2.5 p. 5916-5917) ; (b) l’auteur a été condamné pénalement pour (c) actes portant atteinte à l’intégrité sexuelle (p. 5918) (d) entre autres contre des mineurs (p. 5919 et 5928-5929). Les activités interdites ne doivent pas forcément être soumises à autorisation (p. 5920). L’infraction ne doit pas forcément avoir été commise dans le cadre de l’activité interdite (p. 5926).

La variété des infractions contre l’intégrité sexuelle et de leurs gravités respectives et le respect du principe de proportionnalité commandent de réserver une marge d’interprétation au juge et d’introduire une clause d’exception, de portée toutefois réduite (p. 5933-5935). L’interdiction ne porte que sur des activités professionnelles et non professionnelles mais organisées, à l’exclusion des activités dans un cadre strictement privé (p. 5935).

Les activités « en contact avec » des mineurs ou d’autres personnes particulièrement vulnérables sont d’une part des activités qui impliquent des contacts directs avec ces personnes et sans doute l’existence d’une relation de confiance. Il s’agit en particulier d’activités d’enseignant, d’accompagnateur, d’entraîneur, de soignant, etc. Mais il s’agit aussi d’autre part de toutes les autres activités exercées de manière régulière dans des institutions qui fournissent des prestations destinées directement et spécifiquement aux mineurs ou aux personnes particulièrement vulnérables. Il peut s’agir d’activités d’intendance (concierge, secrétaire, cuisinier, personnel de nettoyage) exercées dans les institutions susmentionnées (par ex. associations sportives, écoles, crèches, internats, colonies de vacances, établissements de soins, établissements spécialisés pour les personnes souffrant d’un handicap physique ou mental, cliniques gériatriques ou pédiatriques, etc.), sauf s’il est certain, du fait de leur emplacement ou de leur horaire, qu’elles ne peuvent pas impliquer de contacts avec ces groupes de personnes. Le terme « régulier » peut désigner aussi bien des contacts sporadiques ou brefs sur une longue période que des contacts intenses sur une courte période. Une activité exercée une unique fois ne suffit pas (p. 5936).

La personne condamnée doit selon les circonstances avoir la possibilité de faire réexaminer son cas après une certaine période d’exécution, c’est-à-dire de demander à l’autorité compétente de restreindre le contenu ou la durée de l’interdiction, voire de la faire lever. Ce dispositif découle du principe de proportionnalité et des engagements internationaux de la Suisse. Le CP prévoit des possibilités de réexamen pour d’autres peines ou mesures ordonnées à vie. Une libération conditionnelle est par exemple possible en cas de peine privative de liberté à vie, et ce au plus tôt après quinze ans, lorsque les conditions sont réunies (art. 86 al. 5 cum art. 86 al. 1 CP). Exceptionnellement, le détenu peut être libéré conditionnellement après dix ans déjà si des circonstances extraordinaires qui tiennent à sa personne le justifient (art. 86 al. 5 cum art. 86 al. 4 CP). Un examen de la libération de l’internement à vie au sens de l’art. 64 al. 1bis CP et une libération conditionnelle sont également possibles (art. 64c CP). Il est inapproprié et contraire au principe de proportionnalité de maintenir une interdiction d’exercer alors que la personne ne risque plus d’utiliser son activité pour commettre de nouvelles infractions sexuelles (p. 5940).

Du fait de l’interdiction de la rétroactivité inscrite à l’art. 2 al. 1 CP, le juge ne pourra prononcer l’interdiction d’exercer une activité proposée que si l’auteur commet une infraction après l’entrée en vigueur de la modification de la loi. L’interdiction de la rétroactivité vaut en principe également pour les mesures. La question de la lex mitior ne se pose pas, le nouveau droit étant plus sévère (p. 5941).

En droit comparé, l’ensemble des pays étudiés par le Conseil fédéral (Allemagne, Autriche, Belgique, Canada, France, Italie, Royaume-Uni, Suède) connaissent une forme d’interdiction des activités professionnelles ou non professionnelles exercées en contact avec des mineurs ou des adultes vulnérables. Les interdictions que le juge doit prononcer systématiquement font plutôt figure d’exception. En règle générale, l’autorité compétente a une certaine marge d’appréciation ou peut faire dépendre l’interdiction d’un pronostic défavorable quant au risque de récidive. La durée des interdictions varie selon les pays : d’un à cinq ans en Allemagne, en France et en Autriche, dix ans en Suède, un à vingt ans en Belgique, les interdictions peuvent être de durée illimitée en Allemagne, en France, en Autriche, en Italie, au Royaume-Uni et au Canada. La France et l’Italie ne disposent d’aucun mécanisme exprès permettant d’examiner périodiquement l’utilité de la mesure (p. 5944-5945).

4.9 La loi vaudoise sur la protection des mineurs du 2 mai 2004 (LProMin - RS/VD 850.41) prévoit également que ce sont les institutions qui sont soumises à autorisation et surveillance (art. 44 al. 1) et charge le directeur de l'institution de vérifier que le personnel qu'il engage en vue d'exercer une profession, une charge ou une fonction en relation avec les mineurs ait la formation requise et les compétences personnelles et professionnelles nécessaires, et de s'assurer notamment que le personnel n'a pas fait l'objet d'une condamnation à raison d'infractions contraires aux bonnes mœurs ou autres infractions pouvant mettre en danger les mineurs, en requérant de l'intéressé en particulier la production de l'extrait de son casier judiciaire (art. 44 al. 3). Les art. 47 s. du règlement d’application de la LProMin du 5 avril 2017 (RLProMin - RS/VD 850.41.1) règlent la délivrance de l’autorisation générale d’accueillir un enfant, et prévoient l’évaluation de la santé physique et psychique en cas de doute sur la capacité des accueillants (art. 50), ainsi que l’évaluation in situ des accueillants par le service compétent (art. 51).

La loi bernoise sur la protection de l’enfant et de l’adulte du 1er février 2012 (LPEA - RS/BE 213.316) ne règle que la compétence d’autoriser le placement d’enfant chez des parents nourriciers ou à la journée (art. 56 al. 1 let. i). L’ordonnance sur la surveillance des institutions résidentielles et des prestations ambulatoires destinées aux enfants du 23 juin 2021 (OSIPE - RS/BE 213.319.2) règle le régime de l’autorisation de placement chez les parents nourriciers (art. 3 s.) et de l’autorisation des institutions (art. 16 s.), cette dernière soumise notamment à la condition que les personnes assumant la direction ainsi que les collaborateurs et collaboratrices sont adéquats (art. 18 al. 1 let. b), la direction étant chargée de vérifier que les collaborateurs remplissent les conditions professionnelles, éducatives, personnelles et de santé nécessaires à l’exercice de leurs tâches (art. 21 al. 1), que les personnes travaillant dans une institution résidentielle ne sont ni impliquées dans une procédure pénale en cours ni n’ont été condamnées pour une infraction qui, du fait de sa gravité ou de sa nature, met en cause l’aptitude à s’occuper d’enfants, ce en les obligeant contractuellement à les informer sans délai au sujet des procédures pénales en cours et en réclamant la production d’un extrait du casier judiciaire tous les cinq ans au moins (art. 22). Tous les événements particuliers, notamment des comportements transgressifs qui émanent des collaborateurs ou collaboratrices ou des enfants ou alors qui sont dirigés contre eux doivent être annoncés sans délai à l’autorité de surveillance (art. 27 al. 2), laquelle peut prendre des mesures allant jusqu’à la révocation de l’autorisation d’exploiter l’institution (art. 28 et 29) voire l’interdiction de l’activité (art. 30 al. 1).

5.             En l’espèce, il y a lieu de déterminer tout d’abord si l’autorité disposait d’une base légale suffisante pour restreindre la liberté économique de la recourante.

5.1 C’est à bon droit que l’intimé ne fonde pas la mesure querellée sur l’art. 123Cst., dont il a été vu qu’il appelait une concrétisation, conforme aux principes constitutionnels, dans la loi, et plus précisément, selon le Conseil Fédéral dans le CP.

5.2 La recourante a été condamnée le 28 octobre 2014 pour des agissements commis en 2009, soit avant l’entrée en vigueur des art. 67 al. 2 67b, 67c et 67d CP le 1er janvier 2015 et des art. 67 al. 2bis et 4bis, 67 al. 3 et 67c al. 6bis CP le 1er janvier 2019.

La question de la conformité du dispositif genevois au principe de la primauté du droit fédéral ne se pose donc pas dans la présente espèce.

Cette question devrait probablement être examinée si une interdiction était prononcée par l’intimé pour des agissements postérieurs à l’entrée en vigueur du nouveau droit pénal alors que le juge pénal n’aurait pas prononcé de mesure d’interdiction de travailler avec les enfants.

Cela étant, les dispositions pénales actuellement en vigueur portant sur l’interdiction des activités avec les enfants peuvent servir de point de comparaison.

5.3 La LEJ a été adoptée le 1er mars 2018 et est entrée en vigueur le 19 mai 2018, soit après la condamnation de la recourante et les agissements qui l’ont motivée. L’art. 32 al. 1 let. c LEJ n’avait pas d’équivalent dans le droit en vigueur jusque-là, soit l’ancienne loi sur l’office de l’enfance et de la jeunesse du 28 juin 1958 LOJeun .

La recourante n’a pas soulevé la question de la non-rétroactivité. Celle-ci doit toutefois être examinée d’office.

5.3.1 La rétroactivité est réalisée lorsque la loi attache des conséquences juridiques nouvelles à des faits qui se sont produits et achevés entièrement avant l’entrée en vigueur du nouveau droit. Ne constitue en revanche pas une rétroactivité proprement dite le fait de tenir compte d’événements passés pour régler de façon nouvelle une situation future. De même, n’est pas constitutive de rétroactivité l’application de la loi à des situations durables nées sous l’ancien droit, pour autant qu’elle ne porte pas atteinte à des droits acquis (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 417‑419).

5.3.2 En l’espèce, en dépit des défauts qui la rendent inapplicable, ainsi qu’il sera vu plus loin, la réglementation genevoise poursuit l’objectif non pas de sanctionner administrativement un comportement pénalement répréhensible, mais de protéger les enfants en interdisant de travailler à leur contact à des personnes dont il est établi qu’elles sont dangereuses pour eux. C’est donc le danger actuel qui fonde la mesure, une condamnation passée ne constituant qu’un indice, de sorte que la disposition ne produit pas d’effet rétroactif proprement dit.

5.4 L’intimé fonde sa compétence sur l’art. 32 LEJ.

5.4.1 Cette disposition se réfère à l’art. 316 al. 1 CC, dont l’objet semble restreint aux placements auprès de parents nourriciers.

La portée de cette disposition a cependant été élargie par l’OPE, qui institue une surveillance large des institutions accueillant les enfants, s’étendant aux qualités du personnel et instituant un contrôle à l’embauche ainsi qu’une surveillance régulière et systématique. L’art. 15 al. 2 OPE détaille les modalités du contrôle et prévoit notamment la demande d’un extrait du casier judiciaire 2 pour le personnel. L’art. 19 al. 4 OPE systématise ensuite ce contrôle. Il a été vu que l’exposé des motifs du Conseil d’État du 25 janvier 2017 à l’appui de la LEJ faisait explicitement référence à l’OPE.

Il n’est ainsi pas douteux que le DIP peut tirer des art. 32 al. 1 let. c LEJ et 15 al. 2 et 19 al. 4 OPE la compétence de réclamer les listes du personnel des institutions d’accueil, de demander les extraits du casier judiciaire les concernant et de s’assurer de leur réputation.

5.4.2 Plus délicate est la question de la compétence de signifier une interdiction professionnelle à la recourante ou plus généralement à une personne travaillant dans une institution d’accueil.

En effet, l’interdiction querellée porte une atteinte grave à la liberté économique de la recourante, tant par sa durée que par son étendue professionnelle, étant rappelé que selon l’intimé environ 15'000 personnes seraient soumises en raison de leurs profils ou situations professionnels à une surveillance annuelle. La mesure nécessite donc une base légale formelle et claire.

L’intimé invoque l’OPE. Cette ordonnance ne prévoit qu’un régime d’autorisation pour les institutions. Elle établit, certes, une procédure pour vérifier l’honorabilité de leurs employés, mais ne prévoit de mesures que contre les institutions elles-mêmes, la plus sévère étant le retrait de l’autorisation (art. 20 OPE).

Cela étant, l’art. 3 al. 1 OPE réserve aux cantons la possibilité, aux fins d’assurer la protection des mineurs vivant en dehors de leur foyer, d’édicter des dispositions allant au-delà de celles de l’ordonnance.

L’intimé invoque l’art. 32 al. 1 let. c LEJ, qui lui attribue la compétence d’interdire à une personne, pour une durée déterminée ou indéterminée, l’accueil de mineurs soit à titre personnel, soit dans le cadre d’un groupe ou d’une institution et cela notamment pour les recevoir, les réunir, les héberger, leur donner un enseignement, organiser ou diriger leurs loisirs, cette compétence s’étendant également aux personnes et institutions dispensées d’autorisation ou de surveillance.

Cette disposition peut être regardée comme un cas concret d’exercice par le canton de la marge de manœuvre que lui réserve l’art. 3 al. 1 OPE, étant rappelé que la protection de l’enfant est une compétence cantonale résiduelle. Encore faut‑il déterminer si elle constitue une base légale suffisante.

L’art. 32 al. 1 let. c LEJ ne détermine pas les situations ou les cas qui fonderaient le prononcé d’une interdiction. Il ne mentionne ni faute professionnelle, ni inaptitude, ni d’ailleurs aucun motif spécifique qui justifierait une interdiction de travailler. L’exposé des motifs évoque certes le fait d’avoir « commis des actes de violence ou d'abus sexuels sur des mineurs » (p. 43), mais ces termes n’ont pas été repris dans le texte de loi.

Il ne mentionne pas non plus l’existence, les motifs et la sévérité d’une condamnation, pas plus que sa date et la durée de son inscription au casier judiciaire.

Il n’envisage aucune autre mesure que l’interdiction, et notamment pas d’activité sous surveillance, et s’il évoque, sans plus de précision, une durée « déterminée ou indéterminée », il ne mentionne pas la possibilité de revoir, d’abréger ou d’abroger la mesure.

Il ne prévoit aucune procédure, ni aucune exigence de preuve telle que par exemple une expertise pour l’établissement d’une éventuelle incapacité ou d’une dangerosité.

Enfin, il semble s’appliquer à une population très large, puisqu’il précise que la compétence du département d’interdire toute activité avec des enfants « s’étend également aux personnes et institutions dispensées d’autorisation ou de surveillance ». L’exposé des motifs indiquait que la mesure s’appliquait « notamment » aux moniteurs, répétiteurs, entraîneurs sportifs, éducateurs, enseignants, « etc. » (p. 43).

Pour sa part, le REJ prévoit, certes, les cas dans lesquels un retrait d’autorisation (art. 67) ou une interdiction (art. 69) peuvent être prononcés, mais uniquement en ce qui concerne les familles d’accueil et les institutions. Il ne détaille pas les conditions et les modalités d’une interdiction personnelle de travailler au contact des enfants telle que celle prononcée contre la recourante.

Les législations des cantons de Vaud et de Berne évoquées plus haut à titre de comparaison semblent avoir également adopté un modèle axé sur l’autorisation et la surveillance des institutions et des familles d’accueil, mais non des personnes appelées à être en contact avec des enfants.

Pour sa part, l’interdiction introduite dans le droit pénal et examinée plus haut expose les infractions en raison desquelles elle peut être prononcée. Il peut y être renoncé, dans certains cas, et elle n’est obligatoire que lorsqu’une mesure des art. 59 à 61, 63 ou 64 CP a été prononcée en plus de la peine, laquelle requiert une expertise psychiatrique (art. 56 al. 3 CP) voire deux expertises concordantes (art. 56 al. 4bis CP). Sa durée varie de un à dix ans et peut être à vie. Elle peut dans certains cas être revue postérieurement. Son étendue est définie précisément. Sauf exceptions, l’activité peut être poursuivie sous instructions et contrôle d’un supérieur.

Par comparaison encore, si des interdictions professionnelles peuvent être prononcées dans le cadre de professions ou d’activités soumises à autorisation (médecins, pharmaciens, avocats, notaires, architectes, exploitants d’établissements, etc.), c’est en raison de manquements à des devoirs spécifiques ou de défaut d’aptitudes, au titre d’ultima ratio, d’autres mesures moins sévères étant prévues, sous forme d’interdiction d’exercer ou de retrait d’autorisation et surtout sur la base de dispositions claires (art. 17 et 18 cum art. 12 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 - LLCA - RS 935.61 ; art. 43 cum art. 40 de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 - loi sur les professions médicales, LPMéd - RS 811.11).

Sans doute, mis à part certains cas spécifiques comme les familles d’accueil et les accueillantes familiales de jour, les personnes se trouvant en contact avec des enfants à titre professionnel ou bénévole ne sont pas soumises de manière générale à autorisation ni à surveillance. Cette circonstance ne fait toutefois que renforcer l’exigence de densité et de clarté de la base légale fondant une interdiction d’activité, s’agissant notamment de déterminer les aptitudes et les devoirs professionnels. À cet égard, la loi vaudoise susévoquée, bien qu’elle pose des exigences indirectes, dont l’institution doit vérifier qu’elles sont réunies, mentionne par exemple la formation requise, les compétences personnelles et professionnelles nécessaires, ainsi que l’absence de condamnation à raison d'infractions contraires aux bonnes mœurs ou autres infractions pouvant mettre en danger les mineurs (art. 44 al. 3 LProMin), et le règlement prévoit l’évaluation de la santé physique et psychique en cas de doute sur la capacité des accueillants (art. 50 RLProMin).

Il faut relever enfin que la population ciblée par la LEJ semble extrêmement large, et que le périmètre dépasse en tout cas les personnes soumises à autorisation ou à surveillance.

Force est ainsi de constater, à titre préjudiciel, que l’art. 32 al. 1 let. c LEJ, sous sa forme actuelle, ne constitue pas une base légale d’une densité et d’une précision suffisantes pour prononcer une interdiction à vie de travailler avec les enfants.

Il s’ensuit que la décision devra également être annulée pour ce motif.

6.             Il y a encore lieu d’examiner si la décision attaquée est affectée d’autres défauts.

Elle a prononcé une interdiction à vie au seul motif d’une condamnation à une peine privative de liberté avec sursis portant sur des agissements vieux de quinze ans, constitutifs de complicité d’actes d’ordre sexuel avec des enfants et viol et ayant pour victime une jeune femme de 15 ans, alors que la recourante était elle-même âgée de 18 ans.

On ne voit pas que l’autorité aurait pesé la nécessité du prononcé d’une mesure ni discuté sa durée et son étendue, voire la possibilité de poursuivre une activité sous surveillance – comme c’était d’ailleurs le cas de l’emploi de la recourante à G______.

L’intimé ne soutient pas qu’une expertise psychiatrique aurait à l’époque des faits ou plus récemment mis en évidence une paraphilie ou un autre danger que la recourante présenterait pour les enfants.

Aucun élément du dossier ne permet de le supposer, et certainement pas les impressions des auditrices ayant conduit l’audition telles que reportées sur la note de service, pas plus que les déclarations de la recourante sur les câlins, qui ont été reportées incorrectement dans la décision attaquée.

Une attestation du médecin spécialiste traitant la recourante depuis plus de dix ans conteste au contraire tout danger.

L’intimé n’a enfin motivé ni le principe, ni la sévérité de la mesure prononcée. Il a lui-même implicitement admis en audience et dans ses ultimes observations la nature disproportionnée de l’interdiction au regard de sa durée.

Même si elle avait pu se fonder sur une base légale suffisante, la mesure apparaîtrait disproportionnée et devrait être annulée pour ce motif, sans que la chambre de céans ne puisse la réformer, faute pour elle d’avoir été suffisamment instruite.

Le recours sera admis et la décision annulée.

L’issue du recours rend les conclusions en restitution de l’effet suspensif sans objet.

7.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument et une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à la recourante, à la charge de l’État de Genève (art. 87 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 mars 2024 par A______ contre la décision du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 16 février 2024 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision la décision du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 16 février 2024 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 2’000.-, à la charge de l'État de Genève (département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15’000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15’000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15’000.- ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Philippe ANTHONIOZ, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :