Skip to main content

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/18525/2016

ACJC/257/2024 du 13.02.2024 sur JTPI/2743/2023 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CO.394
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18525/2016 ACJC/257/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 13 FÉVRIER 2024

 

Entre

A______ SA EN LIQUIDATION, représentée par son liquidateur, Me B______, ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 17ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 28 février 2023,

et

1) Monsieur C______, domicilié ______, Norvège, intimé,

2) Monsieur D______, domicilié ______, Belgique, autre intimé,

3) Madame E______, domiciliée ______, Belgique, autre intimée,

4) Monsieur F______, domicilié ______, Belgique, autre intimé,

5) Madame G______, domiciliée ______, Belgique, autre intimée,

6) Madame H______, domiciliée ______ [VD], autre intimée,

tous six représentés par Me Jean-Marc REYMOND, avocat, avenue de la Gare 1,
case postale 7255, 1002 Lausanne.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/2743/2023 du 28 février 2023, le Tribunal a dit que les 75'000 parts I______/J______ détenues par A______ SA EN LIQUIDATION l'étaient à titre fiduciaire pour les consorts F__/D__/C__/G__/H__/E______ et revenaient à ces derniers (chiffre 1 du dispositif), mis les frais judiciaires, arrêtés à 10'240 fr., à la charge de A______ SA EN LIQUIDATION en la condamnant à verser ce montant à ses parties adverses à titre de remboursement des avances versées (ch. 2), ainsi que 10'000 fr. à titre de dépens (ch. 3) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Par acte expédié le 21 avril 2023 au greffe de la Cour de justice, A______ SA EN LIQUIDATION forme appel contre ce jugement.

Elle conclut à son annulation et à ce qu'il soit dit que les 75'000 parts I______/J______ qu'elle détient n'appartiennent pas aux consorts F__/D__/C__/G__/H__/E______.

b. Dans leur réponse commune, F______, D______ et C______, héritiers de feu K______, ainsi que G______, H______ et E______, héritiers de feu L______ (les consorts F__/D__/C__/G__/H__/E______) ont conclu à l'irrecevabilité de l'appel, subsidiairement à son rejet.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, en persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Elles ont été informées par avis de la Cour du 20 novembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

C.A a. M______ était l'épouse de N______, notamment créateur et dessinateur du personnage de bande dessinées O______ (ci-après : les époux M______/N______) et unique héritière de ce dernier, décédé le ______ 2001.

b. Le 19 juin 2007, M______ a fait donation d'une partie de son patrimoine à ses deux frères, K______ et L______. Cette donation comprenait notamment le placement I______/J______ détenu auprès de la banque P______, qui fait l'objet de la présente procédure.

b.a K______ est décédé le ______ 2019.

F______, D______ et C______ sont ses héritiers et se sont substitués à celui-ci dans la procédure.

b.b L______ est décédé le ______ 2020.

G______, E______ et H______ sont ses héritières et se sont substituées à celui-ci dans la procédure.

c. A______ SA EN LIQUIDATION (ci-après : A______ SA) est une société anonyme suisse dont le siège est à Q______ (GE). Elle avait pour but la tenue de comptabilités, administration de sociétés, gérance de fortunes, opérations fiduciaires, acquisitions de biens mobiliers et tous biens immobiliers à l'étranger.

R______ et S______ (ci-après : les époux R______/S______) en étaient actionnaires et anciens administrateurs.

A______ SA a été dissoute en janvier 2011. Elle est actuellement en liquidation, son liquidateur étant Me B______.

d. Le 5 novembre 1993, les époux M______/N______ ont conclu un contrat de fiducie avec A______ SA.

Selon ce contrat, les époux M______/N______ demandaient à A______ SA de déposer des avoirs auprès d'une banque, sur un compte ouvert au nom de A______ SA, sous une rubrique "T______".

A______ SA devait notamment, contre rémunération, détenir ces avoirs à titre fiduciaire pour le compte des époux M______/N______ et pouvait accomplir tous les actes qu'elle jugeait utiles à la gestion des avoirs de ses clients.

Le contrat de fiducie contient une clause d'élection de for en faveur des tribunaux de Genève ainsi qu'une élection de droit suisse.

e. En exécution de ce contrat, A______ SA a acquis en 1994 des parts d'un placement nommé "I______ (Subs. Agreement)".

Le placement I______ était géré par une société J______ LTD, dont le siège était situé à U______ (USA).

Les parts ont été désignées par les parties indifféremment sous le nom "placement I______" ou "placement J______".

f. A______ SA a acquis 825'000 parts du placement I______/J______ au prix de 825'000 USD.

g. Les parties sont en litige sur le nombre de parts qui ont été acquises pour le compte des époux M______/N______.

Selon A______ SA, 750'000 parts ont été acquises pour le compte des époux M______/N______, alors que le solde de 75'000 parts avait été acquis pour le compte de ses administrateurs, les époux R______/S______. Selon les consorts F__/D__/C__/G__/H__/E______ en revanche, A______ SA avait acquis la totalité des 825'000 parts pour le compte des époux M______/N______.

h. Lors de l'acquisition des parts, deux conventions de souscription ("Subscription Agreement") ont été signées.

h.a La première porte sur l'acquisition de 7.5 "Units" au prix de 750'000 USD, représentant une participation de 5% dans le capital de J______ LTD. La souscription est signée par R______ et S______ pour le compte de A______ SA. La convention est également signée, sous l'indication "souscription acceptée" ("Subscription accepted"), par un certain V______, pour le compte de W______ INC., en qualité de "General Partner". Elle n'est pas datée.

h.b La seconde porte sur l'acquisition de 0.75 "Units" au prix de 75'000 USD, représentant une participation de 0.5% dans le capital de J______ LTD. La souscription est signée par R______ et S______ sans mention qu'ils agissaient pour A______ SA. La convention est également signée, sous l'indication "souscription acceptée" ("Subscription accepted"), par V______, pour le compte de W______ INC., en qualité de "General Partner". Elle n'est pas datée.

i. Les montants de 750'000 USD et 75'000 USD ont été versés le 23 février 1994.

Ces versements ont été tous les deux effectués depuis le même compte, à savoir depuis le compte sur lequel A______ SA détenait les avoirs des époux M______/N______ à titre fiduciaire. Ils ont toutefois fait l'objet de deux transactions séparées.

j. Le 1er mars 1994, V______ a confirmé la réception des fonds par deux courriers séparés.

Le premier accusait réception du montant de 750'000 USD. Ce courrier était adressé à A______ SA et lui demandait de signer un exemplaire du "Subscription Agreement" et de le lui retourner.

Le second accusait réception du montant de 75'000 USD. Ce courrier était adressé aux époux R______/S______ et leur demandait de signer un exemplaire du "Subscription Agreement" et de le lui retourner.

k. Les parts acquises ont été référencées sur le compte ouvert au nom de A______ SA auprès de la banque P______, rubrique T______, compte depuis lequel les paiements de 750'000 USD et 75'000 USD ont été faits.

l. A______ SA allègue que les époux R______/S______ ont ensuite versé, en espèces, une somme de 75'000 USD provenant d'un compte de S______ auprès de la banque X______, sur le compte rubrique T______. Ce versement avait pour but (en remboursant A______ SA) de financer l'achat, pour leur compte, des 75'000 parts du placement I______/J______.

Les relevés du compte de A______ SA, rubrique T______, font bien état d'un versement de 75'000 USD intervenu le 14 avril 1994, sans indication cependant de la provenance des fonds.

m. Une liste des souscripteurs de J______ LTD au 25 septembre 1997 mentionne, parmi d'autres, "A______ S.A." comme souscripteur d'un capital de 750'000 USD pour 4.6875000% et "R______/S______" comme souscripteurs d'un capital de 75'000 USD pour 0.46875000%.

n. Le 1er janvier 1998, les époux R______/S______, d'une part, et A______ SA, d'autre part, ont signé un acte de transfert ("Transfer and Consent to Transfer").

Selon ce document, les époux R______/S______ ont transféré à A______ SA la totalité de leur participation dans J______ LTD ("all of their right, title and interest in J______ Ltd."), soit 0.4166667% de J______ LTD. Ce document est également signé par le General Partner de J______ LTD, qui a consenti au transfert.

o. Une liste des souscripteurs de J______ LTD au 31 décembre 2006 mentionne, parmi d'autres, "A______ S.A." comme souscripteur d'un capital de 825'000 USD pour 4.5833%.

p. Les rendements de la totalité des parts étaient versés sur un compte ouvert au nom de A______ SA auprès de la banque Z______ à AA______ [VD], rubrique J______, dont M______ était la bénéficiaire économique.

q. Le 10 décembre 2008, une convention a été signée notamment par M______, les époux R______/S______ et A______ SA, destinée à mettre un terme à certains litiges apparus à la suite du décès de N______. Elle a notamment mis fin au contrat de fiducie conclu entre les époux M______/N______ et A______ SA d'autre part.

La question du placement I______/J______ a cependant été laissée ouverte dans la convention et A______ SA a continué à gérer ce placement.

r. Dès 2015, des discussions sont intervenues entre les parties au sujet du transfert à feu K______ et feu L______ des parts du placement I______/J______, ainsi que des revenus leur revenant.

s. Le 15 décembre 2016, A______ SA a versé à feu K______ et feu L______ un montant de 207'100 USD.

t. Par acte du 30 mars 2017, A______ SA a transféré à feu K______ et feu L______ 750'000 parts du placement I______/J______. Elle a conservé les 75'000 parts restantes.

C.B a. Par acte du 23 septembre 2016, déclaré non concilié et introduit par devant le Tribunal le 8 septembre 2017, feu K______ et feu L______, puis leurs héritiers, ont agi à l'encontre de A______ SA.

Ils ont conclu à ce que A______ SA soit condamnée à leur remettre les 75'000 parts de J______ LTD qu'elle détenait pour leur compte et à leur verser un montant d'au moins 381'493.92 USD, soit 365'165 fr., avec intérêt à 5% l'an dès le 19 mai 2016.

b. A______ SA s'est opposée à cette demande concluant au déboutement de ses parties adverses.

c. Le 24 mai 2018, le Tribunal a ordonné un second échange d'écritures.

d. Par ordonnance du 7 janvier 2019, le Tribunal a notamment limité la procédure à la question de la propriété des parts du placement I______/J______.

e. Lors de l'audience du 21 novembre 2019, le Tribunal a entendu les parties et procédé à l'audition d'un témoin.

e.a A______ SA s'est exprimée par le biais de son liquidateur.

Celui-ci a confirmé que la société détenait toujours les 75'000 parts litigieuses. Il a par ailleurs rappelé qu'il n'était pas administrateur de la société à l'époque des faits et que ceux-ci lui avaient été rapportés par les époux R______/S______.

S'agissant de l'achat des parts J______, il pouvait attester du versement de la somme de 75'000 USD par A______ SA, mais ne savait pas si cette somme avait pour origine un montant retiré par M______ ou versé par les époux R______/S______.

e.b Les époux R______/S______, invités à déposer par voie de commission rogatoire, n'ont pas été en mesure d'être entendus, ayant invoqué des problèmes de santé et produit des certificats médicaux correspondants.

e.c Y______, ex-mari de la fille de R______, a indiqué qu'il avait été administrateur de A______ SA durant cinq ou six ans au milieu des années 90.

Il a exposé qu'en accord avec les époux M______/N______, dont ils géraient les avoirs, R______ et S______ avaient investi à titre fiduciaire, par le biais de A______ SA, un total de 750'000 parts dans la société J______, pour le prix de 750'000 USD.

Interrogé sur la question de savoir si les époux R______/S______ avaient de leur côté acquis 75'000 parts pour leur propre compte, il a déclaré que cela n'était pas tout à fait exact. Ces 75'000 parts représentaient en réalité la commission perçue par les époux R______/S______ pour le fait d'avoir fait acquérir aux époux M______/N______ les parts via leur portefeuille.

Selon le témoin, les 75'000 parts étaient toujours inscrites au nom de A______ SA dans les livres de la société J______. Les époux R______/S______ avaient décidé de faire inscrire ces parts au crédit du compte des époux M______/N______, car les performances de la gestion de fortune n'étaient pas très positives, voire négatives, et cela permettait d'améliorer la situation de leur portefeuille. D'après lui, les profits de l'ensemble de l'investissement de 825'000 USD étaient versés sur un seul compte de A______ SA auprès de Z______.

Sur question, le témoin n'a pas pu expliquer le second versement de 75'000 USD au regard de ses déclarations relatives à la commission perçue par les époux R______/S______. Il se souvenait d'un transfert de 750'000 USD, mais le second versement de 75'000 USD ne lui disait rien.

Il n'avait pas non plus connaissance d'un retrait de 75'000 USD effectué depuis le compte de M______ et reversé ensuite sur le compte A______ SA auprès de P______.

f. Dans leurs plaidoiries finales écrites, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives. Selon les consorts F__/D__/C__/G__/H__/E______, l'ensemble des 825'000 parts J______ avaient été achetées pour le compte des époux M______/N______. Subsidiairement, si l'on devait retenir que 75'000 part avaient été achetées par les époux R______/S______, ces parts avaient ensuite été transférées aux époux M______/N______, par intermédiaire de A______ SA, le 1er janvier 1998.

e. Dans le jugement attaqué, le Tribunal a retenu que les 75'000 parts litigieuses avaient été initialement acquises par les époux R______/S______ pour leur propre compte, mais que ces derniers les avaient ensuite, par contrat du 1er janvier 1998, transférées à A______ SA afin qu'elle les détienne pour le compte des époux M______/N______, à titre fiduciaire. Il en découlait que ces parts devaient aujourd'hui revenir aux consorts F__/D__/C__/G__/H__/E______.

 

EN DROIT

1. 1.1 Selon l'art. 308 al. 1 let. a CPC, l'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance.

Les décisions qui statuent sur une question préalable de droit matériel, par exemple sur l’une d’entre plusieurs conditions de fond d’une prétention, ne sont pas des décisions partielles, mais des décisions incidentes (ATF 136 II 165 consid. 1.1, JdT 2011 I 418; 135 II 30 consid. 1.3.1, JdT 2009 I 726; 134 II 137 consid. 1.3.2, JdT 2008 I 433; arrêt du Tribunal fédéral 4A_111/2015 du 20 octobre 2015 consid. 1.2).

Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

L'appel doit être écrit et motivé et introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision (art. 311 al. 1 CPC).

1.2 En l'espèce, la décision querellée étant limitée à la question de la propriété des 75'000 parts litigieuses, elle doit être qualifiée de décision incidente ouvrant la voie de l'appel.

Le jugement entrepris ayant été notifié le 7 mars 2023 à la société appelante selon le suivi des envois, son appel est formé en temps utile, compte tenu des féries judiciaires de Pâques (art. 145 al. 1 let. a CPC), par une partie qui y a un intérêt et contre une décision incidente rendue dans une cause dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr.

Par ailleurs, contrairement à l'avis des intimés, l'appel répond aux exigences de motivation dès lors qu'il expose de manière claire et précise, dans un chapitre "Griefs", la partie du raisonnement tenu par le Tribunal que l'appelante entend remettre en cause avant de développer ses propres arguments dans le chapitre "Droit et discussion". L'on comprend aisément que celle-ci reproche au Tribunal d'avoir considéré que les 75'000 parts litigieuses lui aient été transférées pour le compte des époux M______/N______.

L'appel est donc recevable.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2. L'appelante conteste avoir détenu les 75'000 parts litigieuses pour le compte des époux M______/N______. Elle reconnaît que ces parts lui ont été transférées le 1er janvier 1998, mais conteste que ce transfert ait été fait pour le compte des époux M______/N______.

2.1.1 Le mandat est le contrat par lequel le mandataire s'oblige, dans les termes de la convention, à gérer l'affaire dont il s'est chargé ou à rendre les services qu'il a promis (art. 394 al. 1 CO).

Le contrat de fiducie est un contrat par lequel une personne (le fiduciant) transfère un droit – propriété d'un bien ou d'une créance – à un autre (le fiduciaire), mais avec la charge de ne l'exercer qu'à une fin déterminée et de le retransférer à la demande du fiduciant, à l'échéance du rapport contractuel ou d'un terme convenu. Le fiduciant transfère un bien ou un droit mais, entre les parties, ce transfert est assorti d'un pacte obligeant le fiduciaire à exercer son droit en faveur du fiduciant. Celui-ci perd la titularité du droit, mais conserve contre le fiduciaire un droit personnel à la restitution (Tercier/Bieri/Carron, Les contrats spéciaux, 5ème éd., Genève-Bâle-Zürich 2016, nn. 4810 et 4811 p. 701).

Dans la convention de fiducie-gestion, le fiduciant transfère au fiduciaire les droits sur les biens ou les créances qui lui appartiennent. Le fiduciaire devient propriétaire de l'objet qui lui est remis ou titulaire de la créance qui lui est transférée. Toutefois, le transfert des droits s'accompagne d'un accord entre les parties qui détermine l'usage que le fiduciaire doit faire de ces droits. La convention de fiducie oblige le fiduciaire à conformer son activité, dans l'exercice de ces droits, au but fixé par le fiduciant. Elle détermine dans quelle mesure le fiduciaire est lié à des instructions ou agit de manière indépendante (ATF 85 II 97 consid. 1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_474/2014 du 9 juillet 2015 consid. 5.1 et les références citées).

Le patrimoine fiduciaire se caractérise ainsi par une dissociation entre la titularité juridique du patrimoine et son bénéficiaire économique. En d'autres termes, le titulaire juridique du bien transféré à titre fiduciaire est le fiduciaire alors que l'ayant droit économique est le fiduciant (Thévenoz, Patrimoines fiduciaires et exécution forcée in : Insolvence, désendettement et redressement, 2000, p. 345 ss, p. 356; arrêt du Tribunal fédéral 5A_189/2010 du 5 mai 2010 consid. 5.2.1).

Il est interdit au fiduciaire de s'approprier la valeur économique du bien fiduciaire (Winiger, in Commentaire romand I, 3ème éd., Bâle 2021, n. 118 ad art. 18 CO).

2.1.2 En présence d'un litige sur l'interprétation de clauses contractuelles, le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant, empiriquement sur la base d'indices, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO). Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté – écrites ou orales –, mais aussi le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat, des projets de contrat, de la correspondance échangée ou encore de l'attitude des parties après la conclusion du contrat, établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2; 140 III 86 consid. 4.1;
125 III 263 consid. 4c; arrêt du Tribunal fédéral 4A_643/2020 du 22 octobre 2021 consid. 4.2.1).

Ce n'est que si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties qu'il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre, c'est-à-dire conformément au principe de la confiance (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; 133 III 61 consid. 2.2.1; 132 III 268 consid. 2.3.2).

2.1.3 Le tribunal établit sa conviction par une libre appréciation des preuves administrées (art. 157 CPC). Il apprécie aussi librement leur force probante, selon son intime conviction (arrêt du Tribunal fédéral 4A_292/2022 du 22 décembre 2022 consid. 7.1.3).

En vertu de l'article 8 CC, chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit. La partie qui supporte le fardeau de la preuve selon l'art. 8 CC supporte donc en principe, également le fardeau de l'allégation objectif (ATF 143 III 1 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_560/2020 du 27 septembre 2021 consid. 5.1.1 et les références citées).

Selon la théorie des normes, il appartient à la partie demanderesse d'alléguer et prouver des faits générateurs de droits et d'obligations, et au défendeur pour ce qui est des faits destructeurs ou dirimants (ATF 144 III 519 consid. 5.2.1; 139 III 13 consid. 3.1.3.1; 130 III 321 consid. 3.1).

2.2 En l'espèce, l'appelante conteste que les 75'000 parts litigieuses lui aient été transférées le 1er janvier 1998 afin qu'elle les détienne pour le compte des époux M______/N______.

En premier lieu, elle soutient qu'une telle opération n'est juridiquement pas possible dès lors qu'un rapport fiduciaire, en l'occurrence entre A______ SA et les époux M______/N______, ne peut pas naître, selon elle, de la remise d'un bien par un tiers, soit des époux R______/S______.

Elle perd toutefois de vue l'objet et le but du contrat de fiducie conclu le 5 novembre 1993. Selon les termes de celui-ci, l'appelante devait non seulement détenir mais également gérer les avoirs détenus sur le compte "T______" pour le compte des époux M______/N______ et était expressément autorisée à accomplir tous les actes qu'elle jugeait nécessaire à la gestion desdits avoirs. A ce titre, elle pouvait dès lors acquérir les 75'000 parts litigieuses pour le compte de ses clients.

L'appelante reproche ensuite au Tribunal d'avoir déduit du seul fait que les 75'000 parts lui ont été transférées qu'elles l'aient été pour le compte des époux M______/N______. Il n'est cependant pas contesté qu'elle était le véhicule destiné à détenir les avoirs des époux M______/N______ à titre fiduciaire, selon la convention du 5 novembre 1993. Quoi qu'en dise l'appelante, le dossier ne contient aucun élément concernant d'autres activités qu'elle aurait menées et elle ne fournit aucune explication susceptible d'établir qu'elle aurait acquis lesdites parts à un autre titre. Partant, le rôle joué par A______ SA dans la gestion des avoirs des époux M______/N______ constitue un élément central, à juste titre pris en compte parmi d'autres par le Tribunal.

Par ailleurs, les parts litigieuses ont été placées sur le compte "T______", dont les époux M______/N______ étaient les ayants-droit économiques et spécifiquement ouvert pour gérer les avoirs de ces derniers. Aussi, à la suite du transfert desdites parts, les profits générés par l'ensemble des 825'000 titres ont été versés, indistinctement, sur un compte auprès de Z______ à AA______ [VD], dont seule M______ était bénéficiaire économique. Bien que l'appelante affirme que les parts J______ étaient réunies pour des seuls motifs de simplification, son argument ne convainc pas et ne trouve aucune assise dans le dossier. D'une part, on ne voit pas en quoi - et l'appelante ne l'explique pas - il aurait été plus compliqué de tenir deux comptes séparés. D'autre part, rien ne laisse supposer qu'une part des revenus versés sur le compte Z______ précité devait en réalité en être déduite et revenir à A______ SA pour ses prétendues 75'000 parts. Aucun décompte, ou tout autre document que ce soit en relation avec des discussions ou des calculs, ne permet de retenir qu'un quelconque partage des revenus devait intervenir en fonction de parts revenant à A______ SA. Celle-ci n'a d'ailleurs jamais émis la moindre prétention à cet égard, alors même qu'il ressort des pièces dossier que cet investissement était évalué à 1'760'000 USD en 2001.

A cela s'ajoute le fait que le témoin a indiqué que les 75'000 parts litigieuses avaient été transférées en faveur des époux M______/N______ afin d'améliorer la situation de leur portefeuille, ce qui tend à confirmer l'intention des parties à ce que ces parts reviennent à ces derniers.

En définitive, les griefs de l'appelante reposent sur sa seule et propre interprétation des faits, sans être étayée par des éléments probants, aucune des parties ayant participé au transfert du 1er janvier 1998 n'ayant en particulier pu être interrogée.

Au vu de ce qui précède, la décision du Tribunal, qui se fonde sur l'ensemble des éléments disponibles du dossier, dont le rôle de A______ SA dans la gestion des fonds des époux M______/N______ et la manière dont les titres ont été détenus et gérés, ne prête pas le flanc à la critique.

Il y a par conséquent lieu de retenir, avec le Tribunal, que les parties avaient l'intention de transférer les 75'000 parts litigieuses à l'appelante afin qu'elle les détienne pour le compte des époux M______/N______ à l'instar de l'autre lot de parts.

Enfin, dans un grief d'ordre procédural, l'appelante soutient que cette intention ne repose sur aucun allégué formulé de la part des intimés. Son grief tombe cependant à faux dès lors que les intimés ont tout au long de la procédure, tant dans leurs écritures introductives que dans leurs plaidoiries finales écrites, allégué que l'intégralité des titres J______ achetés par A______ SA l'avaient été pour le compte des époux M______/N______ et, subsidiairement, qu'ils avaient été transférés à ces derniers par l'intermédiaire de A______ SA, de sorte qu'ils devaient leur revenir. Aucun défaut d'allégation ne peut ainsi être retenu.

Infondé, l'appel sera rejeté.

3. Les frais de la procédure d'appel seront arrêtés à 8'000 fr. (art. 23 RTFMC), mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC), et entièrement compensés avec l'avance de frais fournie par cette dernière à hauteur de 10'800 fr., qui reste acquise à due concurrence à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC), les Services financiers du Pouvoir judiciaire seront invités à lui restituer le solde.

L'appelante sera, en outre, condamnée aux dépens d'appel des intimés, pris solidairement entre eux, arrêtés à 5'000 fr. (art. 84, 85 et 90 RTFMC, art. 20, 25 et 26 LaCC), débours compris, mais sans TVA compte tenu du domicile à l'étranger de la plupart d'entre eux (ATF 141 IV 344 consid. 4.1).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 21 avril 2023 par A______ SA EN LIQUIDATION contre le jugement JTPI/2743/2023 rendu le 28 février 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/18525/2016.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 8'000 fr., les met à la charge de A______ SA EN LIQUIDATION et dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance de frais fournie, qui reste acquise à due concurrence à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer le solde des frais en 2'800 fr. à A______ SA EN LIQUIDATION.

Condamne A______ SA EN LIQUIDATION à verser à C______, D______, E______, F______, G______ et H______, pris solidairement entre eux, la somme de 5'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX,
Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Camille LESTEVEN

 

 

 


 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt, qui ne constitue pas une décision finale, peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral, aux condition de l'art. 93 LTF.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.