Décisions | Chambre civile
ACJC/950/2025 du 09.07.2025 sur DTPI/4704/2025 ( OS ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/22968/2024 ACJC/950/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MERCREDI 9 JUILLET 2025 |
Entre
Monsieur A______, p.a Etude B______ Sàrl, ______ [GE], recourant contre une décision rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 8 avril 2025,
et
Monsieur C______, domicilié ______, France, intimé.
A. Par décision DTPI/4704/2025 du 8 avril 2025, reçue par A______ le 11 avril 2025, le Tribunal de première instance a notamment maintenu l'ultime délai au 11 avril 2025 qu'il avait imparti à ce dernier pour fournir l'avance de frais en 2'000 fr. et dit qu'en cas de non-paiement de ladite avance, sa demande serait déclarée irrecevable.
B. a. Le 26 avril 2025, A______ a formé recours contre cette décision, concluant à ce que la Cour de justice l'annule et enjoigne au Tribunal de lui fixer un nouveau délai pour verser l'avance de frais requise dans la présente cause, avec suite de frais et dépens.
b. Le 13 mai 2025, le Tribunal a conclu au rejet du recours.
c. Le 1er juin 2025 C______ a fait de même, étant précisé que le délai qui lui avait été imparti pour répondre au recours arrivait à échéance le 16 mai 2025. Il a produit une pièce nouvelle.
d. Les parties ont été informées le 3 juin 2025 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.
a. Par acte déposé en conciliation le 30 septembre 2024 et introduit en temps utile devant le Tribunal, A______, avocat de profession, et B______ SARL ont conclu à ce que le Tribunal condamne C______ à leur payer 14'259 fr. 75, intérêts en sus, à titre d'honoraires.
b. Par décision du 18 février 2025, le Tribunal a imparti à A______ et B______ SARL un délai au 20 mars 2025 pour fournir une avance de frais de "CHF 13.27". Le bulletin de versement annexé à cette décision indiquait que le montant dû était de 2'400 fr.
c. Le 24 février 2025, A______ a fait savoir au Tribunal qu'il comprenait de cet envoi que le montant de l'avance à fournir était de 1'300 fr. B______ SARL lui avait par ailleurs cédé sa créance de sorte qu'il n'y avait plus qu'une partie demanderesse. Il requérait la notification d'une nouvelle ordonnance, prévoyant une avance de frais réduite et une prolongation du délai de paiement.
d. Par décision du 4 mars 2025, le Tribunal, compte tenu de la coquille affectant sa précédente décision, et au regard du fait que la demande ne mentionnait pas de cession de créance, a fixé l'avance de frais à 2'400 fr. et maintenu le délai au 20 mars 2025 fixé à A______ et B______ SARL pour la fournir.
e. Le 19 mars 2025, A______ a requis une prolongation de ce délai au 10 avril 2025. Il a précisé que la cession de créance avait été effectuée le lendemain de l'audience de conciliation. Il demandait une réduction de l'avance de frais, pour tenir compte de ce "changement de partie demanderesse".
f. Par décision du 25 mars 2025, le Tribunal, au vu de la réduction du nombre de parties demanderesses, a annulé la décision d'avance de frais du 4 mars 2025 et imparti à A______ un ultime délai au 11 avril 2025 pour fournir une avance de frais de 2'000 fr., relevant que, en cas de non-paiement dans ce délai, la demande serait déclarée irrecevable.
g. Le 31 mars 2025, A______ a informé le Tribunal qu'il avait déposé une plainte pénale pour diffamation à l'encontre de C______ et a requis la suspension de la cause jusqu'à droit connu au pénal. Il faisait en outre savoir au Tribunal que "l'avance de frais" qu'il "avait requise n'était pas due pour le moment".
h. Le 4 avril 2025, A______ a réitéré sa requête de suspension de la décision du Tribunal du 25 mars 2025, précisant que "le montant de cette avance devra être revu à la lumière du montant litigieux résiduel" suite au prononcé pénal. Subsidiairement, il demandait la réduction de l'avance de frais, et l'octroi d'un nouveau délai de paiement. Il exposait qu'il ne convenait "pas juridiquement" de lui "imposer de subir le blocage d'un montant exorbitant à titre d'avance (…) pendant la durée relativement longue de la procédure pénale, à laquelle le Ministère public ne donnera notoirement aucune priorité".
1. 1.1.1 Les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours (art. 103 CPC).
Le recours stricto sensu selon l'art. 103 CPC est ouvert contre toutes les décisions visées par les art. 98 à 102 CPC (STOUDMANN, Petit commentaire, Code de procédure civile, 2020, n. 3 ad art. 103 CPC; TAPPY, Commentaire romand, 2019, n. 13 ad art. 103 CPC).
Cette voie de recours au sens strict n'est ouverte que pour contester la décision sur le principe et le montant des avances; si, en revanche, le juge se borne à prolonger le délai ou à fixer un nouveau délai supplémentaire, cette décision n'est pas susceptible de recours, sauf dans l'hypothèse où elle pourrait causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2; TAPPY, op. cit., n. 13 ad art. 103 CPC; HOFMANN/BAECKERT, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 4ème éd. 2024, n. 6 ad art. 103 CPC).
Le délai de recours est de 10 jours (art. 321 al. 2 CPC).
1.1.2 Constitue un "préjudice difficilement réparable" toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2; Colombini, Code de procédure civile, condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, n. 4.1.3 ad art. 319 CPC; Jeandin, Commentaire romand, 2019, n. 22 ad art. 319 CPC et les références citées).
Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (ATF 134 III 426 consid. 1.2 par analogie).
Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale (Brunner, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2016, n. 13 ad art. 319 CPC).
1.2 En l'espèce, la décision entreprise est une ordonnance d'instruction, qui peut faire l'objet d'un recours dans un délai de dix jours au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, à la condition qu'elle soit susceptible de causer au recourant un préjudice difficilement réparable.
Le délai de recours a été respecté in casu.
Le recourant n'expose pas en quoi la décision litigieuse risque lui causer un préjudice difficilement réparable.
La question de savoir si cette condition est réalisée peut rester ouverte. En effet, même à supposer que le recours soit recevable, il devrait être rejeté pour les raisons exposées au considérant 2.2. ci-dessous.
1.2 La réponse de l'intimé, déposée après l'échéance du délai imparti par la Cour, est quant à elle irrecevable, de même que la pièce nouvelle qui l'accompagne.
1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en droit et avec un pouvoir d'examen restreint à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC), dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (arrêts du Tribunal fédéral 4D_9/2021 du 19 août 2021 consid. 3.3.1; 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2014 consid. 5.3.2; HOHL, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2307).
2. Le Tribunal a retenu dans son ordonnance du 8 avril 2025 que le dépôt d'une plainte pénale pour diffamation ne justifiait pas prima facie la suspension de la cause, qui concernait un paiement d'honoraires. Il a dès lors maintenu sa précédente décision du 25 mars 2025, laquelle impartissait au recourant un ultime délai au 11 avril 2025 pour fournir l'avance de frais.
Le recourant fait valoir que le Tribunal aurait dû lui impartir un nouveau délai arrivant à échéance après le 16 avril 2025 - à savoir le dernier jour pour retirer l'envoi recommandé contenant la décision querellée - pour régler l'avance de frais. Son assistante avait retiré ledit recommandé le 11 avril 2025 à 15h35. Il se trouvait "hors du canton" et "injoignable" ce jour-là, de sorte qu'il ne lui avait pas été possible de faire le paiement requis. Même s'il avait été là, le paiement n'aurait pas pu être fait dans le délai. Son droit d'être entendu avait été violé de ce fait.
2.1 Selon l'art. 101 CPC, le tribunal impartit un délai pour la fourniture des avances (al. 1). Si les avances ne sont pas fournies à l'échéance d'un délai supplémentaire, le tribunal n'entre pas en matière sur la demande (al. 3).
L'art. 101 al. 3 CPC implique la fixation d'office d'un délai de grâce pour s'acquitter des avances. Ce délai de grâce, qui pourra être bref, est prolongeable aux conditions de l'art. 144 al. 2 CPC. A teneur de cette disposition, les délais fixés judiciairement peuvent être prolongés pour des motifs suffisants, lorsque la demande en est faite avant leur expiration. Il appartient à la partie d'invoquer de façon motivée ces motifs (arrêt du Tribunal fédéral 4A_202/2022 du 7 juillet 2022 consid. 4.1).
Le refus d'une prolongation de délai doit être accompagné d'un bref délai pour accomplir l'acte soumis au délai, à moins que la demande de prolongation ne doive être considérée comme dilatoire ou que le requérant ne dût, de bonne foi, supposer dès le début qu'il ne bénéficierait d'aucune prolongation de délai. Lorsque le tribunal qualifie le délai supplémentaire prévu à l'art. 101 al. 3 CPC "d'ultime" ou "non prolongeable", le destinataire doit supposer de bonne foi, jusqu'à une réponse contraire du tribunal, qu'il ne bénéficiera d'aucune prolongation de délai et que le délai fixé expirera définitivement à la date indiquée. Dans un tel cas il ne saurait reprocher au Tribunal de ne pas avoir accompagné le refus de prolongation d'un bref délai supplémentaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_202/2022 du 7 juillet 2022 consid. 4.2).
2.2 En l'espèce, la décision du Tribunal du 25 mars 2025 impartit au recourant un "ultime délai" au 11 avril 2025 pour fournir l'avance de frais de 2'000 fr. Au vu de cette formulation, et conformément à la jurisprudence susmentionnée, le recourant, qui exerce la profession d'avocat, devait partir du principe que, s'il ne recevait pas de réponse à sa demande de prolongation de délai formée le 4 avril 2025, le délai initial était maintenu. S'il avait fait preuve de la diligence requise, le recourant se serait acquitté du montant réclamé dans le délai imparti, pour sauvegarder ses droits. Il ne pouvait se contenter de se rendre "hors du canton" et de demeurer "injoignable" en ignorant l'injonction qui lui avait été faite par le Tribunal dans son ordonnance du 25 mars 2025.
A cela s'ajoute que le recourant a formé pas moins de trois demandes de prolongation de délai pour payer l'avance de frais, dont le montant, contrairement à ce qu'il allègue, n'a rien "d'exorbitant", ce qui doit être considéré comme un procédé de nature dilatoire.
Le ton de son courrier au Tribunal du 31 mars 2025 dénote en outre une méconnaissance des rôles respectifs du juge et des parties. En informant le Tribunal du fait que l'avance qu'il avait requise n'était pas due, le recourant perd de vue qu'il incombe aux autorités judiciaires, et non aux plaideurs, de déterminer si les avances de frais prévues par la loi sont dues ou non.
Le recourant a, en tout état de cause, abandonné par la suite cette thèse, puisqu'il ne soutient pas dans son recours que l'avance ne serait pas due.
Il ressort de ce qui précède que le Tribunal n'était pas tenu d'impartir au recourant un délai supplémentaire pour s'acquitter de l'avance de frais requise depuis février dernier.
Le recours sera dès lors rejeté.
3. Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais judiciaires du recours, arrêtés à 400 fr. et compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève (art. 41 RTFMC; 106 et 111 CPC).
Il ne sera pas alloué de dépens à l'intimé qui n'est pas représenté par avocat et n'en a pas requis.
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La Chambre civile :
Rejette, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté par A______ contre la décision DTPI/4704/2025 rendue le 8 avril 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22968/2024.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Met à la charge de A______ les frais judiciaires de recours, arrêtés à 400 fr. et compensés avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.
Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.