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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3125/2015

ATA/1009/2016 du 29.11.2016 ( LAVI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3125/2015-LAVI ATA/1009/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 novembre 2016

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Romain Jordan, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI

 



EN FAIT

1. Madame A______, née en 1981, est agent de détention dans le canton de Genève.

2. Le 2 août 2010 au soir, alors qu'elle travaillait à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison), Mme A______ a été appelée à intervenir, avec d'autres collègues, dans le cadre d'une tentative d'évasion de trois détenus. Alors que l'un d'entre eux, Monsieur B______(ci-après : le détenu), avait été appréhendé et était conduit en cellule forte, il a commencé à se débattre fortement, en donnant des coups de pied et de poing.

Mme A______ a tenté de le contrôler par le cou, mais le détenu lui a saisi le bras et alors qu'elle était maintenue et se trouvait derrière le prévenu, celui-ci s'est volontairement jeté en arrière, la plaquant en arrière contre une grille de sécurité. Le détenu a, après plusieurs tentatives, pu être amené au sol par trois gardiens et être maîtrisé. La scène a été filmée par une caméra de vidéosurveillance.

3. Le 3 août 2010, le Docteur C______, médecin généraliste envoyé par la société SOS Médecins, a rédigé un certificat médical en faveur de Mme A______, prescrivant un arrêt de travail de quatre jours, une injection antalgique et la prise de médicaments non spécifiés. L'on avait affaire à des lésions traumatiques – traumatismes crânien et dorsal – compatibles avec les déclarations de la patiente au sujet d'une agression par deux détenus.

4. Le Docteur D______, médecin généraliste, consulté le 5 août 2010, a prolongé l'arrêt de travail de Mme A______ jusqu'au 11 août 2010, la reprise du travail ayant été prévue à 100 % dès le 12 août 2010.

5. Le Ministère public a ouvert une procédure pénale contre le détenu (P/1______).

6. Par jugement du 25 avril 2013 dans la procédure pénale précitée, le Tribunal de police a déclaré M. B______ coupable de violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires, lésions corporelles simples, dommages à la propriété et injure, et l'a condamné à une peine pécuniaire de centre quatre-vingts jours-amende à CHF 10.- le jour. Il l'a également condamné à payer à Mme A______, à titre de réparation du tort moral, la somme de CHF 2'500.- avec intérêts à 5 % dès le 2 août 2010.

Ce jugement, qui n'a pas fait l'objet d'un appel et dont les motifs n'ont pas été rédigés, est entré en force.

7. Le 2 juin 2014, Mme A______ s'est adressée à l'instance d'indemnisation instituée par la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5) (ci-après : instance LAVI), concluant à ce que celle-ci lui verse l'indemnité prévue par le jugement précité.

Suite aux événements du 2 août 2010, elle avait souffert de nombreuses contusions et contractions musculaires dorsales et avait subi un choc psychologique important. Elle s'était vu diagnostiquer un traumatisme crânien justifiant un arrêt de travail, et faisait l'objet depuis lors d'un suivi psychiatrique.

Elle avait également changé de service au sein de la prison, passant du « service brigade » au « service des avocats et huissiers » ; elle était actuellement « en arrêt » depuis le mois de novembre 2013.

Ayant subi une atteinte directe à son intégrité physique et psychique, et s'étant vu allouer par le Tribunal de police une indemnité de CHF 2'500.- avec intérêts à 5 % dès le 2 août 2013 (recte : 2010), elle requérait le paiement de son tort moral dès lors qu'elle n'avait rien pu obtenir de l'auteur de l'infraction.

8. L'instance LAVI a entendu Mme A______ le 12 juin 2014.

Celle-ci a indiqué être en arrêt maladie depuis le mois de novembre 2013, et touchait des allocations perte de gain dans ce cadre. Elle avait vu le médecin-conseil. Suite aux faits, elle avait continué à travailler après avoir été changée de poste. Au moment du jugement, soit en 2013, le traumatisme avait ressurgi.

Physiquement, elle n'avait plus de séquelle. Elle avait reçu un soutien psychologique le jour même, puis avait été suivie par la psychiatre de la prison, puis par une psychiatre privée, qu'elle voyait toujours une fois par semaine. Elle n'avait pas été soutenue par sa hiérarchie, et ne voyait plus ses anciens collègues.

L'auteur de l'infraction était insolvable, et son avocate n'avait reçu aucune réponse à sa mise en demeure. Elle s'engageait à fournir un rapport médical récent relatif aux séquelles psychologiques.

9. Le 24 juin 2014, la Doctoresse E______, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, a rédigé un certificat médical concernant Mme A______.

Elle suivait cette dernière depuis le 14 novembre 2013, la Doctoresse F______ ayant vu l'intéressée peu après les faits. Mme A______ n'avait pu lui relater les faits à l'origine de son traumatisme que le 10 juin 2014, soit deux jours avant son audition chez le juge (recte : par-devant l'instance LAVI), ce qui témoignait bien de l'importance de celui-ci et des séquelles psychiques qu'il avait générées. Elle ne pouvait s'exprimer plus précisément sur ce point.

10. Par ordonnance du 13 août 2015, l'instance LAVI a rejeté la requête.

L'atteinte physique subie par Mme A______ ne présentait pas un caractère de gravité suffisant pour justifier une indemnisation au sens de la LAVI, les examens radiologiques n'ayant révélé aucune lésion ou anomalie malgré les douleurs éprouvées par l'intéressée.

Mme A______ avait bénéficié le jour même de l'agression d'un soutien psychologique. Après cette consultation, elle n'avait au vu du dossier été suivie sur le plan psychologique qu'à partir du 14 novembre 2013. Le certificat médical du 24 juin 2014 relatait simplement les angoisses exprimées par la patiente, le médecin indiquant ne pas pouvoir s'exprimer plus précisément sur l'importance du traumatisme et ne posant aucun diagnostic.

On ne pouvait dès lors retenir une atteinte psychologique suffisamment importante et durable nécessitant d'allouer une somme au titre de réparation morale, le seuil élevé posé par la LAVI à ce sujet ayant récemment été rappelé par le Tribunal fédéral.

De plus, les fonctionnaires de la prison recevaient une indemnité pour risques inhérents à la fonction équivalant à 15 % de la classe 14, annuité 0 de l'échelle des traitements. Sans nier la peur qu'avait pu ressentir Mme A______, il y avait lieu de souligner que la maîtrise des détenus récalcitrants faisait partie des tâches inhérentes à la fonction de gardienne de prison.

11. Par acte posté le 14 septembre 2015, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'ordonnance précitée, concluant préalablement à la comparution personnelle des parties, et principalement à l'annulation de l'ordonnance attaquée et à l'octroi d'une indemnisation pour tort moral de CHF 2'500.-, avec intérêts à 5 % l'an dès le 2 août 2010, l'instance LAVI devant être condamnée en tous les frais et « dépens » de la procédure.

L'agression dont elle avait fait l'objet était grave, et avait provoqué un traumatisme crânien et des séquelles psychologiques attestées. Les gardiens avaient certes le devoir de maîtriser les détenus récalcitrants, mais cela ne signifiait en aucun cas que le fait de subir des agressions fasse partie des tâches inhérentes à la fonction de gardien de prison. La violence déployée dans le cas d'espèce était intolérable ; il s'agissait d'un événement extraordinaire en tout état non couvert par la prime de risque.

12. Le 13 octobre 2015, l'instance LAVI a conclu au rejet du recours.

Sur le plan physique, les conséquences de l'agression n'avaient pas été assez graves pour justifier une réparation morale au sens de l'art. 22 LAVI ; et sur le plan psychique, le certificat médical du 24 juin 2014 ne mentionnait pas de syndrome de stress post-traumatique, et les autres certificats produits se bornaient à attester de l'incapacité de travail de l'intéressée, sans plus de précision.

13. Le 27 novembre 2015, Mme A______ a persisté dans ses conclusions.

Elle sollicitait la tenue d'une audience « répondant aux exigences de l'art. 6 par. 1 » de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) afin notamment d'établir l'évolution de son état de santé, singulièrement depuis sa dernière audition, très brève et peu fouillée, par l'instance LAVI.

Selon la jurisprudence, le droit à une réparation morale était ouvert notamment en cas de préjudice psychique important tel qu'un état de stress post-traumatique conduisant à un changement durable de la personnalité.

Or elle avait subi un tel stress et était psychologiquement très fragile depuis l'agression qu'elle avait subie. Suite à cet événement, elle était tombée dans la dépendance à la cocaïne, et avait séjourné à la clinique G______ entre mars et mai 2015, et à H______ en août et septembre 2015. En outre, elle était toujours en dépression, avec de fortes angoisses. Elle était en incapacité de travail depuis vingt-cinq mois, soit indéniablement une longue période.

Elle avait effectué les démarches nécessaires auprès de l'assurance-invalidité (ci-après : AI) pour pouvoir, lorsque son état le lui permettrait, bénéficier d'une réadaptation professionnelle. Un rapport médical de l'office cantonal des assurances sociales (ci-après : OCAS) envoyé le 29 juin 2015 retenait expressément un état de stress post-traumatique ainsi qu'un trouble dépressif d'intensité moyenne.

On devait ainsi admettre qu'elle avait droit à la réparation de son tort moral en raison d'une longue période de souffrance et d'incapacité de travail, ainsi qu'un changement durable de la personnalité.

14. Était joint à la réplique ledit rapport, en fait rédigé par le Docteur I______, psychiatre à la clinique G______, sur demande de l'OCAS.

Les trois diagnostics retenus avec effet sur la capacité de travail étaient : trouble dépressif récurrent, d'intensité moyenne, évoluant depuis 2009 (recte : 2010) ; traits de syndrome de stress post-traumatique, évoluant depuis 2009 (recte : 2010) ; trouble de la personnalité de type émotionnellement labile de type borderline, évoluant depuis 1999.

Parmi les six diagnostics sans effet sur la capacité de travail, on trouvait trois types d'assuétude présents depuis 2013, ainsi qu'un trouble du comportement alimentaire de type anorexie mentale, évoluant depuis 1997.

Il ressortait par ailleurs de l’anamnèse, que Mme A______ avait rencontré des difficultés dans sa jeunesse. En 2009, elle avait commencé un travail comme surveillante à la prison. La même année (sic), elle avait subi une agression par un détenu, et développé une décompensation anxio-dépressive avec plusieurs traits de syndrome de stress post-traumatique.

Les restrictions par rapport à l'activité jusque-là exercée étaient entièrement d'origine psychiatrique en relation avec son état dépressif, son trouble de la personnalité et ses dépendances.

15. Le 17 février 2016, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

Par rapport à ses différents ennuis de santé et à leurs liens avec l’agression, Mme A______ a dit avoir eu beaucoup d’angoisses et de peurs, ainsi que de la peine à s’endormir, ce pourquoi elle s'était réfugiée dans la cocaïne et les médicaments. Elle avait arrêté de travailler en raison justement de l’angoisse qui la gagnait lorsqu'elle allait travailler à la prison. Elle avait demandé à être mutée dans un secteur plus administratif, mais n'avait pas été soutenue par sa hiérarchie ; en outre, il s'avérait difficile même de devoir se rendre à la prison et d’avoir des contacts avec les familles des détenus.

Elle avait depuis perdu son travail, touchant encore de la Caisse de prévoyance des fonctionnaires de police et de la prison environ CHF 3'000.- par mois, bien qu'elle eût dépassé les sept cent vingt jours d’arrêt maladie. Elle avait également sollicité, dans le cadre de l’AI, des mesures de reconversion professionnelle. Elle ne pouvait pas encore suivre de cours, car elle venait de sortir de la clinique J______ et devait y retourner, mais souhaitait se former dans le domaine de la bureautique ou de l’informatique et travailler si cela était possible en contact avec les animaux.

Il ne s’agissait pas d’une petite agression comme les gardiens de prison devaient nécessairement en subir assez régulièrement, mais de quelque chose de grave. Elle avait été étranglée contre des barreaux, et du sang avait été versé au cours de l'altercation.

À l'issue de l'audience, le juge délégué a fixé à la recourante un délai au 26 février 2016 pour produire, s’il était en sa possession, le procès-verbal de l’audience du Tribunal de police, après quoi la cause serait gardée à juger.

16. Le 24 février 2016, Mme A______ a produit ledit procès-verbal de l'audience du Tribunal de police du 25 avril 2013.

S'agissant de sa prétention en tort moral, Mme A______ avait déclaré : « Vous me demandez comment ont évolué mes blessures. Physiquement, je n'ai pas de séquelles. Psychiquement, j'ai dû arrêter le travail cellulaire. J'ai changé de service. Je suis au service des avocats et huissiers. Je n'ai plus de contact avec les détenus ».

17. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 11 de la loi d’application de la LAVI du 11 février 2011 - LaLAVI - J 4 10 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de l’instance LAVI refusant à la recourante une indemnité pour tort moral suite aux événements s'étant produits à la prison le 2 août 2010.

3. L'infraction pénale comme la demande de prise en charge étant postérieures à l'entrée en vigueur de la LAVI le 1er janvier 2009, c'est cette dernière qui s'applique et non l'ancien droit (art. 48 LAVI).

4. a. La LAVI révisée poursuit le même objectif que la loi l'ayant précédée, à savoir assurer aux victimes une réparation effective et suffisante dans un délai raisonnable (Message du Conseil fédéral concernant l’aLAVI du 25 avril 1990, FF 1990 V II p. 909 ss, not. 923 ss ; ATF 134 II 308 consid. 5.5 p. 313 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_571/2011 du 26 juin 2012 consid. 4.2). Elle maintient notamment les trois « piliers » de l'aide aux victimes, soit les conseils, les droits dans la procédure pénale et l'indemnisation, y compris la réparation morale (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6701).

b. À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVI, toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle a droit au soutien prévu par la loi. Le troisième alinéa de cette disposition précise que le droit à l'aide aux victimes existe, que l'auteur de l'infraction ait été découvert ou non (let. a), ait eu un comportement fautif ou non (let. b), ait agi intentionnellement ou par négligence (let. c).

c. La reconnaissance de la qualité de victime au sens de la LAVI dépend de savoir, d’une part, si la personne concernée a subi une atteinte à son intégrité physique, psychique ou sexuelle et, d’autre part, si cette atteinte a été directement causée par une infraction au sens du droit pénal suisse. La qualité de victime au sens de la LAVI ne se confond donc pas avec celle de lésé, dès lors que certaines infractions n’entraînent pas d’atteintes – ou pas d'atteintes suffisamment importantes – à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle (ATF 120 Ia 157 consid. 2d ; ATA/973/2015 du 22 septembre 2015 consid. 3c ; ATA/699/2014 du 2 septembre 2014 consid. 3c).

5. a. Selon l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 de la loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 (livre cinquième : droit des obligations - CO - RS 220) s'appliquent par analogie. La réparation morale constitue désormais un droit (Message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6742).

b. Le système d'indemnisation instauré par la LAVI et financé par la collectivité publique n'en demeure pas moins subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation que la victime possède déjà (art. 4 LAVI ; ATF 131 II 121 consid. 2 p. 124 ; 123 II 425 consid. 4b/bb p. 430). Les prestations versées par des tiers à titre de réparation morale doivent être déduites du montant alloué par l’instance LAVI (art. 23 al. 3 LAVI). La victime doit ainsi rendre vraisemblable qu’elle ne peut rien recevoir de tiers ou qu’elle ne peut en recevoir que des montants insuffisants (ATF 125 II 169 consid. 2cc p. 175).

c. La LAVI prévoit un montant maximum pour les indemnités, arrêté à CHF 70'000.- pour la réparation morale à la victime elle-même (art. 23 al. 2 let. a LAVI). Le législateur n'a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi (ATF 131 II 121 consid. 2.2 p. 125 ; 129 II 312 consid. 2.3 p. 315 ; 125 II 169 consid. 2b/aa p. 173). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation ex aequo et bono (arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011 consid. 3 ; ATA/973/2015 précité consid. 4c ; ATA/699/2014 précité consid. 4c).

6. a. Selon la jurisprudence, des voies de fait peuvent suffire à fonder la qualité de victime si elles causent une atteinte notable à l'intégrité psychique du lésé, mais il est aussi possible que des lésions corporelles simples n'entraînent, au contraire, qu'une altération insignifiante de l'intégrité physique et psychique. En définitive, il faut déterminer si, au regard des conséquences de l'infraction en cause, le lésé pouvait légitimement invoquer le besoin de la protection prévue par la loi fédérale (ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_973/2010 du 26 avril 2011 consid. 1.2).

En effet, la notion de victime ne dépend pas de la qualification de l'infraction, mais exclusivement de ses effets sur le lésé (ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1). Toutefois, l'atteinte subie ne confère la qualité de victime au sens de l'art. 1 LAVI que lorsqu'elle présente une certaine gravité (ATF 129 IV 95 consid. 3.1 ; 129 IV 216 consid. 1.2.1 ; 125 II 265 consid. 2a/aa), par exemple lorsqu'elle entraîne une altération profonde ou prolongée du bien-être (arrêt du Tribunal fédéral 1P.147/2003 du 19 mars 2003). Il ne suffit donc pas que la victime ait subi des désagréments, qu'elle ait eu peur ou qu'elle ait eu quelque mal (ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1). L'intensité de l'atteinte se détermine suivant l'ensemble des circonstances de l'espèce (ATF 129 IV 95 consid. 3.1). S'agissant d'une atteinte psychique, elle se mesure d'un point de vue objectif, non pas en fonction de la sensibilité personnelle et subjective du lésé (131 IV 78 consid. 1.2 ; ATF 120 Ia 157 consid. 2d/cc p. 164 ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.272/2004 précité consid. 4.1).

b. Il découle par ailleurs d'une interprétation grammaticale et téléologique de l'art. 22 LAVI que le seuil de gravité de l'infraction justifiant une réparation morale est en principe supérieur à celui permettant d'admettre qu'un lésé est une victime. Admettre le contraire reviendrait en effet à vider de tout sens le membre de phrase « lorsque la gravité de l'atteinte le justifie », puisque dans ce cas toute victime aurait nécessairement droit à une réparation morale. Ce point de vue a été adopté par le Tribunal cantonal vaudois et n'a à tout le moins pas été censuré par le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 1C_296/2012 du 6 novembre 2012 consid. 3.2 ; ATA/973/2015 précité consid. 5b ; ATA/699/2014 précité consid. 5b). Par ailleurs, la LAVI n'offre pas plus de droit en réparation du tort moral que le droit civil (ATF 138 III 157 consid. 2.2).

c. L’ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l’atteinte – ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle-ci, quoique grave, peut n’avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances – et de la possibilité d’adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d’une somme d’argent (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 129 IV 22 consid. 7.2 ; 115 II 158 consid. 2 et les références citées ; Heinz REY, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 4ème éd., 2008, n. 442 ss). Sa détermination relève du pouvoir d’appréciation du juge (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 117 II 60 ; 116 II 299 consid. 5a). Il est nécessaire de préciser l'ensemble des circonstances et de s'attacher surtout aux souffrances ayant résulté de l'atteinte. Les souffrances psychologiques résultant de l'agression, tel le sentiment d'insécurité ou la perte de confiance en soi, ne doivent pas être négligées (ATA/973/2015 précité consid. 5d ; ATA/699/2014 précité consid. 5d ; ATA/118/2002 du 26 février 2002 consid. 7).

d. Dans une jurisprudence récente du Tribunal fédéral (1C_509/2014 du 1er mai 2015 consid. 2.1), celui-ci a précisé qu'en cas d'atteinte passagère, d'autres circonstances peuvent ouvrir le droit à une réparation morale fondée sur l'art. 22 al. 1 LAVI, parmi lesquelles figurent par exemple une longue période de souffrance et d'incapacité de travail, une période d'hospitalisation de plusieurs mois, de même qu'un préjudice psychique important tel qu'un état de stress post-traumatique conduisant à un changement durable de la personnalité (arrêts du Tribunal fédéral 1C_296/2012 précité consid. 3.2.2 ; 1A.235/2000 du 21 février 2001 consid. 5b/aa ; voir également Peter GOMM/Dominik ZEHNTNER, Opferhilfegesetz, 2009, n. 9 ad art. 22 LAVI ; Alexandre GUYAZ, Le tort moral en cas d'accident : une mise à jour, in SJ 2013 II p. 230). Par rapport au cas qui lui était soumis, il a annulé un arrêt de la chambre de céans et retenu qu'un policier qui avait été attaqué par une quarantaine de personnes qui s'en étaient pris à lui et à son collègue lors d'une arrestation, dont le visage resterait marqué de manière permanente par une cicatrice au-dessus de la lèvre supérieure, et qui avait souffert d'un état de stress post-traumatique, n'avait pas droit à une réparation morale, les divers éléments susmentionnés étant insuffisants pour atteindre le seuil de gravité relativement élevé exigé par l'art. 22 al. 1 LAVI et la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 1C_509/2014 précité consid. 2.4).

e. Plus récemment, la chambre de céans a jugé qu'un gardien de prison violemment agressé par un détenu (coup de tête à la mâchoire) n'avait subi qu'une atteinte passagère ne justifiant pas l'ouverture du droit à la réparation morale, quand bien même les juridictions pénales avaient alloué un montant de CHF 800.- à ce titre (ATA/973/2015 précité).

Dans une autre affaire, elle a jugé que la mise en danger de la vie d'un policier, lequel avait été évité de peu par un conducteur qui, au cours d'une course-poursuite avec les autorités, avait poursuivi sa route à 150 km/h malgré un barrage de police, n'avait pas entraîné des conséquences suffisamment graves pour ouvrir le droit à une réparation morale au sens de l'art. 22 LAVI (ATA/165/2016 du 23 février 2016).

7. En l'espèce, l'atteinte physique subie par la recourante a été temporaire, et d'une gravité insuffisante à fonder un droit à la réparation morale ; l'intéressée a été en arrêt de travail à ce titre seulement quelques jours, n'a subi aucune opération ni soins de nature invasive, et a déclaré elle-même, en avril 2013, n'en avoir plus aucune séquelle.

Du point de vue de l'atteinte psychique, au moment où l'instance intimée a statué, elle ne disposait d'aucun élément lui permettant de retenir un état de stress post-traumatique, le certificat établi par la Dresse E______ le 24 juin 2015 ne faisant état d'aucun diagnostic et ne permettant à plus forte raison pas de retenir un changement de personnalité consécutif à l'infraction.

Le rapport médical établi dans le cadre de l’AI par le Dr I______ probablement en juillet 2015, produit par la recourante seulement au stade de sa réplique par-devant la chambre de céans, ne permet pas de remettre en cause cette conclusion.

En effet, s'il y est expressément fait référence à un syndrome de stress post-traumatique, c'est sous forme de « traits » ; quant au changement de personnalité qu'il aurait engendré, ledit rapport retient plusieurs pathologies de type psychiatrique préexistant à l'infraction, en particulier un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline évoluant depuis 1999, sans se prononcer sur l'influence respective qu'auraient eu les divers facteurs sur la décompensation anxio-dépressive survenue à partir de 2010.

À cet égard, au moment du jugement pénal – dont la recourante allègue que la convocation à l'audience aurait engendré ou à tout le moins ravivé le syndrome de stress post-traumatique –, celle-ci s'est contentée d'indiquer avoir changé de service et ne plus avoir de contacts avec les détenus, sans alléguer de plus amples séquelles psychologiques ni un suivi à ce titre, qui selon le dossier n'a été entrepris qu'à partir de novembre 2013, date concomitante au début de son arrêt de travail. Il n'est ainsi pas possible de retenir que ce dernier serait dû exclusivement ou même principalement à l’agression subie.

Sans nier le caractère déplorable des événements vécus par la recourante et les souffrances ressenties par celle-ci, les conséquences desdits événements apparaissent insuffisantes à fonder le droit à une réparation morale au sens de la LAVI.

C'est dès lors à bon droit que, dans les circonstances d'espèce, l'instance LAVI a refusé d'indemniser la recourante sur la base de l'art. 22 al. 1 LAVI, la qualité de victime de Mme A______ au sens de l'art. 1 al. 1 LAVI pouvant à cet égard souffrir de rester ouverte.

Point n'est en conséquence besoin d'analyser le rôle de l'indemnité pour les risques inhérents à la fonction d'agent de détention perçue mensuellement par la recourante en sus de son salaire.

8. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

9. Vu la nature de la cause, aucun émolument ne sera prélevé (art. 87 al. 1 LPA et art. 30 al. 1 LAVI ; ATF 141 IV 262 consid. 2.2) Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2015 par Madame A______ contre la décision de l'instance d'indemnisation LAVI du 13 août 2015 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat de la recourante, à l'instance d'indemnisation LAVI, ainsi qu’à l’office fédéral de la justice.

Siégeants : M. Dumartheray, président, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

D. Dumartheray

 

 

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :