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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3595/2021

ATA/298/2022 du 22.03.2022 ( EXP ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3595/2021-EXP ATA/298//2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 mars 2022

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Philippe Cottier, avocat

contre

COMMUNE B______
représentée par Me Steve Alder, avocat



EN FAIT

1) A______ SA (ci-après : A______ ou la société) est une société anonyme inscrite au registre du commerce de Genève depuis le 19 juillet 2010, ayant son siège à Genève, et ayant pour but l’achat, la vente, la construction, la location, la transformation et la mise en valeur de biens immobiliers.

2) Messieurs C______ sont propriétaires de la parcelle n° 1______ de la commune B______ (ci-après : la commune), sise chemin des D______, 1212 Grand-Lancy.

Cette parcelle, d’une superficie de 1'129 m2, comporte une maison individuelle d’une emprise au sol de 94 m2, ainsi que trois petits bâtiments annexes d’emprises au sol de 15 m2 (souterrain), 13 m2 et 22 m2 (garage).

Elle est située en zone de développement 3.

3) Par acte notarié du 15 juillet 2021, MM. C______ ont vendu leur bien à A______ pour un prix de CHF 1'820'000.-.

L’immeuble était exempt de servitudes, de charges foncières et d’annotations.

Il était grevé d’un droit de préemption au profit de l’État de Genève et de la commune en application de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05) vu sa situation en 3ème zone de développement.

4) Le 16 juillet 2021, le notaire a informé l’État et la commune de la conclusion de l’acte de vente à terme.

5) Le 17 août 2021, l’État a renoncé à exercer son droit de préemption.

6) Le 25 août 2021, la commune a informé le notaire que son conseil administratif avait décidé de faire valoir son droit de préemption.

7) Le 10 septembre 2021, la commune a imparti à A______ un délai au 15 septembre pour se déterminer.

Comme elle l’avait indiqué oralement le 6 septembre 2021, la parcelle se trouvait dans le périmètre du plan directeur de quartier (ci-après : PDQ) n° 2______ et du futur plan localisé de quartier (ci-après : PLQ) n° 3______ «  D______ ». Dans ce dernier, elle souhaitait réaliser un habitat évolutif pour seniors (ci-après : HEPS) au sein duquel cohabiteraient des personnes âgées à autonomie réduite et des étudiants pouvant leur venir en aide, et pour lequel elle bénéficiait déjà d’une certaine expérience, pour avoir réalisé un tel projet dans le quartier du E______. Elle disposait déjà dans le PLQ de 3'298 m2 de surface à bâtir et l’ajout de 1'500 m2 la ferait bénéficier d’une position de négociation plus forte lui permettant d’assurer le développement d’un quartier riche en équipements publics et exemplaire en termes écologiques et sociaux, un but s’inscrivant dans les objectifs de la LGL.

8) Le 15 septembre 2021, A______ a demandé l’audition par la commune de ses administrateurs et qu’il soit entre-temps sursis à toute décision.

Elle était surprise que tous les échanges oraux n’aient pas été pris en compte. Elle souhaitait participer au développement urbanistique du quartier en devenant détentrice de droits à bâtir. La commune ne lui avait jamais fait part de ses intentions, elle avait renoncé à son droit de préemption sur une parcelle voisine quelques mois plus tôt et expliquait disposer de suffisamment de droits à bâtir.

Le courrier était transmis à tous les membres du conseil municipal, en vue de la séance extraordinaire devant se tenir le lendemain.

9) Le 16 septembre 2021, le conseil municipal de la commune a autorisé le conseil administratif à exercer le droit de préemption par vingt-et-un oui, trois non et quatre abstentions, attendu que la parcelle était située dans le périmètre du futur PLQ, dans lequel la commune détenait déjà des droits à bâtir pour 3'298 m2 et qu’elle permettrait de les augmenter à 4'800 m2 et de réaliser un HEPS, une crèche et des locaux associatifs et commerciaux.

Selon l’exposé des motifs présenté par le conseil administratif, les mètres carrés de surface brute de plancher (ci-après : SBP) supplémentaires pourraient par exemple être destinés au bâtiment HEPS afin d’atteindre la taille critique nécessaire à un tel projet. Les droits à bâtir supplémentaires acquis sur le site de la «  D______ » pourraient en outre servir en partie de « monnaie d’échange » dans la négociation portant sur des parcelles à la rampe du E______. Les négociations relatives au site de la «  D______ » avaient été difficiles, mais un compromis avait pu être trouvé, et l’arrivée d’un nouvel acteur pourrait compliquer la procédure entamée.

Le courrier de A______ de la veille a été lu au début de la séance.

10) Par décision du 17 septembre 2021, la commune en a informé A______.

Elle souhaitait réaliser dans le périmètre du PLQ un habitat évolutif pour seniors qui assurerait une mixité générationnelle et une solidarité sociale, ce qui nécessitait l’acquisition de droits à bâtir. Cette dernière lui conférerait en outre une position plus forte dans les négociations au sujet du futur PLQ pour assurer le développement d’un quartier riche en équipements publics, avec des espaces libres, de qualité et généreux, exemplaires en termes écologiques et sociaux, ainsi qu’il ressortait de l’exposé des motifs, qui était annexé.

Le fait qu’elle aurait affirmé lors de discussions en 2020 qu’elle disposait de suffisamment de droits à bâtir ne l’empêchait pas d’exercer son droit de préemption plusieurs mois plus tard si elle estimait que l’acquisition était nécessaire pour mettre en œuvre comme en l’espèce un but promu par la LGL.

La volonté de A______ d’être un partenaire constructif, pour louable qu’elle fût, n’était pas un argument empêchant la commune d’exercer ce droit, d’autant plus que celle-là n’indiquait pas son intention de développer du logement social tel que prévu par la LGL, contrairement à la commune.

Le fait que la commune avait renoncé à exercer ce droit lors de la vente d’une autre parcelle n’était pas déterminant, chaque transaction lui ouvrant une nouvelle possibilité de l’exercer.

11) Par acte déposé au greffe le 20 octobre 2021, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation. Préalablement, les parties devaient être entendues, ainsi que, à titre de témoins, Messieurs F______, G______, H______, I______, J______, C______ et K______ et Mesdames L______, M______ et N______.

Les parcelles de la « D______ » étaient majoritairement détenues par des acteurs publics, soit l’État, la commune et la fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif (ci-après : FPLC). Elle avait conclu une promesse de vente avec Madame N______ portant sur la parcelle n° 1'214. Il était notoire que la Société Privée de Gérance (ci-après : SPG) avait participé aux réflexions sur le futur quartier, en sa qualité de représentante de Mme N______ et du futur acquéreur de la parcelle de MM. C______. La commune savait que la SPG projetait de construire des appartements en propriété par étages (ci-après : PPE) sur des droits à bâtir de 3'500 à 3'900 m2. Il ressortait des variantes de programmes et de répartitions que les surfaces destinées aux immeubles avec encadrement pour personnes âgées (ci-après : IEPA) s’élevaient à 1'000 m2 de SBP, soit moins que les droits à bâtir déjà détenus par la commune. Lors d’une rencontre du 7 octobre 2020, la commune avait affirmé qu’elle avait assez de droits à bâtir. Lors d’une rencontre du 23 novembre 2020, la FPLC avait estimé important, au nom de la mixité, que des logements en PPE soient proposés à la population. De ce fait l’État ne préempterait pas. C’était forte de ces intentions que A______ avait décidé d’acquérir les parcelles de Mme N______ et MM. C______.

L’exercice du droit de préemption violait la LGL, la liberté économique et la garantie de la propriété. La LGL ne permettait la préemption qu’aux fins de construire des logements d’utilité publique, soit des immeubles d’habitation bon marché (ci-après : HBM), des immeubles d’habitation à loyers modérés (ci-après : HLM) et des immeubles d’habitation mixtes (ci-après : HM). Or, la délibération de la commune prévoyait de construire un HEPS, une crèche et des locaux associatifs et commerciaux, ce que le courrier du 17 septembre 2021 ne mentionnait que partiellement, et il était douteux qu’une crèche et des locaux commerciaux entrassent dans le champ de la loi.

En tant qu’il avait pour but de conférer à la commune une position plus forte, l’exercice du droit de préemption constituait des représailles à son encontre, car il permettrait à la commune de faire prévaloir son souhait de réduire le parcage en sous-sol au détriment du projet de logements en PPE.

L’utilisation de la parcelle comme monnaie d’échange pour pouvoir aménager un parc public sur un autre périmètre ne respectait par le but de la LGL. L’exercice du droit de péremption obéissait en réalité à d’autres considérations que la construction de logements, que la commune n’avait pas de véritable intention de réaliser. La commune ne démontrait aucun intérêt public prépondérant à l’intérêt privé de A______ de réaliser des logements en PPE à destination de la classe moyenne. Elle avait souhaité bénéficier des longues négociations menées avec la représentante de A______ pour s’attribuer l’important travail accompli. Elle perdait de vue que la mixité devrait se refléter dans le PLQ. Or, le projet comprenait majoritairement des logements sociaux et seul A______ avait le projet de réaliser des logements en PPE.

Les proportions de types de logement prévues par la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) ne seraient pas respectées, et aucune dérogation ne pourrait être accordée. Le projet de la commune de construire un HEPS contreviendrait aux objectifs de mixité de la loi.

Le principe de la bonne foi avait été violé par la commune, qui avait adopté une attitude déloyale en assurant qu’elle ne préempterait par la parcelle car elle disposait de suffisamment de droits à bâtir alors que ses intentions étaient tout autres.

12) Le 17 décembre 2021, la commune a conclu au rejet du recours. L’audition de Messieurs O______, P______ et Q______ et de Mesdames R______ et S______ était offerte à titre de preuve.

C’était la délibération du conseil municipal qui constituait la décision attaquable.

Elle manifestait depuis plusieurs années son intention de réaliser un HEPS, sur le modèle de celui construit dans le quartier de l’Adret. Il s’agissait du motif pour lequel elle avait exercé son droit de préemption. L’éventualité d’utiliser les droits à bâtir comme monnaie d’échange avait été abandonnée et l’intégralité de ceux-ci serait utilisée dans le cadre du PLQ de la « D______ ». L’HEPS constituerait du logement social puisqu’il offrirait aux seniors des logements correspondant aux exigences HLM. Il existait une pénurie notoire de logements sociaux. Ceux-ci primaient les logements en PPE, et il était toujours préférable qu’une collectivité publique les réalise. La commune était active dès le début dans le développement du projet de la « D______ » et elle y possédait déjà deux parcelles. Sa décision de préempter ne la faisait pas profiter du travail de la recourante.

Il suffisait au stade de l’exercice du droit de préemption de vérifier que le potentiel constructible existait et qu’aucun obstacle ne s’opposait à la réalisation de l’HEPS, ce qui était le cas. Si les proportions de loyers libres devaient ne pas être respectées dans un stade ultérieur, le département du territoire (ci-après : DT) pourrait accorder une dérogation.

La commune n’avait donné aucune assurance à la recourante qu’elle n’exercerait pas son droit de préemption. Lorsqu’elle prenait position en telle hypothèse, elle le faisait par écrit, et la recourante ne lui avait pour sa part rien demandé, étant précisé que seul le conseil administratif in corpore aurait été à même de prendre position. La renonciation à exercer le droit de préemption sur une précédente vente n’était pas de nature à créer chez la recourante des attentes légitimes. La recourante n’indiquait pas quelles dispositions elle aurait prises sur la base des assurances qu’elle disait avoir reçues, ni quels désavantages elle subirait du fait de la préemption. Le temps qu’elle disait avoir investi l’était en sa qualité de mandataire des propriétaires de la parcelle n° 1'214.

13) Le 4 mars 2022, la recourante a persisté dans ses conclusions.

La commune projetait également de réaliser une crèche, des locaux associatifs, une maison de quartier et des commerces de proximité. L’HEPS comprendrait également des logements pour étudiants, une unité d’accueil temporaire, un cabinet médical et un cabinet de physiothérapie, un salon lavoir et des possibilités de restauration, lesquels ne répondaient pas aux objectifs de la loi pour la construction de logements d'utilité publique du 24 mai 2007 (LUP - I 4 06) ni à la définition de logement de la LGL.

14) Le 8 mars 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les parties concluent préalablement à l’audition de témoins.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour les parties de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 154 consid. 2.1 et 4.2 ; 132 II 485 consid. 3.2). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

b. En l’espèce, l’audition des témoins vise à prouver les intentions des cédants, M. C______ et Mme N______, les projets de la recourante, le travail accompli par la SPG ainsi que le déroulement des discussions préalables à l’adoption d’un PLQ. Les projets de la recourante, de bâtir des logements en PPE, ainsi que l’activité de la SPG ne sont pas contestés. Il sera vu plus loin que les discussions entre les détenteurs de droits à bâtir sont sans pertinence pour l’issue du litige. La chambre de céans considère que le dossier est suffisamment documenté et en état d’être jugé, de sorte que les demandes d’actes d’instruction des parties seront écartées.

3) a. La chambre administrative a déjà jugé à plusieurs reprises que la délibération d’un conseil municipal portant sur l'exercice d'un droit de préemption est une mesure individuelle et concrète prise par l’autorité compétente et fondée sur le droit public cantonal, soit la LGL, et constitue une décision au sens de la LPA (ATA/1222/2021 du 16 novembre 2021 consid. 2 ; ATA/234/2016 du 15 mars 2016 consid. 2 ; ATA/970/2014 du 9 décembre 2014 consid. 2 et les arrêts cités).

b. En l’espèce, la décision d’exercer le droit de préemption communal a été communiquée à la recourante par courrier du 17 septembre 2021, dans le délai légal de trente jours (art. 5 al. 2 let. b LGL).

Le litige porte sur la décision de la commune d'exercer son droit de préemption sur la parcelle n° 1______ de son territoire, manifestée par courrier du 17 septembre 2021, faisant suite à la délibération du conseil municipal de la veille.

4) La recourante soutient que la décision litigieuse viole la garantie de la propriété, la liberté économique ainsi que la LGL.

a. L'exercice par une collectivité d'un droit de préemption légal sur un immeuble constitue une restriction grave du droit de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 Cst. (ATF 88 I 248 consid. III.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_86/2015 du 20 avril 2016 consid. 3.1 publié en partie aux ATF 142 I 76 consid. 3 ; 1P.552/1998 du 9 février 1999 consid. 2). Pour être compatible avec cette disposition, l'exercice du droit de préemption doit reposer sur une base légale – une loi au sens formel –, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a et les arrêts cités ; Thierry TANQUEREL, Le droit de préemption légal des collectivités publiques, in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER, La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 153-154).

De la même manière, la liberté économique, garantie par l’art. 27 Cst., peut se voir limitée par des mesures restrictives poursuivant des motifs d'ordre public, de politique sociale ou des mesures ne servant pas en premier lieu des intérêts économiques (ATF 140 I 218 consid. 6.2 p. 229).

b. La LGL a pour but de permettre à l'État d'encourager la construction de logements d'utilité publique et d'améliorer la qualité de l'habitat, par le biais d'acquisitions de terrains, de financements de projets de constructions et de contrôle des loyers (art. 1 LGL). La loi instaure à cet effet un droit de préemption et d'expropriation en faveur de l'État et des communes (art. 2 LGL). Ce droit s'applique notamment aux biens-fonds situés, comme en l'espèce, en zone de développement (art. 3 LGL).

D'une manière générale, la jurisprudence a admis la constitutionnalité du droit de préemption des art. 3 ss LGL (ATF 142 I 76 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_30/2008 du 24 novembre 2008 consid. 3.3 in SJ 2009 I 257 et les arrêts cités).

c. Le droit de préemption visé par les art. 3 ss LGL est un droit de préemption légal de droit public cantonal (Thierry TANQUEREL, op. cit. p. 147 ss, spéc. 150).

d. Selon l'art. 3 al. 1 LGL, le droit de préemption ne peut s'exercer « qu'aux fins de construction de logements au sens de la présente loi », soit « aux fins de construction de logements d'utilité publique » (art. 2 LGL). Ces logements sont énumérés de manière limitative à l'art. 16 LGL en trois catégories : HBM, HLM et HM, ces derniers comprennent des logements avec subvention proportionnelle aux revenus des locataires et des logements sans subvention.

e. Dans sa jurisprudence relative à l'exercice de ce droit de préemption, le Tribunal fédéral a essentiellement connu des situations où la collectivité publique entendait, dans le cadre d'un processus d'urbanisation, procéder à la construction d'immeubles de logements ; ces opérations intervenaient sur des terrains non encore construits ou sur des parcelles pourvues de petites habitations ou d'installations industrielles qui n'étaient plus conformes à la densification accrue de la zone de développement (ATF 114 Ia 14 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_30/2008 précité consid. 3.5 in SJ 2009 I 257 ; 1P.639/2004 in SJ 2005 I 545 consid. 4.2 ; 1P.552/1998 du 9 février 1999 consid. 4b ; 1P.676/1990 du 3 juin 1991 consid. 5b ; P/673/83 du 23 janvier 1985 consid. 5b).

Selon la jurisprudence, l'autorité qui exerce le droit de préemption ne doit pas nécessairement être à même de réaliser immédiatement des logements d’utilité publique sur la parcelle qu'elle entend acquérir. Les art. 3 ss LGL, qui s'inscrivent dans la politique définie à l'art. 1 LGL, confèrent au contraire un large pouvoir d'appréciation à la collectivité. Lors de chaque vente immobilière permettant l'exercice du droit de préemption, l'autorité doit déterminer si l'acquisition du terrain concerné est opportune du point de vue de sa politique en faveur de la construction de logements. Ce choix ne saurait obéir à des critères définis à l'avance et de manière précise : il convient de tenir compte de la situation concrète et des caractéristiques particulières du terrain concerné et de ses environs, et d'établir un pronostic sur les possibilités de bâtir, à moyen terme, des logements à l'emplacement considéré, en prenant en considération et éventuellement en anticipant les facteurs propres à influencer le développement du secteur. Au stade de l'exercice du droit de préemption, l'autorité n'a donc pas besoin de justifier son intervention par la présentation d'un projet détaillé. Elle doit toutefois rendre plausible l'existence d'un besoin précis, et tenir compte des possibilités réelles d'y satisfaire à l'emplacement envisagé, dans un avenir pas trop éloigné (ATF 142 I 76 consid. 3.4.1 ; 142 I 76 consid. 3.4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_30/2008 précité consid. 3.4 in SJ 2009 I 257 et la jurisprudence citée).

f. S’agissant du principe de l’adéquation, l’ancien Tribunal administratif, devenu la chambre administrative, a eu l’occasion de préciser que les obstacles que peuvent constituer les parcelles voisines et l’incertitude relative à la difficulté de les surmonter n'étaient pas en soi un argument valable, d’une part parce que rien ne permettait de prévoir une attitude définitivement négative de la part des propriétaires concernés, et d’autre part parce que s’il fallait suivre le raisonnement contraire, l’État ne pourrait plus acquérir que des parcelles dont la superficie suffirait entièrement à édifier un bâtiment de logements, notamment du point de vue des limites de distance et de l’indice d’utilisation du sol encore disponible au regard des constructions voisines. L’acquisition du terrain nécessaire, parcelle par parcelle, ne serait en revanche plus possible, chacune d’elle pouvant constituer l’obstacle à l’acquisition publique d’une autre. Une telle solution serait de nature à mettre un terme à la politique des autorités en matière de construction de logements, dans un canton dont le territoire exigu, impliquant de multiples contraintes d’aménagement du territoire, ne donne à l’État qu’une marge de manœuvre restreinte. Au demeurant, si les négociations futures ne devaient pas permettre de trouver les moyens de surmonter ces obstacles, l’État pourrait encore faire usage de son droit d’expropriation (ATA/445/2012 du 30 juillet 2012 consid. 8d ; ATA/161/2008 du 8 avril 2008 consid. 10b ; ATA/557/2001 du 4 septembre 2001 consid 3c).

Dans plusieurs autres arrêts, l’ancien Tribunal administratif a également considéré que dans la situation de pénurie aiguë de logements dont souffrait le canton de Genève, on ne saurait faire reproche à l’autorité de mettre en œuvre une politique de construction d’habitats susceptible d’enrayer les difficultés actuelles à travers une offre de logements sociaux à même de répondre aux besoins prépondérants de la population. La mise en œuvre de cette politique pouvait notamment passer par une planification coordonnée de l’ensemble des constructions qu’elle envisage d’ériger sur les diverses parcelles dont elle est déjà propriétaire dans le secteur concerné, ce qui impliquait qu’elle obtienne la maîtrise globale de ce dernier, sans l’abandonner, fût-ce de manière sectorielle, à l’emprise de promoteurs privés (ATA/161/2008 du 8 avril 2008 consid. 10c ; ATA/591/2007 du 20 novembre 2007 consid. 9 ; ATA/800/2005 du 22 novembre 2005 consid. 8c).

g. Dans l'arrêt 1C_86/2015 précité publié en partie aux ATF 142 I 76, le Tribunal fédéral a confirmé l'ATA/970/2014 et dit que la chambre de céans pouvait retenir que la parcelle en cause contenait encore un potentiel constructible, compte tenu de la crise du logement sévissant dans le canton de Genève et du faible taux de potentiel à construire sur la commune concernée. Il n'était ainsi pas déraisonnable de considérer que le potentiel constructible était encore suffisamment important pour justifier l'exercice du droit de préemption sur l'objet litigieux. La cour cantonale était en outre en droit de retenir que, puisque l'autorité n'avait pas besoin de justifier son intervention par la présentation d'un projet détaillé, la commune avait rendu plausible la surélévation de l'immeuble, dans un avenir pas trop éloigné (consid. 3.4.3).

Dans un autre arrêt de la chambre de céans (ATA/585/2011 du 13 septembre 2011 consid. 5), il a été considéré que quand bien même le processus d'une modification de zone de développement 4B en zone de développement 3 venait de commencer, le Conseil d'État avait démontré, notamment en indiquant les autres cas dans lesquels il avait fait usage de son droit de préemption, vouloir poursuivre fermement l'urbanisation du secteur. Certes, cette dernière prendrait plusieurs années puisqu'elle impliquait tant une modification de zone que l'élaboration d'un PLQ. Cette durée ne pourrait toutefois qu'être abrégée par la maîtrise foncière, par l'État, d'une partie des parcelles concernées. De plus, le fait d'exercer le droit de préemption à ce stade permettait d'éviter une trop forte pression spéculative et dans ce sens, répondait aussi à un intérêt public (consid. 5).

5) En l'espèce, il n’est pas contesté que les art. 3 ss LGL constituent une base légale suffisante, et que la parcelle objet de la présente procédure se trouve en zone de développement 3 et est apte à accueillir la construction de logements, notamment sociaux.

L'existence d'un intérêt public à la réalisation de logements sociaux dans le canton de Genève est admis. Il résulte du taux de vacance des logements, lequel, selon les statistiques les plus récentes, est de 0,51 % en 2021 (cf. taux de vacance des logements dans le canton de Genève depuis 1985, situation au 1er juin 2021 ; disponible sous https://www.ge.ch/statistique/graphiques/affichage.asp?filtre Graph= 09_02&dom=1), soit inférieur au seuil de fluidité du marché (1,5 ou 2 %) (ATA/585/2011 précité consid. 5).

Il n’est pas contesté non plus que la parcelle se trouve dans la couronne urbaine, pour laquelle le plan directeur cantonal 2030 (ci-après : PDCn 2030) et notamment sa fiche A2 prévoient une forte densification, et qu’elle est par ailleurs incluse dans le PDQ n° 2______ adopté par la commune le 24 mai 2012 et approuvé par le Conseil d’État le 27 mai 2013, lequel prévoit une forte densification du secteur.

La recourante met en doute la volonté de la commune de construire du logement social. Cette dernière a toutefois confirmé à plusieurs reprises, et fait valoir devant le conseil municipal à l’appui de l’exercice du droit de préemption, qu’elle projetait de construire un HEPS, de sorte que la réalité de ce projet, que la commune décrit d’ailleurs au-delà des exigences de détail posées par la jurisprudence précitée, est établie à satisfaction de droit.

La recourante doute que le projet réponde aux exigences de la LGL en matière de logement. La commune a cependant indiqué que l’HEPS répondrait aux exigences en matière de logements HLM, et il n’est pas douteux que les logements à bas prix pour étudiants, intégrés au projet, répondront également aux exigences de la LGL.

La recourante soutient que les autres types de locaux évoqués par la commune ne sauraient justifier la préemption. Le fait que l’HEPS comprenne également une unité d’accueil temporaire, un cabinet médical et un cabinet de physiothérapie et des possibilités de restauration ou encore un salon-lavoir n’apparaît pas contradictoire avec la vocation de logement social de l’ensemble. Il en irait de même si ces éléments, ou encore une crèche, des locaux associatifs, une maison de quartier et des commerces de proximité devaient trouver place au pied de logements sociaux.

La recourante soutient que la préemption serait contraire à la LGL en ce que le projet ne respecterait pas la mixité prévue par l’art. 4A LGZD. Elle ne saurait être suivie. Le projet d’HEPS et d’autres immeubles n’est pas suffisamment avancé, le PLQ n’a pas encore été adopté et pourra le moment venu être contesté, et la proportion des différentes catégories de logements, outre qu’elle est à ce stade inconnue, pourra quoi qu’il en soit faire l’objet d’une dérogation aux conditions de l’art. 4 al. 3 LGZD. Sous l’angle de l’exercice du droit de préemption, il suffit que la commune établisse le projet et la possibilité de construire du logement prévu par la LGL, exigences auxquelles elle a satisfait en l’espèce. Le précédent cité par la recourante (ATA/876/2004 du 9 novembre 2004), qui concernait un EMS et des logements dont le caractère d’utilité publique n’était précisément pas établi, contrairement aux exigences de la loi, diffère sensiblement du cas d’espèce.

La recourante reproche à la commune de vouloir utiliser les droits à bâtir acquis grâce à la préemption comme monnaie d’échange. La commune a toutefois expliqué qu’elle avait renoncé à cette éventualité, de sorte que le grief n’a plus à être examiné.

La recourante conteste que l’intérêt public à la construction de logements sociaux primerait son intérêt privé à la construction de logements en PPE. Elle ne peut être suivie. La chambre de céans a jugé que la construction de logements d’utilité publique, plus à même de répondre à la pénurie de logements abordables pouvait précisément primer la construction de logements en PPE (ATA/574/2014 du 29 juillet 2014 consid. 4b).

Il suit de là que l’exercice du droit de préemption respecte également, en l’espèce, le principe de la proportionnalité.

Les griefs de violation de la liberté économique, de la garantie de la propriété et de la LGL seront écartés.

6) La recourante se plaint de la violation du principe de la bonne foi.

a. Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. Cela implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; 134 V 306 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_173/2017 du 31 mars 2017 consid. 2.3 ; 2C_934/2016 du 13 mars 2017 consid. 3.1 ; 2C_227/2015 du 31 mai 2016 consid. 7). De ce principe général découle notamment le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'État, consacré à l'art. 9 in fine Cst. (ATF 138 I 49 consid. 8.3.1 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_626/2019 du 8 octobre 2020 consid. 3.1 ; 1C_277/2020 du 27 août 2020 consid. 2.2 ; 1C_267/2019 du 5 mai 2020 consid. 4.1). Le principe de la bonne foi protège le citoyen, à certaines conditions, dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités, notamment lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration et qu'il a pris sur cette base des dispositions qu'il ne saurait modifier sans subir de préjudice (ATF 137 I 69 consid. 2.5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_153/2015 du 23 avril 2015 consid. 4 ; ATA/601/2018 du 12 juin 2018 consid. 7 ). Le principe de la confiance, découlant de celui de la bonne foi, commande également à l'administration d'adopter un comportement cohérent et dépourvu de contradiction ; la jurisprudence y a recours parfois pour corriger les conséquences préjudiciables aux intérêts des administrés qui en découleraient (ATF 111 V 81 consid. 6 ; 108 V 84 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_153/2015 précité consid. 4).

b. En l’espèce, la recourante n’établit pas que la commune lui aurait donné des assurances qu’elle n’exercerait pas son droit de préemption sur la parcelle n° 1______. La commune pour sa part conteste avoir donné de telles assurances. La recourante ne pouvait par ailleurs, compte tenu de la nature du droit de préemption, inférer de la renonciation passée de la commune à l’exercer sur une autre parcelle, ou de l’affirmation par un conseiller administratif à une période donnée que les droits à bâtir étaient suffisants, un engagement de la commune, une garantie ou un droit acquis.

La recourante reproche encore à la commune d’avoir profité de son engagement et de son travail. Elle ne l’établit toutefois pas, n’indique pas en quoi la commune, qui prend part aux négociations depuis le début et prévoit de construire du logement d’utilité publique, aurait pu profiter d’un projet de PPE, et ne mentionne pas en quoi le grief serait pertinent pour l’application de la LGL.

Le grief sera écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

7) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la commune, collectivité publique de plus de dix mille habitants, soit une taille suffisante pour disposer d'un service juridique et par conséquent apte à assurer la défense de ses intérêts sans recourir aux services d'un avocat (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/260/2022 du 15 mars 2022 consid. 10 ; ATA/964/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 octobre 2021 par la A______ SA contre la décision de la commune B______ du 17 septembre 2021 ;

 

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ SA un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Philippe Cottier, avocat de la recourante ainsi qu'à Me Steve Alder, avocat de commune B______.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen, Lauber, Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :