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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2867/2023

ATA/82/2024 du 23.01.2024 sur DITAI/545/2023 ( LCI ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2867/2023-LCI ATA/82/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 janvier 2024

3e section

 

dans la cause

 

A______ recourants
représentés par Me Andreas FABJAN, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

et

D______ Sàrl intimés

_________


Recours contre les décisions du Tribunal administratif de première instance des 2 novembre et 7 décembre 2023 (DITAI/484/2023 et DITAI/545/2023)


EN FAIT

A. a. A______ et B______ (ci-après : les propriétaires) sont propriétaires de la parcelle n° 1'347 de 60 m2 à E______, sise au chemin C______ , située en zone 4B protégée. Une habitation de 60 m2 y est sise.

b. Par décision du 6 juillet 2023, le département du territoire (ci-après : le département ou DT) a refusé de délivrer aux propriétaires, l’autorisation de construire une véranda (dossier APA/3______/1), requise en leurs noms par D______ Sàrl, et devant régulariser l’infraction I/1______.

c. Par décision du 14 juillet 2023, le DT a ordonné le rétablissement d’une situation conforme au droit dans le dossier d’infraction I-1______.

B. a. Par acte du 6 septembre 2023, les propriétaires ont interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre ces décisions, concluant principalement à leur annulation et, préalablement, à la suspension de la procédure « jusqu’à l’achèvement du nouveau recensement architectural (ci-après : RAC) du canton de Genève concernant le village de E______ ». L’ancienne fiche datait de près de 40 ans et n’était plus à jour. Une constatation exacte des faits exigeait que le recensement de 2023 actuellement en cours fût pris en considération en lieu et place de l’ancien.

b. Le DT s’est opposé à la requête de suspension, le recensement précité n’intervenant pas avant le début de l’année 2024 et le droit applicable étant en principe celui en vigueur au moment de la décision.

c. Le 10 octobre 2023, le TAPI a transmis les observations du DT aux recourants et les a informés que les conditions pour la suspension de la procédure n’étaient pas réunies.

d. Le 23 octobre 2023, les propriétaires ont sollicité une décision formelle et motivée sur la question de la suspension. Il était établi que le recensement pour la commune de E______ serait achevé en 2023 et vraisemblablement publié avant que le TAPI ne rende son jugement. Le nouveau recensement devait être pris en considération par l’instance saisie de l’affaire.

e. Dans sa réponse, le DT a maintenu sa position. Selon le site Internet de l’office du patrimoine et des sites, la campagne 2023 du recensement architectural, incluant la commune de E______, porterait jusqu’à la fin de l’année 2023. Aucune précision n’était fournie quant à une éventuelle date de publication.

f. Par décision du 2 novembre 2023, le TAPI a rejeté la requête de suspension. L’art. 78 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) n’était pas applicable en l’absence de l’accord des parties et de la réalisation d’un autre motif de suspension. Il n’existait pas non plus de motifs justifiant la suspension de la procédure sur la base de l’art. 14 LPA, la connaissance du RAC concernant le village de E______ n’étant pas indispensable, au sens de la jurisprudence, à la solution du litige.

C. a. Par acte du 13 novembre 2023, les propriétaires ont interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Ils ont conclu à l’annulation de la décision de refus de suspension et à sa réforme en ce sens que : a) la procédure devant le TAPI était suspendue jusqu’à l’achèvement du RAC concernant le village de E______ et b) une fois le RAC concernant leur maison connu et communiqué aux recourants, un délai leur était accordé pour compléter leur recours. Subsidiairement la décision était annulée et la cause renvoyée au TAPI pour nouvelle décision.

Le refus d’accorder la suspension de la procédure leur causait un préjudice irréparable à plusieurs titres. Ils risquaient de subir un préjudice irréparable en raison de la violation irrémédiable de leur droit à un double degré de juridiction. Le contenu du RAC était un fait pertinent et déterminant dans le cadre de la résolution du litige. Ne pas suspendre faisait courir le risque que le TAPI fonde son jugement sur des faits non pertinents ou qui risquaient de le devenir à très brève échéance. La chambre administrative ne pourrait réparer le préjudice commis, exerçant son pouvoir d’appréciation avec retenue en ce qui concernait les décisions du TAPI lorsqu’il siégeait dans une composition comprenant des experts, ce qui était le cas en l’espèce. La situation ne pourrait non plus être réparée en cas de recours au Tribunal fédéral lequel ne revoyait l’application du droit cantonal que sous l’angle extrêmement restreint de la violation du droit fédéral, singulièrement l’interdiction de l’arbitraire.

Le refus de suspendre la procédure constituait également un déni de justice. Le délai de reddition du jugement par le TAPI ne serait décalé que de quelques mois sans qu’un intérêt public prépondérant ne s’y oppose. Il n’existait pas de droit ce qu’une décision soit rendue dans un délai précis en l’absence de base légale prévoyant le contraire. Le refus de suspendre la procédure ne se justifiait par aucun intérêt digne de protection, compliquait sans raison objective la réalisation du droit matériel et entravait de manière inadmissible l’accès aux tribunaux pour les recourants.

L’absence de suspension pourrait impliquer l’obligation de démolir, in fine, leur véranda, ce qui constituerait un préjudice irréparable.

Si les conditions du préjudice irréparable n’étaient pas remplies, celle d’un dommage d’un certain poids et la présence d’un intérêt digne de protection à ce que la décision soit immédiatement annulée l’était, de sorte que le recours devait être déclaré recevable.

Au fond, leur droit d’être entendu avait été violé, la décision querellée n’étant pas motivée. Contrairement à ce qu’avait retenu le TAPI, la connaissance du RAC était nécessaire à la résolution du litige. L’office des autorisations de construire (ci‑après : l’OAC) avait fait sien les préavis du service des monuments et des sites (ci-après : SMS), fondés essentiellement sur une ancienne fiche de recensement architectural, actuellement encore en vigueur, alors que le RAC mettait en valeur l’intégration de leur maison dans son environnement.

Dans une autre procédure, le département avait indiqué qu’il relevait du bon sens que les évaluations du recensement architectural plus récent remplacent les évaluations antérieures. Une fois publié, le RAC devrait être pris en considération par l’instance saisie de l’affaire, qu’il soit considéré comme un élément de droit ou de fait, question qui pouvait rester ouverte en l’état. Ne pas suspendre la procédure au niveau de la première instance était contraire au principe de l’économie de procédure dès lors que cela contraindrait les propriétaires à faire recours.

b. Le département a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Il avait pu obtenir du SMS la fiche RAC-MNR-2______ telle qu’elle ressortirait lors de la mise à jour. La maison des recourants serait au bénéfice d’une valeur « intéressant », soit une haute valeur patrimoniale, ce qui permettait de clore le débat sur cette question.

c. D______ Sàrl ne s’est pas déterminée.

d. Dans leur réplique les recourants ont conclu, au titre de mesures superprovisionnelles, à ce qu’il soit ordonné au TAPI de suspendre l’instruction de la cause devant lui jusqu’à droit jugé sur la question de la suspension. Malgré le présent recours, le TAPI leur avait fixé, le 13 novembre 2023, un délai pour répondre au fond. Or, en raison de l’effet dévolutif du recours, le TAPI n’était pas autorisé à poursuivre l’instruction. Après avoir donné aux parties l’occasion de se prononcer, le TAPI avait rendu une décision, le 7 décembre 2023, refusant de suspendre la procédure, tout en reconnaissant que la question de la suspension relevait de la chambre administrative. Seules des mesures superprovisionnelles permettraient d’éviter de devoir déposer un second recours.

Pour le surplus, les recourants ont repris leur précédente argumentation, sans se déterminer sur la fiche RAC-MNR-2______ versée à la procédure par le DT.

e. Par décision du 21 décembre 2023, la juge déléguée a rejeté la requête en mesures superprovisionnelles urgentes déposée le 20 décembre 2023, les chances de succès du recours n’apparaissant pas prima facie manifestes s’agissant notamment de l’existence d’un préjudice irréparable.

f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

g. Par acte du 22 décembre 2023, A______ et B______ ont interjeté recours devant la chambre administrative contre la décision du TAPI du 7 décembre 2023 (DITAI/4______/2023) refusant de suspendre l’instruction du recours.

Cet acte de recours n’a pas été transmis aux parties.

EN DROIT

1.             La question de la recevabilité du recours doit être tranchée en premier lieu, les griefs des recourants – qu'ils soient de forme ou de fond, à l'exception éventuelle d'un constat de nullité non plaidé en l'espèce – ne pouvant être traités que si le recours est recevable.

1.1 Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ -
E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b et 63 al. 1 let. a LPA).

1.2 Selon l'art. 57 let. c LPA in initio, les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable. Selon la même disposition in fine, elles peuvent également faire l'objet d'un tel recours si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral et à la lumière de laquelle l’art. 57 let. c LPA doit être interprété (ATA/12/2018 du 9 janvier 2018 consid. 4 et les arrêts cités), un préjudice est irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 135 II 30 ; 134 II 137). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 II 629 consid. 2.3.1 ; 131 I 57 consid. 1).

Lorsqu’il n’est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d’expliquer dans son recours en quoi il y serait exposé et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4).

1.3 Selon l’art. 14 al. 1 LPA, lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions.

Cette disposition est une norme potestative et son texte clair ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/444/2023 du 26 avril 2023 consid. 3.1).

La suspension de la procédure ne peut pas être ordonnée chaque fois que la connaissance du jugement ou de la décision d’une autre autorité serait utile à l’autorité saisie, mais seulement lorsque cette connaissance est nécessaire parce que le sort de la procédure en dépend (ATA/630/2008 du 16 décembre 2008 consid. 5). Une procédure ne saurait dès lors être suspendue sans que l’autorité saisie ait examiné les moyens de droit qui justifieraient une solution du litige sans attendre la fin d’une autre procédure. Il serait en effet contraire à la plus élémentaire économie de procédure et à l’interdiction du déni de justice formel fondée sur l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) d’attendre la décision d’une autre autorité, même si celle-ci est susceptible de fournir une solution au litige, lorsque ledit litige peut être tranché sans délai sur la base d’autres motifs (ATA/812/2021 du 10 août 2021 consid. 2a ; ATA/1493/2019 précité consid. 3b).

1.4 En l’espèce, le recours interjeté le 13 novembre 2023 est dirigé contre une décision incidente du TAPI rejetant la requête de suspension de la procédure.

La seconde hypothèse de l’art. 57 let. c LPA n’est pas remplie, ce que les recourants ne contestent au demeurant pas.

S’agissant de la première hypothèse, les recourants allèguent que le litige devrait être analysé en fonction du nouveau RAC, dans l’attente duquel il convient de suspendre la procédure.

La question de savoir si le RAC sera applicable au présent litige sera traitée par le TAPI dans son jugement au fond. Si tel ne devait pas être le cas, les recourants n’encourent aucun dommage irréparable à la suite du refus de suspendre la procédure.

À retenir en l’état que tel devrait être le cas, le département a versé à la procédure le projet de fiche de la parcelle concernée, tenant en trois pages. À teneur du site internet du recensement architectural du canton de Genève (genevepatrimoine.ch, consulté le 12 janvier 2024), ce dernier a débuté en 1976 à la suite de l'adoption de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites (LPMNS - L 4.05 du 4 juin 1976). Sa mise à jour découle de la définition du Plan directeur cantonal 2030 (fiche A 15). Il a pour but de documenter tous les bâtiments construits avant 1985 (âgés de plus de trente ans) et d'identifier ceux qui sont dignes d'intérêt du point de vue patrimonial. Il est prévu d'étudier Genève‑Cité en 2024.

Les recourants ne soutiennent pas que l’intitulé « projet » sur la fiche produite concernant leur bien immobilier serait problématique. Ils ne fournissent aucun renseignement précis ni document sur la mise en application concrète du RAC. Dans ces conditions, le litige peut être tranché par le TAPI en connaissance de la fiche du RAC concernant l'immeuble litigieux. Ceci implique que les recourants n’encourent aucun préjudice irréparable même dans l’hypothèse où le nouveau RAC devait s’appliquer au litige.

Le recours interjeté le 13 novembre 2023 contre la décision du 2 du même mois sera en conséquence déclaré irrecevable.

2.             Le recours du 22 décembre 2023 sera aussi déclaré irrecevable, dès lors que même à retenir qu’il ait été recevable, il aurait perdu son objet. Il est fait application de l’art. 72 LPA, selon lequel, l’autorité de recours peut, sans instruction préalable, par une décision sommairement motivée, écarter un recours manifestement irrecevable ou rejeter un recours manifestement mal fondé.

3.             Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge des recourants pris solidairement (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare irrecevables les recours interjetés les 13 novembre et 22 décembre 2023 par A______ et B______ contre les décisions du Tribunal administratif de première instance des 2 novembre et 7 décembre 2023 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ et B______, pris solidairement ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Andreas FABJAN, avocat des recourants, à D______ Sàrl ainsi qu'au département du territoire - OAC.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Philippe KNUPFER, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :