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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2832/2024

JTAPI/925/2024 du 18.09.2024 ( MC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);PROPORTIONNALITÉ
Normes : LEI.74; CP.139.ch1; LStup.19; CEDH.18
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2832/2024 MC

JTAPI/925/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 18 septembre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Charles ARCHINARD, avocat

 

contre

 

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.            Monsieur A______, né le ______ 1986, est originaire du Nigéria.

2.            Il est titulaire d'une carte d'identité italienne n°1______, délivrée par le Ministerio dell'interno, commune di ______ [Italie], valable du 29 janvier 2018 au 4 octobre 2028.

3.            A teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse de M. A______, ce dernier a été condamné par ordonnances pénales du Ministère public du canton de Genève :

-          le 8 septembre 2023, pour délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup – RS 812.121) (cocaïne) et infractions aux articles 115 al. 1 let. a (entrée illégale) et 115 al. 1 let. b (séjour illégal) de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI − RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers − LEtr), à une peine pécuniaire de 45 jours-amende, montant du jour-amende fixé à CHF 20.-, sous déduction de seize jours de détention avant jugement, sursis à l'exécution de la peine et délai d'épreuve de trois ans à partir du 13 septembre 2023 ;

-          le 10 mai 2024, pour entrée et séjour illégaux (art. 115 al. 1 let. a et b LEI), à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, montant du jour-amende fixé à CHF 10.-, sous déduction de deux jours-amende correspondant à deux jours de détention avant jugement et renonciation à révoquer le sursis qui lui a été accordé le 8 septembre 2023 par le Ministère public du canton de Genève. Cette condamnation n'est toutefois pas entrée en force, l'ordonnance pénale ayant été frappée d'opposition.

4.            Il ressort du rapport d'arrestation du 22 août 2024 que l'intéressé a été appréhendé par les services de police le 22 août 2024 à 19h02 à la hauteur du numéro 11 de la rue de la Coulouvrenière, après qu'il avait été observé par les policiers en train de procéder à une transaction drogue/argent. Une fois la transaction réalisée, le toxicomane, identifié ultérieurement en la personne de Monsieur B______, a été interpellé. Ce dernier a formellement mis en cause M. A______ pour la vente d'un morceau de haschich d'un poids total de 3.3 gr contre la somme de CHF 50.-. A la vue de la police, M. A______ a pris la fuite et l'usage de la force a été nécessaire pour procéder à son arrestation. Lors de la fouille de sécurité de l'intéressé, un téléphone portable de marque SAMSUNG, numéro IMEI inconnu, a été découvert. M. A______ a refusé la fouille des données dudit téléphone portable de sorte que la police n'a pas été en mesure de déterminer s'il s'agissait ou non de son appareil. Ont également été découverts dans le porte-monnaie dont M. A______ était en possession : CHF 248.- (3xCHF 50.- ; 3xCHF 20 ; 3xCHF 10.- et CHF 8.-) et EUR 100.18 (2xEUR 50.- et EUR 0.18). Le téléphone portable ainsi que les montants susmentionnés ont été saisis et portés en inventaire. Sur demande de M. A______, la police a tenté de joindre son conseil, toutefois sans succès. L'intéressé a fait usage de son droit de se taire.

5.            Entendu par le Ministère public le 23 août 2023, M. A______ a contesté les faits lui étant reprochés. Il a déclaré qu'il était en train de fumer un joint de haschich à la rue de la Coulouvrenière lorsqu'il avait été approché par un policier. Ce dernier lui avait demandé s'il pouvait fumer avec lui, ce qu'il avait refusé, car il savait que cette personne était un agent de police. Le policier lui avait également demandé s'il pouvait lui procurer de la drogue, en lui tendant la somme de CHF 50.-. Il avait refusé de prendre cet argent. Finalement, en raison des pressions subies de la part du policier, il avait sorti un morceau de haschich de sa poche et avait remis cette drogue au policier. Il s'était procuré cette drogue auprès de tiers d'origine arabe contre la somme de CHF 20.-, produit de gains de jeux. B______ n'existait pas. Il était certain que la personne qui l'avait approché était un policier. Après qu'il avait quitté les lieux, le policier et la dame étaient revenus vers lui, accompagnés d'une troisième personne. Il avait alors compris que quelque chose n'allait pas. Il avait voulu partir, mais l'inconnu avait essayé de le rattraper. En voulant l'éviter, il s'était retrouvé du même côté que le policier à qui il avait donné du haschich. La dame était arrivée et l'avait frappé avec son pied au niveau du dos. Il était tombé au sol. Sa mâchoire avait heurté le bord d'un trottoir et il avait perdu une dent. Il s'était également fait mal au genou en tombant. Ces trois personnes avaient ensuite crié : « C'est la police! ». Il avait essayé de récupérer sa dent pour la montrer au procureur et au juge, mais les policiers l'avaient arrachée.

Il était en Suisse depuis le 21 août 2024, en provenance d'C______. Il n'avait pas de domicile en Suisse. Il vivait dans la rue. Il était venu en Suisse pour rencontrer son avocat en vue d'une audience. Ce rendez-vous avait eu lieu en l'Etude de son conseil le 22 août 2024. Il contestait être venu en Suisse pour s'adonner au trafic de stupéfiants.

S'agissant de sa situation personnelle, il a déclaré être domicilié à D______ (France) où il exerçait le métier de coiffeur et réalisait, à ce titre, un revenu mensuel brut d'EUR 1'200.-, parfois plus grâce à des jeux. Il possédait une carte d'identité italienne et un passeport nigérian. Il était en possession de son passeport au moment de son arrestation. Célibataire, il avait deux enfants à charge. Il n'avait aucune attache avec la Suisse.

6.            Le 23 août 2024, l'intéressé a été condamné par ordonnance pénale du Ministère public du canton de Genève pour délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c LStup) et entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI), à une peine privative de liberté de 45 jours, sous déduction d'un jour de détention avant jugement. Il a en outre été condamné pour empêchement d'accomplir un acte officiel au sens de l'art. 286 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (RS − 311.0) à une peine pécuniaire ferme de 10 jours-amende, montant du jour-amende fixé à CHF 10.-. Les faits reprochés étaient établis au vu des éléments figurant au dossier, notamment les déclarations de M. B______ et les observations de la police. Les dénégations de l'intéressé n'emportaient pas conviction. Le Ministère public a renoncé à révoquer le sursis accordé le 8 septembre 2023 et a prolongé le délai d'épreuve d'un an. Il a en outre adressé un avertissement formel à l'intéressé.

7.            Le 23 août 2024 à 18h10, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (ensemble du territoire genevois) pour une durée de 18 mois.

8.            Par acte du 2 septembre 2024, sous la plume de son conseil, M. A______ a formé opposition contre la mesure d'interdiction précitée.

9.            M. A______ a été dûment convoqué le 17 septembre 2024 aux fins d'être entendu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

10.        Lors de cette audience, M. A______ a confirmé être originaire du Nigéria. Il était né à E______, ville du Nigéria. Au moment de son arrestation, il était en possession de son passeport nigérian. Il avait une photographie de son passeport dans son téléphone portable, mais celui-ci avait été saisi par la police.

Il confirmait les déclarations qu'il avait faites lorsqu'il avait été entendu par le procureur. Il n'avait rien expliqué à la police. Il était venu en Suisse le 21 août 2024 depuis la France pour voir son avocat. Il était entré en Suisse avec son passeport nigérian. Après lui avoir fait remarquer qu'il n'avait pas le droit d’être en Suisse, il a expliqué être venu à Genève, car il avait une autre procédure en cours. Sur question du tribunal qui lui a demandé pourquoi il était entré en Suisse alors que le dossier ne faisait pas état d'une convocation à une audience les 21 ou 22 août 2024, il a indiqué qu'il avait par ailleurs des soucis avec sa petite amie, Madame F______, ressortissante brésilienne, qui résidait à Genève, mais qui était désormais repartie au Portugal. Elle était enceinte de lui et ils attendaient leur enfant pour le mois d'octobre prochain.

Il avait formé opposition à l’ordonnance pénale rendue à son encontre le 23 août 2024. Il reconnaissait qu'il avait fumé un joint de haschich. Il contestait toute vente de stupéfiants. Il ne savait pas où se trouvait le pont de la Coulouvrenière, mais il était près du Palladium. Il devait attendre l’heure du rendez-vous avec son avocat et il en avait profité pour fumer un joint de haschich au bord du fleuve. Dans la mesure où il avait été arrêté, il n'avait pas pu voir son avocat. Il n'était pas un dealer de drogue.

Il vivait à D______ (France) depuis 2019. A ce jour, il vivait à la rue G______. Il travaillait en qualité de coiffeur pour H______, sis I______, à D______ (France). Il gagnait entre EUR 1'200.- et EUR 1'400.- par mois. Il n'avait pas de contrat de travail. Son patron lui versait son salaire par chèques, qu'il encaissait ensuite à la banque. Il avait un compte bancaire, mais aucun relevé de compte en sa possession, car ces documents étaient dans son téléphone que la police avait saisi. L'argent qu'il avait sur lui au moment de son arrestation provenait de France. Il avait changé des euros en francs suisses pour acheter quelque chose à sa copine.

Il n'était pas marié, mais il avait deux enfants, âgés de sept et neuf ans, qui vivaient au Nigéria et à qui il envoyait de l'argent.

Il n’avait pas d’autorisation de séjour en Suisse, mais il était en possession de son passeport. Désormais, la police disait qu’elle ne l’avait pas. Il en avait déjà informé les autorités nigérianes en France.

Il n'était pas revenu en Suisse depuis son arrestation. Il n'avait pas de lien particulier avec Genève, à part sa petite amie qui, en raison de son problème, était repartie au Portugal. Il lui avait dit qu'il ne pourrait plus la voir à Genève dès lors qu'il faisait l’objet d’une mesure d’interdiction. Il n'avait d’autre famille en Suisse. Sa famille vivait au Nigéria. Mme F______ avait déposé une demande d’asile en Suisse. Le couple ne pouvait donc pas vivre à D______ (France). Mme F______ avait l'intention de revenir à Genève pour y donner naissance à leur enfant en octobre prochain. Ils avaient initié des démarches en 2024 en vue de leur mariage. Sur question du tribunal, il a indiqué qu'il n'avait aucun document ou preuve à présenter qui démontrerait qu'il entretenait cette relation avec Mme F______. Ils s'étaient rencontrés à J______, en France, en 2020. Mme F______ vivait à proximité de l’arrêt « Onex Marché », mais il ne connaissait pas son adresse exacte. Il n'avait jamais vendu de drogue.

Avec l’aide de son conseil, il a déposé un bordereau de pièces, lequel contenait :

-          une copie de l'opposition qu'il avait formée le 1er septembre 2024 à l'encontre de l'ordonnance pénale du 23 août 2024 ;

-          une copie de sa plainte pénale du 3 septembre 2024 contre les agents de police pour abus d'autorité (art. 312 CP), agression (art. 134 CP) et dénonciation calomnieuse (art. 303 CP).

La représentante du commissaire de police a confirmé que M. A______ était effectivement originaire du Nigéria. Il y avait eu une erreur au moment de la rédaction de la mesure d’interdiction, laquelle pouvait s'expliquer par le fait que le Niger est mentionné sur l’extrait du casier judiciaire du contraint. Le passeport nigérian de M. A______ n'était pas mentionné dans le rapport de police. Ils n'en avaient aucune trace.

Elle a conclu au rejet de l'opposition formée par M. A______ à l'encontre de la mesure prononcée par le commissaire de police le 23 août 2024 et à la confirmation de celle-ci.

M. A______, par l'intermédiaire de son conseil, a conclu, principalement, à l’annulation de la mesure, subsidiairement, à la diminution de sa durée à six mois et à ce que le périmètre soit restreint au centre-ville de Genève.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             M. A______ conclut à l’annulation de la mesure d’interdiction de pénétrer au motif qu’elle serait disproportionnée.

5.             Selon l'article 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée s'il n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics. Cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants, en particulier à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.1 ; 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.1).

6.             L'art. 6 al. 3 LaLEtr précise que l'étranger peut être contraint à ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues par l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

7.             L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, Berne, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

8.             Les mesures prévues par l'art. 74 al. 1 LEI visent à prévenir les atteintes à la sécurité et à l'ordre publics, plutôt qu'à sanctionner un comportement déterminé (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2a).

9.             Les étrangers dépourvus d'une autorisation de séjour n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle, le seuil pour ordonner de telles mesures n'a pas été placé très haut. Pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics, il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police. En particulier, des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue suffisent, de même que la violation grossière des règles classiques de la cohabitation sociale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 2.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 et la référence citée ; ATA/233/2018 du 13 mars 2018 consid. 4b ; ATA/1041/2017 du 30 juin 2017 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017 ; ATA/885/2016 du 20 octobre 2016.

10.         D'après la jurisprudence, un simple soupçon fondé de participation à un trafic de stupéfiants, même en l'absence d'une condamnation pénale, peut suffire à asseoir une mesure d'interdiction d'accès à un territoire déterminé (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 2.2 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/73/2014 du 10 février 2014). Un tel soupçon - indépendamment du fait que la condamnation pénale y relative soit contestée et, donc, non définitive - peut découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à la propre consommation de l'intéressé (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3.1 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1). De plus, même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contacts répétés avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017). Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un ressortissant étranger qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (cf. arrêt 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.3 ; voir aussi ATA/629/2016 du 21 juillet 2016 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014).

11.         En l'espèce, s'agissant de la première condition de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, M. A______, ressortissant nigérian, ne bénéficie d'aucune autorisation de courte durée (art. 32 LEI), de séjour (art. 33 LEI) ou d'établissement en Suisse (art. 34 LEI), ce qu'il ne conteste au demeurant pas. Il est simplement titulaire d’une carte d'identité italienne lui permettant de résider en Italie.

S'agissant de la seconde condition, à teneur de l'extrait de son casier judiciaire, l'intéressé a été condamné à trois reprises, les 8 septembre 2023, 10 mai 2024 et 23 août 2024, notamment pour infractions à la LStup. Même si ces deux dernières condamnations ne sont pas entrées en force puisqu'elles sont frappées d'opposition et pendantes par-devant le Tribunal de police, il ressort des faits retenus par l'autorité de poursuite pénale que, le 22 août 2024, l'intéressé a été observé par les forces de l'ordre alors qu'il vendait de la drogue à un consommateur, à la rue de la Coulouvrenière, à la hauteur du numéro 11, vers 14h30 et qu'il est en outre mis en cause par les déclarations de M. B______, toxicomane, auquel il est soupçonné d'avoir vendu 3.3 gr de haschich contre la somme de CHF 50.-. Si l’intéressé a certes contesté les éléments de fait retenus à l’origine de cette condamnation, il n’en reste pas moins que sa seule présence sur les lieux, cumulée à sa précédente condamnation à la LStup, soit un antécédent spécifique, suffit à faire peser sur lui d’importants soupçons quant à son implication dans un trafic de stupéfiants.

Ainsi, les explications de l’intéressé selon lesquelles, lors de son arrestation du 22 août 2024, il ne se serait livré à aucun trafic de stupéfiants, ne peuvent être prises qu'avec circonspection. Il en va de même s'agissant de ses prétendus revenus qui expliqueraient la somme importante saisie au moment de son interpellation, dès lors qu'il n'a apporté aucun élément à l'appui de ses déclarations, comme par exemple, une fiche de salaire, un contrat de travail ou un relevé bancaire.

Partant, au vu de ces éléments, le soupçon existe qu'il puisse à l'avenir commettre des infractions du type de celles pour lesquelles il est actuellement mis en cause. L'intéressé peut ainsi être effectivement perçu comme présentant une menace pour l'ordre et la sécurité publics. Les conditions pour le prononcé d’une mesure d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée au sens de l'art. 74 LEI sont donc réunies.

12.         Les mesures interdisant de pénétrer dans une région déterminée doivent respecter le principe de la proportionnalité énoncé à l’art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101)

Elles doivent être nécessaires et suffisantes pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4). En particulier, la délimitation géographique et la durée de la mesure doivent être prises en considération en fonction du but poursuivi. En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles. Elles ne peuvent en outre pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c).

13.         L'art. 74 LEI ne précise pas la durée de la mesure. Celle-ci doit répondre au principe de proportionnalité, à savoir être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3).

14.         Appliqué à la problématique de l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l’art. 74 LEI, le principe de proportionnalité implique de prendre en compte en particulier la délimitation géographique d’une telle mesure ainsi que sa durée. Il convient de vérifier, dans chaque cas d’espèce, que l’objectif visé par l’autorité justifie véritablement l’interdiction de périmètre prononcée, c’est-à-dire qu’il existe un rapport raisonnable entre cet objectif et les moyens mis en œuvre pour l’atteindre (cf. ATF 142 II 1 consid. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 du 5 août 2021 consid.3.4.2 ; 2C_796/2018 du 4 février 2019 consid. 4.2).

15.         L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

16.         A titre d'exemple, dans sa jurisprudence récente, la chambre administrative de la Cour de justice a confirmé une première mesure d’interdiction de pénétrer visant tout le canton pour une durée de douze mois prononcée contre un ressortissant portugais, condamné notamment pour vols et violation de domicile (non-respect d’une interdiction d'entrer dans un magasin MIGROS), relevant que l’intéressé n’avait aucun emploi, ni titre de séjour en Suisse, ni de lien avéré avec ce pays ou même avec le canton de Genève, ne disposait pas de moyens de subsistance et n’avait pas allégué une nécessité de se rendre à Genève. Il n’avait également pas respecté la mesure d’interdiction qui faisait l’objet de la procédure (ATA/385/2024 du 19 mars 2024 du 19 mars 2024).

De même, elle a confirmé l’interdiction du territoire de tout le canton pour une durée de douze mois prononcée contre un ressortissant français sans casier judiciaire ni en Suisse ni en France interpellé par la police genevoise, dans le quartier des Pâquis, après avoir, selon les agents de police, été observé en train de participer à la vente à un tiers de 2.8 gr de marijuana contre la somme de CHF 40.- mais dont la condamnation pénale pour les faits précités avait toutefois fait l’objet d’une ordonnance de classement, après son audition, vu la prévention pénale insuffisante s’agissant de la vente de produits stupéfiants et la faible quantité de cannabis détenue, destinée à sa propre consommation. Quand bien même les faits de trafic n’étaient plus retenus, restait que l'intimé détenait du haschich pour sa propre consommation et n'avait pas contesté se trouver dans un lieu notoire de revente de stupéfiants (carrefour entre la rue du Môle et la rue de Berne aux Pâquis), étant rappelé, d'une part, qu'une mesure basée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne présupposait pas une condamnation pénale de l’intéressé et, d'autre part, qu'elle pouvait se fonder à teneur de la jurisprudence sur la seule possession de stupéfiants destinés à une consommation personnelle, ce qui était le cas en l'espèce. Dès lors, le classement de la procédure pénale ne suffisait pas à permettre la levée de la mesure d'interdiction de périmètre. La mesure était au surplus proportionnée dans la mesure où l’intéressé n’avait pas démontré une quelconque nécessité de se rendre dans le canton de Genève, notamment pour y trouver du travail (ATA/34/2024 du 12 janvier 2024).

La chambre administrative de la Cour de justice a en outre confirmé une interdiction territoriale étendue à tout le canton de Genève pour une durée de dix-huit mois notifiée à un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, plusieurs fois condamné pour infractions à la LStup, objet de décisions de renvoi et traité sans succès pour une dépendance aux stupéfiants (ATA/411/2022 du 14 avril 2022 ; cf. aussi ATA/536/2022 du 20 mai 2022).

17.         Les fiancés ou les concubins ne sont, sous réserve de circonstances particulières, pas habilités à invoquer l'art. 8 CEDH. Ainsi, l'étranger fiancé à une personne ayant le droit de s'établir en Suisse ne peut, en principe, pas prétendre à une autorisation de séjour, à moins que le couple n'entretienne depuis longtemps des relations étroites et effectivement vécues et qu'il n'existe des indices concrets d'un mariage sérieusement voulu et imminent, comme par exemple la publication des bans du mariage (ATF 137 I 351 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1035/2012 du 21 décembre 2012 consid. 5.1 ; 2C_207/2012 du 31 mai 2012 consid. 3.3 ; 2C_206/2010 du 23 août 2010 consid. 2.1 et 2.3 et les références citées).

18.         La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA). Ce principe n’est pas absolu, sa portée étant restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (arrêts du Tribunal fédéral 8C_1034/2009 du 28 juillet 2010 consid. 4.2 ; 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 3.3.2 ; ATA/573/2015 du 2 juin 2015 ; ATA/99/2014 du 18 février 2014).

19.         En l'espèce, s’agissant du périmètre de l'interdiction, étendu à l'ensemble du canton de Genève, comme le tribunal de céans a déjà eu l'occasion de le retenir, il ne constitue pas un usage excessif du pouvoir d'appréciation de l'autorité intimée. M. A______ ne peut se prévaloir d’aucun motif pour expliquer sa présence sur le territoire genevois. Il a admis qu’il habitait à D______ (France) où il travaillait, selon ses dires, en qualité de coiffeur. Il n’a évoqué aucun lieu de vie en Suisse. Sa situation personnelle n’est pas établie. L’intéressé s’est limité à indiquer le prénom et le nom de famille de son amie intime. Il n'a donné aucun élément concret sur un éventuel domicile de celle-ci à Genève, se limitant à indiquer qu'elle vivait à proximité de l'arrêt « Onex Marché », soit hors du centre-ville, élément pertinent pour la délimitation du périmètre. A cela s'ajoute qu'il a spontanément déclaré que, suite au prononcé de la mesure d'interdiction à son encontre le 23 août 2024, celle-ci était retournée vivre au Portugal. Il n’a fourni aucune preuve concrète de leur relation, malgré les démarches que le couple aurait initiées en vue de leur union ni aucun renseignement sur la grossesse alléguée. En tout état, rien ne s'oppose à ce qu'il exerce des relations personnelles avec son amie intime en France. Il n'a par ailleurs ni famille ni ami à Genève et il ne prétend, pour le reste, pas qu’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève le priverait d’un accès à des ressources élémentaires. Enfin, le recourant a admis être consommateur de stupéfiants et a été arrêté alors qu'il consommait en un lieu notoire du trafic de stupéfiants à Genève. Ainsi, l’interdiction de périmètre, étendue à l’ensemble du canton, sera confirmée.

Quant à la durée de la mesure, d'emblée fixée à 18 mois, il n'apparaît pas qu'elle se justifie sous l'angle de la proportionnalité nonobstant ce qui précède. En effet, il s'agit de la première mesure d'interdiction prononcée à l'encontre de M. A______, lequel ne fait à ce jour l'objet que d'une condamnation pénale, certes spécifique, entrée en force. Par ailleurs, les faits qui lui sont reprochés – sans les minimiser – n'apparaissent pas graves à tel point que seule une interdiction de périmètre d'une durée de 18 mois serait apte à atteindre le but visé. Aussi, une mesure réduite à une durée de douze mois apparaît propre et suffisante à dissuader M. A______ de récidiver. Une durée inférieure, en particulier de six mois, serait en revanche peu efficace.

20.         Partant, le tribunal confirmera l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise à l'encontre de M. A______, mais pour une durée de douze mois.

21.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

22.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 2 septembre 2024 par Monsieur A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 23 août 2024 pour une durée de 18 mois ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             limite la durée de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée à douze mois ;

4.             confirme pour le surplus la décision contestée ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier