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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2077/2003

ATA/272/2004 du 30.03.2004 ( JPT ) , REJETE

Descripteurs : LIBERTE DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE; RESTAURANT; EXPLOITANT; LIBERTE ECONOMIQUE; PROPORTIONNALITE; INFRACTION; JPT
Normes : CST.27; CST.36 al.13; LCBVM.10 al.1 litt.a; RRDBH.7; LRDBH.5; LRDBH.21; LRDBH.22
Résumé : Condamnation pour abus de confiance non radiée dans le casier judiciaire. Les mesures dites de "police" prévue par la LRDBH peuvent valablement restreindre la liberté économique de la recourante. Refus d'exploiter confirmé.
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 30 mars 2004

 

 

 

dans la cause

 

 

Madame ________W___________

représentée par Me Jean-Marc Froidevaux, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

DÉPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SÉCURITÉ

 



EN FAIT

 

 

1. Née le ___________1966, Madame ____________W___________ est domiciliée dans le canton de Genève.

 

2. Le 19 décembre 2002, le département de justice, police et sécurité (ci-après : le DJPS) lui a délivré un certificat de capacité en application de l'article 5 lettre c de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21).

 

3. Par requête datée du 15 juillet 2003 et reçue au service d'autorisations et patentes (ci-après : le SAP) le lendemain, Mme W_________ a demandé l'autorisation d'exploiter l'établissement "________" sis _________, à Genève.

 

Il ressort des documents déposés par la requérante que le 7 février 2003, elle avait été condamnée par le juge d'instruction de l'arrondissement de la Côte, siégeant à Morges (canton de Vaud), à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans pour avoir vendu un véhicule automobile, objet d'un contrat de prêt-bail, tout en sachant qu'un tel acte était illicite, puisqu'elle avait été entendue par la gendarmerie du canton de Vaud sur ce point précisément peu avant la transaction.

 

4. Le 24 septembre 2003, le DJPS a refusé l'autorisation d'exploiter un café-restaurant à Mme W___________ au motif que celle-ci ne présentait pas les garanties suffisantes pour exploiter un établissement public au sens de l'article 5 alinéa premier lettre d LRDBH.

 

5. Par recours remis à une succursale de l'entreprise "La Poste" le lundi 27 octobre 2003, Mme W___________ s'est pourvue contre la décision du DJPS, reçue le 26 septembre 2003, dont elle demande l'annulation. Elle conclut encore à ce que l'autorisation litigieuse lui soit délivrée, le tout avec suite de frais et dépens.

Mme W___________ reconnaissait avoir fait l'objet d'une ordonnance de condamnation le 7 février 2003. Elle ignorait que le véhicule, objet du contrat de prêt-bail, avait été acquis par M. _________W___________, dont elle avait divorcé entre-temps par jugement du 14 juillet 2003, et que cette voiture était ainsi insaisissable.

 

6. Le 1er décembre 2003, le DJPS a répondu au recours. Il conclut à son irrecevabilité, car l'association "______", propriétaire du fonds de commerce de l'établissement à l'enseigne "_____ " avait désigné dans l'intervalle un nouvel exploitant. Au fond, l'autorité intimée conclut au rejet du recours, car l'intéressée ne remplissait pas la condition d'honorabilité de l'article 5 alinéa premier lettre d LRDBH.

 

7. Le 5 décembre 2003, le Tribunal administratif a interpellé Mme W___________ pour savoir si son recours avait encore un objet, l'établissement ayant été repris par un autre exploitant.

 

8. Le 6 janvier 2004, Mme W___________ a informé le tribunal que l'établissement "L_________" n'était pas ouvert et que le responsable de l'association propriétaire du fonds de commerce entendait lui en confier l'exploitation pour autant qu'elle y soit autorisée.

 

9. Le 13 janvier 2004, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Déposé le lundi 27 octobre 2003 et dirigé contre une décision reçue le 26 septembre de la même année, le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56 a de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 17 al. 3 et 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. La LRDBH est entrée en vigueur le 1er janvier 1989.

a. L'article 5 de cette loi n'a pas été modifié depuis l'approbation de l'ensemble du texte légal. Il fixe les conditions relatives à la personne de l'exploitant d'un établissement public. Selon la lettre d de l'alinéa premier de cette disposition, l'exploitant doit offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie que l'établissement soit exploité conformément aux dispositions de la loi et aux prescriptions en matière de police des étrangers, de sécurité sociale et de droit du travail. Outre ces premières obligations, l'exploitant doit encore gérer de façon personnelle et effective l'établissement visé et doit s'occuper à y maintenir l'ordre, en prenant toute mesure utile à cette fin (art. 21 et 22 LRDBH; ATA P. du 29 mai 2001, cause n° A/1264/2000 et ATA U. du 7 décembre 1999).

 

b. Selon l'article 7 du règlement d'exécution de la LRDBH du 31 août 1988 (RDBH - I 2 21.01), le département procède à une enquête de police aux fins de s'assurer que le requérant réponde aux conditions énumérées à l'article 5 de la loi. En application de cette disposition, le département consulte les fichiers de la police et examine le respect des conditions prévalant à la délivrance d'un certificat de bonne vie et moeurs.

 

3. Selon l'article 10 alinéa premier lettre a) de la loi sur les renseignements et dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et moeurs du 29 septembre 1977 (LCBVM - F 1 25), le certificat de bonne vie et moeurs est refusé à celui dont le casier judiciaire contient une condamnation non radiée à une peine privative de liberté. L'autorité compétente apprécie librement, eu égard aux circonstances, si certaines condamnations de peu de gravité peuvent ne pas être retenues. Il peut en être de même des condamnations en raison d'une infraction non intentionnelle.

 

En l'espèce, la recourante a été condamnée pour abus de confiance, ayant vendu un véhicule acquis par son ex-époux au moyen d'un prêt-bail. Cette condamnation du 7 févrierr 2003 a été inscrite au casier judiciaire central et n'est pas radiée. L'intéressée n'obtiendrait donc pas de certificat de bonne vie et moeurs.

 

4. Reste à déterminer si, dans le cadre de la liberté d'appréciation qui lui revient, l'autorité intimée a fait bon usage des renseignements qu'elle a requis de la police.

 

5. La recourante est titulaire de la liberté économique garantie par l'article 27 de la Constitution du 18 avril 1999 (Cst - RS 101). Elle a donc le droit fondamental d'exercer une activité tendant à la production d'un gain ou d'un revenu, que ce soit à titre indépendant ou dépendant. Le canton concerné peut toutefois adopter des mesures restrictives en matière de liberté économique, notamment des mesures dites "de police". Celles-ci ne sont conformes à la Constitution que pour autant qu'elles se fondent sur une base légale, sont justifiées par un intérêt public et respectent le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 et 3 Cst).

 

a. La première condition est remplie, la législation et la réglementation cantonales prévoyant des restrictions à la liberté d'exploiter un établissement public, même lorsque le requérant est titulaire de la patente nécessaire. S'agissant de l'intérêt public, il prend, en matière de restrictions de police, la forme limitée de la protection de l'ordre public, c'est-à-dire la protection de la tranquillité, de la sécurité, de la santé ou de la moralité publiques, de même que de la bonne foi en affaires (cf. sur ce point ATF 125 I 322 consid. 3a p. 326; 109 Ib 285 consid. 4d et 5 p. 297 ainsi que A. AUER, G. MALINVERNI, M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, Berne 2000, p. 350 et ss).

 

b. La juridiction de céans s'est prononcée à plusieurs reprises sur la question de l'application de l'article 5 alinéa premier lettre d LRDBH.

 

Le 30 mai 2000, elle a rejeté un recours contre un refus d'autorisation d'exploiter un établissement public au motif que la personne concernée faisait alors l'objet d'une procédure pénale qui avait débuté trois ans auparavant et qui était alors toujours en cours. Elle avait été inculpée d'abus de confiance et de gestion déloyale (art. 138 et 158 CP), le préjudice total pouvant alors se monter à plusieurs centaines ou de milliers de francs (ATA T. du 30 mai 2000, cause n° A/1236/1998).

 

Le 6 juin 2000, la même juridiction a confirmé un refus d'autorisation d'exploiter des établissements publics à une personne qui avait précédemment fait l'objet de plusieurs rapports de police pour des infractions à la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01) ainsi que pour des lésions corporelles simples, ayant débouché dans deux cas sous des condamnations inscrites au casier judiciaire. Ultérieurement, soit à peine plus d'un an avant l'arrêt du Tribunal administratif, la même personne avait encore été reconnue coupable d'infractions à l'article 187 CP, qui réprime les actes d'ordre sexuels avec des enfants. L'intéressée avait alors été condamnée à une peine d'emprisonnement d'une durée de trois mois assortie du sursis pour une durée de trois ans. Les faits en question s'étaient déroulés dans la cave de l'établissement public alors exploité par un condamné (ATA B.J. du 6 juin 2000; cause n°s A/1207-1208-1209/1999).

 

Dans un troisième cas, le Tribunal administratif a confirmé un refus d'autorisation d'exploiter un établissement public à une personne qui avait exploité précédemment une entreprise du même genre, qui avait dû être fermée en raison du développement d'un trafic de produits stupéfiants, à l'occasion duquel la police avait saisi des enveloppes et un porte-monnaie de même que des liasses de billets cachés à différents endroits dans le bar. L'implication de l'intéressée dans un trafic de stupéfiants pour lequel elle avait reconnu servir d'intermédiaire ne permettait pas de penser qu'elle serait à nouveau capable de diriger de manière conforme à la loi un établissement public (ATA H. du 8 mai 2001, cause n° A/894/2000).

 

Enfin, dans un arrêt du 29 mai 2001, le Tribunal administratif a considéré que le recourant, condamné pour deux escroqueries à une assurance sociale à la peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis pendant 5 ans ne présentait plus le caractère d'honorabilité que requiert la loi (ATA P. précité).

 

En l'espèce, la recourante a été condamnée pour une infraction à caractère patrimonial, dans le cadre particulier de relations entre époux, qui divorcèrent ultérieurement.

 

Cette infraction était d'une gravité moindre que les faits reprochés aux personnes concernées dans les arrêts précités les 30 mai 2000 et 29 mai 2001; un tel acte est néanmoins de nature à éclairer défavorablement la capacité de l'intéressée à conduire un établissement public de manière conforme à la LRDBH. Une mesure restrictive est dès lors envisageable.

 

Seule la mesure litigieuse est en outre propre à atteindre le but visé par la loi. Elle a un caractère de police incontestable. Enfin, elle n'interdit pas à la recourante toute activité lucrative, de sorte qu'elle est conforme au principe de la proportionnalité.

 

Toutefois, comme l'autorité intimée l'a déjà fait dans le passé, il y a lieu de tenir compte également de l'écoulement du temps (Cf. à ce sujet ATA P. précité), considérant que pour autant que la recourante ne commette pas de nouvelle infraction, elle devrait être autorisée dans le futur à exploiter un établissement public. Il appartiendra au DJPS, si l'intéressée dépose une nouvelle demande d'autorisation au début de l'année 2005 - soit deux ans après sa condamnation pénale - de procéder à un nouvel examen complet de la situation.

 

6. Mal fondé, le recours doit être rejeté.

 

Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe. Elle n'a en outre pas droit à une indemnité.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 27 octobre 2003 par Madame ____W___________ contre la décision du département de justice, police et sécurité du 24 septembre 2003;

 

au fond :

 

le rejette;

 

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité;

 

communique le présent arrêt à Me Jean-Marc Froidevaux, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de justice, police et sécurité.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin et Schucani, Mmes Hurni et Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président :

 

M. Tonossi F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega