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Décisions | Chambre civile

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C/24994/2020

ACJC/581/2024 du 08.05.2024 sur JTPI/8810/2023 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CC.598
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24994/2020 ACJC/581/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 8 MAI 2024

Entre

A______, sise Centre B______, ______, Israël, appelante d'un jugement rendu par la 24ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 10 août 2024, représentée par Me Lionel HALPERIN, avocat, Ming Halpérin Burger Inaudi, avenue Léon-Gaud 5, case postale, 1211 Genève 12,

et

1) Madame C______, domiciliée ______, États-Unis, intimée,

2) Monsieur D______, domicilié ______, Grande-Bretagne, autre intimé,

3) Madame E______, domiciliée ______, Etats-Unis, autre intimée,

4) Monsieur F______, domicilié ______, Etats-Unis, autre intimé,

5) Monsieur G______, domicilié ______, Grande-Bretagne, autre intimé, et

6) Madame H______, domiciliée ______, Etats-Unis, autre intimée,

tous représentés par Me V______, avocat,


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/8810/2023 du 10 août 2023, le Tribunal de première instance, statuant sur l'action en pétition d'hérédité et constatation de caducité de dispositions testamentaires formée par les consorts C___/D___/E___/F___/G___/H______, a déclaré recevables les allégués complémentaires n° 68 à 105 des consorts contenus dans leurs écritures du 16 mars 2023 ainsi que leurs pièces 23 à 29 (chiffre 1 du dispositif), dit que la voie de l'action en pétition d'hérédité était ouverte (ch. 2), dit que l'action en pétition d'hérédité n'était pas périmée (ch. 3), renvoyé la décision sur les frais à la décision finale (ch. 4) et réservé la suite de la procédure (ch. 5). 

B. a. Par acte expédié le 14 septembre 2023 à la Cour de justice, A______ appelle de ce jugement, dont elle sollicite l'annulation.

Cela fait, elle conclut à ce qu'il soit dit que la voie de l'action en pétition d'hérédité n'est plus ouverte, que l'action formée par les consorts C___/D___/E___/F___/G___/H______ est prescrite et, partant, à ce qu'elle soit rejetée.

b. Dans leur réponse commune, les consorts C___/D___/E___/F___/G___/H______ concluent à l'irrecevabilité de l'appel, subsidiairement à son rejet.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Elles ont été informées par avis de la Cour du 12 févier 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. I______, de nationalité brésilienne et iranienne, née le ______ 1927 et domiciliée en dernier lieu à Genève, est décédée le ______ 2002.

A son décès, la défunte n'avait ni époux (prédécédé) ni enfants.

Ses héritiers légaux étaient ses sœurs, J______ et K______, ses nièces L______ et M______ et son neveu N______.

Du testament du 2 mars 1999

b. Par testament public du 2 mars 1999, complété par un codicille du 12 mars 1999, I______ a révoqué et annulé expressément toutes dispositions pour cause de mort antérieures et institué pour seule héritière A______, institution de la communauté religieuse B______.

c. La succession de feue I______ a été liquidée sur la base de ce testament et de son codicille datant de mars 1999.

d. Le 5 janvier 2005, en raison d'une contestation des dispositions testamentaires par N______, la Justice de Paix a ordonné l'administration d'office de la succession et nommé O______ en qualité d'administrateur.

e. Le 30 janvier 2006, l'administrateur d'office a établi un inventaire des biens composant la succession de feue I______ au jour de son décès.

Selon cet inventaire, les actifs de la masse se composaient notamment de créances chirographaires, d'immeubles à P______ [France] et à Q______ [Italie] ainsi que de mobilier, bijoux, tableaux, véhicules, argent comptant et pièces d'or pour des actifs nets totalisant 7'652'457 fr. 24.

f. L'action en contestation précitée a été suspendue au décès de N______ survenu en janvier 2008, puis rejetée par jugement du 10 mars 2010, faute pour ses héritiers d'avoir repris l'instance.

g. Le 27 septembre 2010, le certificat d'héritier notarié a été homologué comme valant envoi en possession en la seule faveur de A______, sous réserve de toutes actions en nullité et pétition d'hérédité.

h. L'administrateur d'office a établi un nouveau décompte, valeur au 30 juin 2011, ainsi qu'un rapport final le 20 juillet 2011, puis a été relevé de ses fonctions par décision de la Justice de Paix du 10 novembre 2011.

i. A______ a reçu tous les biens de la succession, conformément au testament du 2 mars 1999.

De la découverte du testament du 9 mai 1999

j. R______, neveu du défunt mari de I______, a octroyé en début d'année 2019 une procuration en faveur de son petit-fils, G______, afin qu'il s'occupe de ses affaires.

Celui-ci a découvert dans les papiers de son grand-père une enveloppe scellée par un cachet de cire, portant la mention:

"Ma Volonté

I______

fait [ ]: 09/05/1999

A Ouvrir à ma mort "To open upon my death"

A: R______ et S______".

k. G______ a alors remis l'enveloppe à un notaire en France afin qu'il procède à l'ouverture officielle le 26 novembre 2019.

L'enveloppe contenait un testament manuscrit en français du 9 mai 1999, au nom de I______, sa reprise sous forme dactylographiée en anglais du même jour et une "déclaration irrévocable" du 22 mai 1988. Ces dispositions pour cause de mort ont été déposées par le notaire au rang de ses minutes.

l. Aux termes de ce testament olographe du 9 mai 1999, I______ révoquait "toutes les dispositions antérieures des testaments et dispositions testamentaires", déclarait la loi française comme applicable à sa succession et, conformément à sa déclaration irrévocable du 22 mai 1988, donnait et léguait "à 100 % la totalité de [s]es à l'échelle mondiale meubles et immeubles et de tous les autres effets personnels et biens personnels aux derniers descendants héritiers et légataires de [s]on mari, soit 50% à R______ et 50% à S______ et leurs descendants".

I______ nommait en qualité d'exécuteur testamentaire son ami T______ ou, à défaut, Me U______.

Elle précisait avoir remis deux exemplaires de son testament, le premier à sa famille et le second à son "executor".

m. R______ est décédé le ______ 2020, laissant six héritiers institués, soit C______, ainsi que D______, E______, F______, G______ et H______.

n. S______ est décédé le ______ 2008, laissant deux héritiers, F______ et H______.

o. Par requête du 26 novembre 2020, déclarée non conciliée et introduite le 24 janvier 2022 par-devant le Tribunal, C______, D______, E______, F______, G______ et H______ (désignés : les consorts C___/D___/E___/F___/G___/H______) ont formé à l'encontre de A______ une action en pétition d'hérédité et constatation de caducité de dispositions testamentaires, concluant à ce que soit constatée la caducité du testament public du 2 mars 1999 et du codicille du 12 mars 1999 dans la mesure où ces dispositions ont été révoquées par testament du 9 mai 1999 et à ce que A______ soit condamnée à leur restituer les biens qui lui ont été indûment dévolus, tels que listés, ainsi que tout autre bien en sa possession dépendant de la succession de feue I______ et ceux reçus en substitution ainsi que des montants à déterminer à titre de dommages-intérêts.

Ils ont indiqué en cours de procédure qu'à la découverte de l'enveloppe, tant R______ que G______ ignoraient le décès de I______. Ce n'était qu'après avoir effectué des recherches que G______ avait appris ce décès, fin juillet 2019, et, s'adressant à la Justice de Paix de Genève, s'était vu délivrer l'extrait de l'acte de décès en date du 6 septembre 2019, mais l'accès aux documents de la succession lui avait été refusé par la Justice de Paix en date du 27 septembre 2019. Ayant eu connaissance de biens immobiliers en France ayant appartenu à la défunte, il s'était alors adressé à un notaire français pour remettre l'enveloppe scellée. Fin 2020, G______ avait pu obtenir de la Justice de Paix les documents de la succession.

p. A______ a sollicité la limitation de la procédure à la question de la possibilité d'intenter une action en pétition d'hérédité, alléguant qu'un partage avait déjà eu lieu, et à celle de l'écoulement de la prescription de ladite action en pétition d'hérédité.

q. Par ordonnance du 12 décembre 2022, le Tribunal a limité la procédure aux questions concernant la possibilité pour les consorts C___/D___/E___/F___/G___/H______ d'intenter l'action en pétition d'hérédité et de la prescription.

r. Les parties se sont déterminées sur les questions faisant l'objet de la limitation de la procédure par écritures des 20 février, 16 mars, 12, 13 et 28 avril 2023, à l'issue de quoi la cause a été gardée à juger.

A______ a allégué que la succession avait été partagée fin 2011 et que l'action en pétition d'hérédité ne pouvait plus être intentée après le partage, selon la doctrine majoritaire. Par surabondance, même si elle était encore ouverte, tant le délai relatif d'un an que le délai absolu de dix ans pour intenter l'action en pétition d'hérédité étaient échus au jour de l'introduction de la présente procédure.

Selon les consorts C___/D___/E___/F___/G___/H______, la succession avait été liquidée certes en 2011, mais sans qu'aucun partage n'ait lieu. Même s'il fallait admettre qu'un partage était intervenu, celui-ci était frappé de nullité du fait que les véritables héritiers n'avaient pas été pris en considération lors du partage. De plus, ni la loi ni la jurisprudence ne stipulaient que l'action en pétition d'hérédité n'était plus possible après le partage. La doctrine étant divisée sur ce point, une partie des auteurs estimait que cette action devait rester entièrement possible après le partage, au risque d'aboutir à des inégalités de traitement entre héritiers uniques et pluralités d'héritiers. Pour ces motifs, l'action en pétition était toujours possible. Quant à la question de la prescription, les consorts ont allégué qu'ils avaient eu connaissance du testament olographe du 9 mai 1999 et, partant, leur qualité d'héritiers, à l'ouverture dudit testament devant le notaire, le 26 novembre 2019. A ce moment, ils ignoraient le décès de la de cujus et avaient entrepris des démarches au cours desquelles ils avaient appris, en 2020, son décès et qu'elle possédait des biens.

s. Dans le jugement entrepris, le Tribunal, statuant sur les questions faisant l'objet de la limitation de la procédure, a considéré que la situation dans le cas d'espèce n'était pas celle d'un héritier agissant contre un cohéritier, ni celle dans laquelle un partage était déjà intervenu et à la suite duquel un héritier ferait valoir un droit propre à titre particulier à l'encontre d'un tiers, encore moins d'un héritier qui s'était vu attribuer à l'occasion du partage un bien qui se trouvait en mains d'un autre possesseur, mais celle de personnes invoquant être seules héritières à l'exclusion de leur partie adverse, laquelle demeurait jusqu'alors seule détentrice des biens de la défunte sur la base de dispositions contestées. La voie de l'action en pétition d'hérédité était donc bien ouverte, à la condition que soit reconnue la qualité d'héritiers des consorts, ce qui sortait du champ de la limitation de la procédure et serait examiné dans un deuxième temps.

Par ailleurs, le Tribunal a retenu que la teneur des actes fondant l'action en pétition d'hérédité avait été découverte lors de l'ouverture du testament du 9 mai 1999 effectuée devant notaire le 26 novembre 2019. Avant cela, les consorts ne pouvaient avoir une connaissance réelle et précise de leur droit préférable, de simples doutes ne suffisants pas. Le fait que R______ ait été en possession de l'enveloppe sans l'ouvrir ne suffisait pas pour retenir un comportement contraire aux règles de la bonne foi. Le dies a quo étant ainsi au plus tôt le 26 novembre 2019, tant pour le délai relatif d'une année comme pour le délai absolu de dix ans. Déposée le 26 novembre 2020, l'action n'était, par conséquent, pas périmée.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC) rendues dans des affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

Une décision est finale, au sens de l'art. 236 CPC, lorsqu'elle met fin à la procédure, que ce soit par une décision au fond ou par une décision d'irrecevabilité. La décision est incidente, au sens de l'art. 237 al. 1 CPC, si l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait fin au procès et permettrait de réaliser une économie de temps ou de frais appréciable.

La décision partielle est celle qui statue sur un ou plusieurs chefs de demande (cumul d'actions objectif ou subjectif), dont le sort est indépendant de celui du reste de la cause, et renvoie l'examen d'un ou plusieurs autres chefs à une décision ultérieure (ATF 146 III 254 consid. 2.1; 141 III 395 consid. 2.4; 132 III 785 consid. 2). La procédure perdure à raison de la partie non tranchée du litige. Le jugement partiel est attaquable immédiatement (ATF 135 III 212 consid. 1.2; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n° 2336; Jeandin, in Commentaire romand CPC, 2019, n. 8 ad art. 308 CPC).

Une décision partielle incidente (Teilzwischenentscheid) est assimilée à une décision incidente si l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait (partiellement) fin au procès sur l'aspect considéré. Tel est par exemple le cas de la décision qui rejette le moyen tiré de la prescription soulevé à l'encontre d'une partie des prétentions élevées dans la même demande (ACJC/242/2022 du 22 février 2022 consid.1.2.1; ACJC/728/2022 du 31 mai 2022 consid. 1.2.1; cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_176/2023 du 6 décembre 2023 consid. 1.2 et les références citées).

1.2 En l'espèce, en tant qu'il admet la voie de l'action en pétition d'hérédité et que dite action n'est pas périmée, le jugement entrepris constitue une décision partielle incidente car il statue sur des conclusions indépendantes, qui auraient pu être l'objet d'une procédure distincte, et qu'une décision contraire aurait mis fin à cette partie du litige en permettant de réaliser une économie de temps et de frais appréciable. La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.3 Interjeté dans le délai légal de trente jours, dans une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. et répondant aux exigences de forme (art. 145 al. 1 let. b et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.4 La maxime des débats et le principe de disposition sont applicables (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

1.5 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2. L'appelante reproche au Tribunal une violation de l'art. 598 CC en ayant considéré que l'action en pétition d'hérédité était toujours possible. Selon elle, dès lors que le partage de la succession est d'ores et déjà intervenu, ses parties adverses ne peuvent plus agir par cette voie, mais uniquement par le biais d'une action réelle en revendication.

2.1.1 La communauté successorale n'est pas destinée à durer. Elle s'achève en général par le partage (Spahr, in Commentaire romand CC II, n. 1 ad art. 602 CC) et devrait être liquidée dès que faire se peut. Le partage successoral porte sur la répartition des actifs et passifs constituant la succession. Il n'est achevé que lorsque tous les biens sont distribués et s'effectue, en principe, d'un commun accord entre les héritiers (Couchepin/Maire, in Commentaire du droit des successions, 2012, n. 1 et 2 ad art. 604 CC).

La clôture du partage a pour effet de transformer la propriété commune de tous les héritiers sur tous les biens successoraux en une propriété individuelle de chacun d'eux sur certains biens. Elle met un terme aux relations juridiques résultant de la communauté héréditaire.

2.1.2 Selon l'art. 598 al. 1 CC, l'action en pétition d'hérédité appartient à quiconque se croit autorisé à faire valoir, comme héritier légal ou institué, sur une succession ou sur des biens qui en dépendent, des droits préférables à ceux du possesseur.

L'action en pétition d'hérédité est fondée sur la seule vocation successorale du demandeur. Elle se distingue par son fondement successoral des actions spéciales qui appartenaient déjà au de cujus de son vivant et qui ont été héritées par les héritiers, telles que l'action en revendication (art. 641 al. 2 CC), l'action mobilière (art. 930 CC) ou l'action en cessation du trouble de la possession (art. 926 ss CC) (Eigenmann/Landert, Actions successorales, 2018, § 11, n. 6).

L'action en pétition d'hérédité constitue une action en revendication générale réservée aux héritiers (arrêt du Tribunal fédéral 5A_947/2013 du 2 avril 2014 consid. 3.3.3.1), qui leur permet notamment de réclamer, à un for unique, tout ou partie des biens successoraux, sans devoir préciser les biens visés. En ce sens, l'action en pétition d'hérédité constitue un privilège par rapport au régime ordinaire de revendication. Elle se justifie en raison des difficultés particulières susceptibles de se poser, après un décès, lorsqu'il s'agit de reconstituer le patrimoine successoral (Regamey, in Commentaire du droit des successions, 2ème éd., 2023, n. 14 ad art. 598 CC; Eigenmann/Landert, op.cit, § 11, n. 2-3 et note de bas de page n. 64; Eigenmann, L'action en pétition d'hérédité, in Journée successorale 15, n. 1 ss, p. 14 ss; Steinauer, Le droit des successions, 2ème éd. 2015, n 1114-1115; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 5A_764/2010 du 10 mars 2011 consid. 3.3.1).

L'action en pétition d'hérédité est ouverte contre une personne qui, sans être héritière, est en possession de biens successoraux (ATF 75 III 288, 292; arrêts du Tribunal fédéral 5A_947/2013 du 2 avril 2014 consid. 3.3.3.1; 5C.53/2006 du 12 avril 2007 consid. 5.1; Steinauer, op.cit., n. 1123). Elle peut être cumulée avec une action en constatation de la qualité d'héritier ou avec la dénégation de la qualité d'héritier (ATF 136 III 123, Bohnet, Actions civiles, Vol. I : CC et LP, 2019, § 36, n. 8).

2.1.3 Lorsque la partage de la succession a déjà eu lieu, l'action en pétition d'hérédité n'est, en principe, plus ouverte et les héritiers doivent utiliser la voie des actions particulières. Les prétentions attribuées à un héritier dans le partage doivent en effet être invoquées par la voie des actions particulières, notamment de la revendication (Steinauer, op. cit., n. 1122a; Forni/Piatti, in Basler Kommentar ZGB II, n. 3 ad art. 598 CC; Eigenmann/Landert, op.cit., p. 153 n. 46; Bohnet, op. cit., § 36, n. 17 et 30; Thevenaz, in Commentaire romand CC II, 2016, n. 8 ad art. 598 CC).

Certaines situations sont toutefois réservées. L'action en pétition d'hérédité demeure en effet la voie de droit de prédilection en cas de découverte d'un testament qui institue d'autres héritiers (Regamey, op. cit., n. 23 ad art. 598 CC) ou en cas de découverte ultérieure d'autres biens appartenant à la succession (Eigenmann/Landert, op.cit., p. 153 n. 46; Rouiller/Gygax, in Commentaire du droit des successions, 1ère éd., 2012, n. 22 ad art. 598 CC ). Une partie de la doctrine admet également que l'héritier exclu du partage (ayant fait établir sa qualité d'héritier postérieurement) n'aura d'autre action que la pétition d'hérédité contre ses cohéritiers lorsque ceux-ci se sont déjà partagé la succession (Steinauer, op. cit., note de bas de page n. 14, p. 578; Guinand/Stettler/ Leuba, Droit des successions, 2005, n. 505 et note de bas de page; Tuor/Picenoni, in Berner Kommentar, 1966, n. 12 ad art. 598 CC).

Il existe une controverse doctrinale sur le fait de savoir si un héritier, à qui a été attribué lors du partage un bien qui se trouvait en mains d'un tiers, dispose encore de l'action en pétition d'hérédité à l'encontre de ce tiers ou seulement de l'action en revendication. La doctrine majoritaire estime que seule la voie de l'action particulière devrait être ouverte dans cette hypothèse, dès lors que pour attribuer ce bien lors du partage à l'héritier, l'existence, le possesseur, la valeur et la situation de ce bien devaient être connues, de sorte que les avantages de l'action en pétition d'hérédité n'ont plus lieu d'être (Eigenmann/Landert, op. cit., n. 46 et note de bas de page 64, p. 153 et les auteurs cités). Selon un avis minoritaire, il n'y a aucune raison que l'héritier attributaire soit privé de l'action prévue par l'art. 598 CC (Rouiller/Gygax, op. cit., n. 22 ad art. 598 CC).

2.1.4 Dans un ATF 102 II 329, le Tribunal fédéral semble permettre l'action en pétition d'hérédité entre cohéritiers après le partage, lorsque la communauté héréditaire a été dissoute et que le défendeur a conservé certains biens qu'il doit encore restituer (ATF 102 II 329 consid. 5c; arrêt du Tribunal fédéral 5A_88/2011 du 23 septembre 2011 consid. 6.2.2).

Dans un arrêt 5A_911/2020 du 13 septembre 2021 - concernant l'action intentée par le fils biologique illégitime du de cujus dont le lien de filiation a été établi alors que la succession avait été partagée entre les héritiers identifiés à l'époque - le Tribunal fédéral a confirmé l'arrêt de la Cour de Justice qui avait estimé que dans la mesure où la communauté héréditaire avait été dissoute, les conditions d'une action en partage n'étaient plus réunies. Seule demeurait alors ouverte l'action en pétition d'hérédité, qui était cependant périmée au jour du dépôt de la demande.

Cette solution correspond au message relatif à la modification du code civil (Filiation) du 5 juin 1974, à teneur duquel lorsque la succession est déjà partagée lors de l'établissement de la filiation, les héritiers doivent répondre selon les dispositions applicables à l'action en pétition d'hérédité (FF 1974 II 1, p. 108).

2.2 En l'espèce, la de cujus est décédée en novembre 2002. Sa succession doit être considérée comme ayant été liquidée en 2011 dès lors qu'elle a fait l'objet d'une procédure clôturée en novembre 2011, que l'administrateur d'office a été relevé de ses fonctions et que les biens successoraux ont été attribués à l'appelante, étant ici rappelé que la communauté successorale n'est pas destinée à durer.

Il n'est pas contesté que, par leur action, les intimés entendent faire valoir leur qualité d'héritiers sur l'ensemble de la succession à l'encontre de l'appelante et qu'en cas d'admission, ils deviendraient seuls héritiers de la de cujus, au détriment de l'appelante qui deviendrait alors un tiers en possession des biens de la succession. Ces prétentions relèvent, en principe, de l'action en pétition d'hérédité, ce qui n'est pas non plus contesté.

La question qui se pose est toutefois celle de savoir si cette action était encore possible au moment du dépôt de l'action en novembre 2020, malgré le partage intervenu en 2011.

Le Tribunal fédéral semble admettre cette possibilité. En effet, dans l'ATF
102 II 329, il a indiqué qu'en cas de partage et de dissolution de la communauté héréditaire, l'action en pétition d'hérédité demeurait possible. Plus récemment, dans son arrêt du 13 septembre 2021, il n'est pas revenu sur cette jurisprudence, confirmant la décision, portée devant lui, d'admettre une action en pétition d'hérédité formée par un héritier inconnu jusqu'alors malgré le fait que le partage avait déjà eu lieu et que la communauté héréditaire avait été dissoute. Cette solution est, par ailleurs, conforme au Message du Conseil fédéral relatif à la modification du code civil du 5 juin 1974, qui prévoit que lorsque la succession est déjà partagée lors de l'établissement du lien de filiation d'un héritier, celui-ci doit agir par la voie de l'action en pétition d'hérédité.

En se fondant sur une partie de la doctrine (notamment les auteurs cités au consid. 2.1.3 supra, 1er paragraphe), l'appelante soutient que l'action en pétition d'hérédité n'est plus ouverte après le partage. La doctrine invoquée par l'appelante doit toutefois être nuancée.

En effet, si la doctrine majoritaire s'accorde sur le fait que l'action en pétition d'hérédité n'est plus ouverte après le partage, certaines situations (similaires au cas d'espèce) demeurent toutefois réservées, telles que la découverte ultérieure de biens ou de l'existence d'un héritier, lequel n'a dès lors pas pu participer au partage.

Par ailleurs, la doctrine excluant la voie de l'action en pétition d'hérédité vise en premier lieu les cas où le demandeur pourrait faire valoir ses prétentions dans le cadre du partage de la succession, ce qui n'est plus possible en l'espèce. Après la survenance du partage, la doctrine majoritaire invoquée, sur laquelle l'appelante semble essentiellement fonder son argumentation, se réfère aux cas où, contrairement au cas d'espèce, un héritier s'est vu attribuer des biens dans le cadre du partage de la succession et agit ensuite auprès d'un tiers possesseur des biens en question, ne pouvant dès lors plus agir en pétition d'hérédité car le fondement de son action n'est plus successoral. Ensuite, la doctrine exclut l'action en pétition d'hérédité dans les cas où les héritiers ont partagé la succession sans réserver le sort d'un bien dont ils avaient connaissance, de sorte qu'il faut présumer qu'ils ont renoncé à faire valoir l'action en pétition d'hérédité.

Les cas précités visent ainsi des situations spécifiques. On ne saurait en déduire une règle générale selon laquelle toute action en pétition d'hérédité serait exclue après le partage, comme le prétend l'appelante. Par ailleurs, les cas dans lesquels la voie de l'action en pétition d'hérédité a été niée visent des situations différentes du cas d'espèce dès lors que les intimés, contrairement aux exemples cités, ne pouvaient agir au moment du partage - faute de connaître leur qualité d'héritiers - et exercent à présent des prétentions qui se fondent uniquement sur le droit des successions, sans faire valoir un droit propre et distinct ou qui appartenait déjà à la de cujus. Partant, la doctrine dont se prévaut l'appelante ne trouve pas application dans le cas présent. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la motivation du jugement entrepris.

Enfin, le fait de limiter de manière générale pour toutes les situations la possibilité d'agir en pétition d'hérédité jusqu'au moment du partage ne semble pas s'inscrire dans l'esprit et le but de la loi dès lors que celle-ci tend à offrir aux héritiers une action en revendication privilégiée, sans autre considération.

En définitive, ni la jurisprudence ni la doctrine ou encore le but de la loi ne permet de retenir que le partage de la succession de la de cujus ferait, en l'espèce et compte tenu des spécificités du cas concret, obstacle à l'action en pétition d'hérédité.

L'appel, infondé, sera rejeté sur ce point.

3. L'appelante soutient, subsidiairement, que l'action en pétition d'hérédité serait périmée.

3.1 Selon l'art. 600 al. 1 CC, l’action en pétition d’hérédité se prescrit contre le possesseur de bonne foi par un an à compter du jour où le demandeur a eu connaissance de son droit préférable et de la possession du défendeur; en tout cas, par dix ans, qui courent dès le décès ou dès l’ouverture du testament.

Malgré le texte légal, qui emploie le terme de "prescription", la jurisprudence a clairement décidé que c'était des délais de péremption qui leur étaient applicables. Dès lors, ils ne peuvent être ni suspendus, ni interrompus et le juge doit les mettre en œuvre d'office (arrêt du Tribunal fédéral 5A_911/2020 du 13 septembre 2021 consid. 8; Eigenmann/Rouiller, op. cit., ad art. 600 CC, n. 1 et les références citées; Steinauer, op. cit., n. 1130).

Le délai relatif d'une année de l'art. 600 CC ne commence à courir que si le demandeur a une connaissance réelle et précise des éléments lui permettant d’agir en pétition d’hérédité; de simples doutes ne suffisent pas. Il n’est pas exclu que, selon les cas, le demandeur qui a des doutes doive entreprendre des démarches pour les lever, à défaut de quoi on pourrait lui reprocher un comportement contraire aux règles de la bonne foi (art. 8 CC) (Thévenaz, in Commentaire romand CC II, n. 3 ad art. 600 CC; Steinauer, op. cit., n. 1131a).

En cas de pluralité d'héritiers, le délai ne peut commencer à courir que si tous les héritiers ont connaissance de leur droit préférable et de la possession du défendeur. La connaissance par l'un des héritiers, qui n'est pas le représentant des autres, ne suffit pas. Il n'y a pas d'imputation de la connaissance aux autres héritiers (Eigenmann/Rouiller, op. cit, n. 2 et note de bas de page n. 9 ad art. 600 CC).

Dans tous les cas, une action en pétition d’hérédité dirigée contre un possesseur de bonne foi doit être ouverte dans les dix ans à compter de l’ouverture du testament (lorsqu’il y en a un) ou à compter de l’ouverture de la succession, lorsque le de cujus est décédé ab intestat ou qu’il a conclu un pacte successoral (Thévenaz, op. cit., n. 4 ad art. 600 CC; Steinauer, op. cit., n. 1131a).

3.2 En l'espèce, le testament du 9 mai 1999 qui fonde la présente action était en mains de R______ jusqu'à son décès. Sa teneur a été découverte lors de l'ouverture devant notaire le 26 novembre 2019.

L'appelante reproche au Tribunal d'avoir retenu que les intimés ne pouvaient avoir une connaissance réelle et précise de leur droit préférable avant l'ouverture du testament le 26 novembre 2019. Selon elle, il appartenait à R______ et S______, destinataires de l'enveloppe contenant ledit testament, d'entreprendre les démarches nécessaires afin de connaître leur droit préférable, étant précisé qu'il suffisait d'ouvrir l'enveloppe. En ne réagissant pas au décès de la de cujus, ils avaient délibérément choisi de ne pas s'en prévaloir. Partant, invoquer les dispositions auxquelles ils avaient renoncé constituerait un acte de mauvaise foi.

L'appelante ne peut être suivie dans son raisonnement. D'une part, si R______ était certes en possession, et donc au courant de la lettre contenant le testament du 9 mai 1999, aucun élément ne permet de retenir qu'il ait eu connaissance du décès de la de cujus, intervenu trois ans plus tard. A cet égard, les seuls éléments qui ressortent du dossier sont que la défunte était la femme de son oncle et qu'elle vivait en Europe alors que le reste de la famille, dont R______, vivait principalement aux Etats-Unis. Les explications fournies par les intimés, selon lesquelles G______ avait effectué des recherches sur la de cujus après avoir découvert l'enveloppe chez son grand-père et avait ainsi obtenu la confirmation de son décès en septembre 2019 sont cohérentes et crédibles et sont corroborées par la chronologie des faits ainsi que par certaines pièces du dossier, dont le certificat de décès délivré le 6 septembre 2019 aux intimés et la demande subséquente d'accès aux documents successoraux auprès de la Justice de paix.

D'autre part, R______ était, à teneur du dossier, l'unique possesseur du testament litigieux. Il ressort d'ailleurs de ces dispositions testamentaires qu'un seul exemplaire ait été remis à la famille de la de cujus. Rien ne permet de retenir que S______ ait été informé de son existence avant son décès en 2008. Ainsi, même si l'on devait admettre une connaissance fictive des droits préférables de la part de R______ avant l'ouverture du testament, celle-ci ne pourrait être imputée à S______, et encore moins à ses héritiers.

C'est donc à bon droit que le Tribunal a retenu que les héritiers ne pouvaient avoir connaissance de leurs droits préférables avant l'ouverture du testament devant notaire le 26 novembre 2019.

Au surplus, le dies a quo du délai relatif d'un an ne dépend pas de la seule connaissance du droit préférable des héritiers, encore faut-il que ces derniers aient connaissance de la possession des biens par le défendeur. A cet égard, aucun élément ne permet de retenir que les intimés aient eu connaissance de la dévolution des biens relevant de la succession en faveur de l'appelante avant d'obtenir, après un premier refus, le dossier de la Justice de paix en fin d'année 2020.

L'action en pétition d'hérédité ayant été déposée devant l'autorité de conciliation le 26 novembre 2020, le délai relatif d'un an n'était dès lors pas échu.

Quant au délai absolu de dix ans, il court dès l'ouverture du testament dans la mesure où il ne s'agit pas d'une succession ab intestat, soit dès le 26 novembre 2019.

Par conséquent, l'action n'est pas périmée.

L'appel se révèle infondé et sera rejeté.

4. Les frais judicaires d'appel seront mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront arrêtés à 2'500 fr., compte tenu notamment de la valeur litigieuse, des intérêts en jeu et de la complexité de la cause (art. 23 RTFMC), et partiellement compensés avec l'avance de frais fournie par l'appelante à hauteur de 1'000 fr., qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). L'appelante sera, par conséquent, condamnée à verser 1'500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

L'appelante sera, en outre, condamnée aux dépens de ses parties adverses, lesquels seront arrêtés à 3'000 fr. au regard de l'activité déployée par le conseil des intimés (art. 84, 85, 87 et 90 RTFMC et art. 23 al. 1 LaCC), débours compris, mais sans TVA compte tenu du domicile à l'étranger des intimés (ATF 141 IV 344 consid. 4.1).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 14 septembre 2023 par A______ contre le jugement JTPI/8810/2023 rendu le 10 août 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/24994/2020.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'500 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'il sont partiellement compensés avec l'avance fournie par cette dernière.

Condamne A______ à verser 1'500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne A______ à verser aux consorts C___/D___/E___/F___/G___/H______ 3'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.