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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1028/2024

JTAPI/321/2024 du 11.04.2024 ( MC ) , REJETE

REJETE par ATA/529/2024

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1028/2024 MC

JTAPI/321/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 11 avril 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Charles ARCHINARD, avocat, avec élection de domicile

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.            Monsieur A______, né le ______ 1994, ressortissant du Nigéria, est titulaire d'un titre de séjour (Italie), n°1______, délivré par Questura Di Brindisi (Italie), valable du 18 juillet 2022 au 5 mars 2026, d'un titre de voyage (Italie), n°2______, délivré par les autorités italiennes, valable du 9 juin 2021 au 5 mars 2026 et d'une carte d'identité (Italie), n°3______, délivrée par les autorités italiennes, valable du 5 octobre 2022 au 18 juillet 2032.

2.            Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse daté du 10 avril 2024, il a été condamné :

-          le 4 janvier 2023, par le Ministère public du canton de Genève, pour délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup − RS 812.121), contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19a LStup), à une amende de CHF 300.-, ainsi qu'à une peine pécuniaire de 30 jours-amende de CHF 30.-avec sursis à l'exécution de la peine et délai d'épreuve de 3 ans ;

-          le 12 juillet 2023, par le Tribunal de police de Genève, pour consommation de stupéfiants au sens de la loi sur les stupéfiants (art. 19a ch. 1 LStup), empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP – RS 311.0), non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée au sens de la LF sur les étrangers et l'intégration (art. 119 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI – RS 142.20), ainsi que pour délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c LStup), à une amende de CHF 100.-, ainsi qu'à une peine pécuniaire de 100 jours-amende de CHF 10.-, avec sursis à l'exécution de la peine et délai d'épreuve de 3 ans, peine complémentaire se rapportant au jugement du 4 janvier 2023 (Ministère public du canton de Genève).

3.            M. A______ a en outre été condamné :

-          le 2 janvier 2024, par le Ministère public du canton de Genève, pour recel (art. 160 CP), infraction à la loi sur les stupéfiants (art. 19 LStup) et infraction à la LF sur les étrangers et l'intégration (art. 115 LEI), à une peine privative de liberté de 90 jours. Cette décision n'est pas entrée en force. Cette procédure est pendante par-devant le Tribunal de police de Genève (P/13/2024 – 5) ;

-          le 13 mars 2024, par le Ministère public du canton de Genève, pour délit à la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c LStup), à une peine privative de liberté de 60 jours. Cette décision n'est pas entrée en force suite à l'opposition formée par M. A______, sous la plume de son conseil, par courrier du 25 mars 2024. Le Ministère public a rendu une ordonnance de maintien le 28 mars 2024. Cette procédure est pendante par-devant le Tribunal de police de Genève (P/6651/2024 – 5) ;

-          le 28 mars 2024, par le Ministère public du canton de Genève, pour non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI), à une peine privative de liberté de 90 jours, renonciation à révoquer les sursis accordés le 4 janvier 2023 par le Ministère public de Genève et le 12 juillet 2023 par le Tribunal de police. Cette décision n'est pas entrée en force. Cette procédure est pendante par-devant le Tribunal de police de Genève (P/7937/2024 – DHV).

4.            Le 13 mars 2024 à 18h00, en application de l'art. 74 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr), le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès à l'ensemble du territoire genevois) pour une durée de dix-huit mois.

5.            Par courrier du 25 mars 2024, sous la plume de son conseil, M. A______ a formé opposition contre cette décision prise par le commissaire de police le 13 mars 2024 à son encontre auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

6.            Selon le rapport d'arrestation du 9 avril 2024, M. A______ a été arrêté le jour-même à 15h00, alors qu'il se trouvait au ______(GE). Il lui est reproché de s'être trouvé sur le territoire genevois alors qu'il savait faire l'objet d'une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève (art. 119 al. 1 LEI). Il lui est en outre reproché de s'être soustrait à son interpellation en prenant la fuite (art. 286 al. 1 CP).

Entendu par la police le 9 avril 2024, M. A______ a fait usage de son droit au silence.

Entendu par le Ministère public le 10 avril 2024, il a déclaré en substance qu'il savait faire l'objet d'une interdiction d'entrée sur le canton, mais qu'il y était venu en vue de l'audience du lendemain au tribunal. Il devait voir son avocat. Il s'était effectivement enfui lorsque les policiers qui procédaient à son contrôle avaient voulu le menotter. Il n'était pas un criminel. Il s'engageait à ne pas revenir en Suisse avant la fin de son interdiction, sauf s'il devait être convoqué.

7.            M. A______ a été dûment convoqué pour l'audience de ce jour devant le tribunal, laquelle, initialement fixée à 09h00, a été reconvoquée à 14h00 dès lors que le conscrit était en état d'arrestation provisoire suite à son interpellation de la veille.

Son conseil a déposé des pièces complémentaires.

Sur demande du tribunal, la représentante du commissaire de police a transmis au greffe du tribunal par courriel une copie du casier judiciaire de l'intéressé actualisé à la date du jour dont copie a été transmise par le tribunal au conseil de M. A______.

8.            Lors de l'audience de ce jour, M. A______ a déclaré qu'il était venu à Genève hier pour s'entretenir avec son conseil en vue l'audience de ce jour. Il ne pouvait pas se trouver à Genève et ne pas voir sa petite amie C______, qu'il avait demandée en mariage le 14 février 2024. Il l'avait accompagné visiter un appartement le 9 avril 2024. Il n'arrivait pas à prononcer le nom de famille de celle-ci. Cette information se trouvait cependant dans son téléphone portable qui avait été saisi la veille par la police. Si les autorités helvétiques devaient l'y autoriser, son souhait serait de s'installer à Genève avec sa fiancée.

Il a contesté s'adonner au trafic de stupéfiants. Il a admis, à une reprise, avoir donné du haschich à un consommateur, lequel lui avait spontanément remis CHF 20.-. Il s'agissait de sa consommation personnelle. Ils avaient fumé ensemble. Il ignorait que c'était interdit.

Il vivait en Italie, à D______(IT). Il avait un permis de séjour italien et une carte d'identité italienne valables. Il travaillait comme barista à E______(IT) durant la période estivale. Il percevait un salaire de EUR 1'400.-. Le reste de l'année, il travaillait sur appel dans les champs et les cultures d'olives notamment.

Il n'avait pas de famille en Suisse, ni en Europe, mais des amis qui lui étaient très proches.

Sur question de son conseil qui lui a demandé s'il s'engageait à respecter la mesure prononcée à son encontre à l'avenir, il a répondu que oui, absolument.

Sur question de la représentante du commissaire de police, après lui avoir rappelé qu'il avait déclaré le 12 mars 2024 que sa petite-amie qui était enceinte de lui vivait à F______(France), qui lui a demandé s'il était certain que C______ avait toujours vécu en Suisse, il a répondu qu'il avait une petite amie à G______(France), qu'il avait eu peur de révéler l'identité de C______ car il avait eu peur qu'elle ne l'apprenne et que cela mette en danger leur relation.

L'intéressé, par l'intermédiaire de son conseil, a déposé des pièces complémentaires et a conclu, principalement, à l'annulation de l'interdiction de pénétrer sur l'ensemble du territoire genevois prise à son encontre, subsidiairement à ce que sa durée soit réduite.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de la mesure d'interdiction territoriale tant dans sa durée que dans son étendue géographique.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             Selon l'article 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée s'il n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics. Cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants, en particulier à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019consid. 3.1 ; 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.1).

5.             L'art. 6 al. 3 LaLEtr précise que l'étranger peut être contraint à ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues par l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

6.             L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, Berne, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

7.             Les mesures prévues par l'art. 74 al. 1 LEI visent à prévenir les atteintes à la sécurité et à l'ordre publics, plutôt qu'à sanctionner un comportement déterminé (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2a).

8.             Les étrangers dépourvus d'une autorisation de séjour n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle, le seuil pour ordonner de telles mesures n'a pas été placé très haut. Pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics, il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police. En particulier, des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue suffisent, de même que la violation grossière des règles classiques de la cohabitation sociale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 2.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 et la référence citée ; ATA/233/2018 du 13 mars 2018 consid. 4b ; ATA/1041/2017 du 30 juin 2017 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017 ; ATA/885/2016 du 20 octobre 2016.

9.             D'après la jurisprudence, un simple soupçon fondé de participation à un trafic de stupéfiants, même en l'absence d'une condamnation pénale, peut suffire à asseoir une mesure d'interdiction d'accès à un territoire déterminé (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 2.2 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/73/2014 du 10 février 2014). Un tel soupçon - indépendamment du fait que la condamnation pénale y relative soit contestée et, donc, non définitive - peut découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à la propre consommation de l'intéressé (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.3 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3.1 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1). De plus, même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contacts répétés avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017). Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un ressortissant étranger qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (cf. arrêt 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.3 ; voir aussi ATA/629/2016 du 21 juillet 2016 ; ATA/124/2015 du 30 janvier 2015 ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014).

10.         L'assignation d'un lieu de résidence ou l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée fondée sur l'art. 74 al. 1 let. b LEI vise à permettre le contrôle du lieu de séjour de l'intéressé et à s'assurer de sa disponibilité éventuelle pour la préparation et l'exécution de son renvoi de Suisse par les autorités (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.1), mais aussi, en tant que mesure de contrainte poursuivant les mêmes buts que la détention administrative, à inciter la personne à se conformer à son obligation de quitter la Suisse (ATF 144 II 16 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.1 ; CHATTON/MERZ, in Code annoté de droit des migrations, vol. II : Loi sur les étrangers [LEtr], 2017 n° 22 ad art. 74 LEtr).

11.         L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 CEDH et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

12.         Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

13.         Sous réserve de circonstances particulières, les fiancés ou les concubins ne sont en principe pas habilités à invoquer l'art. 8 CEDH (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1035/2012 du 21 décembre 2012 consid. 5.1 ; 2C_207/2012 du 31 mai 2012 consid. 3.3 ; Mareva MALZACHER, Droit des étrangers : les effets de la dissolution de la famille, in Plaidoyer 5/13 du 23 septembre 2013, p. 46). Il faut que les relations entre les concubins puissent, par leur nature et leur stabilité, être assimilées à une véritable union conjugale pour bénéficier de la protection de l'art. 8 § 1 CEDH (Peter UEBERSAX, Die EMRK und das Migrationsrecht aus der Sicht der Schweiz, in Bernhard EHRENZELLER/Stephan BREITENMOSER [éd.], La CEDH et la Suisse, 2010, p. 203 ss et p. 219 ss ; Patrice HILT, Le couple et la Convention européenne des droits de l'homme, 2004, n. 667; ATA/171/2016 du 25 février 2016 consid. 11e).

14.         Les mesures interdisant de pénétrer dans une région déterminée doivent respecter le principe de la proportionnalité énoncé à l’art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

Elles doivent être nécessaires et suffisantes pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4). En particulier, la délimitation géographique et la durée de la mesure doivent être prises en considération en fonction du but poursuivi. En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles. Elles ne peuvent en outre pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c).

15.         L'art. 74 LEI ne précise pas la durée de la mesure. Celle-ci doit répondre au principe de proportionnalité, à savoir être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3).

Appliqué à la problématique de l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l’art. 74 LEI, le principe de proportionnalité implique de prendre en compte en particulier la délimitation géographique d’une telle mesure ainsi que sa durée. Il convient de vérifier, dans chaque cas d’espèce, que l’objectif visé par l’autorité justifie véritablement l’interdiction de périmètre prononcée, c’est-à-dire qu’il existe un rapport raisonnable entre cet objectif et les moyens mis en œuvre pour l’atteindre (cf. ATF 142 II 1 consid. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 du 5 août 2021 consid.3.4.2 ; 2C_796/2018 du 4 février 2019 consid. 4.2).

L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

16.         La chambre administrative de la cour de justice a confirmé une interdiction territoriale étendue à tout le canton de Genève pour une durée de dix-huit mois notifiée à un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, plusieurs fois condamné pour infractions à la LStup, objet de décisions de renvoi et traité sans succès pour une dépendance aux stupéfiants (ATA/411/2022 du 14 avril 2022 ; cf. aussi ATA/536/2022 du 20 mai 2022).

17.         Elle a également confirmé une interdiction territoriale étendue à tout le canton pour une durée de douze mois prononcée contre un étranger qui avait des projets de mariage avec une ressortissante suisse. La chambre de céans a notamment considéré que la poursuite de sa relation de couple pouvait se faire à l'extérieur du canton, au demeurant exigu, voire depuis et dans le pays d'origine du recourant, via les moyens de communication modernes ou à l'occasion d'une visite de sa compagne (ATA/481/2022 du 5 mai 2022).

18.         Enfin, la chambre administrative a confirmé une interdiction de pénétrer dans l’ensemble du territoire genevois pour une durée de douze mois d’un étranger formant depuis trois ans une communauté de vie avec son amie à Genève. La chambre de céans a notamment relevé que son amie pourrait le rencontrer dans un autre canton (ATA/1236/2021 du 16 novembre 2021).

19.         En l'espèce, s'agissant de la première condition de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, M. A______, ressortissant nigérian, ne bénéficie d'aucune autorisation de courte durée (art. 32 LEI), de séjour (art. 33 LEI) ou d'établissement en Suisse (art. 34 LEI), ce qu'il ne conteste au demeurant pas. Il est simplement titulaire d’une carte d'identité italienne, d'un « Permesso di soggiorno » lui permettant de résider en Italie et de voyager notamment en Suisse. S'il est certes autorisé à pénétrer librement en Suisse, il ne dispose néanmoins pas d'une autorisation au sens de l'article 74 al. 1 let. a LEI.

S'agissant de la seconde condition, l'intéressé a été condamné pour des infractions à la loi sur les stupéfiants à quatre reprises depuis le 4 janvier 2023, la dernière fois le 13 mars 2024.

L'intéressé conteste la mesure d'interdiction prise à son encontre. Selon lui, le commissaire de police ne pouvait pas se fonder sur les faits ayant donné lieu à l'ordonnance pénale du 13 mars 2024, contre laquelle il avait par ailleurs formé opposition, pour retenir qu'il s'adonnait au trafic de stupéfiants.

Contrairement à ce que soutient l'intéressé, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une interdiction de pénétrer. Or, il ressort du dossier qu’au moment où la mesure d’interdiction de pénétrer dans l'ensemble du canton de Genève a été prononcée, M. A______ avait déjà été condamné pour infractions à la loi sur les stupéfiants notamment, par ordonnance pénale du Ministère public du 4 janvier 2023, par jugement du Tribunal de police du 12 juillet 2023, enfin par ordonnance pénale du Ministère public du 2 janvier 2024 (décision non entrée en force). Il avait en outre fait l'objet d'une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève le 18 mars 2022, valable pour une durée de 6 mois, qu'il n'avait pas respectée vu sa condamnation le 12 juillet 2023 par le Tribunal de police de Genève notamment pour des faits commis le 11 mai 2022, ce que l'intéressé a par ailleurs admis.

Le 12 mars 2024, M. A______ a une nouvelle fois été arrêté. Il a été condamné par ordonnance pénale du Ministère public du canton de Genève, pour délit à la loi sur les stupéfiants, à une peine privative de liberté de 60 jours.

Même si cette condamnation n'est pas entrée en force puisqu'elle est frappée d'opposition et pendante par-devant le Tribunal de police, il ressort des faits retenus par l'autorité de poursuite pénale que l'intéressé a été observé par les forces de l'ordre alors qu'il vendait de la drogue à un consommateur, à ______(GE) vers 14h40. A teneur du rapport d'arrestation, les deux protagonistes avaient été interpellés peu de temps après la transaction. M. A______ était mis en cause par les déclarations de H______, consommateur, comme étant le dealer lui ayant vendu une boulette de cocaïne d'un poids brut d'un gramme contre la somme de CHF 70.-, drogue saisie en possession de ce dernier par la police. Par ailleurs, au moment de son interpellation, M. A______ était en possession de la somme de CHF 3'841.25.

L’intéressé a certes contesté les éléments de fait retenus à l’origine de la condamnation du 13 mars 2024. Il n’en reste pas moins que sa seule présence sur les lieux, cumulée aux précédentes condamnations à la LStup, suffisent à faire peser sur lui d’importants soupçons quant à son implication dans un trafic de stupéfiants.

S’ajoute à cela que M. A______ a été condamné le 28 mars 2024 pour non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée par ordonnance pénale du Ministère public et qu'il a une énième fois été arrêté à Genève le 9 avril 2024, procédure dans laquelle il se voit reprocher des faits susceptibles d'être constitutifs de non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée et d'empêchement d'accomplir un acte officiel.

Ainsi, les explications de l’intéressé selon lesquelles, lors de son arrestation du 12 mars 2024, il ne se serait livré à aucun trafic de stupéfiants, ne peuvent être prises qu'avec circonspection. Il en va de même s'agissant de ses prétendus revenus qui expliqueraient la somme importante saisie au moment de son interpellation le 12 mars 2024, dès lors qu'il n'a apporté aucun élément à l'appui de ses déclarations, comme par exemple, une fiche de salaire, un contrat de travail ou un relevé bancaire.

Partant, au vu de ces éléments, le soupçon existe qu'il puisse à l'avenir commettre des infractions du type de celles pour lesquelles il est actuellement mis en cause. L'intéressé peut ainsi être effectivement perçu comme présentant une menace pour l'ordre et la sécurité publics.

Les conditions pour le prononcé d’une mesure d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée au sens de l'art. 74 LEI sont donc réunies.

20.         L'intéressé allègue en outre que cette mesure viole son droit à la vie privée.

En l’occurrence, le recourant ne peut se prévaloir d’aucun motif pour expliquer sa présence sur le territoire genevois.

M. A______ s’est limité à indiquer que sa fiancée, prénommée C______ avait toujours résidé en Suisse. Sur question du tribunal, il a expliqué connaître le nom de famille de sa fiancée, mais ne pas être en mesure de le prononcer. Il n’a fourni aucune preuve concrète de leur relation, ni donné d’explication quant à son lieu de domicile. Ils ne faisaient par ailleurs par ménage commun.

Interrogé sur ses déclarations contradictoires, il a expliqué qu'il avait eu une relation avec une femme vivant à G______(France) et qu'il avait eu peur que sa fiancée ne le découvre. Au vu des explications confuses de l'intéressé, on ne comprend pas si son ancienne petite-amie qui résiderait en France est enceinte de lui ou s'il attendrait un enfant avec sa compagne actuelle.

Il a par ailleurs admis qu'il ne disposait d'aucun lieu de vie en Suisse. Il n'y avait pas de famille. Il y avait certes des amis très proches, dont il n'a cependant donné aucun détail.

S’agissant de sa situation personnelle, comme relevé supra, elle n’est nullement établie.

Au vu de ce qui précède, force est de constater que l'intéressé ne peut se prévaloir de l'art. 8 CEDH, étant relevé au surplus que rien ne s’oppose à ce que ce dernier poursuive sa relation avec sa fiancée en France, si elle devait au final y être domiciliée, ou en Italie. Il ne prétend, pour le reste, pas qu’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève le priverait d’un accès à des ressources élémentaires dès lors qu'il a déclaré qu'il était domicilié en Italie, où il travaillait et percevait un revenu.

Ainsi, l’interdiction de périmètre n'apparaît pas violer le droit à la vie privée de l'intéressé.

Le fait que cette interdiction soit étendue à l’ensemble du canton apparaît proportionnée et n'est en tout état pas contesté par l'intéressé.

Quant à la durée de la mesure, elle respecte également le principe de proportionnalité. Celle-ci se justifie au regard des éléments à prendre en considération, à savoir la nature de l’infraction dont l'intéressé est soupçonné, ses antécédents spécifiques, les procédures pénales en cours, le fait qu'il avait déjà fait l'objet d'une telle mesure en 2022 qui ne l'avait, de toute évidence, pas empêché de récidiver, sa présence sur un lieu où le trafic de stupéfiants a notoirement lieu et les circonstances de son interpellation du 12 mars 2024.

Au vu de ces circonstances, la durée de dix-huit mois sur l’ensemble du canton paraît apte et nécessaire pour protéger l'ordre et la sécurité publics dans le canton de Genève du risque de nouvelles commissions d’infractions sur le territoire cantonal par l'intéressé.

21.         Partant, le tribunal confirmera l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise à l'encontre de M. A______ pour une durée de dix-huit mois.

22.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

23.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée par courrier du 25 mars 2024 par Monsieur A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 13 mars 2024 pour une durée de dix-huit mois ;

2.             la rejette ;

3.             confirme la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 13 mars 2024 à l'encontre de Monsieur A______ pour une durée de dix-huit mois ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______ à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière