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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2231/2021

JTAPI/1246/2021 du 09.12.2021 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : PERMIS DE CONSTRUIRE;PROTECTION DES MONUMENTS;PRISE DE POSITION DE L'AUTORITÉ;ESTHÉTIQUE;4E ZONE B
Normes : LCI.106; RCI.10A
Parties : COMMUNE DE BARDONNEX, CHRISTEN André / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2231/2021 LCI

JTAPI/1246/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 9 décembre 2021

 

dans la cause

 

Monsieur André CHRISTEN, représenté par Me Jacques-Alain BRON, avocat, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

 


EN FAIT

1.             Monsieur André CHRISTEN est propriétaire de la parcelle n° 4814 sise sur la commune de Bardonnex (ci-après : la commune), à l'adresse 242A, route de Bardonnex. Cette parcelle est située en zone 4B protégée.

2.             Le 2 juin 2016, Madame Isabelle DE MARCO et Monsieur Enzo MATTANA, mandataires architectes, ont déposé pour le compte de M. CHRISTEN une demande d'autorisation de construire une maison villageoise et couvert pour voitures sur ladite parcelle.

3.             Dans le cadre de l'instruction de cette demande enregistrée, sous DD 109'130, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) et la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) ont notamment requis diverses modifications du projet, relevant les qualités patrimoniales du périmètre protégé et les spécificités du contexte immédiat. Dans son préavis du 23 janvier 2018, la CMNS constatait ainsi que le projet avait été modifié pour tenir compte de ses remarques et des préavis du SMS des 28 juin, 21 novembre 2016, 15 mai, 31 octobre et 21 novembre 2017, soit notamment que la toiture du bâtiment était désormais sous celle du bâtiment existant mitoyen, que le positionnement du bâtiment avait été décalé pour maintenir la lecture du chainage d'angle du bâtiment rural, qu'il y avait un seul registre de jours en toiture, alignés et de dimensions portées à 55/78, et que le volume de la lucarne sur cour avait été réduit.

4.             Le 18 avril 2018, le département a délivré l'autorisation de construire DD 109'130.

5.             Le 29 mars 2021, Mme DE MARCO a déposé une requête en autorisation de construire complémentaire portant sur l'ajout d'une lucarne en toiture côté route (DD 109'130/2).

Dans sa lettre d'accompagnement, elle relevait que cet ajout permettrait d'optimiser un sous espace au 2ème étage de la maison et surtout rendrait une image plus en adéquation avec son environnement notamment avec la propriété sur laquelle elle venait s'adosser, soit la parcelle n° 1911.

6.             Lors de l'instruction de cette requête, la CMNS a émis un préavis défavorable, le 4 mai 2021, rappelant le contexte sensible de la parcelle, l'historique du dossier et demandant de s'en tenir à ce qui avait été autorisé, à savoir une grande lucarne sur cour au profit d'une toiture calme sur rue. Les autres préavis émis dans ce cadre, dont celui de la commune, étaient favorables sans réserves ou observations.

7.             Par décision du 22 juin 2021, faisant sien le préavis de la CMNS précité, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a refusé l'autorisation de construire complémentaire (DD 109130/2), considérant que son objet était de nature à porter atteinte au caractère architectural du village de Bardonnex et aux qualités du site.

8.             Par acte du 30 juin 2021, M. CHRISTEN a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision.

La maison adossée à la sienne comportait une petite lucarne comme celle projetée. Tel était également le cas de beaucoup de maisons avoisinantes sises route de Bardonnex ou chemin Babel, notamment. Dans ces conditions, il était arbitraire de considérer que la lucarne projetée était de nature à porter atteinte au caractère architectural du village de Bardonnex et aux qualités du site. Il ne comprenait pour le surplus pas la référence de la CMNS à la DD initiale.

Un dossier photographique de six pages relatif aux toitures de maisons sises, 235A, 236, 237, 239-241, 242, 242A, 243, 246 route de Bardonnex et chemin de Babel, était joint à l'appui de ses écritures.

9.             Dans ses observations du 30 août 2021, le département a conclu au rejet du recours.

Le recourant semblait contester l'application faite de l'art 106 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) et considérer que le principe de l'égalité de traitement avait été violé.

En l'espèce, la demande complémentaire avait pour objet de modifier l'autorisation principale en vigueur ce qui expliquait que la CMNS y faisait référence. Pour rappel, dans ce cadre, et durant le long processus de la requête initiale entamée en juin 2016 et décidée en avril 2018, le projet avait été modifié pour répondre aux diverses attentes du SMS. Le dimensionnement et le rythme des fenêtres et tabatières avaient notamment été modifiés, les ouvertures sur le pignon (côté Babel) supprimées et les châssis en toiture alignés, afin d'être plus en harmonie avec les caractéristiques de la zone protégée en se basant sur le relevé des propriétés voisines fait par le géomètre. Ainsi, les demandes formulées par le SMS avaient permis de créer une hiérarchie de lecture entre le bâtiment préexistant (242, route de Bardonnex) et le nouveau bâtiment, moins haut et en retrait. Quant à la toiture, le projet autorisé avait permis la mise en place d'une toiture calme sur rue et d'une grande lucarne sur cour permettant au bâtiment de s'intégrer dans son environnement protégé tout en créant de l'habitabilité dans les combles pour la chambre parentale (avec des jours droits conséquents). Cette solution correspondait aux principes appliqués par la CMNS qui, s'agissant des toitures, encourageait l'homogénéité du paysage des toitures des villages par le biais d'ouvertures restreintes, tabatières ou châssis de petites dimensions pour l'éclairage de pièces non habitables. Rappelant le contexte sensible de la parcelle concernée, qui était libre de construction, située au cœur de Bardonnex, dans la séquence des bâtiments anciens implantés le long de l'artère principale et qui formaient la structure traditionnelle du village, la CMNS s'était dès lors déclarée défavorable à la demande complémentaire et avait demandé de s'en tenir à ce qui avait été autorisé, soit une grande lucarne sur cour au profit d'une toiture calme sur rue, afin de parvenir à une bonne intégration du bâtiment au tissu rural ancien. En effet, dans un tel contexte, la mise en place de lucarnes était possible, mais elle s'effectuait avec parcimonie, particulièrement lorsque la pièce n'était pas habitable. Or, en l'espèce, il ressortait du plan du deuxième étage que non seulement la pièce en question avait une destination de bureau, mais que la majeure partie de cette dernière comportait une hauteur inférieure à 1.80m. Or, les jours en toiture avaient été prévus en fonction de la destination des pièces et la pesée des intérêts en présence avait abouti à privilégier une chambre généreuse côté cour et la mise en place de trois tabatières harmonieusement disposées en un seul registre, le plus haut possible, pour les pièces techniques côté rue. Partant, c'était à juste titre et sans abuser de son pouvoir d'appréciation, qu'il avait suivi l'avis de la CMNS, composée de spécialistes en matière de protection du patrimoine, et refusé l'autorisation de construire complémentaire.

S'agissant enfin de la prétendue inégalité de traitement, la CMNS avait effectué ses examens en fonction de la zone 4B protégée dans laquelle s'intégrait le projet litigieux et en se référant notamment à l'ouvrage "Les maisons rurales du canton de Genève", Genève 2006 duquel il découlait que les bâtiments comportaient peu de jours (voir p, 400, 401 en annexe 1), ce qui permettait de faire perdurer le paysage des toitures calmes. La CMNS examinait ensuite les particularités de chaque village. Or, à Bardonnex, la majorité des bâtiments n'avaient pas de lucarnes côté rue, en particulier dans l'environnement immédiat du projet querellé, tel que cela ressortait du système d'information du territoire genevois (SITG). Qui plus était, lors du recensement architectural du bâtiment situé pratiquement en face du projet discuté (10, chemin Babel annexe 2), il avait été considéré que les trois lucarnes existantes étaient gênantes et que le bâtiment nuisait beaucoup au mas ancien auquel il était contigu.

La CMNS avait ainsi tenu compte du contexte dans lequel s'inscrivait le projet querellé et effectué une pesée des intérêts quant à la proportion de toitures pouvant accueillir une lucarne dès lors qu'en zone 4B protégée, les percements en toiture étaient limités afin de maintenir un paysage des toitures calme et étant précisé que le projet avait déjà bénéficié d'une grande lucarne côté cour et de trois tabatières en un seul registre côté rue.

10.         Le 16 septembre 2021, l'avocat constitué pour la défense des intérêts du recourant a requis un délai supplémentaire pour répliquer aux observations du département, ce qui lui a été accordé.

11.         Dans sa réplique du 20 octobre 2021, M. CHRISTEN a conclu, principalement, à l'annulation de la décision querellée et, préalablement, à ce qu'un transport sur place ainsi que l'audition de Mme DE MARCO et de M. MATTANA soient ordonnés, le tout sous suite de frais et dépens.

S'agissant de l'historique du dossier, la CMNS avait également modifié ses exigences initiales sur plusieurs points, à l'issue de dialogues constructifs avec ses mandataires, notamment sur l'ampleur du retrait souhaité du bâtiment par rapport au bâtiment voisin, la hauteur du bâtiment et les percements de façades. Ces dialogues n'avaient cependant jamais porté sur la réalisation d'une lucarne en toiture côté rue et une telle réalisation n'avait, a fortiori, aucunement été mise en perspective par rapport à la lucarne autorisée côté cour. Le projet de lucarne refusé n'avait enfin pas été soumis par une nouvelle mandataire, Mme DE MARCO ayant conduit toutes les discussions au sujet du projet initial avec la CMNS.

En l'espèce, ce n'était pas moins de neuf lucarnes, dont certaines plus imposantes que celle projetée, qui étaient visibles à la ronde depuis son immeuble, ce que le tribunal pourrait constater dans le cadre d'un transport sur place et sur les photos panoramiques google map qu'il versait à la procédure. La lucarne litigieuse serait réalisée en se calquant sur le modèle de celle du bâtiment immédiatement voisin et ne nuirait aucunement au caractère architectural du village de Bardonnex et aux qualités du site. Elle permettrait d'optimiser un sous espace au 2ème étage de sa maison et rendrait une image plus en adéquation avec son environnement notamment avec la propriété voisine sur laquelle le bâtiment viendrait s'adosser, raison pour laquelle les autres préavis, dont celui de la commune également obligatoire, étaient tous favorables. Les lucarnes côté cour et côté rue ne seraient enfin pas visibles simultanément sinon d'un point de vue aérien.

Dans ces conditions, force était de retenir que le préavis de la CMNS reposait sur des considérations étrangères aux dispositions légales applicables (changement de mandataire et longueur de la procédure) et/ou fausses (changement de mandataire, historique du dossier et contenu de l'autorisation de construire délivrée dans la DD 1079130/1) et, dès lors, arbitraires. Il en allait de même de la décision du département dès lors qu'elle faisait sien les motifs dudit préavis. Une application correcte du principe de la proportionnalité et de l'égalité de traitement aurait dès lors dû conduire le département à autoriser la lucarne litigieuse. En effet, par rapport aux buts de protection de l'art. 106 LCI, sa lucarne ne se distinguait pas, objectivement, de celles des voisins et on ne comprenait pas en quoi le « calme » de la toiture de sa maison devrait s'apprécier différemment de celui des constructions voisines pour le caractère architectural du site environnant, respectivement en quoi il serait davantage compromis par la lucarne projetée que pour les bâtiments voisins.

12.         Le département a dupliqué le 8 novembre 2021 précisant que la CMNS avait également formulé des exigences quant à la volumétrie du projet qui devait s'inscrire en retrait de l'ancienne façade et qu'elle avait fait état, par erreur, d'un changement de mandataire. Même si la possibilité de réaliser une lucarne en toiture côté rue n'avait pas été expressément étudiée dans la requête initiale, la CMNS avait néanmoins posé un certain nombre d'exigences s'agissant des interventions en toiture. Elle avait ainsi analysé, au vu de ce contexte initial, la possibilité d'effectuer la lucarne objet de la requête complémentaire.

S'agissant des art. 15 et 106 LCI, il avait pour le surplus exposé, dans ses observations du 30 août 2021, l'ensemble des éléments qui l'avaient amené à privilégier le préavis de la CMNS, d'un poids certain, à celui de la commune, non motivé. Partant, sa décision échappait au grief de violation des dispositions précitées soulevé par le recourant.

Le grief d'inégalité de traitement devait également être rejeté, la CMNS ayant effectué une pesée des intérêts quant à la proportion de toitures pouvant accueillir une lucarne, étant rappelé qu'en zone 4B protégée, les percements en toiture étaient limités afin de maintenir un paysage de toitures calme. Il invitait pour le surplus le tribunal à se référer à l'extrait SITG produit à l'appui de ses observations du 30 août 2021, qui permettait d'appréhender l'environnement immédiat du projet querellé qui s'inscrivait dans la fin d'un tissu parcellaire ancien plutôt que le dossier photo produit par le recourant qui ne permettait pas de visualiser correctement l'environnement entourant le projet querellé. A toutes fins utiles, les trois lucarnes sises 10, chemin de Babel étaient considérées comme gênantes.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), en soi non réalisée dans le cas d'espèce.

4.             Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 515 p. 171).

En particulier, la protection de l'égalité (art. 8 Cst.) et celle contre l'arbitraire (art. 9 Cst.) sont étroitement liées. Une décision est arbitraire lorsqu'elle ne repose pas sur des motifs sérieux et objectifs ou n'a ni sens ni but. Elle viole le principe de l'égalité de traitement lorsqu'elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'elle omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 142 I 195 consid. 6.1 ; 136 II 120 consid. 3.3.2 ; 133 I 249 consid. 3.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_832/2016 du 12 juin 2017 consid. 7.1 ; 2C_550/2016, 2C_551/2016 du 8 mars 2017 consid. 4.1). L'inégalité de traitement apparaît ainsi comme une forme particulière d'arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l'être de manière semblable ou inversement (ATF 129 I 1 consid. 3, 346 consid. 6 ; 127 I 185 consid. 5 ; 125 I 1 consid. 2b/aa et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_550/2016, 2C_551/2016 du 8 mars 2017 consid. 4.1).

Commet un excès « positif » de son pouvoir d'appréciation l'autorité qui exerce son appréciation alors que la loi l'exclut, ou qui, au lieu de choisir entre les deux solutions possibles, en adopte une troisième. Il y a également excès du pouvoir d'appréciation dans le cas où l'excès de pouvoir est « négatif », soit lorsque l'autorité considère qu'elle est liée, alors que la loi l'autorise à statuer selon son appréciation, ou qu'elle renonce d'emblée, en tout ou partie, à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; 116 V 307 consid. 2 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_472/2016 du 14 février 2017 consid. 5.1.2 ; 1C_263/2013 du 14 mai 2013 consid. 3.1), par exemple en appliquant des solutions trop schématiques ne tenant pas compte des particularités des cas d'espèce, que l'octroi du pouvoir d'appréciation avait justement pour but de prendre en considération ; on peut alors estimer qu'en refusant d'appliquer les critères de décision prévus explicitement ou implicitement par la loi, l'autorité viole directement celle-ci (cf. Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 514, p. 171).

5.             Le recourant sollicite à titre préalable un transport sur place ainsi que l'audition de Mme DE MARCO, et de M. MATTANA, architectes respectivement en charge de la DD 109130/1 et 2.

6.             Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit pour les parties de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Ce droit ne s'étend toutefois qu'aux éléments pertinents pour décider de l'issue du litige et le droit de faire administrer des preuves n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

Ces principes s'appliquent en particulier à la tenue d'une inspection locale, en l'absence d'une disposition cantonale qui imposerait une telle mesure d'instruction, étant précisé qu'une telle disposition n'existe pas en droit genevois (cf. ATF 120 Ib 224 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_243/2013 du 27 septembre 2013 consid. 3.2.1 ; ATA/720/2012 du 30 octobre 2012 consid. 3).

7.             En l'espèce, le tribunal estime que le dossier contient les éléments suffisants et nécessaires à l'examen des griefs et arguments mis en avant par les parties. En particulier, les plans et les photographies versés au dossier, y compris les vues aériennes du périmètre concerné, ainsi que les outils disponibles sur Internet, en particulier le SITG, permettent parfaitement de visualiser l'emplacement de la lucarne litigieuse et le périmètre dans lequel elle s'insérerait, soit en particulier les toitures des immeubles avoisinants. Le transport sur place sollicité aurait pour objet les mêmes éléments d'appréciation, de sorte que cette mesure d'instruction, non obligatoire en soi, ne fournirait pas d'informations pertinentes supplémentaires. Partant, le dossier étant complet et le tribunal disposant des éléments nécessaires pour statuer en toute connaissance de cause, il ne sera pas donné suite à cette mesure d'instruction, pas plus qu'il ne sera procédé aux auditions requises, pour les mêmes motifs.

8.             Le recourant considère que l'autorisation de construire a été refusée à tort puisque la lucarne projetée ne nuirait aucunement au caractère architecturale du village de Bardonnex et aux qualités du site. Celle-ci permettrait par ailleurs d'optimiser un sous espace au 2ème étage de sa maison et rendrait une image de celle-ci plus en adéquation avec son environnement notamment avec la propriété voisine. Pas moins de neuf lucarnes étant enfin visibles à la ronde, dont certaines plus imposantes que celle projetée, la décision querellée n'apparaissait également pas conforme aux principes de la proportionnalité et de l'égalité de traitement.

Il fait au surplus grief au département d'avoir excédé son pouvoir d'appréciation en privilégiant le préavis de la CMNS, qui reposait sur des considérations étrangères aux dispositions légales applicables et/ou fausses et, dès lors, arbitraires à celui des autres instances de préavis, dont la commune, tous favorables.

9.             Conformément à l'art. 22 al. 1 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente. L'autorisation est délivrée si, notamment, la construction ou l'installation est conforme à l'affectation de la zone (art. 22 al. 2 let. a LAT).

10.         L'art. 17 let. c LAT stipule que les zones à protéger comprennent notamment les localités typiques, les lieux historiques, les monuments naturels ou culturels.

11.         La loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) définit les zones protégées et les zones à protéger.

12.         En vertu de l'art. 12 al. 5 LaLAT, les zones protégées constituent des périmètres délimités à l'intérieur d'une zone à bâtir ordinaire ou de développement et qui ont pour but la protection de l'aménagement et du caractère architectural des quartiers et localités considérés. L'art. 28 LaLAT régit les zones « protégées » en disposant que les villages protégés font l'objet de dispositions particulières incluses dans la LCI ; celles-ci figurent aux art. 105 à 107 LCI.

13.         La LCI définit le régime concret applicable à ces zones, dont le but est la conservation de l'harmonie et de l'identité du secteur, notamment par le biais de règles sur les alignements, les gabarits et les couleurs (cf. Lucien LAZZAROTTO, « La protection du patrimoine », in Bénédict FOËX/Michel HOTTELIER [éd.], La garantie de la propriété à l'aube du XXIème siècle, 2009, p. 113).

14.         A teneur de l'art. 10A du règlement d'application de la LCI du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01), est réputée complémentaire la demande qui a pour objet la modification d'une autorisation principale en vigueur, pour laquelle l'attestation de conformité n'a pas encore été adressée au département ou pour laquelle le permis d'occuper n'a pas encore été délivré (al. 1).

15.         En l'occurrence, il n'est pas contesté que la parcelle concernée par le projet litigieux se situe en zone 4B protégée, de sorte que les dispositions spécifiques des art. 105 ss LCI lui sont applicables, en plus des dispositions applicables à la 4ème zone (art. 30 ss LCI).

16.         En vertu de l'art. 106 al. 1 LCI, dans les villages protégés, le département, sur préavis de la commune et de la CMNS, fixe dans chaque cas particulier l'implantation, le gabarit, le volume et le style des constructions à édifier, de manière à sauvegarder le caractère architectural et l'échelle de ces agglomérations, ainsi que le site environnant ; le département peut en conséquence, à titre exceptionnel, déroger aux dispositions régissant les distances entre bâtiments, les distances aux limites de propriétés et les vues droites.

17.         Cette disposition est spécialement applicable aux villages protégés et confère un large pouvoir d'appréciation au département qui peut fixer lui-même les règles applicables aux constructions dans le but de sauvegarder le caractère d'un village et le site environnant, et déroger aux dispositions ordinaires. Ce large pouvoir d'appréciation et de décision implique la possibilité de refuser un projet qui, ne respectant pas ces prescriptions spéciales, porterait une atteinte excessive au caractère d'un village protégé, soit que les bâtiments existants méritent une protection particulière, soit que le projet en lui-même n'est pas satisfaisant du point de vue de l'intégration (arrêt du Tribunal fédéral 1C_579/2015 du 4 juillet 2016 consid. 3.2 ; 1C_123/2010 du 25 mai 2010 consid. 3.3 ; ATA/1049/2018du 9 octobre 2018 consid. 6a).

Le juge ne peut revoir l'application de cette disposition à laquelle le département procède dans un cas d'espèce qu'en cas d'excès ou d'abus (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1059/2017 du 4 juillet 2017 consid. 6b ; ATA/305/2012 du 15 mai 2012).

18.         Selon le système prévu par la LCI, les préavis des communes, des départements et organismes intéressés n'ont qu'un caractère consultatif. Le département, qui n'est pas lié par ces préavis, reste libre de s'en écarter pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur (art. 3 al. 3 LCI ; ATA/1103/2020du 3 novembre 2020 consid. 5b ; ATA/318/2017 du 21 mars 2017 consid. 8c et les références citées). Néanmoins, lorsque la consultation d'une instance de préavis est imposée par la loi, le préavis de celle-ci a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours et il convient de ne pas le minimiser (ATA/1274/2017 du 12 septembre 2017). Il n'en demeure pas moins que la délivrance de telles autorisations de construire demeure de la compétence exclusive du département, à qui il appartient de statuer en tenant compte de tous les intérêts en présence (ATA/1103/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5b).

19.         Selon une jurisprudence bien établie, chaque fois que l'autorité inférieure suit les préavis requis, la juridiction de recours doit s'imposer une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des entités ayant formulé un préavis dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation, pour autant que l'autorité inférieure ait suivi l'avis de celles-ci. Elle se limite à examiner si le département ne s'est pas écarté sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3e ; ATA/639/2020 du 30 juin 2020 consid. 4d ; ATA/875/2018 du 28 août 2018 consid. 5b).

C'est en particulier le cas lorsque la consultation de la CMNS est imposée par la loi et que le département a suivi son préavis, étant rappelé que cette commission, qui se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d'associations d'importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine, est important et a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours (ATA/97/2019 du 29 janvier 2019 consid. 4d et les références citées).

20.         En l'espèce, appliquant à juste titre l'art. 106 al. 1 LCI, le département a décidé de suivre le préavis de la CMNS et de s'écarter de celui de la commune, comme de la position soutenue par le recourant.

Les motifs l'ayant amené à le faire ne sont nullement dénués de sens, de sorte qu'ils ne peuvent être qualifiés d'arbitraires. Contrairement aux critiques du recourant, la prise en compte de l'historique du dossier et de l'autorisation initiale délivrée apparait ici tout à fait pertinente et justifiée étant rappelé qu'il découle des préavis successifs de la CMNS et du SMS rendus dans le cadre de la DD 109130/1, que ces derniers ont été particulièrement attentifs à la nécessité de préserver une certaine image du périmètre, demandant des modifications du projet principal autorisé dans le but notamment de réduire au maximum les interventions sur la toiture. Dans son préavis défavorable du 4 mai 2021, la CMNS rappelle ainsi le contexte sensible de la parcelle, l'historique du dossier et demande à ce qu'il soit tenu compte de ce qui avait été autorisé, à savoir une grande lucarne sur cour au profit d'une toiture calme sur rue. Le département relève encore que le souhait d'une toiture calme sur rue et d'une grande lucarne sur cour permet au bâtiment de s'intégrer dans son environnement protégé tout en créant de l'habitabilité dans les combles pour la chambre parentale. Ainsi, notamment, les jours en toiture ont été prévus en fonction de la destination des pièces et la pesée des intérêts en présence a abouti à privilégier une chambre généreuse côté cour et la mise en place de trois tabatières harmonieusement disposées en un seul registre, le plus haut possible, pour les pièces techniques côté rue.

Quant au recourant, il entend en réalité substituer sa propre appréciation à celle de l'autorité intimée. Le fait que la CMNS et le département ont procédé à une analyse différente de la sienne ne permet pas de retenir un abus ou un excès de son (large) pouvoir d'appréciation. Comme vu ci-dessus, la prise de décision de l'autorité intimée, forgée sur la base du préavis défavorable du CMNS, ne prête en effet pas le flanc à la critique, étant rappelé que lorsque le législateur a voulu conférer à l'autorité de décision un pouvoir d'appréciation dans l'application d'une norme, le juge qui, outrepassant son pouvoir d'examen, corrige l'interprétation ou l'application pourtant défendable de cette norme à laquelle ladite autorité a procédé, viole le principe de l'interdiction de l'arbitraire. Par conséquent, le tribunal, qui doit faire preuve de retenue et respecter la latitude de jugement conférée à cette dernière, ne saurait en corriger le résultat en fonction d'une autre conception, même si celle-ci n'est pas dénuée de pertinence, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit de faire (art. 61 al. 2 LPA).

Le recourant tente pour le surplus d'établir des comparaisons s'agissant de la présence d'autres ouvertures sur des toits de bâtiments dans l'environnement immédiat et de l'expression architecturale de ce dernier. A cet égard, il ne met toutefois en évidence aucune situation concrète semblable à la sienne qui aurait fait l'objet d'un traitement différent et les illustrations qu'il propose ne sont pas pertinentes, portant sur des travaux réalisés bien avant celui projeté. Or, le département a rappelé que le percement en toiture devait rester limité en zone 4B protégée afin de maintenir un paysage des toitures calmes, soulignant au surplus que les lucarnes sises chemin Babel étaient gênantes. Il n'apparaît ainsi pas que la décision entreprise contreviendrait au principe d'égalité de traitement.

Il sera encore relevé que le préavis de la commune n'est aucunement motivé contrairement à celui de la CMNS et que la position de sa mandataire, qui soutient dans sa lettre d'accompagnement du 29 mars 2021 que l'ajout de la lucarne querellée rendrait une image plus en adéquation de la maison avec son environnement est pour le moins surprenante, quand l'on sait qu'un tel ajout n'était aucunement envisagé par cette même mandataire dans le projet initial (DD 109'130).

Il résulte de ce qui précède que le refus que le département a opposé au recourant est conforme au droit et qu'il n'a ainsi ni abusé ni excédé de son pouvoir d'appréciation en refusant l'autorisation complémentaire de construire sollicitée (art. 1 al. 6 LCI).

21.         Mal fondé, le recours sera dès lors rejeté.

22.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d'un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l'avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

23.         Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 30 juin 2021 par Monsieur André CHRISTEN contre la décision du département du territoire du 22 juin 2021 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, Aurèle MÜLLER et François DULON, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties

Genève, le

 

La greffière