Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2597/2022

ATA/257/2024 du 27.02.2024 sur JTAPI/702/2023 ( LCI ) , ADMIS

Recours TF déposé le 22.04.2024, 1C_232/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2597/2022-LCI ATA/257/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 février 2024

3ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______

représentées par Me Mark MULLER, avocat recourants

contre

C______ et D______, E______ et F______, G______, H______, I______ et J______, K______, L______ et M______

représentés par Me Paul HANNA, avocat

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC intimés

 


_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 juin 2023 (JTAPI/702/2023)


EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______) et B______ (ci-après : B______) sont copropriétaires, depuis le 3 novembre 2021, de la parcelle n° 1’179 de la commune de N______, d’une surface de 1'808 m2, située en 5e zone à bâtir au sens de l’art. 19 al. 3 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT- L 1 30), au 6, chemin de O______.

b. Le 6 novembre 2019, A______ a déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département) une demande définitive d’autorisation (DD 1______) pour y construire six villas à très haute performance énergétique (ci-après : THPE ; taux de 47,70%), avec garage souterrain et couvert à vélos.

Les villas seraient réparties en deux blocs de deux villas contiguës ainsi que de deux villas, toutes reliées par des constructions de peu d’importance (ci-après : CDPI). Le projet impliquait l’abattage d’arbres. Douze places de parking habitants en sous‑sol et deux places visiteurs en surface étaient prévues. L’accès des engins du service du feu était prévu par le chemin de O______, d’une largeur d’environ 6,75 m, côté route de Chêne.

c. Lors de l’instruction de cette demande, les préavis suivants ont notamment été émis :

-       par l’office cantonal des transports (ci-après: OCT), le 20 janvier 2020, favorable, sans observations ;

-       par la police du feu, le 7 janvier 2020, qui a requis la modification du projet ;

-       par la commission d’architecture (ci-après : CA), le 14 janvier 2020, défavorable, relevant une implantation incohérente par rapport au contexte bâti environnant, un projet dense s’étalant sur la parcelle au détriment de la végétation et de l’arborisation environnantes, des espaces résiduels entre les villas inutiles et contraignant l’apport supplémentaire de surface végétale, une rampe invasive, un sous-sol conséquent ainsi qu’une architecture banale, sans qualité ;

-       par la commune, le 29 janvier 2020, défavorable, en défaveur de la dérogation selon l’art. 59 al. 4 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

d. Une deuxième version du projet, comprenant toujours six maisons, les divisait en deux blocs de trois villas contiguës, reliées par une CDPI et prévoyait douze places de parking habitants et deux visiteurs, toutes en surface.

e. La police du feu et la CA ont préavisé favorablement ce projet, sous conditions, les 15 et 21 juillet 2020. La CA s’est déclarée favorable à la dérogation selon l’art. 59 al. 4 LCI puisque le projet répondait à ses remarques du 14 janvier 2020. L’OCT a rendu un préavis favorable, sans observations, le 23 juillet 2020.

La commune s’est en revanche déclarée défavorable le 28 août 2020 ; elle a notamment requis la réduction du nombre de place de stationnement à une par logement, au vu de la proximité et de la qualité de service des transports publics.

f. Une troisième version du projet, déposée auprès du département le 15 janvier 2021, comprenait toujours six villas contiguës, projetées en deux blocs de trois désaxés, ainsi que sept places de parking pour les habitants et une pour les visiteurs, pour se conformer au préavis communal du 28 août 2020.

g. S’agissant de cette troisième version :

-       la CA, l’OCT et la police du feu n’ont pas été consultés ;

-       le 21 janvier 2021, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a requis la modification du projet ; le bureau au rez-de-chaussée devait disposer d’une vue droite d’au moins 4 m sur toute la largeur de l’ouverture en vertu des art. 72 et 73 LCI ;

-       le 19 février 2021, l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) a émis un préavis favorable, sous conditions, requérant notamment le respect du préavis liant n° 2021 0355 prévoyant la plantation de nouveaux arbres pour un montant d’au moins CHF 24’800.- et que lui soit fourni avant les abattages prévus, un projet chiffré de replantation pour accord préalable ; le projet de replantation devait être revu afin d’intégrer des arbres similaires à la forme érigée le long du chemin O______ ;

-       le 31 mars 2021, la commune s’est encore prononcée en défaveur de cette version du projet.

h. Le 21 avril 2021, de nouveaux plans ont été déposés auprès du département prévoyant six places de parking habitants et une place visiteurs, afin de se conformer à l’exigence de la DAC.

Ni la CA, ni l’OCT ni la police du feu n’ont été consultés pour cette quatrième version.

i. Par décision du 15 juillet 2021, publiée dans le Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du même jour, le département a délivré l’autorisation globale DD 1______.

B. a. Le 14 septembre 2021, C______ et D______, E______ et F______, G______ et H______, I______ et J______, K______, L______ et M______ ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette autorisation.

b. Le 4 janvier 2022, l’OCT a rendu un préavis favorable, sans observation et le service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA) favorable, sous conditions.

c. Le 17 janvier 2022, A______ et le département ont transmis au TAPI leurs observations sur le recours.

d. Par jugement du 7 septembre 2022, le TAPI a constaté que le recours interjeté le 14 septembre 2021 était devenu sans objet (cf. ci-dessous C.) et a rayé la cause du rôle (JTAPI/925/2022).

C. a. Le 15 février 2022, A______ a requis auprès du département la reprise de l’instruction du dossier DD 1______ en vue du prononcé d’une nouvelle décision et maintien du numéro du dossier DD 1______ « afin que la nouvelle décision conserve tous les droits liés au dépôt de la demande en novembre 2019 ».

Elle déposait « par prudence » un projet modifié afin de répondre aux griefs ayant trait à la violation du règlement relatif aux places de stationnement sur fonds privés du 16 décembre 2015 (RPSFP - L 5 05.10) ainsi qu’à l’installation des pompes à chaleur (ci-après : PAC).

Les plans déposés prévoyaient deux places de parc pour chaque villa contiguë. Le rapport acoustique du 8 février 2022 sur l’impact sonore des PAC en toiture concluait qu’elles seraient conformes à l’ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41) ainsi qu’aux exigences minimales de la norme SIA 181, édition 2020, pour les bruits techniques.

b. Au cours de l’instruction de cette demande, le département n’a consulté, au motif de la modification mineure du projet, que certaines instances qui ont rendu les préavis suivants :

-       la CA, le 22 mars 2022, favorable, sans observation ;

-       le 28 mars 2022, l’OCT, favorable, avec le souhait que la place visiteurs soit attribuée à la villa A, la plus proche du chemin de O______ ;

-       le 28 mars 2022, l’office cantonal de l’eau (ci-après: OCEau), favorable, sous conditions ;

-       le 28 mars 2022, la commune, toujours défavorable ;

-       le 8 avril 2022, le SABRA, favorable, sous conditions.

La DAC n’a pas été consultée.

c. Le 15 juin 2022, le département a reconsidéré sa décision DD 1______ et rendu une décision globale, publiée dans la FAO du même jour, délivrant l’autorisation de construire DD 1______ - RE.

En son point 5, cette décision prévoit que les conditions figurant dans les préavis du SABRA du 8 avril 2022, de l’OCEau du 28 mars 2022, de la direction de la mensuration officielle du 11 décembre 2019, du service des monuments et des sites du 12 février 2020, de la police du feu du 15 juillet 2020, de l’office cantonal de l’énergie du 30 juillet 2020, de l’OCAN du 19 février 2021 ainsi que son préavis liant n° 2021 0355, faisant partie intégrante de l’autorisation, devaient être respectées. En son point 11, elle mentionne qu’elle annulait et remplaçait l’autorisation DD 1______ délivrée le 15 juillet 2021.

d. Le même jour, le département en a informé le TAPI et la commune.

D. a. Par acte du 16 août 2022, C______ et D______, E______ et F______, G______ et H______, I______ et J______, K______, L______ et M______ (ci-après : les voisins) ont interjeté recours auprès du TAPI contre l’autorisation de construire DD 1______ – RE du 15 juin 2022, concluant à son annulation et à ce qu’il leur soit donné acte que l’autorisation de construire DD 1______ délivrée le 15 juillet 2021 avait été annulée.

Ils avaient la qualité pour recourir dans la mesure où ils étaient propriétaires de parcelles situées à moins d’une quarantaine de mètres de celle faisant l’objet du projet de construction litigieux, à l’exception de J______ qui vivait avec son épouse propriétaire de l’une desdites parcelles.

La décision du 15 juin 2022 devait être qualifiée de « décision sur demande d’autorisation » et non de « décision sur reconsidération », car le département avait pris une nouvelle décision sur la base d’un nouveau projet. Or, le fait de ne pas avoir modifié sa décision de base, mais d’en avoir rendu une nouvelle consacrait de nombreuses violations à la loi. Il en allait ainsi des art. 2 LCI et 9 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01), concernant les pièces devant être déposées par le demandeur et les indications devant être fournies quant aux objets destinés à occuper le sous-sol de façon permanente, ou de l’art. 3 LCI concernant la publication de la demande dans la FAO, la procédure d’observations et la transmission du dossier aux communes, départements et organismes intéressés.

L’art. 59 al.4 bis LCI n’avait pas été respecté. Le plan directeur communal (ci‑après : PDCom) de 2e génération de N______ avait été adopté le 18 novembre 2021 et approuvé par le Conseil d’État le 3 mars 2022, de sorte qu’un préavis communal favorable, ce qui n’était pas le cas, était nécessaire dans la mesure où la demande d’autorisation de construire avait été déposée le 15 février 2022.

La CA n’avait pas été appelée à se prononcer sur les troisième et quatrième versions du projet, alors même que les modifications opérées justifiaient une nouvelle analyse de sa part. A priori, elle s’était prononcée sur la 5e version du projet, mais son préavis ne comportait aucun commentaire, malgré les faibles modifications apportées au projet. Aucune dérogation à l’art. 59 al. 4 LCI n’y avait par ailleurs été accordée.

Le projet ne s’intégrait pas dans le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier. La CA avait vivement critiqué sa première version, mettant notamment en évidence une implantation incohérente par rapport au contexte bâti environnant, un projet trop dense et une architecture banale, sans qualité. La 5e version du projet prévoyait encore moins de végétation que les précédents. Il créerait un malheureux précédent puisqu’il s’agissait du premier projet en ordre contigu du secteur.

Les plans visés ne varietur n’indiquaient pas les caractéristiques des voies d’accès des services d’incendie et de secours (ci-après : SIS) depuis le chemin de O______, de sorte qu’il n’était pas possible de vérifier la conformité du projet avec la directive n° 7 du RPSSP (ci-après : directive). La police du feu ne s’était pas prononcée sur la dernière version des plans. Ils voyaient mal à quel endroit précis une zone de travail de 5 m sur 12 m pourrait être implantée, ce qui représentait un danger pour le voisinage si les pompiers ne parvenaient pas à maîtriser à temps un incendie.

L’autorisation litigieuse autorisait l’abattage de neuf arbres d’une valeur totale de CHF 24’800.- à la condition de la replantation d’arbres pour un montant identique, au minimum, alors que selon la requête pour abattage d’arbres de juillet 2020, la requérante n’en planterait que pour un montant total de CHF 11’005.- outre d’«  autres mesures d’intérêt pour la nature », dont la création d’une haie indigène pour un montant total de CHF 10’502,80. Les trois dernières variantes du projet ayant abandonné le principe d’un parking enterré, le faible impact du sous-sol sur la parcelle, projeté sous l’assiette des six constructions, permettait aisément la replantation d’arbres sur tout son pourtour. Les mesures de compensation autorisées par l’OCAN se révélaient insuffisantes pour suppléer à cet abattage.

b. Le 2 septembre 2022, A______ a indiqué au TAPI être devenue copropriétaire de la parcelle destinée à accueillir le projet litigieux et avoir ainsi la qualité de partie.

c. Le 21 septembre 2022, le département a conclu au rejet du recours.

Le projet n’avait été modifié que quant au nombre de places de stationnement. La jurisprudence avait déjà eu l’occasion de confirmer la possibilité d’une reconsidération par le département et qu’une modification du nombre de places de stationnement pouvait se faire sur la base du même dossier.

La demande déposée en novembre 2019 restait pleinement valable et un préavis favorable de la commune ne s’imposait donc pas, l’art. 59 al. 4bis LCI n’étant alors pas encore en vigueur.

C’était à juste titre et conformément à la jurisprudence que la CA n’avait pas été consultée dans le cadre des versions 3 et 4 du projet. Elle avait rendu, le 7 juillet 2020, un préavis favorable quant à la construction projetée et à l’application de la dérogation de l’art. 59 al. 4 LCI. L’évolution du projet dès la version 3 s’était avérée minime et ne visait qu’à le rendre plus compact, ce qui ne pouvait que convenir à la CA. Il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir mentionné la dérogation prévue par l’art. 59 al. 4 LCI dans son dernier préavis, la modification apportée ne portant pas sur la densité de la construction, mais sur un ajout de places de stationnement.

Il y avait lieu de s’en tenir au préavis de la police du feu du 15 juillet 2020 vu les faibles modifications apportées ensuite au projet.

Le préavis liant de l’OCAN imposait la replantation d’arbres sans précision du nombre pour un montant de CHF 24’800.- du fait que ce n’était pas uniquement la quantité d’arbres qui avait de l’importance, mais aussi leur valeur respective. Un projet chiffré de replantation devrait être fourni à l’OCAN, pour accord préalable, avant de procéder aux abattages.

d. A______ et B______ ont conclu, à la forme, à ce que la qualité de partie à la procédure soit reconnue à B______, et, au fond, au rejet du recours.

Leur parcelle était située à proximité de plusieurs zones de développement, dont la parcelle n° 3’406 sise en zone de développement 3, qui avait fait l’objet d’un plan localisé de quartier prévoyant neuf bâtiments voués à l’habitation, en cours de construction.

La décision attaquée se substituait formellement à la première, même si elle la confirmait matériellement. La principale modification apportée était l’ajout de places de parking afin que chaque logement puisse disposer de deux places de stationnement.

La demande d’autorisation de construire DD 1______ ayant été déposée auprès du département le 6 novembre 2019, l’art. 59 al. 4bis LCI ne trouvait pas application.

Le projet, qui se situait dans un environnement urbain, était aussi compatible avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, ainsi que le confirmait le préavis favorable sans observations de la CA du 22 mars 2022.

Le projet visant la construction de villas, les modalités prévues par la directive ne s’appliquaient pas. En tout état, l’accès prévu pour les engins du service du feu était d’une largeur d’environ 6,75 m à proximité de la parcelle en cause, soit nettement plus que la largeur minimale prévue par l’art. 7.4 de la directive et n’avait jamais été considéré comme problématique par la police du feu.

En lien avec l’abattage des arbres, aucun élément ne permettait à ce stade de constater que les mesures compensatoires ne seraient pas respectées.

e. A______ et B______ ont été inscrites au registre foncier le 21 octobre 2022 comme propriétaires de la parcelle en cause.

f. Dans leur réplique, les voisins ont relevé que l’art. 67 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) ne détaillait pas le pouvoir « incomplet » qui était laissé à l’autorité de première instance. Ainsi et comme le disait la doctrine, le département n’était pas en droit d’administrer de nouvelles preuves, comme par exemple examiner des plans modifiés. En droit genevois des constructions, la modification d’une autorisation de construire qui faisait l’objet d’une procédure de recours pendante et donc non entrée en force devait faire l’objet d’une nouvelle requête. Les exemples jurisprudentiels cités par A______ et B______ ne représentaient qu’une clarification ponctuelle, admissible au sens de la littérature et de la jurisprudence du Tribunal fédéral. En l’espèce, le département avait rouvert un dossier clos et examiné un nouveau projet comportant de nouveaux documents. Un tel procédé permettrait au département de pouvoir systématiquement réparer un vice matériel entachant une autorisation de construire, faisant fi des exigences formelles de la LCI et du RCI faisant perdre aux tribunaux leur vocation d’organe de contrôle de ses décisions.

g. Le département a réaffirmé sa position et relevé qu’en tout état, la possibilité de reconsidération n’engendrait aucun préjudice pour les parties dans la mesure où le dépôt d’un recours ou la poursuite du recours en cours, avec modification éventuelle du chef des conclusions, restait possible contre la nouvelle décision.

h. A______ et B______ ont ajouté que la procédure administrative fédérale ne permettait à l’autorité administrative de revoir sa décision que jusqu’à l’envoi de sa réponse au recours, contrairement à la situation genevoise. Le Tribunal fédéral avait admis qu’en procédure administrative genevoise, une décision sur reconsidération facultative pouvait tenir compte de moyens de fait ou de droit nouveaux.

i. Le 28 mars 2023, le TAPI a interpellé le département pour qu’il lui transmette un préavis de la DAC sur la dernière version du projet. Cette instance avait, le 21 janvier 2021, requis la modification de la version du projet prévoyant huit places de stationnement au motif que le bureau au rez-de-chaussée devait disposer d’une vue droite d’au moins 4 m sur toute la largeur de l’ouverture et avait ensuite préavisé favorablement la version du projet qui ne prévoyait plus que sept places de parking. Or, la décision litigieuse prévoyait treize places de stationnement.

j. Le 21 avril 2023, le département a transmis au TAPI le préavis favorable de la DAC, daté du même jour. Il en ressort que les pièces donnant sur les places de stationnement étaient désormais affectées à des cuisines. Or, il admettait que les vues droites ne soient pas respectées pour ce type d’affectation. Une cuisine n’était pas destinée au long séjour et à la détente, au contraire des bureaux prévus jusque dans la version n° 3 du projet.

k. Le 15 mai 2023, les voisins ont relevé que la LCI n’offrait pas de pouvoir d’appréciation au département sur ce point, les cuisines étant expressément citées à l’art. 72 LCI. Les cuisines devaient disposer de vues droites.

l. Le département a rétorqué que les voisins ne disposaient d’aucun intérêt digne de protection en lien avec une prétendue absence de vues droites suffisantes.

m. A______ et B______ ont, après avoir également soutenu que le grief ayant trait à l’art. 72 LCI était irrecevable, relevé que cette disposition portait atteinte à la garantie constitutionnelle de la propriété. L’obligation de prévoir des vues droites depuis les cuisines était disproportionnée. Les habitants d’un logement n’avaient en effet pas besoin de vues droites depuis leur cuisine pour que l’habitabilité du logement – l’intérêt public protégé – soit satisfaisante. Une cuisine ne devait de plus pas être obligatoirement ouverte sur l’extérieur. En tout état, sous l’angle de la pesée des intérêts, le bénéfice obtenu quant à l’habitabilité d’un logement par une telle vue était fort ténu alors que l’exigence d’en prévoir une constituait une restriction de la garantie de la propriété. Enfin, il ne saurait être exigé que le champ des vues droites soit absolument et toujours inviolé. Ainsi, dans la mesure où les véhicules qui seraient garés devant les fenêtres pouvaient être déplacés à tout moment, le champ de vision exigé par les art. 72 et 73 LCI était respecté. Par ailleurs, si les places de stationnement litigieuses avaient été prévues ailleurs, rien n’aurait empêché les futurs habitants d’installer des objets obstruant le champ de vision des vues droites.

n. Les voisins ont soutenu que leur intérêt digne de protection et leur qualité pour recourir devait être reconnus s’agissant du grief relatif à l’art. 72 LCI. À suivre la thèse des intimées, les problématiques de la LCI liées à la disposition interne des constructions nouvelles échapperaient systématiquement à tout contrôle judiciaire, faute pour quiconque d’avoir un intérêt pratique à faire respecter les dispositions prévues par le législateur en la matière. La recevabilité de leur recours n’avait d’ailleurs pas été remise en cause une seule fois par les intimées.

o. Le TAPI a, par jugement du 22 juin 2023, déclaré recevable et admis le recours interjeté le 16 août 2022 contre la décision du 15 juin 2022, donné acte aux voisins que l’autorisation de construire DD 1______ délivrée le 15 juillet 2021 avait été annulée, ordonné la restitution aux voisin de l’avance de frais de CHF 900.-, mis à la charge conjointe et solidaire de A______ et de B______ un émolument de CHF 900.- et condamné ces dernières à verser une indemnité de procédure de CHF 1'200.- aux voisins.

Les parcelles des voisins étaient situées au maximum à une quarantaine de mètres de celle destinée à accueillir le projet litigieux. Les voisins se prévalaient de dispositions de droit public des constructions susceptibles d’avoir une incidence concrète sur leur situation de fait, de sorte qu’ils disposaient de la qualité pour recourir, ce qui n’était au demeurant pas contesté.

La décision entreprise mentionnait expressément qu’elle annulait et remplaçait l’autorisation DD 1______ délivrée le 15 juillet 2021, ce qui était admissible.

À teneur de la législation en vigueur et de la jurisprudence, rien ne limitait le département pour entrer en matière sur une demande de reconsidération et ce, même si la décision en cause était pendante devant le TAPI. Il disposait d’une importante liberté d’appréciation, Par analogie avec l’art. 10A du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI – L 5 05.01) il existait un abus, respectivement un excès de ce pouvoir d’appréciation lorsque la demande de reconsidération concernait un projet sensiblement différent, ce qui n’était pas le cas du projet déposé le 15 février 2022 au regard du projet autorisé le 15 juillet 2021. Le nouveau projet concernait pour l’essentiel l’ajout de places de parking et non pas l’adjonction d’un ouvrage séparé d’une certaine importance. Il n’altérait pas de manière substantielle les caractéristiques principales du projet approuvé par le département. Partant, le département n’avait ni abusé ni excédé de son pouvoir d’appréciation en acceptant de reconsidérer sa décision du 15 juillet 2021 et d’en prononcer une nouvelle, après avoir consulté certaines instances de préavis. Il n’y avait donc pas lieu de considérer la demande de reconsidération comme une nouvelle demande distincte.

Dans son préavis du 21 janvier 2021, la DAC avait requis la modification du projet (version n° 3) au motif que le bureau au rez-de-chaussée devait disposer d’une vue droite de 4 m sur toute la largeur de l’ouverture en vertu des art. 72 et 73 LCI, ce qui n’était pas le cas compte tenu des huit places de parking projetées. Le nombre de places de parking avait donc été réduit à sept, permettant la vue droite requise. Ladite pièce avait ensuite été destinée à accueillir une cuisine. Dans cette configuration correspondant au projet tel qu’autorisé le 15 juillet 2021, les art. 72 et 73 LCI étaient respectés.

Dans le cadre de la demande de reconsidération, le projet avait toutefois encore été modifié, le nombre de places de parking ayant été porté à douze, soit deux pour chaque villa contiguë, la pièce du rez-de-chaussée demeurant affectée à une cuisine. La position de la DAC et du département selon laquelle les vues droites n’avaient pas à être respectées pour les cuisines, telle que résultant d’une pratique, ne pouvait être suivie puisqu’elle contrevenait à l’art. 72 LCI, ce que le TAPI pouvait constater de sa propre initiative, que cela soit ou non invoqué par les voisins. En effet, la lecture de cette disposition et son interprétation littérale laissaient clairement apparaître que le législateur n’avait opéré aucune distinction entre les pièces servant à l’habitation de jour ou de nuit, les cuisines ainsi que les locaux où l’on travaillait en permanence. Ces lieux étaient mis sur un pied d’égalité et requéraient tous des baies ouvrant directement sur l’extérieur et disposant d’un champ de vue libre. Ainsi, une cuisine devait obligatoirement être ouverte sur l’extérieur, comme d’ailleurs spécifiquement requis par l’art. 52 al. 2 LCI. En outre, l’art. 72 LCI n’offrait aucun pouvoir d’appréciation au département (ATA/781/2020 du 18 août 2020 consid. 5) et ne lui permettait pas d’accorder des dérogations. Il était notoire que la cuisine était une pièce très utilisée dans un logement. Par ailleurs, une personne aimant cuisiner pouvait y passer beaucoup de temps. En tout état, l’art. 72 LCI exigeait formellement que les cuisines soient pourvues de baies et d’une vue droite indépendamment de leur utilisation.

En ne le spécifiant pas expressément pour toutes les pièces mais uniquement pour celles servant à l’habitation de jour ou de nuit et les locaux où l’on travaillait en permanence, le législateur avait démontré sa volonté d’offrir une vue droite aux cuisines, lieux de vie généralement essentiel et ce, indépendamment de leur fonction propre. Dans ces circonstances, cette exigence ne constituait pas une obligation disproportionnée au vu de l’intérêt juridique protégé. Par ailleurs, le fait que l’admission d’un grief – ou la constatation qu’une condition légale n’était pas respectée – conduisît à l’annulation de la décision litigieuse n’était nullement disproportionné, mais la conséquence logique et naturelle d’une violation de la loi.

Le marquage des places de parking au sol ne pouvait certes pas porter atteinte aux vues droites. En revanche, il aurait pour effet qu’un véhicule y serait stationné, pour un temps plus ou moins long, ce qui porterait atteinte à ces vues. L’argument des voisins – qui soutenaient en substance qu’une règle légale ne devait pas être respectée de manière continue, mais uniquement de façon partielle et temporaire – ne pouvait pas être admis dans un État de droit.

Le recours était admis par substitution de motifs et la décision entreprise du 15 juin 2022 annulée.

E. a. A______ et B______ ont formé recours contre ce jugement par acte expédié le 28 août 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elles ont conclu à l’annulation dudit jugement et à la confirmation de l’autorisation de construire DD 1______ du 15 juin 2022, subsidiairement au renvoi de la cause au TAPI pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

L’interprétation faite par le TAPI de l’art. 72 LCI ne résistait pas à un examen historique et téléologique de cette disposition.

Une voiture ponctuellement stationnée devant la fenêtre, n’empêchant ni l’air de circuler, ni la lumière naturelle d’entrer, ne saurait porter atteinte à une vue droite au sens des art. 72 et 73 LCI. À suivre le TAPI, n’importe quel élément mobilier, tels des tables, chaises, barbecue, un espace d’entreposage de déchets ménagers ou des PAC pourrait interrompre une vue droite. Le raisonnement du TAPI conduirait à rendre également illicite la plantation d’arbres ou de haies dans le champ de vues droites, pourtant courantes dans le canton.

b. Le département a conclu à l’admission du recours et a souscrit à l’argumentation y développée.

Il ne pouvait qu’appuyer le fait que la notion de « vue droite » avait trait à la nécessité de maintenir une distance entre constructions et non une vue pleinement dégagée. La chambre administrative avait déjà jugé irrecevable le grief des voisins en lien avec la luminosité et la qualité de la vue sur l’extérieur que les futurs habitants pourraient avoir ou non depuis leur cuisine ou leur salon, ce que le TAPI aurait dû constater.

c. Les voisins ont conclu au rejet du recours.

Avec l’entrée en vigueur de l’aLCI, son art. 25 avait introduit la notion de « champ de vue libre » et de « champ visuel » autonome et détachée du concept de cours. L’idée n’était ainsi plus uniquement de garantir une distance « de construction à construction » sur cour pour permettre la circulation de l’air et le maintien d’un logement sain, mais bien de garantir un champ de vue libre, un champ visuel, de minimum 4 m.

L’affaire posait deux questions auxquelles il fallait répondre en deux temps, à savoir si une place de parking pouvait obstruer une vue droite au sens des art. 72 et 73 LCI et si la cuisine était une pièce devant bénéficier d’une vue droite au sens de ces mêmes dispositions.

Comme justement relevé par le TAPI, la question de savoir si les places de parking étaient comprises dans cette notion n’était pas litigieuse. La DAC elle-même avait exigé la modification du projet au motif que le bureau du rez-de-chaussée devait disposer d’une vue droite de 4 m alors que huit places de parking étaient prévues, étant rappelé que la situation s’était péjorée par l’augmentation à douze du nombre de places. Cette pratique du département ne prêtait pas le flanc à la critique et s’inscrivait dans la logique de garantir un « champ de vue libre ». Or, un véhicule de plusieurs tonnes stationné à quelques centimètres d’une fenêtre ne permettait pas d’en garantir un, d’autant plus réduit lorsque, comme en l’espèce, le premier étage surplombait le rez-de-chaussée. Quand bien même une voiture ne serait pas fixe, son incidence spatiale n’en demeurait pas moins très importante lorsqu’elle était stationnée. Les habitants étaient généralement chez eux lorsque s’y trouvait leur voiture.

Le département estimait que les cuisines ne seraient pas concernées par les art. 72 et 73 LCI, malgré la lettre claire de la première de ces dispositions. Il fallait toutefois suivre le TAPI selon lequel le législateur n’avait opéré aucune distinction à l’art. 72 LCI entre les pièces servant à l’habitation de jour ou de nuit, les cuisines ainsi que les locaux où l’on travaillait en permanence, considérant que ces lieux étaient sur un pied d’égalité et requéraient tous la présence de baies ouvrant directement sur l’extérieur et disposant d’un champ de vue libre.

d. Dans leur réplique du 20 novembre 2023, les recourantes se sont ralliées à la position du département selon lequel on voyait mal l’intérêt pratique propre à justifier que les intimés puissent se prévaloir de l’aménagement intérieur des futures habitations. Ce grief était irrecevable.

e. Les intimés ont dupliqué.

Le Tribunal fédéral avait modifié sa jurisprudence et admis qu’un voisin ayant qualité pour recourir pouvait exiger l’examen d’un projet de construction au regard de toutes les normes juridiques susceptibles d’avoir une incidence sur sa situation de fait ou de droit. Ce qui était décisif c’était l’avantage pratique que l’admission du recours était susceptible de lui procurer. Lorsque la qualité pour recourir était admise, le recourant avait la possibilité d’invoquer tous les griefs exposés aux art. 95ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). En résumé, un tiers pouvait être habilité à se prévaloir de normes qui n’étaient pas destinées à le protéger seulement si l’admission de son grief était susceptible de lui procurer un avantage pratique qui pouvait être que la construction prévue puisse ne pas être réalisée du tout, ce qu’avait retenu le TAPI dans leur cas.

En soutenant que la recevabilité du grief tiré d’une violation de l’art. 72 LCI devrait être niée, les recourants invitaient la chambre administrative à procéder à un « tri des griefs » prohibé par la jurisprudence fédérale.

Ils sont également revenus sur la problématique de fond.

f. Les recourantes ont présenté des déterminations spontanées le 11 janvier 2024 sur la question de l’irrecevabilité du grief relatif à l’art. 72 LCI.

g. Les parties ont été informées, le 15 janvier 2024, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2.             Les recourantes soutiennent que ce serait à tort que le TAPI est entré en matière sur le grief des intimés en lien avec l’art. 72 LCI, alors qu’il aurait dû le déclarer irrecevable.

2.1 L'objet du litige est défini par trois éléments : principalement par l'objet du recours (ou objet de la contestation) et les conclusions du recourant, et accessoirement par les griefs ou motifs qu'il invoque. Il correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/504/2023 du 16 mai 2023 consid. 3.2 et les arrêts cités). Lorsque le recourant conclut uniquement à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, il convient de se référer aux motifs de son recours afin de déterminer ce qui constitue l'objet du litige selon sa volonté déterminante (ATA/203/2015 du 24 février 2015 consid. 3a).

2.2 La juridiction administrative est liée par les conclusions des parties, sans pour autant être liée par les motifs invoqués (art. 69 al. 1 LPA). Aux termes de l’art. 67 al. 1 LPA, dès le dépôt du recours, le pouvoir de traiter l’affaire qui en est l’objet passe à l’autorité de recours. En vertu de l’effet dévolutif du recours ainsi prévu par la loi, la juridiction saisie est habilitée à substituer une autre motivation juridique à celle retenue par l’autorité intimée (ATF 136 II 101 consid. 1.2).

2.3 Selon la jurisprudence constante de la chambre de céans, l’objet d’une procédure administrative ne peut pas s’étendre ou se modifier qualitativement au fil des instances. Il peut uniquement se réduire, dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés devant l’autorité de recours. Si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions qui ont été traitées dans la procédure antérieure. Quant à l’autorité de recours, elle n’examine pas les prétentions et les griefs qui n’ont pas fait l’objet du prononcé de l’instance inférieure, sous peine de détourner sa mission de contrôle, de violer la compétence fonctionnelle de cette autorité-ci, d’enfreindre le principe de l’épuisement des voies de droit préalables et, en définitive, de priver les parties d’un degré de juridiction (ATA/648/2016 du 26 juillet 2016 consid. 2b ATA/1311/2020 du 15 décembre 2020 consid. 4a).

2.4 Selon l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

2.5 Le voisin direct de la construction ou de l'installation litigieuse, s'il a en principe la qualité pour recourir, doit en outre retirer un avantage pratique de l'annulation ou de la modification de la décision contestée qui permette d'admettre qu'il est touché dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l'intérêt général des autres habitants de la collectivité concernée de manière à exclure l'action populaire (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; 137 II 30 consid. 2.2.3). Le voisin ne peut ainsi pas présenter n'importe quel grief ; il ne se prévaut d'un intérêt digne de protection, lorsqu'il invoque des dispositions édictées dans l'intérêt général ou dans l'intérêt de tiers, que si ces normes peuvent avoir une influence sur sa situation de fait ou de droit (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; 137 II 30 consid. 2.2.3 ; 133 II 249 consid. 1.3). Tel est souvent le cas lorsqu'il est certain ou très vraisemblable que l'installation ou la construction litigieuse sera à l'origine d'immissions – bruit, poussières, vibrations, lumière, fumée – atteignant spécialement les voisins. À défaut, il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur le grief soulevé (arrêt du Tribunal fédéral 1C_27/2018 du 6 avril 2018 consid. 1.1 et les références citées).

Ainsi, la jurisprudence a considéré que des voisins, situés à environ 100 m de la construction projetée, ne sont pas particulièrement atteints par ce projet s'ils ne voient pas depuis leur propriété la toiture qu'ils critiquent. De même, la qualité pour recourir est en principe déniée au voisin lorsque l'objet du litige concerne uniquement l'application de règles relatives à l'aménagement intérieur des constructions puisque l'impact visuel de la construction ne serait de toute manière pas modifié (arrêts 1C_27/2018 précité et les références citées ; ATA/85/2022 du 1er février 2022 consid. 5b ; ATA/1103/2021 du 19 octobre 2021 consid. 20b).

2.6 Selon la doctrine, les voisins ne sont également pas libres d’invoquer n’importe quel grief pour justifier de leur qualité pour recourir. Ils ne peuvent en effet se prévaloir d'un intérêt digne de protection à invoquer des dispositions édictées dans l'intérêt général ou dans l'intérêt de tiers que si elles peuvent avoir une influence sur leur situation de fait ou de droit. La jurisprudence a également souligné que le voisin peut être habilité à se prévaloir de normes qui ne sont pas destinées à le protéger si l'admission de son grief est susceptible de lui procurer un avantage pratique. Un recours dont le seul but est de garantir l'application correcte du droit demeure irrecevable, parce qu'assimilable à l'action populaire (François BELLANGER, La qualité pour recourir, in François BELLANGER/Thierry TANQUEREL, Le contentieux administratif, 2013, p. 117-118).

2.7 L'application du droit d'office par les juridictions administratives ne saurait avoir un quelconque effet sur la question d'un refus d'examiner un grief. En effet, si la juridiction administrative arrive à la conclusion que l'administré ne dispose pas d'un avantage pratique par rapport au grief soulevé, les règles de procédure imposent à celle-ci de ne pas entrer en matière et de déclarer irrecevable le grief invoqué (art. 60 al. 1 let. b LPA) (ATA/881/2022 du 30 août 2022 consid. 3d).

2.8 S'il est exact que l'art. 3 al. 2 LCI autorise à tout un chacun la consultation des demandes d’autorisation et plans au département et de lui transmettre des observations, le législateur cantonal a néanmoins prévu d'autres dispositions de procédure qui règlent les cas de recours par-devant les juridictions administratives, dont celle de disposer d'un intérêt digne de protection à voir la question tranchée (art. 60 al. 1 let. b LPA). Ces règles de procédure ont justement pour but d'exclure l'action populaire. Il n'y a donc aucune contradiction entre la règle de l'art. 3 al. 2 LCI applicable en phase d'instruction d'une requête et le droit de procédure applicable dans le cadre d'un recours par-devant les juridictions administratives (ATA/85/2022 précité consid. 5g).

2.9 Dans l’ATA/17/2023 du 10 janvier 2023, la chambre administrative a rappelé ces principes. Si elle a reconnu la qualité pour recourir de voisins dont les propriétés se situaient à vol d'oiseau à environ 100 m du projet litigieux, elle a relevé qu’autre était la question de la recevabilité de certains des griefs à nouveau formulés au stade du recours, à savoir la hauteur minimale des vides d'étages. Elle a rappelé qu’elle avait déjà retenu que le TAPI était fondé à ne pas entrer en matière sur le grief d'une violation des normes sur les vides d'étages (ATA/85/2022 précité consid. 6b) dans la mesure où le nombre de personnes supplémentaires devant occuper les logements projetés, leur habitabilité, le confort des futurs habitants et la hauteur des bâtiments ne constituaient que de simples spéculations. Elle a ainsi retenu dans l’ATA/17/2023 qu’il était douteux que les recourants voisins disposent d'un intérêt digne de protection leur permettant d'invoquer ce grief.

2.10 Selon l’art. 72 LCI, les pièces servant à l'habitation de jour ou de nuit, les cuisines et les locaux où l'on travaille en permanence doivent être pourvus de baies ouvrant directement sur l'extérieur et disposant d'un champ de vue libre dénommée vue droite.

3.             En l’espèce, les intimés ont fait valoir dans leur recours devant le TAPI la qualification de la seconde autorisation de construire ayant annulé la première (décision sur demande d’autorisation et non décision sur reconsidération), grief rejeté par le TAPI, une violation de l’art. 59 al. 4bis LCI tenant à l’exigence d’un préavis communal favorable, faisant défaut, l’absence d’un préavis de la CA sur les 3e et 4e versions du projet et de mention d’une dérogation selon l’art. 59 al. 4 LCI, une violation de la clause d’esthétique, une possible violation de la directive en lien avec les voies d’accès et la place de travail du SIS ainsi que la problématique des abattages d’arbres envisagés.

C’est à la demande du TAPI que le département lui a transmis un préavis, favorable, de la DAC du 21 avril 2023 dont il ressort que les pièces donnant sur les places de stationnement s’avéraient être, comme pour la version n° 4 du projet préavisée favorablement, affectées à des cuisines et non plus des bureaux comme prévu jusqu’à la version n° 3 du projet, étant rappelé que c’est la version n° 4 qui fait l’objet de l’autorisation querellée. Le département a alors précisé qu’il admettait que les vues droites ne soient pas respectées pour ce type d’affectation.

Ce n’est ainsi qu’à la suite de l’intervention spontanée du TAPI et la réception de ce préavis que les intimés ont relevé, le 15 mai 2023, que la LCI n’offrait pas de pouvoir d’appréciation au département sur ce point, les cuisines étant expressément citées à l’art. 72 LCI. Les cuisines devaient disposer de vues droites, ce qui excluait des places de stationnement devant ces pièces. Le département a alors rétorqué que les voisins ne disposaient d’aucun intérêt digne de protection en lien avec une prétendue absence de vues droites suffisantes au rez-de-chaussée et les recourantes que le grief ayant trait à l’art. 72 LCI était irrecevable.

Le TAPI s’est certes prononcé sur la qualité pour recourir des voisins, mais pas sur la recevabilité de ce dernier grief, formulé dans les circonstances précitées.

Or, conformément à la jurisprudence précitée en lien notamment avec la question du respect du vide d’étages, on ne discerne a fortiori pas quel avantage pratique et direct les voisins des villas projetées auraient à se plaindre de la luminosité et de l’aération dans les cuisines des futurs occupants. Aussi, comme il l’a fait dans une précédente affaire concernant des vides d’étages et trouvant application à plus forte raison dans le cas d’espèce, le TAPI n’aurait pas dû entrer en matière sur le grief d’une violation de l’art. 72 LCI. Ce grief devait en effet être déclaré irrecevable.

Partant, le recours sera admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée au TAPI pour examen des autres griefs des intimés.

4.             Vu l’issue de la procédure, un émolument de CHF 1'200.- sera mis à la charge solidaire des intimés C______ et D______, E______ et F______, G et H______, I______ et J______, K______, L______ et M______, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'200.- sera allouée conjointement aux recourantes, à la charge solidaire des intimés C______ et D______, E______ et F______, G______ et H______, I______ et J______, K______, L______ et M______ (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 août 2023 par A______ et B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 juin 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 juin 2023 ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

met un émolument de CHF 1'200.- à la charge solidaire de C______ et D______, E______ et F______, G______ et H______, I______ et J______, K______, L______ et M______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'200.- conjointement à A______ et B______, à la charge solidaire de C______ et D______, E______ et F______, G______ et H______, I______ et J______, K______, L______ et M______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mark MULLER, avocat des recourantes, au département du territoire-oac, à Me Paul HANNA, avocat des intimés, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Valérie LAUBER, juge, Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :