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Décisions | Chambre civile

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C/22006/2021

ACJC/893/2024 du 08.07.2024 sur JTPI/12336/2023 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CC.72; CC.69; CC.65; CC.75
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22006/2021 ACJC/893/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 8 JUILLET 2024

 

Entre

A______, p.a. ______, appelante d'un jugement rendu par la 13ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 20 octobre 2023, représentée par
Me Eric BEAUMONT, avocat, Eardley Avocats, rue De-Candolle 16, 1205 Genève,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par
Me Pierre-Alain SCHMIDT, avocat, SJA AVOCATS SA, rue Jean-Sénébier 20,
1205 Genève.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/12336/2023 du 20 octobre 2023, notifié aux parties le 30 du même mois, le Tribunal de première instance a constaté la nullité de la décision d'exclusion de B______ prise par le comité de A______ en date du 4 octobre 2021 (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 1'400 fr., compensés à hauteur de 1'000 fr. avec l'avance fournie par B______ et à hauteur de 400 fr. avec celle fournie par A______ et les a mis à la charge de cette dernière, condamné en conséquence celle-ci à payer à B______ un montant de 1'000 fr. et ordonné à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, de restituer à B______ un montant de 200 fr. (ch. 2), condamné A______ à payer à B______ un montant de 3'000 fr. TTC à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Par acte expédié le 29 novembre 2023 au greffe de la Cour, A______ interjette appel contre cette décision, dont elle sollicite l'annulation. Cela fait, elle conclut à ce que la Cour déclare irrecevables la demande en justice formée par B______ le 15 juin 2022 ainsi que son écriture complémentaire du 15 août 2022 et déboute le précité de toutes ses conclusions, avec suite de frais et dépens de première et seconde instances.

b. B______ conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Par avis du greffe de la Cour du 16 avril 2024, les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments suivants résultent du dossier :

a. A______ (ci-après : l'association), dont le siège est à Genève, est une association de droit suisse créée en 2002.

Ses organes sont l'assemblée générale annuelle (à laquelle la participation de tous les membres de l'association est obligatoire, contrairement à l'assemblée générale mensuelle; cf. chapitre 3 des statuts, relatif aux membres), qui est le pouvoir suprême de l'association, et le comité directeur (CD), qui en est l'organe exécutif.

a.a L'association a notamment pour but de promouvoir la marque [de motos] C______ ainsi que le tourisme motocycliste, réaliser pour les membres une formation permanente, défendre la vision des motocyclistes auprès des autorités compétentes, participer activement à des manifestations caritatives motocyclistes, contribuer au développement médiatique de celles-ci, ainsi que conserver la franche amitié qui lie ses membres et maintenir les liens et la passion qui les animent.

a.b Selon le chapitre 4 des statuts, qui concerne l'assemblée générale annuelle, celle-ci est convoquée fin novembre de chaque année et est le pouvoir suprême de l'association. Elle a notamment la compétence de se prononcer sur les présentations, admissions, démissions et exclusions.

Le même chapitre des statuts prévoit que le comité directeur agit comme organe décisionnel de l'association.

Le chapitre 5 des statuts, relatif au comité, stipule que le comité directeur a en particulier pour tâche de prononcer les exclusions sur propositions de l'assemblée générale.

Sous le chapitre 10, intitulé "Cessation d'affiliation", il est prévu que l'exclusion peut être prononcée par le comité pour le non-accomplissement des obligations financières, le non-respect des statuts ainsi que "pour certains cas particuliers où la sanction de suspension serait considérée comme trop légère" (sic). Il est précisé ensuite : "Le CD est le seul habilité à pouvoir prendre cette décision !".

Les statuts ne prévoient aucune voie de recours interne contre une décision d'exclusion.

Enfin, le chapitre 12 des statuts dispose qu'en cas de doutes sur l’interprétation des statuts et des règlements annexes, le comité directeur est seul compétent pour trancher.

a.c L'association a adopté un règlement interne, qui exprime à son chiffre 3 le désir du comité directeur que "chaque membre [de l'association] A______, par un comportement adulte et responsable, contribue à l'image positive des usagers de motos [de marque] C______".

b. L'association compte environ ______ membres selon l'association, voire ______ selon B______; le précité en a fait partie durant une quinzaine d'années, avant de faire l'objet de la décision d'exclusion présentement litigieuse (cf. let c. ci-après).

c. Par courrier recommandé adressé à B______ le 4 octobre 2021 (reçu le 6 du même mois), le comité directeur a informé le précité de sa décision – prise lors de la séance tenue le jour-même – de l'exclure de l'association avec effet immédiat, au motif qu'il aurait adopté un comportement déplacé envers le sponsor principal du club, de sorte qu'il ne correspondait plus à l'esprit de celui-ci. Le CD a fondé sa décision sur l'art. 10 des statuts et l'art. 3 du règlement interne. Il était précisé que cette exclusion serait annoncée à l'assemblée mensuelle du 6 octobre suivant.

c.a B______ a fait valoir qu'il n'avait pas été entendu avant que cette décision ne soit prise par le comité.

c.b Pour sa part, l'association soutient que des avertissements auraient été formulés à l'égard du précité, sans aucune précision au sujet du contenu de ces avertissements et des dates auxquelles ils auraient été donnés, sous réserve d'un courriel datant d'octobre 2017.

Le courriel en question (cf. pièce n° 1 de l'association) ne comporte aucun avertissement ou mention d'un risque d'exclusion de l'association en raison d'un comportement qui serait reproché à B______.

Entendu en qualité de témoin lors de l'audience du 4 septembre 2023, D______ a déclaré être le vice-président du club depuis 2012 et que plusieurs avertissements avaient été adressés à B______ concernant son comportement, lesquels avaient été transmis verbalement à l'intéressé, par le comité directeur ainsi que par des membres.

d. Une assemblée mensuelle de l'association a été tenue le 6 octobre 2021, 33 membres y étant présents. A teneur du procès-verbal établi à cette occasion, le point "Exclusions" mentionne : "B______ [sic] pour des problèmes d'attitudes et de comportement non respectueux du club".

e. Par demande déposée en conciliation le 8 novembre 2021, puis introduite le 15 juin 2021 et complétée les 16 août 2021 et 27 février 2023, B______ a conclu, sous suite de frais et dépens, à ce que le Tribunal constate la nullité de la décision du comité directeur de l'association du 4 octobre 2021, subsidiairement annule ladite décision, plus subsidiairement constate que le comité directeur n'était pas fondé à prononcer son exclusion.

f. L'association a conclu, sous suite de frais et dépens, à l'irrecevabilité de la demande du 15 juin 2022 ainsi que de son complément du 15 août 2022, subsidiairement au rejet des conclusions de B______.

g. La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 Interjeté dans le délai utile de trente jours et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 142, 145 et 311 al. 1 CPC), à l'encontre d'une décision portant sur la qualité de membre d'une association, soit un litige qui n'est pas de nature pécuniaire (ATF 108 II 6 consid. 1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_792/2022 du 20 février 2023 consid. 1.1; 5A_10/2009 du 1er septembre 2009 consid. 1.1), l'appel est recevable.

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2. Le litige porte sur la validité de la décision d'exclusion prise par l'appelante à l'encontre de l'intimé.

2.1.1 L'exclusion de membres d'une association est régie par l'art. 72 CC, qui énonce que les statuts peuvent déterminer les motifs d’exclusion d’un sociétaire; ils peuvent aussi permettre l’exclusion sans indication de motifs (al. 1); dans ces cas, les motifs pour lesquels l’exclusion a été prononcée ne peuvent donner lieu à une action en justice (al. 2); si les statuts ne disposent rien à cet égard, l’exclusion n’est prononcée que par décision de l'association et pour de justes motifs (al. 3).

Sauf exception, une exclusion ne peut pas être contestée pour des raisons matérielles. En revanche, elle peut être contestée pour des vices formels, notamment pour des vices de procédure internes à l'association. Enfin, toute exclusion est soumise à la réserve de l'abus de droit (arrêt du Tribunal fédéral 5A_578/2021 du 24 février 2022 consid. 3.1).

2.1.2 D'après l'art. 65 CC, l’assemblée générale de l'association se prononce sur l’admission et l’exclusion des membres, nomme la direction et règle les affaires qui ne sont pas du ressort d’autres organes sociaux. Selon l'art. 69 al. 1 CC, la direction (souvent appelée le comité dans la pratique) a le droit et le devoir de gérer les affaires de l’association et de la représenter en conformité des statuts.

En tant qu’organe suprême de l’association, l’assemblée générale est appelée à prendre des décisions. Souvent, les décisions de l’assemblée générale ont un effet interne et doivent dans ce cas être concrétisées par un autre organe de l’association, notamment la direction (Hari/Jeanneret, CR CC I, 2023, n. 13 ad art. 65 CC).

La loi n’interdit pas une délégation de l’une ou l’autre de ces compétences. Pour être admissible, le principe de délégation de compétences doit figurer dans les statuts. Une délégation de compétences peut aussi être autorisée en tant que de besoin par décision de l’assemblée générale, par exemple en faveur de la direction (Hari/Jeanneret, op. cit., n. 6-7 ad art. 65 CC).

L'organe compétent pour prononcer l'exclusion doit respecter le droit d'être entendu du sociétaire avant de prendre une décision. Il suffit que l'intéressé soit mis en mesure de présenter ses moyens de défense sous n'importe quelle forme, avant que son exclusion soit définitivement prononcée (ATF 90 II 346 consid. 2). En outre, le droit d'être entendu doit être respecté même lorsque les statuts prévoient l'exclusion sans indication de motifs (Foëx, CR CC I, n. 5 ad art. 72 CC et l'arrêt cité).

2.1.3 Les statuts d'une personne morale de droit privé sont normalement interprétés selon le principe de la confiance, à l'instar des déclarations de volonté contractuelles. Une interprétation d'après le sens objectif, comme pour les textes de loi, est aussi concevable, voire préférable pour une partie de la doctrine. Il en va notamment ainsi lorsqu'il s'agit d'interpréter des dispositions statutaires relatives à des questions de compétence (arrêt du Tribunal fédéral 4A_392/2008 consid. 4.2.1 et références citées). Les clauses statutaires peu claires seront interprétées contre la partie qui les a rédigées, sachant que le recours à cette technique d’interprétation se fera très subsidiairement, soit seulement si la disposition en question ne dit pas sans ambiguïté ce vers quoi elle tend et s’il est impossible de l’interpréter autrement, cette règle découlant du principe de confiance fondé sur l’art. 2 CC. Ensuite, si des modifications statutaires sont intervenues, il conviendra dans la mesure du possible de se référer aux textes distribués aux membres et au procès-verbal de l’assemblée ayant adopté ces modifications (Hari/Jeanneret, op. cit., n. 45 ad art. 60 CC).

2.1.4 A teneur de l'art. 75 CC, tout sociétaire est autorisé de par la loi à attaquer en justice, dans le mois à compter du jour où il en a eu connaissance, les décisions auxquelles il n'a pas adhéré et qui violent des dispositions légales ou statutaires.

En sus de cette voie de droit, la jurisprudence admet la possibilité d'intenter une action en constatation de la nullité d'une décision de l'association. Cette action peut être intentée en tout temps, sous réserve de l'abus de droit, par toute personne (membre ou non) justifiant d'un intérêt, sans épuisement préalable des voies de recours internes (Foëx, op. cit., n. 2, 36 et 37 ad art. 75 CC). La nullité doit être au demeurant relevée d'office par le juge, même hors de toute action en nullité (Meier, Droit des personnes, 2021, n° 1178, p. 683).

Le vice doit être particulièrement important pour justifier la nullité. Il peut affecter une décision émanant tant de l'assemblée générale que d'un autre organe (Foëx, op. cit., n. 38 ad art. 75 CC). Constituent des décisions nulles la décision prise à l'occasion d'une réunion informelle des membres, la décision prise par une assemblée générale convoquée par une personne ou un organe non compétent, la décision prise par l'assemblée générale alors que certains membres n'ont intentionnellement pas été convoqués, la décision prise par une assemblée générale alors que le quorum statutaire de présence n'était pas réuni, la décision prise alors que certains membres ont été empêchés par des manœuvres de prendre part à l'assemblée générale ou n'y ont pas été admis (Foëx, op. cit., n. 39 ad art. 75 CC).

Des violations du droit d'être entendu sont en soi guérissables et ne conduisent en principe qu'à l'annulabilité de la décision viciée. Il en va différemment si le vice a pour conséquence que la personne concernée n'a pas connaissance de la procédure en cours ou de la décision rendue, auquel cas la décision est sanctionnée de nullité (cf. arrêts du Tribunal 4A_14/2015 du 26 février 2015 consid. 3; 5P_203/2003 du 29 septembre 2003 consid. 2.1). Dans un litige portant, entre autres, sur l'exclusion de copropriétaires d'une PPE, le Tribunal a confirmé une décision des juridictions cantonales ayant déclaré nulles des décisions prises par l'assemblée générale sans convocation volontaire des intéressés, puisque leur droit le plus élémentaire à être entendus quant à la prise de mesures les concernant directement avait manifestement été violé, même s'ils n'étaient pas habilités à voter sur les objets portés à l'ordre du jour (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_198/2014 du 19 novembre 2014, dont il résulte notamment que certaines règles relatives à l'association s'appliquent à la PPE).

2.2 En l'occurrence, est litigieuse la question de savoir si l'appelante a pris une décision d'exclusion conforme aux règles de procédure légales et statutaires.

Le chapitre 4 des statuts de l'appelante prévoit la compétence de l'assemblée générale annuelle pour prononcer l'exclusion d'un membre de l'association. Le chapitre 5 des statuts stipule que le comité directeur est l'organe exécutif du club et qu'il a en particulier pour tâche de prononcer les exclusions sur propositions de l'assemblée générale. Comme retenu par le premier juge, la lecture de ces dispositions des statuts pourrait conduire à retenir que l'assemblée générale annuelle de l'association est l'organe compétent pour prendre la décision d'exclure un membre, cette décision devant ensuite simplement être concrétisée par une décision formelle du comité directeur.

Cependant, le chapitre 10 des statuts, relatif à la cessation d'affiliation, prévoit que l'exclusion peut être prononcée par le comité directeur pour le non-accomplissement des obligations financières, le non-respect des statuts ainsi que "pour certains cas particuliers où la sanction de suspension serait considérée comme trop légère", avec la précision que ledit comité directeur est – seul – habilité à pouvoir prendre cette décision.

Quand bien même les dispositions précitées paraissent contradictoires (possiblement en raison d'une modification des statuts?), il n'y a pas lieu de procéder à leur interprétation (qui peut demeurer indécise en l'état), puisque la décision du premier juge peut de toute manière être confirmée pour les motifs qui suivent.

Conformément aux principes et à la jurisprudence rappelés ci-dessus, l'organe compétent pour prononcer une exclusion de l'association, soit la sanction la plus grave pouvant être appliquée, doit donner à la personne concernée une occasion de se déterminer au préalable. Or, l'appelante n'est pas parvenue à démontrer que l'intimé a été à même d'exercer son droit d'être entendu antérieurement à la prise de décision d'exclusion le concernant. A teneur des éléments figurant au dossier, l'intimé n'avait même pas connaissance de fait qu'une telle sanction était envisagée contre lui en raison de certains comportements qui lui étaient reprochés, ce qui viole le droit le plus élémentaire du précité à se déterminer avant qu'une mesure ne soit prise à son encontre.

C'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que la décision d'exclusion prononcée le 4 octobre 2021 était nulle.

Partant, le jugement entrepris sera confirmé.

3. Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 18 et 35 RTFMC) et mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Lesdits frais seront compensés avec l'avance de frais versée par l'appelante, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelante sera en outre condamnée à verser 1'000 fr. de dépens à l'intimé (art. 86 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 29 novembre 2023 par A______ contre le jugement JTPI/12336/2023 rendu le 20 octobre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22006/2021.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais d'appel à 1'000 fr., les compense avec l'avance de frais de même montant versée et les met à la charge de A______.

Condamne A______ à verser 1'000 fr. à B______ à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.