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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1278/2001

ATA/118/2002 du 26.02.2002 ( INDM ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : AIDE AUX VICTIMES; INDEMNITE(EN GENERAL); AGRESSION; TORT MORAL; VICTIME; indm
Normes : LAVI.12
Résumé : Le Tribunal administratif a augmenté de Frs 1'200.- à Frs 6'000.- l'indemnité pour tort moral versée à la victime d'un brigandage à l'arme blanche, commis en bande. Il a été tenu compte du fait que la victime devra vivre avec une cicatrice de 9 cm sur le visage, que l'agression commise sur la voie publique, pour laquelle la Cour correctionnelle a retenu l'absence particulière de scrupule des auteurs, a altéré de manière sensible le sentiment de sécurité du recourant et l'a conduit à se soumettre à un traitement psychologique. Pour calculer l'indemnité apte à compenser le tort moral subi, il est nécessaire de s'attacher plus aux souffrances ayant résulté de l'atteinte que de la gravité de l'atteinte elle-même. L'indemnité allouée doit être équitable et il appartient au juge d'éviter que la somme accordée n'apparaisse dérisoire à la victime.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 26 février 2002

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur B. S.

représenté par Me Michael Anders, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

INSTANCE D'INDEMNISATION DE LA LAVI

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur B. S., né en 1973, a été victime, dans la nuit du 20 au 21 mai 2000 à Genève, d'un brigandage. Au cours de cet acte, il a été frappé au visage à l'arme blanche.

 

2. Ce soir là, vers 3h30 du matin, accompagné par un ami, M. S. sortait d'une boîte de nuit lorsqu'il s'est fait accoster par un groupe d'inconnus qui lui a réclamé son porte-feuille et son téléphone portable. C'est en voulant récupérer ce dernier que M. S. a été blessé. Bénéficiant d'un fort taux d'adrénaline, il n'a pas senti la douleur sur le moment, bien que le sang coulait abondamment.

 

3. Sans réellement avoir conscience de la gravité de sa blessure, M. S. a été immédiatement pris en charge par la Division des Urgences Médico-chirurgicales de l'Hôpital cantonal, puis par l'Unité de Chirurgie Plastique et Reconstructive des HUG. Cette dernière a, dans les mois qui ont suivi, renoncé à pratiquer une intervention chirurgicale, la bonne réduction de la cicatrice la rendant inopportune. M. S. s'est rallié à cet avis, le remède pouvant se révéler pire que le mal.

 

4. Les agresseurs de M. S. ont été arrêtés et condamnés le 7 juillet 2000 à des peines de réclusion par la Cour Correctionnelle de Genève. Dans ses considérants, la Cour relève que "les auteurs du brigandage perpétré au détriment de M. S. - soit tous les accusés sauf G. - n'ont pas hésité à recommencer, même après avoir constaté que la victime avait été grièvement blessée, ce qui traduit leur absence totale de scrupule.".

 

5. Suite à l'agression, l'état psychique de M. S. a nécessité l'intervention d'un psychothérapeute. Ce dernier a relevé le vif sentiment d'insécurité et d'anxiété présent chez la victime se traduisant notamment par des comportements compulsifs de vérification et une crainte du monde extérieur. Ainsi, M. S. vérifiait constamment avoir bien fermé son appartement, craignait de croiser des groupes d'individus dans la rue, se dépêchait de rejoindre sa voiture, présentait une gêne dans les relations et une diminution de l'estime de soi.

 

6. Par lettre du 27 novembre 2000, M. S. a formé une demande en réparation du tort moral auprès de l'Instance d'Indemnisation de la LAVI (ci-après "l'instance"). Il y exposait les circonstances et les suites de son agression, ainsi que les séquelles physiques et psychiques qui en découlaient.

 

7. M. S. a une cicatrice sur le côté gauche du visage de 9 cm, le long de la mandibule.

 

8. En janvier puis en novembre 2001, l'instance a entendu M. S., puis lui a proposé au 1er novembre 2001 une somme de CHF 1'200.- à titre de réparation morale.

 

9. Par lettre du 5 novembre 2001, M. S. a exprimé son désaccord avec la proposition qui lui avait été faite, arguant que celle-ci se basait sur une jurisprudence très éloignée de son cas.

 

10. Par ordonnance du 12 novembre 2001, l'instance a octroyé à M. S. une somme de CHF 1'200.- à titre de réparation morale.

 

11. Par acte déposé auprès du Tribunal administratif le 17 décembre 2001, M. S., représenté par un avocat a recouru contre cette décision. Il reproche à l'instance de ne pas avoir tenu compte de la part du tort moral lié aux conséquences immédiates du brigandage, du fait que l'infraction avait été commise intentionnellement et du fait qu'il a dû suivre un traitement psychothérapeutique. De même, le recourant estime que l'instance n'a pas suffisamment pris en compte son jeune âge et l'impact négatif sur son avenir professionnel de la cicatrice sur le visage. Le recourant conclut à ce qu'il lui soit alloué une somme de CHF 12'000.- à titre de réparation morale et CHF 1'950.- pour ses frais d'avocat dans la procédure de recours.

 

12. Dans sa réponse du 10 janvier 2002, l'instance a relevé que sa décision avait pris en compte l'ensemble du traumatisme subi par le recourant et a renvoyé pour le surplus à sa décision du 12 novembre 2001.

 

13. Une comparution personnelle de M. S. a eu lieu le 8 février 2002. Il est apparu que:

 

- M. S. a été assez profondément traumatisé par les événements de mai 2000;

- Il a encore quelques craintes la nuit tombée lorsqu'il se promène en ville et qu'il ressent plus de méfiance envers autrui qu'auparavant;

- La cicatrice qu'il a au visage se voit peu de face, assez distinctement de profil, mais qu'elle a perdu sa couleur vive. Le recourant continue de la traiter avec différentes pommades. La cicatrice n'est pas douloureuse, mais provoque parfois quelques démangeaisons;

- Le recourant travaille depuis le mois de janvier 2001 pour une société financière. Il est fréquemment en contact avec la clientèle et il estime que sa cicatrice n'a pas porté préjudice à ses conditions d'engagement. Il a cependant toujours le sentiment, lorsqu'il est avec un client, qu'un regard différent se pose sur lui.

 

14. La cause a été gardée à juger.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. a. Entrée en vigueur le premier janvier 1993, la LAVI a été adoptée pour assurer aux victimes une réparation effective et suffisante dans un délai raisonnable (Message du Conseil fédéral concernant la LAVI du 25 avril 1990 - RS 312.5, FF 1990, vol. II pp. 909 ss, not. 923 ss - ci-après : message).

 

b. A cet effet, l'article 1 alinéa 2 précise l'objet de l'aide fournie, comprenant notamment la protection de la victime et la défense de ses droits dans la procédure pénale (let b) et l'indemnisation et la réparation morale (let. c).

 

c. Bénéficie de ces mesures d'aide toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique (victime), que l'auteur ait été ou non découvert ou que le comportement de celui-ci soit ou non fautif (art. 2 al. 1 LAVI).

 

3. a. Une somme peut être versée à la victime pour réparation morale, indépendamment de son revenu, lorsqu'elle a subi une atteinte grave et que des circonstances particulières le justifient (art. 12 al. 2 LAVI).

 

Les prestations reçues à titre de réparation du tort moral sont déduites de la somme allouée à titre de réparation morale (art. 14 al. 1 3ème phr. LAVI).

 

b. La formule prévue par l'article 12 alinéa 2 LAVI pour la réparation morale laisse une marge d'appréciation à l'autorité. La réparation morale n'est pas un droit, à la différence de l'indemnité. Elle peut donc s'ajouter à l'indemnité ou être accordée dans des cas où aucune indemnité n'est versée. Elle ne fait pas partie de l'indemnisation. La limitation en matière de revenu à laquelle cette dernière est soumise ne lui est donc pas applicable. La situation financière de la victime ne sera toutefois pas sans importance. La réparation morale doit permettre d'atténuer certaines rigueurs découlant de l'application des dispositions concernant l'indemnité, en particulier du plafond des ressources. On pourra ainsi tenir compte des cas dans lesquels le dommage matériel n'est pas important, mais dans lesquels le versement d'une somme d'argent, à titre de réparation morale, se justifie, par exemple en cas d'infraction d'ordre sexuel. Le montant alloué à titre de réparation morale n'est pas limité. Toutefois, le maximum fixé par le Conseil fédéral (art. 4 al. 1 OAVI) pour les indemnités devra aussi servir de ligne directrice pour la somme allouée à titre de réparation morale (Message du Conseil fédéral précité, FF 1990, Vol. II p. 939), (RDAF 1999 p. 79).

 

c. En sus de la jurisprudence publiée sur ce point et en considération du libellé de l'article 12 alinéa 2 LAVI, pour l'essentiel analogue à celui de l'article 49 CO et poursuivant le même but, le Tribunal administratif se fondera également sur la jurisprudence rendue en matière d'indemnisation du tort moral sur la base de l'article 49 CO. Cette référence au droit civil se justifie d'autant plus qu'elle est expressément prévue par le Conseil fédéral (Message, page 939/940).

 

d. L'ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l'atteinte - ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle-ci, quoique grave, peut n'avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances - et de la possibilité d'adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d'une somme d'argent (DESCHENAUX/STEINAUER, Personnes physiques et tutelle, 2ème éd. p. 161 N° 624; ATF 115 II 158 consid. 2 et les références). Sa détermination relève du pouvoir d'appréciation du juge (ATF 117 II 60; 116 II 299, consid. 5a).

 

e. En raison de sa nature, elle échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 118 II 410-413; 117 II 60 consid. 4a et les références; 116 II 736 consid. 4g). L'indemnité pour tort moral est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, ne peut que difficilement être réduit à une somme d'argent. C'est pourquoi, son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l'indemnité allouée doit être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l'atteinte et évitera que la somme accordée n'apparaisse dérisoire à la victime. S'il s'inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles (ATF 118 II 410 ss; ATF 89 II 25/26).

 

f. Le Tribunal fédéral a encore précisé que, si l'autorité de recours cantonale jouit d'un plein pouvoir d'examen, conformément à l'article 17 LAVI, cela ne l'empêche pas de respecter, pour les questions d'appréciation, la marge de manœuvre reconnue à l'administration. L'autorité de recours peut se contenter de contrôler le caractère approprié de la somme allouée par l'administration et, si cette dernière est conforme à l'équité, s'abstenir de modifier la décision attaquée, même lorsque, si elle avait eu à trancher en première instance, elle ne serait peut-être pas arrivée à la même somme (ATF 123 II 212; RDAF précitée).

 

4. Il est établi que le recourant a fait l'objet d'un brigandage à l'arme blanche dont la brutalité et l'absence complète de respect humain ont amené la Cour Correctionnelle de Genève à relever l'absence totale de scrupule des auteurs. Une telle agression, qui s'est produite, tard dans la nuit, dans un quartier plutôt fréquenté, est de nature à altérer de manière sensible le sentiment de sécurité de la victime.

 

5. Dans le cas particulier, l'intimée, tenant compte d'une décision saint-galloise, a retenu un montant de CHF 1'200.-- à titre de réparation morale, en regard du traumatisme subi par le recourant du fait de sa cicatrice sur le visage et de l'ensemble des conséquences.

6. a. La référence à une décision rendue dans une situation semblable peut être considérée comme la recherche d'un point de départ objectif pour la détermination du tort moral. L'indemnité alors accordée par le tribunal saint-gallois ascendait, pour une cicatrice de 10 cm sur le corps, à CHF 1'000.- (Kger du 12.7.1994 citée dans "Le tort moral", Klaus Hütte v.a. Schulthess Polygraphischer Verlag AG 1996, Zürich, VII/2, 4/96).

 

b. Il existe cependant d'autres jurisprudences qui précisent la notion de tort moral et la manière de calculer les indemnités à accorder. Elles relèvent avec à propos que l'ampleur de la réparation doit dépendre avant tout de la gravité de la souffrance ayant résulté de l'atteinte subie bien plus que de la gravité de l'atteinte elle-même (ATA M. du 29 février 2000).

 

c. Par sa décision, l'instance donne l'impression, bien qu'elle s'en défende, d'avoir restreint le calcul de l'indemnité à la gêne provoquée chez la victime par la cicatrice, faisant abstraction des souffrances annexes. Pour en tenir dûment compte, elle aurait notamment pu se référer à un arrêt bernois qui accorde une indemnité de CHF 8'000.- à une personne blessée par un coup de couteau à la poitrine, sans mise en danger grave, accompagné de troubles psychologiques et d'une cicatrice disgracieuse (StrafamtsGer BE du 12/13.1/17.3.1994 n.p. s. 12 f. cité dans "Le tort moral", Klaus Hütte op. cit.VIII/4, 4/96). Cette dernière jurisprudence a le mérite de mettre en exergue les troubles psychologiques qui ont découlé de l'agression.

 

7. On ne peut pas déduire d'une simple méthode mathématique, par comparaison avec un cas similaire, l'indemnité apte à compenser le tort moral qu'a subi une victime dans un cas particulier. Il est nécessaire de préciser l'ensemble des circonstances et de s'attacher surtout aux souffrances ayant résulté de l'atteinte. Ainsi, la taille ou l'emplacement de la cicatrice peut être utile pour déterminer l'ampleur du tort moral qu'elle peut engendrer en elle-même pour la victime, mais en aucun cas servir pour le calcul global de l'indemnité. Les souffrances psychologiques résultant de l'agression, tel le sentiment d'insécurité ou la perte de confiance en soi, ne doivent pas être négligées. Ainsi, eu égard au choc psychologique consécutif à l'agression, l'indemnité arrêtée par l'instance à CHF 1'200.- est trop faible pour être qualifiée d'équitable.

 

8. Appliqués au cas d'espèce, les principes précités amènent à allouer une somme plus importante à la victime, eu égard aux troubles qu'elle a subis et qu'elle ressent encore près de deux ans après les faits. Sur la base du dossier et suite à la comparution personnelle, le tribunal considère que les troubles psychologiques ressentis par le recourant sont de gravité moyenne. Le trouble lié à l'agression perdure et celui lié à la cicatrice se prolongera encore. Il convient de se conformer aux jurisprudences déjà rendues (notamment ATA V. du 28 août 2001; ATA M. du 29 février 2000; ATA K.M. du 30 mai 1995; ATA B. du 9 mai 1995). Le tribunal arrêtera ainsi à CHF 6'000.- la somme devant être allouée au recourant à titre de réparation morale, estimant que ce montant est propre à atteindre le but poursuivi par la LAVI et est conforme à la jurisprudence cantonale et fédérale.

9. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu.

 

10. Une indemnité de procédure de CHF 1'950.-, valant participation aux frais d'avocat sera allouée à M. S., à la charge de l'Etat de Genève.

 

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 17 décembre 2001 par Monsieur B. S. contre la décision de l'instance d'indemnisation de la LAVI du 12 novembre 2001;

 

au fond :

 

l'admet partiellement;

 

invite l'instance d'indemnisation de la LAVI à allouer une indemnité de CHF 6'000.- à Monsieur S., sous déduction de ce qu'il a déjà reçu, l'y condamne en tant que besoin;

 

rejette le recours pour le surplus;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'950.- au recourant, à charge de l'Etat de Genève;

 

dit que conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire; il est adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14; le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

communique le présent arrêt à Me Michael Anders, avocat du recourant, ainsi qu'à l'instance d'indemnisation de la LAVI.

 


Siégeants : M. Thélin, président, MM. Paychère, Schucani, Mme Bonnefemme-Hurni, juges, M. Bonard, juge

suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

C. Del Gaudio-Siegrist Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci