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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3364/2023

ATA/690/2024 du 10.06.2024 sur JTAPI/173/2024 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3364/2023-PE ATA/690/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 juin 2024

1re section

 

dans la cause

 

B______, C______, et D______ A______, enfants mineurs, agissant par leurs parents E______ et F______ A______

et

F______ et E______ A______ recourants

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________




Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 février 2024 (JTAPI/173/2024)


EN FAIT

A. a. E______ A______, né le ______ 1975, de nationalité gambienne, est arrivé en Suisse le 20 octobre 2006, date de son mariage avec G______, de nationalité suisse. Il a été mis au bénéfice d’une autorisation de séjour à Genève, puis, à compter du 19 octobre 2011, d’un permis d’établissement.

Le couple a divorcé par jugement du Tribunal civil de première instance entré en force le 30 mai 2012.

b. E______ A______ s’est marié, en Gambie, le 25 février 2013, avec F______ A______, née le ______ 1990, de nationalité gambienne.

De leur union sont issus B______, née le ______ 2013, C______, né le ______ 2019 et D______, née le ______ 2022.

c. Selon une attestation de l'Hospice général (ci-après : l’hospice) du 24 avril 2023, E______ A______ a perçu des prestations financières depuis le 1er août 2022. Il a reçu CHF 9'233.45 en 2022 et CHF 176.95.- de janvier à avril 2023.

d. Le 28 avril 2023, il faisait l’objet, à teneur d’un courrier de l’office des poursuites, d’un commandement de payer, poursuite n° 1______ 15 N, de CHF 1'317.-, notifié par l’administration fiscale cantonale.

e. Son casier judiciaire est vierge.

Entendu par la police le 16 mars 2022 dans le cadre d’une éventuelle participation à un trafic de cocaïne, il a déclaré être arrivé en Suisse en 2002. Il était venu en Suisse pour travailler et se soigner. Il n’avait pas de ressources financières. Il avait été emprisonné onze jours, quelques années auparavant, à l’étranger, suite à la vente d’une boulette de cocaïne. Il s’était rendu en Gambie du 17 décembre 2021 au 15 mai 2022. Il y avait une fille, qui vivait avec sa mère. Il souhaitait réfléchir avant que ses proches ne soient avertis de son arrestation.

Lors du contrôle AFIS, le résultat s’était avéré positif sous le nom de H______, malien, né le ______ 1980.

Il a été acquitté d’infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) par jugement du Tribunal correctionnel du 20 septembre 2022.

f. E______ A______ est au bénéfice, depuis le 24 mai 2023, d’une mission conclue pour une durée indéterminée, en qualité de manœuvre, pour la société I______ auprès de l’entreprise J______ Sàrl. Le tarif horaire convenu s’élève à CHF 32.03 brut. Son salaire net s’est monté à CHF 4'123.- en juillet 2023, auquel se sont ajoutés CHF 360.- d’indemnités pour les repas. Les montants ont été de CHF 4'322.- et CHF 378.- en août et de CHF 3'730.- sans indemnités repas en septembre 2023.

g. Il habite dans un logement de 2.5 pièces à Versoix et a déposé une demande de logement auprès de la fondation communale immobilière de Lancy.

h. F______ A______ travaille en qualité d’assistante de laboratoire en Gambie.

B. a. Le 12 avril 2023, F______ A______ a déposé, en ligne, une demande d’autorisation d’entrée et de séjour en Suisse pour elle-même et leurs trois enfants, dans le cadre d’un regroupement familial avec son époux.

b. Par courrier du 26 avril 2023, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a informé E______ A______ de son intention de refuser ladite demande.

c. Le couple n’a pas fait valoir son droit d’être entendu.

d. Le 13 juin 2023, F______ A______ et ses enfants ont formellement déposé une demande d’autorisation d’entrée en Suisse auprès de l’Ambassade suisse à Dakar.

e. Par décision du 17 août 2023, l’OCPM a refusé d’octroyer une autorisation d’entrée et de séjour en faveur d’F______ A______ et ses enfants.

Le regroupement familial aurait dû avoir lieu au plus tard cinq ans après la célébration du mariage, soit avant le 25 février 2018, et aucune raison familiale majeure ne pouvait être retenue. Les époux avaient vécu plus de dix ans de manière séparée et il n’était pas démontré que le déplacement du centre d’intérêt d’F______ A______ et le déracinement des enfants étaient nécessaires, hormis l’aspect socio‑économique.

Les conditions légales fixées à l’art. 43 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) n’étaient pas réunies, le logement de 2.5 pièces dans lequel vivait E______ A______ ne permettant pas d’y accueillir une famille composée de cinq personnes et ses moyens financiers étant insuffisants au regard des normes de l’aide sociale individuelle dans le canton de Genève, vu son revenu mensuel moyen de CHF 4'500.-. En conséquence, le risque qu’F______ A______ puisse bénéficier des prestations d’aide sociale demeurait concret, étant observé que son mari était partiellement dépendant de ladite aide au vu de son revenu variable.

La décision était conforme au principe de la protection de la vie familiale au sens de l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0,101) étant donné qu’il ne s’agissait pas d’une séparation de la famille, que les conditions ultérieures du regroupement familial au sens de l’art. 43 al. 1 LEI n’étaient pas toutes remplies et que cette disposition ne conférait pas de droit inconditionnel à l’octroi d’une autorisation d’entrée et de séjour en Suisse.

C. a. Par acte du 28 septembre 2023, E______ A______, agissant en son nom et celui de son épouse et de ses enfants mineurs, a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision.

Il n’était plus dépendant des prestations d’aide sociale depuis le mois de juin 2023. Il n’avait pas fait sa demande de regroupement familial plus tôt car il n’avait pas une situation financière stable alors que son épouse avait un travail plus rémunérateur et en raison des grossesses de son épouse et de l’arrivée des enfants. La crise sanitaire du Covid-19 avait par ailleurs retardé sa demande. Il avait déposé des demandes de logement auprès de la Ville de Genève et à Lancy. Son épouse travaillait dans le secteur de la santé et n’aurait aucun souci à trouver un emploi aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG). Elle avait déjà commencé à apprendre le français et poursuivrait son apprentissage à la FONDATION POUR LA FORMATION DES ADULTES À GENÈVE (IFAGE) dès son arrivée. En février 2021 (sic), il était resté cinq mois auprès de sa famille ce qui l’avait motivé à trouver un emploi stable afin de pouvoir la faire venir vivre à ses côtés. Il souhaitait voir ses enfants grandir et s’épanouir entourés de leurs deux parents.

b. Par jugement du 29 février 2024, le TAPI a rejeté le recours.

Le recourant disposait d’un délai impératif de cinq ans depuis l’établissement du lien familial avec son épouse, respectivement ses trois enfants, pour requérir le regroupement familial avec ces derniers. Son mariage ayant été célébré le 25 février 2013, ce délai était arrivé à échéance le 25 février 2018, concernant son épouse. Concernant sa fille aînée B______, née le ______ 2013, il était arrivé à échéance le 23 décembre 2018. Par conséquent, déposée le 12 avril 2023, la demande de regroupement familial en leur faveur était manifestement tardive, ce qui n’était pas contesté.

Tel n’était en revanche pas le cas concernant C______ et D______, nés en 2019 et 2022. Le recourant n’avait toutefois pas exprimé l’hypothèse, même à titre subsidiaire, d’un regroupement familial en faveur des précités uniquement, et rien ne laissait penser qu’un tel regroupement familial serait souhaité, le recourant ayant au contraire indiqué qu’il souhaitait voir la famille réunie. Ces derniers, âgés de 4 et 1 ans, nécessiteraient une prise en charge totale, en raison de leur jeune âge, que le recourant, qui exerçait une activité lucrative, serait difficilement à même de leur offrir seul. Le recourant n’avait jamais fait ménage commun avec eux au‑delà d’une période de cinq mois, à une reprise. Séparer ces enfants de leur mère et de leur sœur avec lesquelles ils vivaient depuis leur naissance afin de venir vivre dans un environnement inconnu auprès de leur père serait sans conteste un déracinement pour eux. Un tel regroupement partiel n’apparaissait ainsi manifestement pas dans leur intérêt prépondérant.

Se posait la question d’éventuelles raisons familiales majeures concernant F______ A______ et sa fille aînée, seule hypothèse dans laquelle la mère et ses enfants pourraient voir leurs requêtes acceptées.

Le recourant faisait valoir, au titre de raisons personnelles majeures, sa situation financière instable alors que son épouse avait un travail plus rémunérateur, les grossesses de celle-ci et la naissance de leurs enfants ainsi que la crise sanitaire du Covid-19. Ces motifs l’auraient empêché de déposer sa demande dans les délais légaux. Or, ces éléments ne constituaient pas des raisons familiales majeures au sens de l’art. 47 al. 4 LEI. L’indépendance financière était précisément l’une des conditions d’acceptation du regroupement familial. Les circonstances affectant l’ensemble de la population, à l’instar du Covid-19 ne sauraient justifier une autorisation fondée sur des raisons familiales majeures. Le délai pour requérir le regroupement familial avait commencé à courir bien avant la pandémie. Celle-ci ne pouvait justifier un regroupement familial différé. Aucun changement important de circonstances, notamment d’ordre familial, touchant la prise en charge en Gambie d’F______ A______ et ses enfants n’avait été démontré, ni même allégué. Il ne ressortait pas des éléments au dossier ni des explications du recourant que les intéressés ne seraient plus en mesure de continuer à vivre en Gambie. Lorsqu’il avait épousé F______ A______, le recourant savait que cette dernière, en l’absence de dépôt d’une demande en vue de vivre ensemble en Suisse, ne pourrait faire ménage commun avec lui après leur union. Ainsi, le fait de vivre dans deux pays différents suite à la célébration de leur mariage il y a plus de dix ans découlait d’un choix de vie que les époux avaient fait en toute connaissance de cause et dans lequel ils avaient persisté même après la naissance de leurs enfants. Les conditions restrictives posées au regroupement familial différé par l’art. 47 al. 4 LEI, en relation avec les art. 73 al. 3 et 75 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) n’étaient pas remplies.

F______ A______ et ses enfants ne disposant, en vertu de la législation suisse, d’aucun droit à obtenir un titre de séjour sur le sol helvétique, ils ne pouvaient valablement se prévaloir du droit conventionnel pour contourner la législation interne et obtenir un titre de séjour en leur faveur. La famille pourrait continuer d’entretenir des relations à distance, comme elle l’avait fait jusqu’alors. La décision litigieuse était également conforme au bien des enfants, notamment sous l’angle de la Convention relative aux droits de l'enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, approuvée par l'Assemblée fédérale le 13 décembre 1996. Instrument de ratification déposé par la Suisse le 24 février 1997 (CDE - RS 0.107), qui n'accordait aucun droit à une réunification familiale.

D. a. Par acte du 5 avril 2024, E______ A______ a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement. Il a conclu à son annulation et a repris la même argumentation qu’en première instance. Trois raisons l’avaient empêché de faire une demande de regroupement familial dans les cinq années qui avaient suivi son mariage : sa situation financière n’était pas stable alors que son épouse avait un travail plus rémunérateur ; les grossesses et la naissance de leurs enfants ; la pandémie de Covid-19.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours.

c. Sur ce, les parties ont été informées, le 14 mai 2024, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

 

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur le refus de l’autorité intimée d’octroyer à la recourante et à ses enfants mineurs une autorisation d’entrée et de séjour au titre du regroupement familial avec A______, lequel dispose d’une autorisation d’établissement en Suisse.

2.1 La LEI et ses ordonnances d’exécution, en particulier l’OASA, règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants de Gambie.

2.2 Au terme de l’art. 43 LEI, le conjoint étranger du titulaire d’une autorisation d’établissement ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de la durée de validité aux conditions cumulatives suivantes : ils vivent en ménage commun avec lui (let. a) ; ils disposent d’un logement approprié (let. b) ; ils ne dépendent pas de l’aide sociale (let. c) ; ils sont aptes à communiquer dans la langue nationale parlée au lieu de domicile (let. d) ; la personne à l’origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30) ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial (let. e).

Le regroupement familial doit être demandé dans les cinq ans. Pour les enfants de plus de 12 ans, le regroupement doit intervenir dans un délai de douze mois (art. 47 al. 1 LEI). Pour les membres de la famille d’étrangers, les délais commencent à courir lors de l’octroi de l’autorisation de séjour ou lors de l’établissement du lien familial (art. 47 al. 3 let. b LEI). Selon le texte clair de l’art. 47 al. 1 LEI, le délai est respecté si la demande de regroupement familial est déposée avant son échéance (ATA/1109/2023 du 10 octobre 2023 consid. 2.2 et les références citées). Les délais fixés par la législation sur les personnes étrangères ne sont pas de simples prescriptions d’ordre, mais des délais impératifs, dont la stricte application ne relève pas d’un formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_285/2015 du 23 juillet 2015 consid. 2.3).

Passé ce délai, le regroupement familial différé n’est autorisé que pour des raisons familiales majeures (art. 47 al. 4 LEI). Les limites d’âge et les délais prévus à l’art. 47 LEI visent à permettre une intégration précoce et à offrir une formation scolaire en Suisse aussi complète que possible (ATF 133 II 6 consid. 5.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1176/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.2.). Les délais prévus à l’art. 47 LEI ont également pour objectif la régulation de l’afflux d’étrangers (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.2). Ces buts étatiques légitimes sont compatibles avec la CEDH (ATF 142 II 35 consid. 6.1).

2.3 En l’espèce, il n’est pas contesté que le délai de cinq ans dont disposait la recourante pour demander le regroupement familial pour elle-même et pour B______ est arrivé à échéance sans avoir été utilisé, puisque la demande a été déposée le 12 avril 2023 alors qu’elle devait l’être jusqu’au 24 février 2018 pour la recourante dont le mariage date du 25 février 2013 et jusqu’au 22 décembre 2018 pour B______. Leur demande est dès lors tardive.

Le recourant soutient qu’il ne lui était pas possible de déposer une demande de regroupement familial plus tôt en raison de sa situation financière, des grossesses de son épouse puis de la situation sanitaire, ce qui, en d’autres termes, constituerait un cas de force majeure. Le couple ne saurait toutefois être suivi. Outre le fait que l’on ne saurait admettre que les délais prévus à l’art. 47 LEI soient repoussés jusqu’à l’amélioration de la situation financière du regroupant, les grossesses et naissances des enfants ainsi que la situation sanitaire liée au Covid-19 ne les empêchaient pas de déposer ou faire déposer par un proche une demande auprès de l’Ambassade de Suisse en Gambie, comme la recourante l’a fait le 12 avril 2023, six mois après la naissance de leur troisième enfant. Dans ces conditions, l’autorité intimée et l’instance précédente étaient fondées à constater que le délai de l’art. 47 al. 1 LEI était échu et que la requête devait être traitée comme une demande de regroupement familial différé, autorisé uniquement en présence de raisons familiales majeures.

Pour C______, âgé de 4 ans et demi, bien que la demande de regroupement familial le concernant ait été déposée dans le délai légal de l’art. 47 LEI, c’est à juste titre que le TAPI a considéré qu’un regroupement partiel en sa seule faveur ne serait pas dans son intérêt. En effet, outre le fait que le couple ne conclut pas à un tel regroupement partiel, celui-ci conduirait à le séparer de sa mère et de sa sœur, avec lesquelles il a toujours vécu, pour vivre avec son père, avec qui il n’entretient pas des liens aussi forts, puisqu’il ne l’a vu, depuis sa naissance, qu’à raison de cinq mois entre décembre 2021 et mai 2022. Une telle séparation serait d’autant moins bénéfique à son bien-être et à son développement qu’il ne ressort pas du dossier que son père serait en mesure d’assurer sa prise en charge et de s’occuper de lui au quotidien, en raison de l’exercice de son activité lucrative, étant précisé que les parents n’ont pas démontré que des solutions de garde seraient en mesure de pallier leurs absences, tous deux invoquant, respectivement, être en emploi et en mesure d’en obtenir facilement un à Genève dans le domaine des soins.

Le même raisonnement s’applique pour D______, âgée de 18 mois qui n’a jamais vécu avec son père et dont la prise en charge au quotidien s’avérerait encore plus importante que son frère, en âge d’être scolarisé.

3.             Se pose la question de l’existence d’éventuelles raisons familiales majeures justifiant un regroupement familial différé pour la recourante et sa fille aînée, seule hypothèse dans laquelle la recourante et ses enfants pourraient voir leurs requêtes acceptées.

3.1 L’art. 75 OASA précise que des raisons familiales majeures sont données lorsque le bien de l’enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse, mais cette disposition ne dit rien quant à ces raisons pour le conjoint. Contrairement au libellé de l’art. 75 OASA, ce n’est pas exclusivement l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être pris en compte, mais plutôt l’ensemble des circonstances pertinentes du cas d’espèce, parmi lesquelles figure l’intérêt de l’enfant à maintenir des contacts réguliers avec ses parents (arrêt du Tribunal fédéral 2C_882/2022 du 7 février 2023 consid. 4.1 et les références citées).

3.2 La situation financière et de logement de la famille ne peuvent constituer une raison familiale majeure qu'à titre exceptionnel. Le regroupant doit en effet tout mettre en œuvre pour créer en temps utile les conditions au regroupement familial (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2021 du 18 mars 2022 consid. 5.4). 

En revanche, il existe selon la jurisprudence une raison majeure au sens de l’art. 47 al. 4 LEI lorsque la prise en charge d’un enfant dans son pays d’origine n’est plus garantie, à la suite par exemple du décès ou de la maladie de la personne qui s’en occupait (arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 du 2 février 2022 consid. 3.4). Lorsque le regroupement familial est demandé en raison de changements importants des circonstances à l’étranger, il convient toutefois d’examiner s’il existe des solutions alternatives permettant à l’enfant de rester dans son pays. De telles solutions correspondent en effet en principe mieux au bien-être de l’enfant, parce qu’elles permettent d’éviter que celui-ci ne soit arraché à son milieu et à son réseau de relations de confiance (arrêt du Tribunal fédéral 2C_882/2022 précité consid. 4.2). Une telle alternative doit être d’autant plus sérieusement envisagée et soigneusement examinée que l’âge de l’enfant est avancé et que la relation avec le parent vivant en Suisse n’est pas (encore) trop étroite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_281/2023 du 11 octobre 2023 consid. 4.4). Cela vaut à plus forte raison lorsqu’un enfant a toujours vécu dans son pays d’origine avec l’un de ses parents et que le parent en question pourra continuer à s’occuper de lui (arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 précité consid. 3.4).

D’une façon générale, il ne doit être fait usage de l’art. 47 al. 4 LEI qu’avec retenue (ATF 146 I 185 consid. 7.1.1).

3.3 Le désir – pour compréhensible qu'il soit – de voir les membres de la famille réunis en Suisse, souhait qui est à la base de toute demande de regroupement familial et représente même une condition d'un tel regroupement, ne constitue pas en soi une raison familiale majeure au sens des art. 47 al. 4 LEI et 73 al. 3 OASA. Lorsque la demande de regroupement familial est déposée hors délai et que la famille a vécu séparée volontairement, d'autres raisons sont nécessaires (ATF 146 I 185 consid. 7.1.1 et les références citées).

Il y a généralement lieu d’admettre que les conjoints qui vivent volontairement séparés pendant des années manifestent ainsi un moindre intérêt à vivre ensemble (arrêts du Tribunal fédéral 2C_348/2016 du 17 mars 2017 consid. 2.3 et 2C_914/2014 du 18 mai 2015 consid. 4.1). Dans une telle constellation, dans laquelle les relations familiales sont vécues pendant des années par-delà les frontières, par le biais de visites et des moyens de communication modernes, l'intérêt légitime à la restriction de l'immigration, qui est à la base de la ratio legis de l'art. 47 al. 4 LEI, prévaut normalement, tant que des raisons objectives et convaincantes, qui doivent être spécifiées et justifiées par les personnes concernées, ne permettent pas de retenir la solution contraire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_106/2021 du 25 juin 2021 consid. 3.4 et les arrêts cités).

3.4 Les raisons familiales majeures pour le regroupement familial hors délai doivent cependant être interprétées d’une manière conforme au droit fondamental au respect de la vie familiale (art. 13 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 et 8 CEDH ; ATF 146 I 185 consid. 7.1.1 et les arrêts cités), le fait de refuser un droit de séjour à un étranger dont la famille se trouve en Suisse pouvant porter atteinte à cette garantie (ATF 139 I 330 consid. 2.1). Pour autant, les liens familiaux ne sauraient conférer de manière absolue, en vertu de l’art. 8 CEDH, un droit d’entrée et de séjour, une ingérence dans l’exercice de ce droit étant possible aux conditions de l’art. 8 § 2 CEDH. À cet égard, les règles internes relatives au regroupement familial (art. 42 ss et art. 47 LEI) constituent un compromis entre, d’une part, la garantie de la vie familiale et, d’autre part, les objectifs de limitation de l’immigration (arrêt du Tribunal fédéral 2C_882/2022 précité consid. 4.3 et les références citées).

La question de savoir si, dans un cas d’espèce, les autorités compétentes sont tenues d’accorder une autorisation de séjour fondée sur l’art. 8 CEDH doit donc être résolue sur la base d’une pesée de tous les intérêts publics et privés en présence (ATF 137 I 284 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_325/2019 du 3 février 2020 consid. 3.1). Dans la pesée des intérêts, il faut aussi tenir compte de l’intérêt fondamental de l’enfant (art. 3 CDE) à pouvoir grandir en jouissant d’un contact étroit avec ses parents (ATF 144 I 91 consid. 5.2), étant précisé que, sous l’angle du droit des étranger, cet élément n’est pas prépondérant par rapport aux autres et que l’art. 3 CDE ne fonde pas une prétention directe à l’octroi ou au maintien d’une autorisation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 précité consid. 3.7).

S’agissant d’un regroupement familial, il convient également de tenir compte dans la pesée des intérêts des exigences auxquelles le droit interne soumet celui-ci. Il n’est en effet pas concevable que, par le biais de l’art. 8 CEDH, une personne étrangère qui ne dispose, en vertu de la législation interne, d’aucun droit à faire venir sa famille proche en Suisse, puisse obtenir des autorisations de séjour pour celle-ci sans que les conditions posées par les art. 42 ss LEI ne soient réalisées (ATF 146 I 185 consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_865/2021 précité consid. 3.7).

3.5 En l’espèce, selon les recourants, la situation financière du regroupant constituerait une raison familiale majeure au sens de l’art. 47 al. 4 LEI. Or, la situation financière et de logement de la famille ne peuvent constituer, selon la jurisprudence, une telle raison familiale majeure qu’à titre exceptionnel. Le regroupant doit tout mettre en œuvre pour créer en temps utile les conditions au regroupement familial, ce que l’époux de la recourante n’apparaît pas avoir fait, étant rappelé qu’il a bénéficié de prestations d’aide financière de l’hospice depuis le 1er août 2022 et, selon les déclarations du recourant, jusqu’à juin 2023 et qu’il faisait l’objet d’un commandement de payer de CHF 1'317.- de l’administration fiscale cantonale en avril 2023. Il ne ressort pas non plus du dossier, qu’il ait régulièrement travaillé avant début 2023, l’intéressé ayant notamment déclaré à la police en 2022 être sans revenus. La situation financière du recourant n’est en conséquence pas une raison objective et convaincante au sens de la jurisprudence précitée pour justifier l’absence de toute démarche en vue du regroupement familial de l’épouse puis de sa fille ainée depuis 2013.

Le couple se prévaut de la situation sanitaire liée au Covid-19, qui l’aurait empêché de déposer la demande dans le délai requis. L’on ne voit toutefois pas en quoi cette situation serait constitutive d’une raison familiale majeure, dès lors qu’elle ne l’empêchait pas de déposer une demande à l’Ambassade de Suisse en Gambie, indépendamment de la question de la fermeture des frontières. Le couple ne peut pas non plus se prévaloir du fait de ses grossesses et de la naissance de ses enfants. Rien ne l’empêchait de déposer sa demande avant, à tout le moins de l’envoyer par la poste, étant rappelé que le délai pour déposer une telle demande avait commencé à courir dès leur mariage, soit en 2013 déjà.

Le couple ne peut pas non plus se prévaloir d’un changement important des circonstances à l’étranger. Rien n’indique en effet que de tels événements seraient survenus et que sa prise en charge ou celle de ses enfants ne serait plus garantie, ce qu’il n’allègue du reste pas. Au contraire, il ressort du dossier que la recourante, âgée de 34 ans, continue de vivre en Gambie, comme elle l’a toujours fait, avec ses trois enfants, dont elle s’occupe depuis la naissance. En 2013, lors de son mariage, elle n’ignorait pas non plus que, pour vivre auprès de son époux, il lui faudrait entreprendre des démarches pour bénéficier d’un titre de séjour en Suisse, ce qu’elle n’a toutefois pas fait, pas plus que son époux. Le fait de vivre dans deux pays différents à la suite de la célébration de leur mariage résulte ainsi d’un choix de vie, dans lequel la recourante et son époux ont persisté après la naissance de leurs trois enfants.

Dans ce cadre, le désir de voir les membres de la famille réunis en Suisse ne constitue pas, selon la jurisprudence susmentionnée, une raison familiale majeure. En outre, rien n’empêche la recourante et ses enfants de continuer à entretenir des relations avec le recourant comme ils l’ont toujours fait, notamment au moyen de visites de ce dernier en Gambie, ce qui est du reste conforme au droit conventionnel étant donné l’absence de droit à obtenir un titre de séjour en Suisse. Enfin, c’est également à juste titre que le TAPI a considéré que la décision litigieuse était conforme au bien des enfants pour les mêmes motifs.

Il s’ensuit que les conditions restrictives du regroupement familial différé selon l’art. 47 al. 4 LEI et 75 OASA ne sont pas réunies pour la recourante et sa fille B______, de sorte que c’est à juste titre que l’autorité intimée a refusé le regroupement familial déposé en leur faveur ainsi qu’en faveur d’C______ et D______, ce qu’a confirmé le TAPI.

Mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

4.             Vue l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge des parents, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera accordée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 avril 2024 par F______ et E______ A______, interjeté pour eux-mêmes et pour leurs enfants mineurs B______, C______, et D______ A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 février 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge solidaire de F______ et E______ A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à F______ et E______ A______, à l’office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’au secrétariat d’État aux migrations.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.