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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1207/1999

ATA/377/2000 du 06.06.2000 ( JPT ) , REJETE

Descripteurs : JPT

 

 

 

 

 

 

 

 

du 6 juin 2000

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur M. B. J.

 

 

 

 

contre

 

 

 

 

DÉPARTEMENT DE JUSTICE ET POLICE ET DES TRANSPORTS



EN FAIT

 

 

1. Monsieur M. B. J. est né en 1960 en Tunisie et est domicilié dans le canton de Genève où il réside au bénéfice d'un permis d'établissement. Il est le père de deux enfants et est marié avec la mère du second. Il a obtenu le certificat de cafetier-restaurateur en 1995 et exploite un établissement public à l'enseigne "La S.".

 

2. Le 19 août 1998, M. B. J. a fait l'objet d'un mandat d'amener décerné par l'officier de police compétent, pour prévention d'infraction à l'article 187 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui réprime les actes d'ordre sexuel avec des enfants.

 

Entendu le même jour, par un inspecteur de la sûreté affecté à la brigade des moeurs, l'intéressé a nié notamment avoir embrassé sur la bouche et avoir touché les fesses d'une enfant née en mars 1987, qu'il avait conviée à descendre dans la cave de l'établissement public qu'il exploitait.

 

3. Le 20 août 1998, M. B. J. a été inculpé par le juge d'instruction chargé du dossier et a contesté les faits qui lui étaient reprochés. Il avait certes "fait la bise" à l'enfant en lui mettant un bras sur l'épaule, sans avoir d'autres contacts physiques avec elle: "il avait beaucoup de chaleur humaine et faisait toujours la bise à ses clientes".

 

4. Entendue également, l'adolescente concernée a confirmé les déclarations qu'elle avait faites à la police. Lors d'une nouvelle audition, l'intéressé a déposé quelques photos des lieux, pour démontrer qu'il étaient librement accessibles à des tiers.

 

Entre le mois d'avril 1982 et le mois de septembre 1997, l'intéressé a fait l'objet de plusieurs rapports de police, notamment pour ébriété, pour des infractions à la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01) ainsi que pour lésions corporelles simples. Il ressort encore du dossier pénal que M. B. J. avait fait l'objet de deux inscriptions au casier judiciaire aux mois de novembre 1994 et octobre 1995 pour violation des règles de la circulation.

 

5. Le 26 mars 1999, le Tribunal de police, saisi des réquisitions du substitut du Procureur général, a reconnu M. B. J. coupable d'infractions à l'article 187 chiffre 1 CP considérant notamment que la victime n'avait jamais varié dans ses déclarations, que ce soit à la police de sûreté, au juge d'instruction ou devant la juridiction de jugement et qu'aucun élément ne permettait de les mettre en doute. Il a estimé encore que la version du prévenu n'était pas crédible. Il l'a condamné à une peine d'emprisonnement d'une durée de trois mois, assortie du sursis pour une durée de trois ans. Ce jugement est devenu définitif.

 

6. Le 17 novembre 1999, le département de justice et police et des transports (ci-après : le DJPT) a rendu trois arrêtés rejetant les requêtes présentées respectivement les 4 et 29 juin ainsi que 5 novembre 1999 par M. B. J. pour obtenir l'autorisation d'exploiter trois établissements publics différents.

 

7. Le DJPT a estimé qu'en raison de la condamnation prononcée le 26 mars 1999 par le Tribunal de police, l'intéressé n'offrait pas les garanties suffisantes pour exploiter un café-restaurant au regard de l'article 5 alinéa premier lettre d de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21).

 

8. Le 17 décembre 1999, un avocat s'est constitué pour la défense des intérêts de M. B. J.. Il a déposé trois actes de recours, visant chacune des décisions du DJPT. L'autorité administrative avait violé le droit d'être entendu de l'intéressé en prenant la décision litigieuse sans audition préalable. On ne voyait pas en quoi la condamnation pénale de ce dernier mettait en péril les buts poursuivis par la LRDBH. Le Tribunal de police avait envisagé la reprise de l'exploitation d'un restaurant par le recourant et ne l'avait pas exclue, n'ayant pas fait application de l'article 54 CP. Enfin, l'intéressé envisageait l'exploitation d'un établissement public interdit aux mineurs âgés de moins de seize ans, de sorte qu'on ne saurait retenir le risque de récidive.

 

9. Le 21 décembre 1999, le juge délégué à l'instruction de la cause a joint les trois recours et imparti un délai au 28 janvier 2000 à l'autorité intimée pour se déterminer.

 

10. Dans ce délai, le DJPT a exposé que l'intéressé ne pourrait obtenir un certificat de bonne vie et moeurs, en raison de l'inscription figurant au casier judiciaire central, à la suite du jugement rendu par le Tribunal de police le 26 mars 1999. L'intéressé ne satisfaisait dès lors plus à la condition d'honorabilité contenue dans l'article 5 alinéa premier lettre d LRDBH. La faute de l'intéressé était grave et elle faisait suite à des condamnations par le Procureur général pour violation de la LCR en 1994 et en 1995, l'intéressé ayant de surcroît occupé à de nombreuses reprises les services de police. Le Tribunal de police n'avait certes pas fait application de l'article 54 CP, mais l'autorité administrative était libre d'apprécier différemment les faits. Le DJPT conclut au rejet des recours.

 

11. Une audience de comparution personnelle des parties a été appointée au 3 mars 2000, mais annulée à la demande du recourant. Les parties ont été reconvoquées le 12 mai de la même année.

 

12. L'intéressé a déclaré à cette occasion qu'il était, au jour de l'audition, sans aucune activité professionnelle. Il aurait voulu travailler comme simple serveur, mais sa candidature était rejetée par des employeurs potentiels en raison de son expérience qui aurait justifié un emploi plus qualifié. Ses propres parents étaient toujours exploitants d'un hôtel-restaurant et il était en quelque sorte né dans cette branche économique. Il n'avait plus d'activité bénévole pour la ligue suisse des droits de l'homme. Il continuait à contester les faits pour lesquels il avait été condamné par le Tribunal de police, son comportement chaleureux ayant été mal interprété. Il souffrait énormément de la situation et demandait qu'on lui donne la possibilité de travailler à nouveau comme restaurateur. S'agissant des trois autorisations qu'il avait demandées, la première concernait un bar qui ouvrait vers 17h00 et fermait vers 22h00, quant à la deuxième et à la troisième, elles concernaient des établissements qui offraient la restauration à midi et fonctionnaient comme des bars le soir.

 

Entendue par la voix d'un de ses représentants, l'intimée a exposé que les catégories fixées par la LRDBH étaient larges. Les restaurants classiques comme les bars à champagne tombaient sous le coup de l'article 18 lettre a de la loi. L'exploitant qui changerait la nature d'un établissement n'aurait pas à demander une nouvelle autorisation. Il n'y avait donc pas de possibilité de restreindre l'utilisation d'une telle autorisation. L'aspect pénal du dossier avait été décisif en l'espèce et la pratique du département était d'interdire l'exploitation d'un établissement public - ou l'exercice d'une autre profession soumise à autorisation - pendant une durée équivalant à celle du sursis.

 

13. Le 12 mai 2000, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

 

 

1. a. Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

b. Les parties étant identiques, de même que les faits litigieux, les trois recours seront joints en une seule procédure (art. 70 al. 1 LPA).

 

2. Comme cela a été relevé dans un arrêt récent du tribunal de céans (ATA T. du 30 mai 2000), la LRDBH est entrée en vigueur le 1er janvier 1989 et l'article 5 de cette loi n'a pas été modifié depuis l'approbation de l'ensemble du texte légal. Il fixe les conditions relatives à la personne de l'exploitant d'un établissement public.

 

a. Selon la lettre d de l'alinéa premier de cette disposition, l'exploitant doit offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie que l'établissement soit exploité conformément aux dispositions de la loi et aux prescriptions en matière de police d'étrangers, de sécurité sociale et de droit du travail. Outre ces premières obligations, l'exploitant doit encore gérer de façon personnelle et effective l'établissement visé et doit s'occuper à y maintenir l'ordre, en prenant toute mesure utile à cette fin (art. 21 et 22 LRDBH; ATA L'Usine du 7 décembre 1999).

 

b. Selon l'article 7 du règlement d'exécution de la LRDBH du 31 août 1988 (RDBH - I 2 21.01), le DJPT procède à une enquête de police aux fins de s'assurer que le requérant réponde aux conditions énumérées à l'article 5 de la loi. En application de cette disposition, le département consulte les fichiers de la police et examine le respect des conditions prévalant à la délivrance d'un certificat de bonne vie et moeurs.

 

3. Selon l'article 10 alinéa premier lettre b de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et moeurs du 27 septembre 1977 (la loi sur les renseignements; F 1 25), le certificat de bonne vie et moeurs est refusé à celui dont le casier judiciaire contient une condamnation non radiée à une peine privative de liberté (let. a) ou dont l'honorabilité peut être déniée avec certitude en raison [...] d'une ou plusieurs plaintes fondées concernant son comportement (let. b).

 

En l'espèce, le recourant a fait l'objet de nombreux rapports de police au cours des dix-huit dernières années et de trois inscriptions au casier judiciaire central dont deux, radiées, concernent des violations de la législation sur la circulation routière, la troisième faisant mention du jugement du Tribunal de police du 26 mars 1999.

 

Le critère choisi par l'autorité intimée pour apprécier l'honorabilité du requérant n'est pas dénué de pertinence et ne saurait être rejeté en tant que tel.

 

4. Reste à déterminer si, dans le cadre de la liberté d'appréciation qui lui revient, l'autorité intimée a fait bon usage des renseignements qu'elle a requis de la police et si elle pouvait, à juste titre, prononcer une mesure empêchant l'intéressé d'exploiter un établissement public.

5. Le recourant est titulaire de la liberté économique garantie par l'article 27 de la Constitution du 18 avril 1999 (Cst - RS 101; RO 1999 2555; ATA T. précité). Il a donc le droit fondamental d'exercer une activité tendant à la production d'un gain ou d'un revenu, que ce soit à titre indépendant ou dépendant. Le canton concerné peut toutefois adopter des mesures restrictives en matière de liberté économique, notamment des mesures dites "de police". Celles-ci ne sont conformes à la Constitution que pour autant qu'elles se fondent sur une base légale, sont justifiées par un intérêt public et respectent le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst).

 

a. La première condition est remplie, la législation et la réglementation cantonales prévoyant des restrictions à la liberté d'exploiter un établissement public, même lorsque le requérant est titulaire de la patente nécessaire. S'agissant de l'intérêt public, il prend, en matière de restrictions de police, la forme limitée de la protection de l'ordre public, c'est-à-dire la protection de la tranquillité, de la sécurité, de la santé ou de la moralité publiques, de même que de la bonne foi en affaires (cf. sur ce point ATF 125 I 322 consid. 3a p. 326; 109 Ib 285 consid. 4d et 5 p. 297 ainsi que Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI, Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, Berne 2000, p. 350 et ss).

 

Les actes que l'on a pu reprocher à l'intéressé au cours de ces dernières années ont trait principalement à des infractions à la législation routière et aux normes pénales protégeant l'intégrité corporelle, sauf la dernière condamnation. Elles n'ont pas justifié de retrait de l'autorisation d'exploiter un établissement public. Si le comportement passé du recourant ne saurait être qualifié de bon, on peut toutefois considérer que l'intéressé s'est néanmoins montré capable d'exploiter correctement un café-restaurant. S'agissant toutefois des faits pour lesquels il a été condamné en 1999, il y a lieu de relever que ceux-ci sont graves, la peine prévue pouvant être la réclusion pour une durée de cinq ans au plus. Ils ont eu lieu de surcroît dans les locaux mêmes d'un café-restaurant tenu par le recourant et sont ainsi de nature à mettre gravement en doute sa capacité d'exercer une activité soumise à autorisation de manière acceptable pour le public. De surcroît, le recourant persiste à nier les faits dont il a été reconnu coupable, de sorte que l'on peut mettre en doute sa volonté - à l'heure actuelle - de s'amender. L'ensemble des faits contenu dans le dossier administratif ainsi que dans celui pénal, éclaire défavorablement la question de la capacité de l'intéressé à conduire un établissement public de manière conforme à la loi au sens de l'article 5 alinéa 1er let. b LRDBH. Une mesure restrictive était dès lors envisageable.

 

b. Sur la question de la proportionnalité(Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI, Michel HOTTELIER, op. cit., p. 353), il faut convenir que la mesure litigieuse est la seule de nature à prévenir toute récidive, à tout le moins dans le cadre de l'exploitation d'un café-restaurant. Elle est de surcroît, à dire de l'autorité intimée, limitée dans le temps, de sorte que le recourant pourra présenter à nouveau dans le futur une requête en vue d'exploiter un café-restaurant. Elle ne lui interdit pas toute activité lucrative, de sorte qu'elle est conforme au principe de la proportionnalité. Enfin, le question de l'application éventuelle de l'article 54 alinéa premier CP par le juge pénal ne se pose précisément pas, l'intéressé n'ayant pas été condamné à une peine privative de liberté supérieure à trois mois.

 

6. Mal fondés, les recours doivent être rejetés et un émolument global de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe. Ce montant tient dûment compte de la situation financière précaire du recourant et de ses charges de famille.

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevables les recours interjetés le 17 décembre 1999 par Monsieur M. B. J. contre les décisions du département de justice et police et des transports du 17 novembre 1999;

 

préalablement :

 

les joint;

 

au fond :

 

les rejette;

 

met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.-;

 

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité;

 

communique le présent arrêt à Monsieur M. B. J. ainsi qu'au département de justice et police et des transports.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni et Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

V. Montani D. Schucani

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci