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Décisions | Chambre civile

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C/15740/2022

ACJC/606/2024 du 14.05.2024 sur JTPI/7707/2023 ( OO ) , MODIFIE

Normes : CC.124a; CC.124b
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15740/2022 ACJC/606/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 14 MAI 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié c/o B______, Mme  C______, ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 29 juin 2023, représenté par Me Sandrine TORNARE, avocate, rue des Etuves 5, case postale 2032, 1211 Genève 1,

et

Madame D______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me Dominique BAVAREL, avocat, Collectif de défense, boulevard de Saint-Georges 72, 1205 Genève.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/7707/2023 du 29 juin 2023, le Tribunal de première instance a dissous par le divorce le mariage contracté le ______ 1975 par les époux A______ et D______ (ch. 1 du dispositif), dit que A______ ne devait aucune contribution d’entretien post-divorce à D______ dès le 1er décembre 2022 (ch. 2), ordonné le partage de la prévoyance professionnelle accumulée par A______ et D______ pendant la durée du mariage (ch. 3) et ordonné, en conséquence, à la [caisse de prévoyance] E______ de prélever 2'037 fr. sur la rente mensuelle de A______, de convertir ce montant en rente viagère en faveur de D______ et de la lui verser sur son compte bancaire directement (ch. 4).

Pour le surplus, le Tribunal a mis les frais judiciaires, arrêtés à 3'500 fr., à la charge des parties par moitié chacune en condamnant D______ à verser à A______ 1'750 fr. à titre de restitution partielle de l'avance fournie (ch. 5) et dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 6).

B. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 4 septembre 2023, A______ a formé appel contre ce jugement. Il a conclu, avec suite de frais, préalablement, à ce qu'il lui soit permis de produire les pièces utiles à l'établissement de l'achat et la vente du bien immobilier dont les parties ont été copropriétaires en France, en cours d'obtention et, principalement, à l'annulation des ch. 3, 4 et 5 du dispositif du jugement attaqué et, cela fait, à ce qu'il soit renoncé au partage des avoirs de prévoyance professionnelle des époux accumulés pendant le mariage, à ce que les frais judicaires de première instance soient arrêtés à 1'000 fr. et à ce qu'ils soient mis à la charge de D______ sur mesures provisionnelles et au fond.

b. Le 19 septembre 2023, A______ a produit différents documents en lien avec l'immeuble sis en France dont les parties étaient copropriétaires.

c. Dans sa réponse à l'appel du 9 octobre 2023, D______ a conclu à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle s'en rapportait à justice quant à la question des frais judiciaires de première instance et à ce que A______ soit débouté de toutes autres conclusions, ainsi qu'au partage des frais judicaires d'appel par moitié.

Elle a produit des pièces nouvelles.

d. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions, et produit des pièces nouvelles.

e. D______ a dupliqué, persistant dans ses conclusions.

f. A______ s'est encore déterminé le 18 décembre 2023 et a produit une pièce nouvelle. D______ s'est déterminée à cet égard le 3 janvier 2024.

g. Le 23 janvier 2024, les parties ont été informées par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. Les époux, A______, né le ______ 1946 à F______ (GE), originaire de F______ (GE), et D______, née G______ [nom de jeune fille] le ______ 1949 à H______ (Espagne), originaire de F______ (GE), se sont mariés le ______ 1975 à I______ (GE).

Les parties ont une fille, J______, née le ______ 1982, aujourd'hui majeure.

b. En 1988, les époux ont procédé à la vente du bien immobilier dont ils étaient propriétaires à K______ (France) pour un montant de 1'120'000 francs français, équivalant à 280'000 fr. au cours de l'époque.

A______ soutient que le produit de la vente a été partagé en trois parts égales entre les époux et leur fille et que la part de l'enfant a été conservée par sa mère, ce que cette dernière conteste. D______ explique, pour sa part, que le produit de la vente a été placé dans un fond de placement et fait partie de la liquidation du régime matrimonial.

c. Les époux vivent séparés depuis le mois de décembre 1993 et ont été séparés de corps par jugement du Tribunal du 6 juin 1994.

Ratifiant l'accord des parties, le Tribunal a confié la garde et l'autorité parentale de l'enfant, qui est restée vivre auprès de sa mère, à D______, donné acte à A______ de son engagement à verser une contribution d'entretien mensuelle en faveur de l'enfant, de prendre en charge la prime d'assurance-maladie de celle-ci et de verser, en outre, une contribution d'entretien mensuelle en faveur de D______ à hauteur de 1'600 fr. jusqu’au 31 décembre 1994, 1'700 fr. dès le 1er janvier 1995 et indexée, en dernier, à 1'850 fr. La séparation de biens a également été prononcée à cette époque.

d. Le 18 octobre 2021, le Tribunal de protection de l’adulte et de l'enfant a instauré une mesure de curatelle de représentation en faveur de A______.

e. Le 29 décembre 2021, A______ a rejoint un EMS dans lequel il vit.

f. Par requête déposée le 15 août 2022, A______ a formé une demande unilatérale en divorce.

Il a conclu à ce que le Tribunal prononce le divorce des époux, dise qu'aucune contribution d'entretien n'était due à son épouse, à ce qu'il leur soit donné acte de ce qu’ils n’avaient aucune prétention à faire valoir dans le cadre de la séparation de biens et à ce qu’il soit renoncé au partage des avoirs de prévoyance accumulés pendant le mariage, les frais de la procédure étant partagés entre les époux.

A______ a accompagné sa demande en divorce d’une requête de mesures provisionnelles, aux termes de laquelle il a conclu à ce que la contribution d'entretien de 1'850 fr. par mois en faveur de D______ soit supprimée avec effet au dépôt de la requête.

g. Par réponse du 14 février 2023, D______ a conclu au partage par moitié de la rente 2ème pilier de A______, soit à une rente viagère mensuelle de 1'900 fr. par mois. Elle a, pour le surplus, adhéré aux conclusions de A______.

h. Statuant sur mesures provisionnelles par ordonnance OTPI/773/2022 du 28 novembre 2022, le Tribunal a supprimé la contribution à l’entretien versée à D______ à compter du 1er décembre 2022 et réservé le sort des frais.

Cette décision n'a pas été contestée, de sorte que l'objet du litige s'est limité au partage de la prévoyance professionnelle.

i. Lors de l'audience de comparution personnelle du 28 novembre 2002, aucune des parties n’était présente en raison de leur mauvais état de santé.

j. Le Tribunal a tenu une audience de débats d'instruction le 3 mai 2023.

k. Par courriers des 26 mars, 3 mai et 15 juin 2023, le conseil de A______ a sollicité la production par D______ de toute pièce relative à l'origine de sa fortune, en particulier en ce qui concerne le produit issu de la vente du bien immobilier sis en France.

Il a déposé un chargé de pièces le 20 juin 2023, attestant notamment de ses démarches en cours pour tenter de retrouver les documents liés à la vente du bien immobilier.

l. Lors de l'audience de plaidoiries finales du 21 juin 2023, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives.

m. La situation personnelle et financière des parties s'établit comme suit:

m.a A______ est âgé de 78 ans et vit en EMS depuis le 29 décembre 2021.

Au moment de la séparation, il travaillait en qualité de fonctionnaire et avait un revenu de 7'898 fr. par mois, plus un bonus annuel de 6'071 fr. Ses revenus actuels se composent d'une rente AVS de 1'999 fr. et d'une rente 2ème pilier de 4'074 fr., soit au total 6'073 fr. par mois.

Le coût de l’EMS est de 6'940 fr. par mois.

Il fait valoir, en outre, des charges mensuelles comprenant son assurance-maladie LAMal et LCA (486 fr. + 76 fr.), des frais médicaux non couverts (98 fr.), des frais dentaires non couverts (296 fr.), ses frais de téléphone (91 fr.), ses impôts (208 fr.), ainsi que les frais liés à la curatelle (466 fr.).

Sa fortune s'élevait au 31 décembre 2022 à 237'000 fr.

m.b D______ est âgée de 75 ans. Elle a été victime d’un AVC en 1978 et perçoit depuis lors une rente AI; elle est malvoyante et épileptique.

Ses revenus mensuels se composent de sa rente AI de 1'817 fr., d'une rente d’impotence de 490 fr. et des revenus de sa fortune compris entre 200 fr. et 300 fr.

Ses charges mensuelles de base ont été retenues à hauteur de 3'499 fr. par le Tribunal. Elles comprennent son minimum vital (1'200 fr.), son loyer (1'196 fr.), son assurance-maladie LAMal et LCA (639 fr. 90 + 306 fr. 20), ses frais médicaux non couverts (78 fr. 90), l'assurance-ménage (33 fr.) et ses frais de transport (45 fr.).

Elle fait valoir, en outre, une autre assurance-maladie LCA pour 29 fr., des prestations IMAD (aide pratique - contributions) pour 114 fr., SERAFE pour 28 fr. et des impôts pour 221 fr.

Sa fortune s'élevait au 31 décembre 2022 à 595'669 fr. Lors de l'audience du 3 mai, le conseil de D______ a indiqué que cette fortune datait de la vente du bien immobilier des époux.

n. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que le seul fait que le partage conduise A______ à ne pas couvrir ses charges actuelles ne constituait pas une raison suffisante pour déroger au partage par moitié des avoirs de prévoyance. Il convenait d'ailleurs d’examiner l’équité du partage de la rente 2ème pilier sans tenir compte du coût de l’EMS en raison du fait que, d'une part, si A______ avait demandé le divorce avant son entrée en EMS, les charges de celui-ci n’auraient pas été prises en compte et que, d'autre part, une entrée en EMS pouvait rapidement survenir également pour D______.

Il apparaissait ainsi qu’en cas de partage par moitié de la rente 2ème pilier, chacun des époux disposerait de revenus équivalents (AVS 1'999 fr. pour A______ et 1'829 fr. pour D______, et ½ rente 2ème pilier), sans tenir compte de la rente d’impotence perçue par D______ ni des revenus de sa fortune, ceux-ci étant aléatoires.

Les époux disposeraient par contre chacun d’une fortune différente, l'époux de 237’000 fr. et l'épouse d'environ 600'000 fr. Cela étant, cette fortune résultait de la vente du bien immobilier et du partage du bénéfice entre les époux. D______, souffrante de nombreuses pathologies graves, ne l’avait pas dépensée, contrairement à son époux. Considérer qu’elle ne devait pas bénéficier de la moitié de la rente 2ème pilier pour ce seul motif, reviendrait à la "désavantager une seconde fois du fait de son invalidité" et serait inéquitable.

Après le partage, D______ disposerait d’un disponible de 230 fr. (1'829 fr. + 1'900 fr. = 3'729 fr. pour charges de 3'499 fr.) et cela, tant qu’elle ne vivait pas elle-même en EMS. Ces montants ne faisaient pas apparaître le partage comme inéquitable.

En définitive, le Tribunal a considéré que le partage par moitié de la rente n’était pas inéquitable et l'a ordonné en conséquence.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC) dans les causes patrimoniales si la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions de première instance, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

En l'occurrence, le litige porte sur le partage des avoirs de prévoyance professionnelle d'un montant supérieur à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Déposé en temps utile et dans la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et, 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.3 En seconde instance, les maximes des débats et de disposition, ainsi que l'interdiction de la reformatio in pejus, sont applicables pour toutes les questions qui touchent la prévoyance professionnelle (ATF 129 III 481 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_392/2021 du 20 juillet 2021 consid. 3.4.1.1).

1.4.1 L'admissibilité des nova en appel est régie par l'art. 317 CPC (arrêt 5A_631/2018 consid. 3.2.2).

L'art. 317 al. 1 CPC prévoit que les faits et moyens de preuve nouveaux sont admissibles en appel pour autant qu'ils soient invoqués ou produits sans retard (let. a) et qu'ils n'aient pas pu l'être en première instance, bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Ces conditions sont cumulatives (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1 et la référence). En ce qui concerne les pseudo nova (unechte Noven), il appartient au plaideur qui entend les invoquer devant l'instance d'appel de démontrer qu'il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d'exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n'a pas pu être produit en première instance (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1; 143 III 42 consid. 4.1).

1.4.2 En l'espèce, les parties ont toutes deux produit des pièces nouvelles en appel.

Les pièces versées par l'appelant concernent, en premier lieu, les modalités de la vente du bien immobilier ayant appartenu aux époux et ont été obtenues postérieurement au jugement entrepris. A cet égard, l'appelant a démontré avoir fait preuve de la diligence requise dès lors qu'il a, dès le début de la procédure, sollicité une production de pièces par sa partie adverse concernant ces éléments et a lui-même entrepris les démarches utiles pour les obtenir auprès des autorités. Elles sont donc recevables. A l'appui de sa réplique et de ses déterminations du 18 décembre 2023, l'appelant a encore produit deux attestations écrites de sa fille des 7 novembre et 15 décembre 2023. La recevabilité de ces pièces peut, quant à elle, rester indécise dans la mesure où elles ne sont pas pertinentes pour l'issue du litige.

Quant aux pièces versées par l'intimée, elles concernent sa situation financière et sont postérieures à la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger ou portent sur des faits non contestés, de sorte qu'elles sont aussi recevables.

1.5 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2. L'appelant conteste le partage des avoirs de prévoyance.

Selon lui, il se justifie de renoncer au partage en raison de l'augmentation de ses charges qu'il ne parvient plus à couvrir, estimant ainsi que tout partage aboutirait à une situation inéquitable en sa défaveur.

2.1.1 En vertu des art. 122 et 123 CC, les prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage et jusqu'à l'introduction de la procédure de divorce, y compris les versements anticipés effectués pour la propriété du logement, sont en principe partagées par moitié entre les époux.

Si, au moment de l’introduction de la procédure de divorce, l’un des époux perçoit une rente d’invalidité alors qu’il a déjà atteint l’âge réglementaire de la retraite ou perçoit une rente de vieillesse, le juge apprécie les modalités du partage. Il tient compte en particulier de la durée du mariage et des besoins de prévoyance de chacun des époux (art. 124a al. 1 CC).

Le juge établit, d'abord, la part de rente qui a été accumulée durant le mariage. Pour ce faire, le juge peut s'appuyer sur une tabelle annexée au Message du Conseil fédéral du 29 mai 2013 qui permet de calculer, selon l'âge au moment du mariage et l'âge au début de la retraite, la part de rente accumulée durant le mariage (Leuba, Le nouveau droit du partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce, in FamPra.ch 2017 p. 3 ss, p.13 et la référence; Message du 29 mai 2013 concernant la révision du code civil suisse "Partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce", FF 2013 4341, p. 4406 ).

Le juge fixe ensuite la part de rente (accumulée pendant le mariage) qu'il convient d'attribuer au conjoint créancier, en se fondant en particulier sur les besoins de prévoyance des époux (Leuba, op. cit., p. 14).

2.1.2 L'art. 124b CC règle les conditions auxquelles le juge ou les époux peuvent déroger au principe du partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle. Si cette disposition ne s'applique pas directement aux cas de partage d'une rente, mais vise uniquement les cas de partage des prestations de sortie, le juge peut toutefois s'inspirer des principes ressortant de cette disposition dans le cadre de l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui confère l'art. 124a CC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_443/2018 du 6 novembre 2018 consid. 5.1).

Selon l'art. 124b al. 2 CC, le juge peut ainsi attribuer moins de la moitié de la prestation de sortie au conjoint créancier ou n'en attribuer aucune pour de justes motifs. C'est le cas en particulier lorsque le partage par moitié s'avère inéquitable en raison de la liquidation du régime matrimonial (ch. 1) ou de la situation économique des époux après le divorce ou des besoins de prévoyance de chacun des époux, compte tenu notamment de leur différence d'âge (ch. 2). Cette disposition doit être appliquée de manière restrictive afin d'éviter que le principe du partage par moitié des avoirs de prévoyance soit vidé de son contenu
(ATF 145 III 56 consid. 5.3.2; 135 III 153 consid. 6.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1; 5A_106/2021 du 17 mai 2021 consid. 3.1; 5A_153/2019 du 3 septembre 2019 consid. 6.3.2).

Des différences de fortune ou de perspectives de gains ne constituent pas en tant que tels un motif suffisant pour déroger au principe du partage par moitié de la prévoyance professionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 5A_819/2019 du 13 octobre 2020 consid. 3.2.1 et 3.6.2). En effet, la compensation des lacunes de prévoyance est conçue comme une institution juridique indépendante et non comme une prestation de besoin. Il ne suffit donc pas que l'avenir de l'époux créancier soit économiquement assuré (arrêts du Tribunal fédéral 5A_220/2015 du 11 novembre 2015 consid. 5.2; 5A_458/2009 du 20 novembre 2009 consid. 2.1; 5A_79/2009 du 28 mai 2009 consid. 2; 5C.49/2006 du 24 août 2006 consid. 3.1).

Toute inégalité consécutive au partage par moitié ou persistant après le partage par moitié ne constitue pas forcément un juste motif au sens de l'art. 124b al. 2 CC. Les proportions du partage ne doivent toutefois pas être inéquitables. L'iniquité se mesure à l'aune des besoins de prévoyance professionnelle de l'un et de l'autre conjoint. Le partage est donc inéquitable lorsque l'un des époux subit des désavantages flagrants par rapport à l'autre conjoint (ATF 145 III 56 consid. 5.4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1; 5A_106/2021 du 17 mai 2021 consid. 3.1; 5A_194/2020 du 5 novembre 2020 consid. 4.1.1). Dans ce cadre, il faut notamment prendre en considération des critères tels que les besoins propres et la capacité contributive du débiteur ainsi que les (besoins) de prévoyance de l'ayant droit
(ATF 133 III 401 consid. 3.2 et les références citées).

Le minimum vital du conjoint débiteur n'est pas spécifiquement protégé en matière de partage des avoirs de prévoyance professionnelle. Il ne devrait pas y avoir d'obstacle au partage de la rente du conjoint débiteur même en cas de déficit (Leuba, op. cit., p. 26).

Le principe d'un partage par moitié des prétentions de prévoyance professionnelle des époux doit en définitive guider le juge. Cependant, il ne s'agit nullement de l'appliquer de manière automatique; il faut tenir compte des circonstances du cas d'espèce et, ici aussi, se prononcer en équité (arrêt du Tribunal fédéral 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1; Message LPP du 29 mai 2013, FF 2013 4341, p. 4355; Leuba, op.cit., p. 14). Si le cas de prévoyance est survenu de nombreuses années avant le divorce, il ne faut pas fixer le montant de la rente en se fondant sur les principes de l'art. 122 CC (partage par moitié), mais davantage sur les besoins concrets de prévoyance des deux époux qui sont déterminants (ATF 131 III 1 consid. 5 et 6).

Le juge dispose en la matière d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 145 III 56 consid. 5.1 et 6; arrêt du Tribunal fédéral 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1).

2.2 En l'espèce, les parties se sont mariées en 1975 et sont séparées définitivement en 1993, menant ainsi 17 ans de vie commune et près de 30 ans de vie séparée sur la durée du mariage. Pendant celui-ci, seul l'intimé a cotisé à la prévoyance professionnelle. La rente qu'il perçoit actuellement, seul élément à partager et dont il n'est pas contesté qu'elle a été entièrement acquise pendant le mariage en application des estimations contenues dans la tabelle susmentionnée, s'élève à 4'074 fr. par mois.

Le Tribunal a considéré qu'un partage par moitié de cette rente n'était en l'occurrence pas inéquitable. A l'appui de son raisonnement, il a retenu que la situation des parties devait être examinée sans tenir compte des coûts d'EMS de l'appelant ni de la fortune des époux, qui résultait de la vente de leur bien immobilier, au motif que l'appelant avait dépensé sa part contrairement à l'intimée et que cela reviendrait à "désavantager une seconde fois l'intimée de son invalidité".

Ce raisonnement ne peut être suivi.

En premier lieu, si le partage par moitié de la prévoyance constitue la règle, il convient ensuite, lorsque le cas de prévoyance est déjà survenu, d'adapter le résultat ainsi obtenu aux besoins concrets des parties en matière de prévoyance, ce d'autant plus lorsque, comme en l'espèce, le cas de prévoyance est survenu de nombreuses années avant le divorce. Or, les frais d'EMS de l'appelant représentent ses besoins actuels et concrets. On ne saurait les écarter en raison du fait qu'il aurait pu demander le divorce avant son entrée en EMS, étant de surcroît relevé que son comportement respectait le choix des parties de demeurer mariées et que, depuis leur séparation intervenue en 1993, il a toujours contribué à l'entretien de sa famille, continuant de verser la contribution en faveur de son épouse après avoir atteint l'âge de la retraite. Ses frais d'EMS ne sauraient pas non plus être écartés du fait qu'une entrée en EMS pourrait également survenir pour l'intimée, dès lors qu'il s'agit d'un fait purement hypothétique qu'aucun élément ne permet de confirmer et dont la probabilité qu'il se réalise, le cas échéant dans combien de temps, ne peut être évaluée sur la base du dossier. L'intimée a, en effet, toujours été autonome malgré ses problèmes de santé et rien n'indique que ce ne serait plus le cas ou pourrait ne plus être le cas.

En second lieu, la fortune des parties s'élève, selon les derniers chiffres, arrondis, à 237'000 fr. pour l'appelant et à 600'000 fr. pour l'intimée. Si une partie de la fortune de l'intimée provient certes de la vente du bien immobilier, celle-ci n'explique pas l'entier de la somme épargnée. En effet, le bien a été réalisé au prix de 280'000 fr., ce qui n'est pas contesté, ce qui équivaut à une somme revenant à chaque époux de l'ordre de 140'000 fr. si le prix de vente a été partagé en deux, voire de 186'666 fr. en faveur de l'intimée si, comme le soutient l'appelant, celle-ci en aurait perçu les deux tiers. L'intimée n'explique pas, malgré les nombreuses demandes de l'appelant, comment elle a constitué le reste de son épargne. Elle n'allègue en particulier pas avoir perçu d'héritage important ou d'autre somme d'argent à un quelconque titre, sous réserve d'une somme de 35'000 fr. Son conseil a du reste indiqué que sa fortune provenait uniquement de la vente du bien immobilier. On peut ainsi légitimement penser qu'elle a pu épargner par le biais de ses revenus et se constituer une certaine prévoyance sous cette forme. Quoi qu'il en soit, on ne voit pas en quoi le fait de tenir compte de la fortune respective des parties, parmi l'ensemble des autres critères pertinents, reviendrait à "désavantager une seconde fois l'intimée de son invalidité".

Contrairement toutefois à ce que soutient l'appelant, il ne se justifie pas de renoncer à tout partage de la prévoyance en raison du fait que l'intimée subit un déficit moins important que le sien ou qu'elle dispose d'une fortune plus conséquente que la sienne. D'une part, le partage de prévoyance n'a pas pour objectif de faire bénéficier les ex-époux d'un niveau de vie identique, mais de partager les prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage. A cet égard, il sied de relever que l'intimée n'a pas cotisé pendant le mariage, n'ayant plus été en mesure de travailler après son AVC et s'étant consacrée aux soins et à l'éducation de l'enfant commun du couple. D'autre part, la différence de fortune ne permet pas en tant que telle de déroger au principe du partage puisque le partage de prévoyance est conçu comme une institution juridique indépendante et non comme une prestation de besoin. Le fait que les besoins de l'intimée puissent être assurés par sa fortune ne suffit donc pas pour renoncer au partage.

Partant, il y a lieu d'apprécier l'équité du partage de prévoyance en tenant compte de l'ensemble des circonstances économiques des conjoints.

Pour sa part, l'appelant dispose d'une rente AVS de 1'999 fr. et de sa rente 2ème pilier 4'074 fr., soit au total 6'073 fr. Il doit faire face à des charges mensuelles de l'ordre de 7'900 fr., comprenant les frais d’EMS (6'940 fr.), ses assurances-maladie (486 fr. + 76 fr.), des frais médicaux non couverts (98 fr.), ses frais de téléphone (91 fr.), ses impôts (208 fr.). Les frais dentaires et de curatelle ne sont pas pris en compte, le caractère récurrent n'étant pas démontré.

L'intimée ne perçoit plus de contributions d'entretien. Ses revenus s'élèvent à 2'507 fr., y compris la rente d’impotence et les revenus de sa fortune (1'817 fr. + 490 fr. + 200 fr.). Dans la mesure où la rente pour impotent est destinée à couvrir l'aide pour accomplir les actes ordinaires de la vie et que ces frais sont expressément pris en compte dans les charges de l'intimée (Prestations IMAD), il y a lieu, en l'occurrence, de tenir compte de cette allocation pour apprécier sa situation globale. La jurisprudence relative à la fixation des contributions d'entretien n'est ici pas déterminante puisque le caractère équitable de l'indemnité de l'art. 124b CC repose sur une évaluation globale de la situation des époux et non sur la notion d'entretien. L'intimée doit faire face à des charges mensuelles de l'ordre de 3'499 fr. telles que retenues par le Tribunal, auxquelles peuvent être ajoutées les frais qu'elle allègue en sus et établit par pièces à hauteur de 392 fr. pour une assurance-maladie complémentaire (29 fr.), des prestations IMAD (114 fr.), SERAFE (28 fr.) et ses impôts (221 fr.).

Ainsi, les parties subissent toutes les deux un déficit mensuel, de 1'827 fr. pour l'appelant et 1'384 fr. pour l'intimée.

Un partage par moitié de la prévoyance des parties reviendrait à attribuer 2'037 fr. (4'074 fr. / 2) à l'intimée et impliquerait, après conversion de ce montant en rente viagère au moyen de la calculette disponible sur le site de l'OFAS, le versement d'une somme 1'892 fr. en mains de l'intimée.

En conséquence, le déficit de l'appelant ne ferait qu'augmenter dans une mesure équivalente pour atteindre 3'864 fr. par mois (1'827 fr. + 2'037 fr.), alors que l'intimée verrait son déficit entièrement couvert (1'892 fr. - 1'384 fr.), lui laissant même un disponible de 508 fr. par mois. De la sorte, l'épargne de l'appelant serait entièrement épuisée après un peu plus de 5 ans (237'000 fr. / 3'864 fr. = 61,33 mois), tandis que l'intimée pourrait conserver la totalité de son épargne de près de 600'000 fr., dont une partie, acquise au moyen de ses revenus, est assimilable à une certaine forme de prévoyance. L'appelant subirait ainsi des désavantages flagrants par rapport à l'intimée. Cette situation ne parait pas équitable, ce d'autant plus qu'une large partie de la rente à partager a été acquise pendant le mariage, mais alors que les parties étaient séparées de corps.

Si l'on procède à une projection en attribuant 20% de la rente de prévoyance à l'intimée, soit 815 fr. (4'074 fr. x 20%), c'est une somme de 684 fr., après conversion en rente viagère comme précédemment exposé, qui sera versée en mains de l'intimée. Dans ce cas de figure, le déficit de l'appelant s'élèvera à 2'642 fr. (1'827 fr. + 815 fr.) et celui de l'intimée à 700 fr. (1'384 fr. - 684 fr.).

Cette situation paraît plus équitable dans la mesure où chacun des époux supporte une partie de son découvert en mettant sa fortune à contribution. Il n'y a pas lieu de réduire davantage la part de rente attribuée à l'intimée dès lors que la possibilité de s'écarter d'un partage par moitié selon 124b CC n'est pas destinée à corriger toute inégalité ou tout déséquilibre dans la situation des époux, mais seulement les plus flagrants. Réduire davantage le partage ou renoncer à tout partage reviendrait à procéder un partage en se fondant uniquement sur les revenus et charges des parties, sans tenir compte des autres critères d'appréciation, ce qui n'est pas admissible.

Au regard de ce qui précède, notamment de la durée du mariage et de la longue période de séparation, des besoins de prévoyance plus importants de l'appelant et de la situation économique des parties après le divorce, il apparaît équitable de s'écarter du partage par moitié de la rente de l'époux et d'attribuer 20% de celle-ci à l'intimée.

Le jugement entrepris sera réformé en ce sens et la Cour ordonnera à la Fondation de prévoyance de l'appelant de prélever, dès l'entrée en force du présent arrêt, un montant de 815 fr. sur la rente de ce dernier, de convertir ce montant en rente viagère en faveur de l'intimée et de la lui verser directement.

3. L'appelant critique le montant des frais de première instance qu'il considère excessif par rapport aux normes applicables et conteste leur répartition.

3.1 Si l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).

Selon l'art. 106 CPC, les frais sont mis à la charge de la partie succombante (al. 1) ou répartis selon le sort de la cause lorsqu’aucune des parties n’obtient entièrement gain de cause (al. 2). Le juge peut s’écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation notamment lorsque le litige relève du droit de la famille (art. 107 al. 1 let. c CPC).

L'émolument forfaitaire de décision pour une requête avec accord partiel ou une demande unilatérale est fixé entre 1'000 fr. et 3'000 fr. (art. 30 al. 1 RTFMC). L'émolument pour le prononcé d'une décision rendue en procédure sommaire est fixé entre 150 fr. et 5'000 fr. (art. 31 RTFMC).

3.2 En l'espèce, le Tribunal a fixé les frais de première instance à 3'500 fr. au total et les a répartis par moitié entre les parties.

Ce montant couvre l'ordonnance de mesures provisionnelles rendue le 28 novembre 2022 dont le sort des frais a été réservé, ainsi que le jugement au fond du 29 juin 2023. Dans la mesure où le montant des frais couvre les deux décisions précitées, il demeure conforme aux normes applicables. Contrairement à l'avis de l'appelant, bien que le litige soit circonscrit au partage de la rente LPP, il n'est pas pour autant sans difficulté dès lors qu'il s'agit de procéder à une appréciation en équité, en tenant compte de l'ensemble des spécificités du cas et des différents critères pertinents. S'agissant de la répartition desdits frais, la décision de la répartir à parts égales entre les parties n'est pas critiquable compte tenu de la nature familiale du litige.

Partant, le Tribunal n'a pas excédé son pouvoir d'appréciation ni enfreint la loi en fixant les frais première instance. Le chiffre 5 du dispositif du jugement entrepris sera donc confirmé.

4. Les frais judicaires d'appel seront arrêtés à 2'000 fr., compte tenu notamment de la valeur litigieuse, des intérêts en jeu et de la complexité de la cause (art. 30 al. 1 et 35 RTFMC), et partiellement compensés avec l'avance de frais fournie par l'appelant à hauteur de 1'000 fr., qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). Ces frais seront mis à la charge des parties pour moitié chacune au vu de la nature familiale du litige (art. 107 al. 1 let. c CPC). L'intimée sera, par conséquent, condamnée à verser 1'000 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Pour les mêmes motifs, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel (art. 107 al. 1 let. c CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :C

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 4 septembre 2023 par A______ contre le jugement JTPI/7707/2023 rendu le 29 juin 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15740/2022.

Au fond :

Annule le chiffre 4 du dispositif de ce jugement et, statuant à nouveau sur ce point :

Ordonne en conséquence à la [caisse de prévoyance] E______, rue 2______ no. ______, [code postal] Genève, de prélever 815 fr. par mois sur la rente mensuelle de A______ (AVS n° 1______) et de convertir ce montant en rente viagère en faveur de D______, née G______, et de la lui verser sur son compte bancaire directement.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'000 fr., les met par moitié à la charge des parties et dit qu'ils sont partiellement compensés avec l’avance effectuée par A______, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne en conséquence D______ à verser la somme de 1'000 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de frais judiciaires d'appel.

Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.