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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/207/2014

ATA/810/2015 du 11.08.2015 ( AIDSO ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 29.09.2015, rendu le 15.06.2016, REJETE, 8C_239/2015, 8C_702/2015
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/207/2014-AIDSO ATA/810/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 août 2015

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Cyril Mizrahi, avocat

contre

HOSPICE GÉNÉRAL



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1955, de nationalité suisse, a présenté le 16 mars 1995 une demande au service du revenu minimum cantonal d'aide sociale (ci-après : RMCAS), dès lors qu'il avait épuisé son droit à des indemnités de chômage. Il a reçu des prestations de ce service dès le 17 mars 1995.

2) Le 17 juillet 1995, M. A______ a expressément refusé de signer des documents autorisant la consultation de ses dossiers auprès des établissements bancaires. Le RMCAS, qui souhaitait investiguer la situation de M. A______ suite à des soupçons d'activité indépendante parallèle, n'a pu mener de ce fait son enquête à bien, et a rendu le 31 août 1995 une décision de cessation des prestations.

3) Cette dernière décision a été confirmée sur réclamation le 4 décembre 1995, décision sur réclamation qui a néanmoins été annulée sur recours par la commission cantonale de recours AVS-AI-APG-PCF-PCC (ci-après : la commission de recours) le 14 juin 1996.

L'Hospice général (ci-après : l'hospice), dont dépendait le service du RMCAS, avait fait preuve de formalisme excessif en exigeant de lui la signature d'une procuration bancaire, alors que l'intéressé avait offert de produire toutes les pièces souhaitées. L'hospice aurait ainsi pu lui préciser les pièces qu'il souhaitait obtenir, charge à lui de les demander auprès des banques.

4) M. A______ a bénéficié de prestations au titre du RMCAS jusqu'au 1er février 2012, date à laquelle la loi sur les prestations cantonales accordées aux chômeurs en fin de droit du 18 novembre 1994 (LRMCAS - aJ 2 25), a été abrogée et remplacée par la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04). M. A______ a néanmoins continué à recevoir des prestations financières de l'hospice sur la base de cette dernière loi.

5) Le 27 février 2012, M. A______ a signé le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière de l'Hospice général » (ci-après : « mon engagement »), tout en biffant tous les passages concernant les autorisations données à l'hospice de demander des renseignements auprès des autorités administratives et judiciaires, établissements privés (tels que banques, assurances, employeurs) et particuliers. Il a remplacé ces passages par une mention manuscrite selon laquelle il s'engageait « en compensation à pleinement collaborer avec le service des enquêtes, le cas échéant, en lui fournissant notamment des pièces concernant [sa] situation financière des établissements de son choix ».

6) La signature du document « mon engagement » étant renouvelée tous les ans, M. A______ a procédé de la même façon en signant ce document le 10 février 2013.

7) Le 7 mai 2013, après deux passages infructueux en mars 2013, un inspecteur de l'hospice s'est rendu au domicile de M. A______ pour lui présenter des procurations à signer dans le cadre de l'enquête sur sa situation financière. À cette occasion, l'inspecteur de l'hospice a d'emblée remarqué que les noms d'une tierce personne (Madame B______) ainsi que d'une entité indéterminée (« C______ ») figuraient à côté de la porte palière de M. A______.

M. A______ a demandé un délai de réflexion avant de signer les procurations, car il souhaitait pouvoir consulter un avocat à ce sujet. S'agissant des noms figurant sur son palier, le premier était celui de son ex-amie ; le second, celui d'une association sans but lucratif d'artistes qui organisaient des expositions. Enfin, interrogé sur d'éventuelles ressources propres, M. A______ a déclaré donner occasionnellement des récitals de piano dans des écoles, hôpitaux et autres homes pour personnes âgées, mais percevoir des cachets de l'ordre de CHF 120.- ou 150.-, ne dépassant jamais le total de CHF 500.- par mois. Outre ses activités de musicien, il œuvrait activement au sein de l'association « D______ », qui promouvait le revenu de base inconditionnel et dont il était membre du comité.

8) Par courrier du 16 mai 2013, M. A______ a écrit au service des enquêtes de l'hospice.

Il était tout à fait disposé à fournir tous les renseignements nécessaires, dans la mesure où il se chargeait lui-même de requérir ces informations auprès des établissements choisis par l'hospice. Cette manière de procéder conduisait au même résultat tout en préservant sa vie privée. La jurisprudence de la commission de recours restait valable, la situation juridique n'ayant pas changé suite à l'entrée en vigueur de la LIASI. Il restait donc à disposition de l'hospice pour fournir toute attestation requise de n'importe quel établissement financier et continuait de s'opposer à ce que l'hospice fasse ces demandes à sa place.

9) Le 17 juin 2013, le service des enquêtes de l'hospice a émis un rapport d'enquêtes, lequel précisait être incomplet compte tenu du refus de collaborer du bénéficiaire.

Il en ressortait, entre autres éléments, que Mme B______ avait été locataire de l'appartement avec M. A______ jusqu'au 31 mars 2004. Elle n'avait toutefois été enregistrée par l'office cantonal de la population, devenu depuis lors l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), que de 1992 à 1994.

10) Le 23 juillet 2013, l'hospice a écrit à M. A______. Il avait refusé de signer les procurations présentées par le service des enquêtes. Un délai au 9 août 2013 lui était imparti pour régulariser sa situation et se soumettre à l'enquête en cours en signant les documents, en particulier les procurations, que le service des enquêtes lui présenterait. Passé ce délai, il serait mis fin au versement des prestations financières.

11) Par courrier du 8 août 2013, M. A______ a indiqué s'opposer à signer des procurations. Il s'était néanmoins engagé à honorer toutes les demandes du service des enquêtes. Il avait du reste reçu l'inspecteur, avait répondu à ses questions et lui avait permis de visiter son appartement. Il se référait une fois de plus à la protection de sa vie privée ainsi qu'au jugement de la commission de recours du 14 juin 1996.

12) Par décision du 13 août 2013, déclarée exécutoire nonobstant opposition, l'hospice a mis un terme à l'aide financière accordée à M. A______, ainsi qu'au subside partiel de l'assurance maladie versé en complément à l'aide financière.

L'intéressé avait été averti des conséquences du non-respect des devoirs imposés par la loi, soit en l'espèce l'art. 32 al. 2 LIASI.

13) Le 22 août 2013, M. A______ s'est présenté au centre d'action sociale (ci-après : CAS) E______ pour solliciter une aide financière. Il a été reçu les 28 août et 3 septembre 2013 par une assistante sociale de ce CAS.

14) Par décision du 11 septembre 2013, déclarée exécutoire nonobstant opposition, l'hospice a refusé la demande d'aide financière déposée par M. A______ lors d'un entretien qu'il avait eu le 3 septembre 2013 avec l'assistante du CAS E______, toujours en raison de son refus de signer les procurations du service des enquêtes.

15) Le 18 septembre 2013, M. A______ a formé opposition à la décision d'arrêt d'aide du 13 août 2013, demandant la restitution de l'effet suspensif à son opposition.

16) Le même jour, soit le 18 septembre 2013, il a également formé opposition à la décision de refus d'aide du 11 septembre 2013, demandant la restitution de l'effet suspensif à son opposition.

17) Le 27 septembre 2013, l'hospice, « après examen de la situation », a décidé de restituer l'effet suspensif à l'opposition formée contre la décision du 13 août 2013.

18) Le 3 décembre 2013, l'hospice a rejeté l'opposition (recte : les oppositions) et a déclaré sa décision immédiatement exécutoire nonobstant recours.

En refusant de signer les procurations à plusieurs reprises, M. A______ avait refusé de lever le secret bancaire et n'avait pas respecté son devoir de collaboration. La suppression de l'aide sociale - de même que le refus de nouvelles prestations - était dès lors fondée, et aucune mesure moins incisive ne pouvait parvenir au même but, M. A______ se montrant très déterminé dans son refus de collaborer.

La jurisprudence de la commission de recours avait été rendue avant l'entrée en vigueur de la LIASI, et elle était contredite par une jurisprudence du Tribunal administratif, devenu depuis lors la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), rendue en 2003 et donc plus récente.

Quant à une jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral en 2012 et citée par M. A______, elle concernait un contrôle de constitutionnalité de la législation bernoise. Cette dernière divergeant sur de nombreux points de la législation genevoise, l'arrêt en cause n'était pas pertinent en l'espèce.

19) Par acte posté le 24 janvier 2014, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision sur réclamation précitée, concluant à l'annulation des décisions du 13 août 2013 et du 11 septembre 2013 et à l'octroi des prestations financières depuis leur prise d'effet. Préalablement, il a conclu à la restitution de l'effet suspensif au recours.

La décision sur opposition n'avait pas été rendue dans le délai de soixante jours prévu par l'art. 51 al. 2 LIASI. Cette loi ne prévoyait pas expressément le droit pour l'hospice d'exiger que les bénéficiaires d'aides lui signent des procurations. L'accès direct au compte d'une personne était dommageable à ses relations avec les établissements financiers, et ne devait être utilisé qu'en dernier recours, lorsqu'il y avait preuve de dissimulation ou de comportement fautif. Des procurations générales représentaient une atteinte manifeste à la vie privée des personnes.

L'hospice avait été débouté par la commission de recours en 1996. Il n'avait par ailleurs jamais relevé aucun élément de revenu ou de fortune non déclaré.

Même si l'exigence de signer des procurations devait être confirmée, la suppression complète des prestations était disproportionnée. Des prestations minimales correspondant aux besoins vitaux élémentaires devaient en tous les cas être maintenues, conformément à la LIASI et à la jurisprudence fédérale.

20) Le 7 février 2014, l'hospice a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif, ainsi qu'au rejet du recours sur le fond.

La chambre administrative avait déjà, en 2003, tranché un litige semblable en faveur de l'hospice. M. A______ avait refusé de lever le secret bancaire et n'avait donc pas respecté l'obligation de collaborer posée par l'art. 32 LIASI. La suppression des prestations était dans un tel cas prévue par l'art. 35 LIASI. De plus, cette loi autorisait l'hospice à faire des enquêtes par sondage, sans avoir nécessairement de soupçon particulier par rapport à tel ou tel bénéficiaire.

M. A______ ne pouvait pas amender à sa guise des documents qui ne faisaient que rappeler des obligations lui incombant en vertu de la LIASI. Par ailleurs, sa situation financière n'était pas parfaitement limpide. Il n'avait ainsi retiré de son compte que la somme de CHF 500.- pour vivre durant la période du 1er août au 30 septembre 2013 ; et le montant particulièrement modeste des cachets de ses récitals de piano apparaissait peu plausible.

21) Par décision du 12 février 2014, la présidence de la chambre administrative a refusé de restituer l'effet suspensif au recours.

L'intérêt de l'hospice à pouvoir vérifier directement que l'octroi de prestations était toujours justifié l'emportait sur l'intérêt privé, de pure convenance, du recourant à préserver sa réputation vis-à-vis des établissements bancaires. La jurisprudence genevoise avait déjà admis que le refus persistant de signer des procurations puisse entraîner une suppression des prestations. Les chances de succès du recours apparaissaient dès lors des plus ténues.

22) Le 24 mars 2014, M. A______ a interjeté recours auprès du Tribunal fédéral contre la décision sur effet suspensif précitée.

23) Les 28 mars et 5 mai 2014, M. A______ a persisté dans ses conclusions, ajoutant toutefois à celle-ci une conclusion en réparation du tort moral à hauteur de CHF 5'000.-, une conclusion visant à la mise en demeure de l'hospice de modifier sans délai ses formulaires, et une conclusion tendant à la condamnation de l'hospice en tous les « dépens ».

Il a repris la chronologie des événements de manière plus approfondie, et invoqué diverses bases conventionnelles, constitutionnelles et légales à l'appui de son recours. Son argumentation sera reprise en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

24) Par arrêt du 14 mai 2014 (cause 8C_239/2014), le Tribunal fédéral a admis le recours de M. A______ et restitué, au sens des considérants, l'effet suspensif au recours formé par-devant la chambre administrative.

La chambre administrative avait examiné le cas uniquement au regard des chances de succès du recours dont elle était saisie, alors qu'il ne s'agissait pas d'un critère exclusif. Il importait également de pondérer les intérêts en présence. Il fallait en l'espèce examiner si le refus de toute prestation au titre de l'aide d'urgence ne violait pas le droit d'obtenir de l'aide dans des situations de détresse.

Le droit fondamental à des conditions minimales d'existence justifiait en l'espèce la restitution de l'effet suspensif au recours formé sur le plan cantonal, en ce sens que l'hospice devait en tout cas veiller à ce que M. A______ dispose d'un logement approprié et de moyens de subsistance suffisants, y compris les soins médicaux de base, jusqu'à droit connu sur le recours.

25) Le 4 juillet 2014, l'hospice a persisté dans ses conclusions.

26) Le 22 août 2014, M. A______, représenté par un avocat, a persisté dans ses précédentes conclusions, en explicitant notamment celles en tort moral et en allocation de « dépens ».

27) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable dans son principe (art. 52 LIASI ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La conclusion en octroi d'une somme à titre de tort moral et celle visant à la mise en demeure de l'hospice de modifier ses formulaires avec effet immédiat sont toutefois irrecevables à un double titre.

D'une part en effet, elles ont été formulées après l'expiration du délai de recours (art. 65 al. 1 a contrario LPA ; ATA/270/2015 du 17 mars 2015 consid. 2a ; ATA/815/2014 du 28 octobre 2014 consid. 2b ; ATA/350/2014 du 13 mai 2014 consid. 4 ; ATA/96/2014 du 18 février 2014 consid. 2 ; ATA/34/2014 du 21 janvier 2014 consid. 3 ; ATA/757/2012 du 6 novembre 2012 consid. 2 ; au sujet de l’art. 52 al. 2 LPA : Regina KIENER/Bernhard RÜTSCHE/Mathias KUHN, Öffentliches Verfahrensrecht, 2012, p. 293 n. 1222).

D'autre part, seul le Tribunal de première instance est compétent pour statuer sur les demandes en réparation du tort moral suite à un acte illicite d'un établissement public autonome ou de ses agents (art. 7 et 9 de la loi sur la responsabilité de l'État et des communes du 24 février 1989 - LREC - A 2 40) ; et la juridiction de céans n'est pas une autorité de surveillance desdits établissements publics autonomes (cf. art. 3 al. 1 LIASI, qui institue le département de l'emploi, des affaires sociales et de la santé en tant qu'autorité de surveillance de l'hospice), mais uniquement une autorité de recours, au demeurant liée par l'objet du litige tel que résultant de la décision attaquée (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_33/2015 du 28 avril 2015 consid. 1.2 ; ATA/731/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4b et les arrêts cités).

3) Aux termes de l’art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine.

Ce droit à des conditions minimales d’existence fonde une prétention des justiciables à des prestations positives de l’État. Il ne garantit toutefois pas un revenu minimum, mais uniquement la couverture des besoins élémentaires pour survivre d'une manière conforme aux exigences de la dignité humaine, tels que la nourriture, le logement, l'habillement et les soins médicaux de base. L'art. 12 Cst. se limite, autrement dit, à ce qui est nécessaire pour assurer une survie décente afin de ne pas être abandonné à la rue et réduit à la mendicité (ATF 136 I 254 consid. 4.2 ; 135 I 119 consid. 5.3 ; 131 V 256 consid. 6.1 ; 131 I 166 consid. 3.1 ; 130 I 71 consid. 4.1 ; 121 I 367 consid. 2c ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_9/2013 du 16 mai 2013 consid. 5.1 ; ATA/596/2014 du 29 juillet 2014 consid. 3d).

4) a. En droit genevois, la LIASI et le règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01) concrétisent l’art. 12 Cst. (ATA/452/2012 du 30 juillet 2012 ; ATA/440/2009 du
8 septembre 2009 ; ATA/809/2005 précité et les références citées), tout en allant plus loin que ce dernier.

b. La LIASI a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1 LIASI), ainsi que de soutenir les efforts des bénéficiaires de la loi à se réinsérer sur le marché du travail et dans la vie sociale en général. Elle a également pour objectif plus général de garantir à ceux qui se trouvent dans la détresse matérielle et morale des conditions d’existence conformes à la dignité humaine (art. 1 al. 2 LIASI). Ses prestations sont fournies sous forme d’accompagnement social, de prestations financières et d’insertion professionnelle (art. 2 LIASI).

5) Ont droit à des prestations d'aide financière les personnes majeures qui ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien ou à celui des membres de la famille dont ils ont la charge (art. 8 al. 1 LIASI), ayant leur domicile et leur résidence effective sur le territoire du canton de Genève (art. 11 al. 1 let. a LIASI), qui ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien ou à celui des membres de leur famille dont elles ont la charge (art. 11 al. 1 let. b LIASI) et répondent aux autres conditions de la loi (art. 11 al. 1 let. c LIASI), soit aux art. 21 à 28 LIASI. Ces trois conditions sont cumulatives.

6) a. Le bénéficiaire est tenu de fournir tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d’aide financière (art. 32 al. 1 LIASI). Il doit autoriser l'hospice à prendre des informations à son sujet qui sont nécessaires pour déterminer son droit ; en particulier, il doit lever le secret bancaire et fiscal à la demande de l'hospice (art. 32 al. 2 LIASI).

De même, il doit immédiatement déclarer à l'hospice tout fait nouveau, de nature à entraîner une modification du montant des prestations d'aide financière qui lui sont allouées ou à les supprimer (art. 33 al. 1 LIASI). Le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l'Hospice général » concrétise cette obligation de collaborer en exigeant du demandeur qu'il donne immédiatement et spontanément à l'hospice tout renseignement et toute pièce nécessaires à l'établissement de sa situation personnelle, familiale et économique tant en Suisse qu'à l'étranger (ATA/425/2014 du 12 juin 2014 consid. 6a).

b. Les prestations d'aide financière peuvent être réduites, suspendues, refusées ou supprimées lorsque le bénéficiaire, intentionnellement, ne s'acquitte pas de son obligation de collaborer, ou lorsqu'il refuse de donner les informations requises, donne des indications fausses ou incomplètes ou cache des informations utiles (art. 35 al. 1 let. c et d LIASI).

c. L'hospice procède, par sondage ou au besoin, à des enquêtes sur la situation financière du demandeur et des membres du groupe familial qui demandent ou obtiennent des prestations d'aide financière prévues par la LIASI (art. 54 al. 1 LIASI).

7) Le recourant remet en cause l'obligation de signer, dans le cadre d'une enquête sur sa situation financière, les procurations que lui a soumises le service des enquêtes de l'hospice.

Il allègue principalement une violation de son droit au respect de la sphère privée et à la protection des données ; l'exigence d'une procuration générale n'aurait pas de base légale suffisamment précise, ne serait pas confirmée par la jurisprudence, et aurait des conséquences dommageables sur ses relations bancaires (annulation probable de ses cartes de crédit) ; enfin, les informations en cause pourraient être obtenues par des moyens moins incisifs.

8) Le droit au respect de la vie privée est garanti par les art. 17 § 1 du pacte international sur les droits civils et politiques, du 16 décembre 1966 (Pacte II - RS 0.103.2 ; en revanche, la pratique suisse ne reconnaît en principe pas le caractère obligatoire de la déclaration universelle des droits de l'Homme citée par le recourant, cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_439/2008 du 6 novembre 2008 consid. 5), 8 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), 13 al. 1 Cst. et 21 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE A 2 00).

S'agissant d'une liberté publique, le droit au respect de la sphère privée n'est pas absolu, mais peut être restreint aux conditions posées par l'art. 36 al. 3 Cst., à savoir que toute restriction doit être fondée sur une base légale, reposer sur un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité. Ce dernier se compose traditionnellement des règles d’aptitude ou d'adéquation - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 141 I 20 consid. 6.2.1 ; 140 I 168 consid. 4.2.1 ; 135 I 176 consid. 8.1 ; ATA/246/2015 du 24 mars 2015 consid. 7).

9) Le Tribunal fédéral a examiné en septembre 2012, à l'occasion d'un contrôle abstrait des normes, la compatibilité d'une obligation de signer une procuration générale en faveur d'une institution d'aide sociale (ATF 138 I 331 consid. 7.4 = RDAF 2013 I 370).

La nouvelle loi bernoise comportait un article divisé en trois alinéas. Selon le premier de ceux-ci, les informations pertinentes devaient, en règle générale, être recherchées prioritairement auprès du bénéficiaire, dans le cadre du devoir de collaboration de ce dernier. Aux termes du second, les informations pouvaient être collectées directement auprès de tiers si la recherche directe auprès du bénéficiaire n'était pas possible ou pas raisonnable. Selon le troisième de ces alinéas, dans ce cas, le personnel chargé de l'exécution de la loi demandait au bénéficiaire, lors de la demande d'aide sociale, de signer une procuration.

Après avoir noté que de nombreux cantons exigeaient une communication d'informations par ce moyen, le Tribunal fédéral a considéré que le principe de finalité était le corollaire de celui de la proportionnalité. La loi bernoise ne contenait pas expressément la mention d'une telle finalité, mais celle-ci pouvait être déduite de façon implicite, les données devant être nécessaires à l'examen du droit aux prestations. Dès lors, étant soumise au principe de la finalité, la procuration demandée par l'institution d'aide sociale ne constituait pas une procuration générale pouvant être utilisée à n'importe quelle fin, mais un instrument limité à ce qui était nécessaire pour examiner le droit aux prestations.

Par ailleurs, il existait un intérêt incontestable et important à ce que l'aide sociale ne soit pas attribuée à tort sur la base d'une situation de fait inexacte ou incomplète. L'atteinte que constituait l'obligation de signer une procuration était sur cette base admissible, pour autant qu'il n'en soit fait usage qu'en dernier ressort, c'est-à-dire lorsque les informations ne pouvaient être obtenues ni par le biais du bénéficiaire ni directement sur la base d'autres dispositions légales. Un tel dispositif allait du reste moins loin qu'une autorisation globale d'accéder aux données des administrés qui eût été directement prévue par la loi. Enfin, le fait que l'application de la loi soit confiée à des personnes qualifiées permettait de retenir comme faible le risque d'utilisation abusive des données.

Sur la base de cet examen, le Tribunal fédéral a rejeté le recours et n'a dès lors pas annulé l'une quelconque des dispositions de la loi bernoise.

10) a. Le Tribunal fédéral a jugé d'autres affaires encore plus récemment sur ce même thème. Ainsi, dans le cas d'un bénéficiaire qui avait refusé de signer une procuration permettant au service d'aide sociale fribourgeois de consulter son dossier médical, notamment auprès des autorités de l'assurance-invalidité, il a considéré qu'en tant que bénéficiaire de l'aide sociale, on pouvait attendre du recourant qu'il donne des renseignements sur sa situation médicale, et qu'il ne pouvait dès lors ni empiéter sur les enquêtes opérées par le service d'aide sociale ni limiter les sources d'information de ce dernier. La loi prévoyant que le service d'aide sociale fasse signer une procuration, le refus réitéré du recourant de s'exécuter ne permettait pas à l'autorité à tenir les faits mis en avant par le recourant pour acquis, et lui permettait donc de refuser ses prestations (arrêt du Tribunal fédéral 8C_884/2012 du 22 janvier 2013 consid. 4.2).

b. Une autre affaire concernait une personne recevant une aide financière des services sociaux de la Ville de Zurich. Une enquête ayant été ouverte pour examiner sa situation financière sur la base de soupçons au sujet d'une activité non déclarée, cette personne n'avait pas signé des procurations vis-à-vis des banques et des assurances, et les autorités compétentes avaient pour cette raison supprimé les prestations et refusé d'en attribuer à nouveau tant que la situation financière de l'intéressée ne serait pas éclaircie. Le Tribunal fédéral a jugé que dans les circonstances d'espèce, l'obligation de signer une procuration était légitime. Par rapport au respect de la sphère privée, la procuration était limitée aux informations concernant les banques et les assurances. La procuration allait donc moins loin que celle visée par la loi bernoise examinée dans l'ATF 138 I 331, arrêt dans lequel il avait été jugé qu'une procuration générale exigée d'entrée de cause pour déterminer le droit aux prestations était admissible. Le recours devait donc être rejeté, la recourante n'ayant pas fait valoir que l'aide d'urgence lui ait été refusée (arrêt du Tribunal fédéral 8C_50/2015 du 17 juin 2014 consid. 4).

11) La jurisprudence cantonale genevoise est plus ancienne. Le recourant fait grand cas du jugement de la commission de recours du 14 juin 1996 décrit dans la partie en fait du présent arrêt. La juridiction de céans a néanmoins jugé en 2002 (ATA/517/2002 du 3 septembre 2002 consid. 5) et en 2003 (ATA/217/2003 du 15 avril 2003 consid. 4) que le refus de signer une procuration (bancaire dans les deux cas) était suffisant pour limiter l'aide financière.

12) a. Dans le canton de Vaud, la cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal a admis en 2009 un recours formé suite au refus de signer une procuration ; la loi vaudoise soumettait en effet la recherche d'informations au consentement du bénéficiaire, qui devait donc être librement consenti, ce que ne permettait pas le formulaire utilisé au vu de sa rédaction (PS.2008.073 du 20 février 2009). Depuis lors, elle a néanmoins confirmé à plusieurs reprises la pratique des autorités d'aide sociale en matière d'obligation de signer une procuration (PS.2010.0079 du 4 avril 2011 consid. 4 ; PS.2013.0054 du 28 octobre 2013 consid. 2 et 3 ; PS.2013.0082 du 7 avril 2014 consid. 3).

b. Le Tribunal administratif zurichois a lui aussi rejeté le recours d'une administrée qui contestait la licéité de l'obligation de signer une procuration (VB.2014.00449 du 4 décembre 2014 consid. 4).

13) En l'espèce, si la LIASI ne parle pas de la signature d'une procuration, il est expressément fait mention à l'art. 32 al. 3 LIASI d'une obligation de lever le secret bancaire. Une telle levée du secret bancaire n'a de sens que si le bénéficiaire signe une procuration au bénéfice de l'hospice, dès lors que s'il procède comme le suggère le recourant en laissant à ce dernier le soin de demander lui-même les renseignements à son établissement bancaire, il n'y aura pas de levée du secret. La signature d'une procuration bancaire est ainsi prévue par la loi ; tout comme, du reste, la possibilité de réaliser des contrôles par sondage, étant précisé qu'en l'espèce, des doutes sont apparus sur d'éventuelles activités lucratives indépendantes du recourant (activité de concertiste et annonce d'une entité encore indéterminée sur sa porte palière).

Ainsi que l'a souligné le Tribunal fédéral dans l'ATF 138 I 331, il existe un intérêt public - qualifié de sérieux et important - à pouvoir contrôler si l'octroi ou le maintien de prestations d'aide sociale est conforme à la situation financière effective de l'administré.

Quant à la proportionnalité de la mesure, on notera tout d'abord que la signature d'une procuration n'est concrètement requise par l'hospice qu'en cas d'enquête. La procuration soumise au recourant est certes générale et ne concernait pas que les renseignements purement bancaires, mais elle correspond globalement au modèle bernois jugé admissible par le Tribunal fédéral. Par ailleurs, la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08), qui est applicable à l'établissement public autonome qu'est l'hospice (art. 3 al. 1 let. c LIPAD cum 214 al. 1 Cst-GE et 2 al. 1 de la loi sur l'hospice général du 17 mars 2006 - LHG - J 4 07), contient tous les principes de base en matière de traitement des données personnelles (art. 35 à 38 LIPAD), y compris le principe de finalité visé à l'art. 35 al. 1 LIPAD.

S'agissant de la nécessité, on peut constater que le recourant, s'il a à réitérées reprises offert de collaborer avec l'hospice en fournissant lui-même les renseignements demandés, n'a jamais, à partir du moment où l'ouverture d'une enquête lui a été annoncée, spontanément transmis à l'hospice l'ensemble de ses extraits de comptes bancaires, mais seulement des extraits choisis. On ne saurait donc suivre le recourant lorsqu'il allègue que des mesures moins incisives auraient pu être prises, ce d'autant plus que la procédure qu'il souhaiterait voir mise en œuvre compliquerait et rallongerait de beaucoup le travail du personnel du service des enquêtes de l'hospice. Quant à la proportionnalité au sens étroit, l'intérêt à contrôler la correcte attribution des prestations d'aide sociale l'emporte sans conteste sur les inconvénients privés allégués par le recourant, à savoir la crainte d'un éventuel retrait de ses cartes de crédit.

Le grief de violation du droit au respect de la sphère privée sera ainsi écarté.

14) Le recourant se plaint également de ce que les décisions attaquées le priveraient de toute ressource.

15) Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a toujours rappelé que le refus de signer une procuration ne peut mener à une suppression ou à un refus de toute prestation que si cela ne viole pas le droit à des conditions minimales d'existence, c'est-à-dire que l'impétrant ou le bénéficiaire doit malgré tout, le cas échéant, pouvoir bénéficier d'une aide d'urgence (ATF 138 I 331 consid. 7.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_50/2015 du 17 juin 2014 consid. 3.2.2 et 4.2.2 ; 8C_588/2014 du 11 mai 2015 consid. 6.2.4 ; 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.3). L'art. 35 LIASI doit ainsi toujours être appliqué à la lumière de l'art. 12 Cst., comme le rappelle du reste l’art. 35 al. 4 LIASI.

16) En l'espèce, la décision sur opposition attaquée, pas plus que les deux décisions qu'elle confirme, ne se penche sur cette question, alors qu'elles conduisent à une suppression complète des prestations financières à l'égard du recourant.

Le recours doit dès lors être admis sur ce point, et la cause renvoyée à l'intimé afin qu'il détermine si le recourant remplit les conditions pour bénéficier d'une aide d'urgence, au sens des art. 35 al. 4 et 43 ss LIASI.

17) Vu la nature de la cause, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, seulement très partiellement favorable au recourant, et la contribution modeste d'un mandataire dans la procédure de recours, une indemnité de procédure de CHF 300.- sera allouée au recourant, à la charge de l'hospice (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 janvier 2014 par Monsieur A______ contre la décision sur opposition de l'Hospice général du 3 décembre 2013 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

confirme la décision sur opposition de l'Hospice général du 3 décembre 2013, en ce qu'elle supprime et/ou refuse les prestations d'aide financière à Monsieur A______ ;

renvoie la cause à l'Hospice général pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 300.-, à la charge de l'Hospice général ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Cyril Mizrahi, avocat du recourant, ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, M. Dumartheray, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :