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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4055/2013

ATA/957/2014 du 02.12.2014 ( EXPLOI ) , REJETE

Descripteurs : EXPLOITANT ; AUTORISATION D'EXPLOITER ; RETRAIT DE L'AUTORISATION ; CASIER JUDICIAIRE ; EXTRAIT DU CASIER JUDICIAIRE ; CONDAMNATION ; CRIME ; HONNEUR ; ORDRE PUBLIC(EN GÉNÉRAL) ; LIBERTÉ ÉCONOMIQUE ; PRINCIPE DE LA BONNE FOI
Normes : LRDBH.1.leta ; LRDBH.2 ; LRDBH.5.al1 ; LRDBH.8 ; LRDBH.16.al1.letf ; LRDBH.16.al1.letg ; LRDBH.25 ; LRDBH.70 ; Cst.9 ; Cst.5.al3 ; Cst.27 ; CP.157
Résumé : Le service du commerce (Scom) est fondé à constater la caducité de l'autorisation d'exploiter un dancing délivrée à un exploitant condamné pour usure, cette condamnation étant de nature à remettre en cause la condition d'honorabilité nécessaire au maintien de l'autorisation. Si le recourant le sollicite, le Scom devra toutefois examiner à nouveau la situation au terme du sursis et du délai d'épreuve.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4055/2013-EXPLOI ATA/957/2014

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 décembre 2014

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Thierry Sticher, avocat

contre

SERVICE DU COMMERCE

 



EN FAIT

1) Le 10 juillet 2006, le département de l’économie et de la santé, devenu depuis lors le département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé (ci-après : le département), a autorisé Monsieur A______ à exploiter le dancing à l’enseigne « B______ », sis au ______, chemin C______, Genève.

2) Le 18 janvier 2013, le service du commerce (ci-après : Scom) s’est adressé à l’intéressé.

Il était en possession de deux rapports de police d’où il ressortait qu’à deux reprises, le 9 avril puis le 19 mai 2012, des mineurs avaient eu accès au « B______ », ceci en violation de la législation.

Il envisageait de lui infliger une sanction mais lui accordait un délai au
1er février 2013 pour exercer son droit d’être entendu.

3) Le 30 janvier 2013, l’intéressé a répondu au Scom.

Le 9 avril 2012, deux mineures étaient en effet entrées dans l’établissement. Elles avaient prétexté ne pas avoir de pièces d’identité sur elles et indiqué avoir plus de 18 ans. Elles avaient en réalité 17 et 17 ans et demi. Elles étaient restées sur place environ ½ heure sans rien consommer. Le 19 mai 2012, un autre mineur était entré dans l’établissement. Dès lors que ce jeune homme semblait avoir plus de 18 ans, il n’avait pas eu besoin de présenter une pièce d’identité.

Il reconnaissait les faits qui lui étaient reprochés. Il fallait toutefois tenir compte du fait que le « B______ » n’organisait pas de spectacles de type strip-tease ou autre attraction de la même nature. En outre, depuis ces événements, la présentation de pièces d’identité était systématiquement requise. La police avait depuis effectué de nouveaux contrôles sans qu’aucune infraction ne soit constatée.

4) Par requête datée du 8 mai 2013 et déposée au guichet du Scom le 21 mai 2013, M. A______ a sollicité l’autorisation d’exploiter le cabaret-dancing « D______ », sis au ______, rue E______, 1201 Genève.

Il a annexé à cette requête un extrait de son casier judiciaire délivré par l’office fédéral de la justice le 10 mai 2013. Il ressortait de cet extrait, qu’il avait été condamné le 9 mars 2012 par le Ministère public à une peine pécuniaire de cent vingt jours-amende à CHF 50.-, avec sursis à l’exécution de la peine et délai d’épreuve de trois ans, ainsi qu’à une amende de CHF 1'500.-, pour usure au sens de l’art. 157 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

À teneur de l’ordonnance pénale du 9 mars 2012 versée à la procédure par l’intéressé, il lui a été reproché d’avoir, de 2005 au 8 décembre 2011, date de son audition par la police, sous-loué douze studios à des prostituées à un prix qualifié d’usuraire. Il avait perçu un bénéfice mensuel net de
CHF 9'632,50 en 2011.

La peine a été assortie du sursis, une peine ferme ne paraissant pas nécessaire pour détourner l’intéressé d’autres crimes ou délits.

Il sera pour le surplus fait référence au contenu de cette ordonnance pénale en tant que de besoin.

5) Le 27 mai 2013, le centre d’information et de documentation de la police judiciaire (ci-après : CID) a transmis au Scom, suite à sa demande, un extrait de ses fichiers.

Il en ressortait que l’intéressé avait occupé les services de police à quelques reprises entre 1990 et 2006. L’extrait en question portait la mention « préavis favorable » datée du 12 juin 2006.

6) Le 26 août 2013, le Scom a informé l’intéressé qu’il envisageait de rejeter sa requête du 8 mai 2013 concernant « D______ » et de constater la caducité de l’autorisation du 10 juillet 2006 concernant le « B______ ».

Il avait pris connaissance de la condamnation pénale pour usure dont il avait fait l’objet et avait été informé, par rapports de police des 13 avril et 28 juin 2012, qu’il avait toléré la présence de mineurs au sein de l’établissement qu’il exploitait.

Un délai au 9 septembre 2013 lui était accordé pour exercer son droit d’être entendu.

7) Le 3 septembre 2013, l’intéressé a répondu au Scom.

Il avait effectivement été condamné pour usure. Il ne comprenait toutefois pas de quelle manière cette affaire privée et isolée serait susceptible de l’empêcher de tenir un établissement public.

S’agissant de l’accès de mineurs dans son établissement, il avait déjà répondu au Scom le 30 janvier 2013. Les forces de l’ordre avaient procédé à un nouveau contrôle le 30 août 2013 sans constater la moindre infraction.

Les mesures envisagées pas le Scom étaient disproportionnées et sans fondement.

8) Le 25 septembre 2013, l’intéressé a interpellé le Scom, dont il attendait toujours la détermination.

9) Le 14 novembre 2013, l’intéressé a mis le Scom en demeure de donner suite à ses précédents courriers.

10) Le 22 novembre 2013, le Scom a rejeté la requête de l’intéressé tendant à l’octroi d’une autorisation d’exploiter « D______ » et constaté la caducité de l’autorisation d’exploiter le « B______ ».

Il avait pris connaissance de l’extrait de police délivré par le CID et de sa condamnation pour usure. Cette infraction, qui consistait à obtenir ou à se faire promettre une contre-prestation disproportionnée en exploitant la faiblesse de l’autre partie, présentait un lien direct avec l’activité d’exploitant, en particulier dans le cadre de l’exploitation de cabarets-dancings puisqu’il était susceptible de faire appel à des danseuses de cabaret.

Cette condamnation pénale mettait en cause sa capacité à exploiter un établissement public dans le respect de la loi, d’autant qu’elle était récente et grave. Il fallait en outre tenir compte du risque de récidive.

Le fait que l’infraction pour laquelle il avait été condamné avait porté sur un contrat de bail était sans pertinence, la jurisprudence ayant admis que l’honorabilité pouvait être niée sur la base d’infractions commises dans le cadre de rapports de droit privé.

Enfin, il avait l’année précédente autorisé la présence de mineurs dans son établissement.

11) Par acte posté le 16 décembre 2013, l’intéressé a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) concluant principalement, « sous suite de dépens », à son annulation. Il a sollicité des mesures provisionnelles tendant à l’octroi d’une autorisation provisoire d’exploiter « D______ ».

Il travaillait depuis plus de vingt ans dans la gestion de cabarets. Son comportement avait été irréprochable « si ce n’est certains événements ponctuels et isolés ». Dans sa décision, le Scom s’était référé aux éléments figurant dans l’extrait délivré par le CID. Or, ces éléments étaient sans pertinence car ils n’avaient donné lieu à aucune inculpation ou condamnation. La seule et première inscription qui figurait à son casier judiciaire était celle de l’usure, infraction pour laquelle il avait été condamné avec sursis près de deux ans avant la décision du Scom. Cette condamnation relevait en outre du droit privé et se fondait sur une ancienne jurisprudence. Il entendait, comme il l’avait toujours fait, se mettre en conformité avec la législation. Il n’avait en outre jamais eu de litige avec le personnel des établissements dont il avait été l’exploitant.

À chaque reproche des autorités, il avait toujours entrepris les mesures nécessaires pour y remédier, démontrant ainsi sa bonne foi et sa volonté d’être en règle avec la loi. Le Scom n’avait cependant, dans sa pesée des intérêts, pas tenu compte de cet élément qui jouait en sa faveur.

Sous l’angle de la proportionnalité, la caducité, soit la sanction la plus grave prévue par la loi, était une mesure trop incisive au regard notamment de l’écoulement du temps et de son comportement global. Ainsi, une absence de sanction ou éventuellement une sanction provisoire de moins de quatre mois de l’autorisation d’exploiter aurait été plus appropriée. Il en allait de même avec le refus d’autorisation d’exploiter « D______ ». En n’effectuant pas une pesée des intérêts prenant en compte l’ensemble des éléments et en se basant sur des faits sans pertinence ou déjà connus, le Scom avait mésusé de son pouvoir d’appréciation et était tombé dans l’arbitraire.

12) Le 6 janvier 2014, le Scom a conclu au rejet de la demande en mesures provisionnelles.

13) Le 8 janvier 2014, la présidence de la chambre administrative a rejeté la demande en mesures provisionnelles.

14) Le 31 janvier 2014, le Scom a conclu au rejet du recours, reprenant les arguments qu’il avait développés dans sa décision.

Contrairement à ce qu’avait indiqué le recourant, la décision du
22 novembre 2013 n’était pas fondée sur les événements mentionnés dans l’extrait de police délivré par le CID. Cette décision était uniquement fondée sur sa condamnation pour usure, laquelle devait être qualifiée de grave. Cette condamnation était en lien avec son activité d’exploitant et elle mettait, à elle seule, en cause son honorabilité.

Il n’y avait pas lieu de tenir compte de l’écoulement du temps puisque seulement vingt-deux mois s’étaient écoulés depuis sa condamnation.

15) Le 31 mars 2014, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

a. Le recourant a informé le juge délégué qu’il modifiait ses conclusions en ce sens qu’il renonçait à sa demande d’exploiter « D______ ». Il ne recourait plus que contre la caducité de son autorisation d’exploiter le « B______ ».

Il n’avait, à l’époque, pas recouru contre l’ordonnance pénale le condamnant pour usure car il ne pensait que cette affaire prendrait autant d’importance. À l’origine, il avait loué les studios en question pour y loger son personnel lorsqu’il exploitait un cabaret à la rue F______. Les prostituées s’étaient adressées à lui lorsqu’elles avaient appris que les studios étaient vides. Il était encore détenteur des baux des studios qu’il sous-louait toujours, sur la base de contrats oraux, à des prostituées.

b. La représentante du Scom a indiqué que ce dernier persistait dans sa décision relative à la caducité de l’autorisation d’exploiter le « B______ ». Cette décision était fondée sur la condamnation pour usure, les rapports de police relatifs à la présence de mineurs dans l’établissement n’ayant pas été déterminants.

Le Scom prononçait rarement la caducité d’une autorisation d’exploiter au motif d’une perte de l’honorabilité. Il avait été amené à le faire s’agissant du recourant en raison du lien entre l’infraction et son activité, de sa gravité et du risque de récidive. Même si le « B______ » était exploité comme un dancing, le problème subsistait en raison du lien potentiel entre le monde de la prostitution et celui des dancings ou des cabarets.

La condamnation du 9 mars 2012 avait été prononcée avec sursis mais cet élément n’avait pas d’incidence sur l’appréciation faite par le Scom quant au risque de récidive.

La procédure administrative avait duré le temps nécessaire pour obtenir les pièces utiles à l’instruction du dossier et pour permettre à le recourant d’exercer son droit d’être entendu.

16) Le 8 mai 2014, le recourant a persisté dans ses conclusions principales. Subsidiairement, il a conclu à la réforme de la décision du 22 novembre 2013, en ce sens « qu’en lieu et place de la caducité de l’autorisation d’exploitation d’un cabaret-dancing pour l’établissement " B______ ", cette dernière [soit] remplacée par une autorisation d’exploitation d’un dancing ».

De l’aveu même du Scom, seule sa condamnation pour usure était à l’origine de la caducité de son autorisation. Or, il n’existait aucune connexité entre cette condamnation et l’exploitation du « B______ » qui n’était qu’un dancing classique ne proposant pas de spectacles tels des strip-teases, des danseuses de cabaret ou des entraîneuses.

À propos du risque de récidive, le Scom avait outrepassé ses pouvoirs et bafoué plusieurs principes constitutionnels. Le Ministère public avait prononcé le sursis en raison du faible risque de récidive. Il ne revenait pas au Scom de revoir cette appréciation. En le faisant dans sa décision, ce service avait violé le principe ne bis in idem.

S’agissant de l’honorabilité et du principe de proportionnalité, il a renvoyé à ses précédentes écritures.

17) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant ne contestant plus le rejet de sa requête du 8 mai 2013 tendant à l’octroi d’une autorisation pour exploiter « D______ », son recours ne porte plus que sur la caducité de l’autorisation délivrée le 10 juillet 2006 pour exploiter le « B______ ».

3) Le litige porte sur la question de savoir si le recourant remplit la condition d’honorabilité exigée par la loi sur la restauration, le débit de boissons et l’hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21) pour exploiter un dancing.

4) La LRDBH régit notamment l’exploitation à titre onéreux d’établissements voués à la restauration et au débit de boissons à consommer sur place (art. 1 let. a).

5) Font notamment partie des établissements visés les dancings (art. 16 al. 1 let. f) et les cabarets-dancings (art. 16 al. 1 let. g).

a. À plusieurs reprises dans leurs écritures respectives, les parties ont présenté le « B______ » comme un cabaret-dancing. Dans sa décision du 22 novembre 2013 et dans ses observations du 31 janvier 2014, le Scom a ainsi indiqué que l’autorisation délivrée au recourant le 10 juillet 2006 lui avait permis d’exploiter le cabaret-dancing le « B______ ». Dans son écriture du 8 mai 2014, le recourant a, de son côté, subsidiairement conclu à la réforme de la décision litigieuse et proposé qu’en lieu et place de la caducité de l’autorisation d’exploiter le cabaret-dancing le « B______ », cette autorisation soit remplacée par une autorisation d’exploiter un dancing.

b. L’autorisation délivrée le 10 juillet 2006 par le Scom qualifie toutefois le « B______ » de dancing et non de cabaret-dancing. Les dispositions légales relatives aux conditions d’exploitation de cet établissement figurant dans cette autorisation (par exemple les art. 17 al. 1 let. f et 18 let. f LRDBH) sont en outre celles applicables aux dancings et en aucun cas aux cabarets-dancings.

c. La décision du Scom du 22 novembre 2013 portait ainsi sur la caducité d’une autorisation d’exploiter un dancing et non un cabaret-dancing.

6) La LRDBH a pour but d’assurer qu’aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l’ordre public, en particulier la tranquillité, la santé et la moralité publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant, ainsi qu’en raison de sa construction, de son aménagement, de son implantation (art. 2 al. 1). Toute autorisation prévue par la LRDBH ne peut être délivrée que si le but énuméré à l’al. 1 est susceptible d’être atteint (art. 2 al. 2).

Selon l’art. 5 al. 1 let. d LRDBH, une autorisation d’exploiter un établissement soumis à la loi est délivrée à condition notamment que le requérant offre, par ses antécédents et son comportement, toute garantie que l’établissement soit exploité conformément aux dispositions de la LRDBH et aux prescriptions en matière de police des étrangers, de sécurité sociale et de droit du travail.

L’art. 8 LRDBH prévoit que l’autorisation d’exploiter est caduque, notamment lorsque les conditions de son octroi ne sont plus remplies, à moins que cette situation ne justifie sa suspension ou son retrait (al. 1 let. c). Le département, soit pour lui le Scom, constate par décision la caducité de l’autorisation (al. 2 et art. 1 al. 2 du règlement d’exécution de la LRDBH du 31 août 1988 - RRDBH - I 2 21.01).

S’agissant de la condition d’honorabilité telle qu’elle découle de l’art. 5 al. 1 let. d LRDBH, il ressort des travaux préparatoires que « cette condition est rédigée de façon à permettre une appréciation nuancée de l’honorabilité requise en fonction du genre d’établissement que le requérant entend exploiter ; elle met l’accent sur les principales matières dans lesquelles le requérant doit présenter toute garantie » (MGC 1985 35/III 4240 ; ATA/600/2014 du 29 juillet 2014 consid. 7a et la jurisprudence citée).

L’art. 7 RRDBH prévoit que le Scom sollicite une enquête de police aux fins de s’assurer que le requérant répond aux conditions énumérées à l’art. 5 al. 1 let. d LRDBH.

7) La chambre de céans s’est prononcée à plusieurs reprises sur la condition d’honorabilité telle qu’elle figure à l’art. 5 al. 1 let. d LRDBH.

a. Par arrêt du 6 juin 2000, le Tribunal administratif, devenu entretemps la chambre administrative, a confirmé un refus d’autorisation d’exploiter à une personne qui avait été condamnée à une peine d’emprisonnement d’une durée de trois mois, avec sursis pendant trois ans, pour des actes d’ordre sexuel qui s’étaient déroulés dans le propre établissement public alors exploité par l’intéressé, et qui remontaient à 1998 (ATA/377/2000 du 6 juin 2000).

b. Dans un autre cas, le Tribunal administratif a confirmé un refus d’autorisation d’exploiter à une personne qui s’était vu reprocher le développement d’un trafic de produits stupéfiants dans lequel l’intéressée avait servi d’intermédiaire. Le tribunal a estimé que ces faits ne permettaient pas de poser un pronostic favorable à sa capacité de diriger de manière conforme à la loi un établissement public (ATA/294/2001 du 8 mai 2001).

c. Dans un autre arrêt, le Tribunal administratif a considéré que l’exploitant, condamné pour deux escroqueries à une assurance sociale à la peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis pendant cinq ans, ne présentait plus le caractère d’honorabilité imposé par la loi (ATA/369/2001 du 29 mai 2001).

d. Le Tribunal administratif a également statué sur le cas d’une personne ayant été condamnée à deux mois d’emprisonnement avec sursis pendant deux ans pour avoir vendu un véhicule automobile qui ne lui appartenait pas. Tout en ayant confirmé le refus de l’autorisation d’exploiter, le tribunal a estimé qu’il y avait lieu de tenir compte de l’écoulement du temps, et il a précisé que, pour autant que l’intéressée ne commette pas de nouvelle infraction, elle devrait être autorisée à exploiter un établissement public si elle déposait une nouvelle demande au début de l’année 2005, soit deux ans après sa condamnation pénale (ATA/272/2004 du 30 mars 2004).

e. Dans un cas où le recourant avait fait l’objet de nombreuses plaintes et dénonciations pénales depuis 1989 et avait été condamné à cinq reprises, une plainte pénale étant encore en cours d’instruction, le Tribunal administratif a considéré que le recourant n’était pas à même d’exploiter un établissement public dans le respect du cadre fixé par la LRDBH, puisqu’il avait fait l’objet de quatorze rapports de dénonciation pendant l’été 2000, puis de deux amendes administratives d’un montant très élevé, et enfin de la suspension de son certificat de cafetier pour avoir servi de prête-nom. Il ne remplissait donc pas la condition d’honorabilité (ATA/552/2004 du 15 juin 2004).

f. Le Tribunal administratif a confirmé qu’une requérante ayant été condamnée, deux ans avant le dépôt de sa requête, à deux mois d’emprisonnement avec sursis pendant trois ans pour abus de confiance, vol au préjudice de son employeur et d’une collègue et induction de la justice en erreur, ne présentait pas le caractère d’honorabilité exigé par la loi (ATA/733/2004 du 21 septembre 2004).

g. Une personne ayant été condamnée par le passé à une amende de CHF 1'000.- pour lésions corporelles simples et ayant fait l’objet de deux plaintes à la suite de bagarre, sans que ces procédures n’aboutissent à des condamnations, répondait encore aux exigences d’honorabilité lui permettant d’obtenir l’autorisation sollicitée (ATA/205/2005 du 12 avril 2005).

h. Le Tribunal administratif a considéré que le requérant ne remplissait pas la condition d'honorabilité dans un cas où l’intéressé avait produit, lors de la requête en délivrance de l'autorisation, un contrat de travail signé par son épouse en lieu et place de l'employeur (ATA/707/2005 du 25 octobre 2005).

i. Dans des arrêts du 29 juillet 2014, la chambre administrative a confirmé des refus d’autorisation d’exploiter opposés à un même exploitant pour deux cafés-restaurants différents (ATA/600/2014 et ATA/599/2014 du 29 juillet 2014). La condition d’honorabilité n’était pas remplie, le requérant ayant été condamné à deux reprises : une première fois à une peine pécuniaire de vingt-trois jours-amande à CHF 60.-, avec sursis à l’exécution de la peine et délai d’épreuve de trois ans, ainsi qu’à une amende de CHF 300.- pour avoir violé les règles de la circulation routière en qualité de conducteur dans l’incapacité de conduire un véhicule automobile avec un taux d’alcool qualifié ; une seconde fois, à une peine pécuniaire de deux cents jours-amende à CHF 50.- avec sursis à l’exécution de la peine et un délai d’épreuve de trois ans ainsi qu’à une amende de CHF 2'500.-, pour complicité de faux dans les titres.

8) Dans un cas où la gendarmerie avait constaté à trois reprises, fin 2010 et début 2011, que la personne intéressée avait vendu des boissons alcoolisées dans son commerce au-delà des heures autorisées - infractions ayant été sanctionnées par deux décisions de fermeture, de respectivement quatre jours et un mois, sans avoir été précédées d’un avertissement préalable - la chambre administrative a considéré que lesdites infractions ne constituaient pas des antécédents suffisamment graves pour admettre que l’intéressée ne remplissait plus la condition d’honorabilité exigée par l’art. 6 let. c de la loi sur la vente à l'emporter des boissons alcooliques du 22 janvier 2004 (LVEBA - I 2 24 ; ATA/291/2012 du 8 mai 2012).

9) La chambre administrative a également eu l’occasion de se prononcer sur la condition d’honorabilité en lien avec l’application de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49 ; ATA/747/2012 du 30 octobre 2012).

a. Il ressort des travaux préparatoires liés au projet de loi sur la prostitution que la « garantie d'honorabilité concernant la sphère d'activité envisagée ( ) implique une appréciation nuancée au vu de la production d'un extrait du casier judiciaire et des renseignements de police, aux fins de vérifier l'honorabilité de la personne visée, et cela même en l'absence de condamnation pénale ou de condamnation radiée, à l'instar d'autres clauses d'honorabilité prévues par la législation » (MGC 2008-2009/VII A 8667 ; ATA/747/2012 précité).

b. Précisant la notion d'honorabilité, le Conseil d'État s’est référé dans l’exposé des motifs précités (MGC 2008-2009/VII A 8667) à l'art. 5 al. 1 let. d LRDBH. Cet article fixe les conditions relatives à l'obtention de l'autorisation d'exploiter un établissement destiné à la restauration ou à l'hébergement (ATA/747/2012 précité).

c. Le gouvernement fait également référence à l'art. 8 al. 1 let. d de la loi concernant le concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (CES  - I 2 14 ; MGC 2008-2009/VII A 8667). Cette disposition exige, s'agissant de l'autorisation d'exploiter une entreprise de sécurité, que l'exploitant offre, par ses antécédents, par son caractère et son comportement, toute garantie d'honorabilité concernant la sphère d'activité envisagée (ATA/747/2012 précité).

d. Dans la définition de la notion d'honorabilité, il s'agit avant tout de déterminer si le comportement de l'exploitant est compatible avec l'activité envisagée. De jurisprudence constante, dans des cas d'autorisation d'exploiter une entreprise de sécurité, la chambre de céans a considéré qu'il faut tenir compte dans l'examen du comportement de « l’importance des infractions commises, cas échéant des actes litigieux, de la nature de l’atteinte portée et de la sphère d’intérêts touchée. En règle générale, le fait de commettre des actes de violence justifie le refus d’autorisation de travailler en qualité d’agent de sécurité privée ou le retrait de l’autorisation déjà délivrée. Seules des circonstances particulières, comme une activité professionnelle sans reproche pendant de nombreuses années, peuvent permettre de s’écarter de cette règle. L’analyse de la jurisprudence du Tribunal administratif montre aussi qu’il a tenu compte de la répétition éventuelle des faits reprochés à l’intéressé » (ATA/747/2012 précité ; ATA/419/2006 du 26 juillet 2006 ; ATA/68/2006 du 7 février 2006 ; ATA/972/2004 du 14 décembre 2004).

10) Selon l'art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la liberté économique est garantie (al. 1) ; elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). Cette liberté protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 131 I 333 et les références citées). Toute activité lucrative privée exercée à titre professionnel, qui vise à l’obtention d’un gain ou d’un revenu, bénéficie de la garantie de la liberté économique (ATF 117 Ia 440 ; 116 Ia 118, ATA/500/2001 du 7 août 2001). La protection de l’art. 27 Cst. s’étend non seulement aux indépendants, mais encore aux employés salariés lorsqu’ils sont atteints dans leurs droits juridiquement protégés (ATF 112 Ia 318, 319).

11) Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aujourd’hui aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATA/211/2014 du 1er avril 2014 et les références citées).

Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration (ATF 131 II 627 consid. 6.1 p. 637 ; 129 I 161 consid. 4.1 p. 170 ; 128 II 112 consid. 10b/aa p. 125 ; 126 II 377 consid. 3a p. 387 et les arrêts cités).

12) En l’espèce, il s’agit de déterminer si, dans le cadre de la liberté d’appréciation qui lui revient, le Scom a fait bon usage des renseignements résultant de l’extrait du casier judiciaire fourni par le recourant pour déterminer si celui-ci remplissait toujours la condition d’honorabilité exigée par la LRDBH pour exploiter un dancing.

a. Il ressort de son casier judiciaire que le recourant a été condamné le 9 mars 2012 à une peine pécuniaire de cent vingt jours-amende à CHF 50.-, avec sursis à l’exécution de la peine et délai d’épreuve de trois ans, ainsi qu’à une amende de CHF 1'500.-, pour usure. Selon l’ordonnance pénale du 9 mars 2012, versée à la procédure par le recourant lui-même, il lui a été reproché d’avoir, de 2005 au 8 décembre 2011, sous-loué douze studios à des prostituées à un prix qualifié d’usuraire. Il avait perçu, en 2011, un montant mensuel net de CHF 9'632,50 à titre de bénéfice.

b. L’infraction pour laquelle le recourant a été condamné en 2012, à savoir l’usure, est un crime (art. 10 al. 2 et 157 al. 1 CP). Il s’agit d’une infraction contre le patrimoine qui consiste à exploiter la gêne, la dépendance, l’inexpérience ou la faiblesse de la capacité de jugement d’une personne en se faisant accorder ou promettre par elle, pour lui-même ou pour un tiers, en échange d’une prestation, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec celle-ci sur le plan économique. La condamnation du recourant est propre à remettre en cause la condition d’honorabilité, puisqu’en sa qualité d’exploitant d’un établissement public, il est appelé à entretenir avec sa clientèle, ses fournisseurs et ses employés des relations commerciales. Il est en outre amené à établir de nombreux documents nécessaires à la gestion administrative de l’établissement, qu’il s’agisse des salaires, de la comptabilité ou du bilan, et tenir à jour divers registres, s’agissant par exemple du contrôle du personnel (art. 25 LRDBH). Or, une condamnation pour usure est de nature à rompre la confiance qu’un exploitant doit être à même de susciter vis-à-vis des autorités. Dans le cadre de son activité, il n’est enfin pas exclu qu’il entre en contact avec des personnes, notamment parmi ses clients ou son personnel, dans la gêne, la dépendance, l’inexpérience ou la faiblesse de la capacité de jugement.

c. Le recourant relève que, actif depuis plus de vingt ans dans la gestion de cabarets, son comportement a été irréprochable « si ce n’est certains événements ponctuels et isolés ». Outre que l’infraction pour laquelle il a été condamné suffit à elle seule à mettre à néant la condition d’honorabilité, il ressort de deux rapports de police que, postérieurement à la condamnation pénale dont il a fait l’objet, soit les 9 avril et 19 mai 2012, des mineurs ont eu accès à l’établissement dont il assure l’exploitation. Qu’il ait, suite à ces événements, pris les mesures propres à empêcher à nouveau l’accès du dancing à des mineurs n’a rien d’exceptionnel, un comportement respectueux des lois étant attendu de tous les citoyens.

13) Le recourant considère qu’il n’y a pas de lien de connexité entre sa condamnation pénale, laquelle relevait de rapports de droit privé, et son activité professionnelle.

La condamnation dont le recourant a fait l’objet ne repose en effet pas sur des faits répréhensibles commis par lui dans l’exercice de son activité d’exploitant du dancing. C’est d’ailleurs précisément pourquoi il n’a pas fait l’objet d’une sanction administrative, au sens des art. 70 ss LRDBH, dispositions qui permettent notamment à l’autorité de suspendre ou de retirer l’autorisation d’exploiter en cas d’infraction à la LRDBH. Le lien de connexité existe par contre bel et bien entre sa condamnation, la condition d’honorabilité et la caducité de l’autorisation d’exploiter. Dès lors que, comme cela vient d’être examiné, sa condamnation a remis en cause l’honorabilité du recourant dans une mesure telle que cette condition nécessaire au maintien de l’autorisation d’exploiter n’était plus remplie, le Scom ne pouvait que constater la caducité de cette dernière.

14) Dans sa décision du 22 novembre 2013 le Scom a ainsi correctement apprécié les faits qui l’ont conduit à constater la caducité de l’autorisation d’exploiter le « B______ ». Il reviendra toutefois au Scom, si le recourant le sollicite, d’examiner la situation au terme du sursis et du délai d’épreuve fixé à trois ans par le Ministère public dans son ordonnance pénale du 9 mars 2012.

15) La décision du Scom est conforme au principe de la proportionnalité. Elle est en effet la seule mesure apte à empêcher le recourant de continuer à exploiter le dancing suite à la disparition de la condition d’honorabilité. Elle n’est pas constitutive d’une atteinte excessive à sa liberté économique, car elle ne lui interdit pas toute activité économique, étant précisé que, comme cela ressort de l’ordonnance pénale, il est au bénéfice d’une rente AVS.

16) Le recourant se prévaut enfin du principe ne bis in idem, lequel interdit de poursuivre deux fois la même personne pour les mêmes faits, pour autant que les procédures soient dirigées contre la même personne, qu’elle sanctionne le même comportement condamnable et vise les mêmes biens juridiquement protégés (ATA/147/2014 du 11 mars 2014 consid. 10 ; ATA/127/2011 du 1er mars 2011 consid. 10 et les références citées).

Dans le cas d’espèce, le recourant a été condamné pénalement par le Ministère public pour usure dans le cadre de rapports privés relatifs à la sous-location de studios à des prostituées. Le Scom a quant à lui constaté que cette condamnation remettait en cause son honorabilité dans le cadre de son activité d’exploitant d’un établissement public.

Dans le premier cas, c’est son comportement pénalement répréhensible qui est en cause alors que dans le second c’est la disparition d’une condition nécessaire à l’autorisation d’exploiter un dancing qui l’est. Le fait que le recourant soit à la fois locataire des studios qu’il sous-loue et exploitant d’un dancing n’interdit pas qu’il soit puni pénalement pour usure puis qu’il perde, suite à cette condamnation, l’autorisation d’exploiter un dancing du fait qu’une des conditions nécessaires à cette autorisation n’est plus remplie au sens de la LRDBH.

Ce grief sera donc écarté.

17) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

18) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera lui allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 décembre 2013 par Monsieur A______ contre la décision du service du commerce du 22 novembre 2013 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il ne lui est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Thierry Sticher, avocat du recourant, ainsi qu'au service du commerce.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :