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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1345/2023

ATA/223/2024 du 14.02.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1345/2023-PRISON ATA/223/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 février 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Razi ABDERRAHIM, avocat

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée

 



EN FAIT

A. a. A______ exécute, depuis le 28 mai 2019, une mesure au sein de la prison de Champ-Dollon.

b. Inscrit sur liste d’attente le 12 juin 2019, il a obtenu une place de travail en tant que nettoyeur de tables du 15 juillet 2020 au 13 novembre 2020, date à laquelle il a été sanctionné par une suppression immédiate du travail à la suite d’une bagarre.

c. Réinscrit le 3 décembre 2020, il travaille depuis le 10 mars 2022 comme nettoyeur à l’unité 2 NORD, fonction qu’il occupe toujours à ce jour à teneur du dossier.

d. Il a signé la « convention d’occupation » avec la prison, dont le « cadre disciplinaire des ateliers » prévoit que « tout comportement troublant l’ordre et la tranquillité et le refus d’obtempérer aux ordres des responsables d’atelier feront l’objet d’une attention particulière et pourront être sanctionnés de la suppression immédiate ou temporaire de travail ».

e. Depuis son arrivée à la prison, il a fait l’objet de nombreuses sanctions disciplinaires  : le 11 mai 2020, pour violence physique sur un détenu et trouble à l’ordre de l’établissement (trois jours de cellule forte), le 13 novembre 2020, pour violence physique exercée sur des détenus et troubles à l’ordre de l’établissement (cinq jours de cellule forte et suppression de travail), le 24 février 2021, pour refus d’obtempérer, injures envers le personnel, bruit et trouble à l’ordre de l’établissement (trois jours de cellule forte), le 5 mai 2021, pour menaces envers le personnel (trois jours de cellule forte), le 6 mai 2021, pour troubles à l’ordre de l’établissement, injures et attitude incorrecte envers le personnel en récidive et refus d’obtempérer (cinq jours de cellule forte), le 18 octobre 2021, pour menaces, injures et attitude incorrecte envers le personnel, refus d’obtempérer et trouble à l’ordre de l’établissement (cinq jours de cellule forte), le 19 octobre 2021, pour injures envers le personnel en récidive, attitude incorrecte envers le personnel et refus d’obtempérer (quatre jours de cellule forte), et le 19 octobre 2021 pour injures envers le personnel (deux jours de cellule forte).

B. a. Le 13 avril 2023, il a fait l’objet d’une sanction disciplinaire consistant en sept jours de suspension de travail pour attitude incorrecte envers le personnel.

b. Selon le rapport d’incident du même jour, A______, alors employé en qualité de nettoyeur d’unité, était arrivé en colère au travail l’après‑midi. Il souhaitait qu’un membre de la direction vienne sur place lui parler, car sa rémunération ne correspondait pas, selon lui, à ses attentes. Le gardien lui avait expliqué que sa rémunération était correcte, dès lors qu’il avait travaillé seulement plusieurs demi-journées, à sa demande, le montant de sa rémunération en tenant compte. Il lui avait rappelé les instructions données le 12 mars 2023. Si les détenus souhaitaient travailler, ils devaient l’indiquer dès l’ouverture de l’unité. Énervé, le détenu avait frappé d'un coup de pied la poubelle de l’unité. Au vu de son état émotionnel, le gardien avait décidé de le faire retourner en cellule. Il est indiqué, en fin de rapport, que A______ a été entendu à 17h30 et que la sanction lui a été signifiée le même jour.

c. L’intéressé a refusé de signer le document notifiant la sanction, et la case correspondante a été cochée par le gardien sous-chef. A______ a ajouté à la main « le chef qui il a fait la signature à ma place » à côté de la case « refuse de signer ».

d. La sanction a été exécutée du 14 au 20 avril 2023.

C. a. Par courrier expédié le 23 avril 2023, A______ a interjeté recours à l’encontre de la sanction précitée auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il était victime de provocation et avait « besoin d’un recours très urgent » contre cette sanction. Il avait déjà fait quatorze ans de prison. Le chef d’étage voulait se venger de lui. Il avait été privé de travail durant sept jours. Il avait reçu la copie de la sanction le 15 avril 2023. Le gardien avait signé à sa place.

b. Le 9 mai 2023, la direction de la prison a conclu au rejet du recours.

Les griefs en lien avec le personnel pénitentiaire et les provocations subies étaient irrecevables. Les images de vidéosurveillance corroboraient les faits décrits dans le rapport d’incident. Le droit d’être entendu du recourant avait été respecté, ce dernier ayant été entendu avant le prononcé de la sanction par le gardien-chef. Celle-ci, prise par le gardien-chef, lequel était habilité à le faire, était justifiée par un intérêt public, et proportionnée. Elle était clémente, le recourant ayant plusieurs antécédents à son actif.

c. Le 20 octobre 2023, le recourant a sollicité, par le biais de son avocat, une restitution de délai au sens de « l’art. 13 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) », ses observations n’ayant pas été transmises dans le délai imparti sans faute de sa part.

d. Par courrier du 24 octobre 2023, le juge délégué a indiqué à l’avocat du recourant que les conditions de restitution de délai au sens de l’art. 16 al. 3 LPA n’étaient pas remplies. Cela étant, s’il lui adressait une écriture très prochainement pour le compte de son mandant, celle-ci serait acceptée au titre du droit inconditionnel à la réplique.

e. Le recourant ne s’est pas manifesté à l’issue de ce courrier, de sorte que la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

1.1 Bien que le recourant ne prenne pas formellement de conclusions et ne développe pas sa contestation, il ressort de la lecture de son acte de recours qu'il n’est pas d’accord avec la sanction qui lui a été infligée. Le recours répond ainsi aux exigences minimales de motivation prévues par l'art. 65 LPA.

1.2 En revanche, en tant que le recourant se plaint des provocations qu’il subirait du personnel de la prison et des plaintes qu’il aurait déposées, ses conclusions sont irrecevables, dès lors que la décision contestée ne porte pas sur cette question. La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée (ATA/383/2021 du 30 mars 2021 consid. 2 ; ATA/1008/2019 du 11 juin 2019 consid. 2b), de sorte que les questions liées à ces griefs ne seront pas examinées.

1.3 Par ailleurs, bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il ne ressort pas du dossier qu'il aurait quitté la prison et qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire. Le recours conserve ainsi un intérêt actuel (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/1286/2023 du 29 novembre 2023 consid. 2 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consis. 2).

Le recours est ainsi recevable, sous réserve du point évoqué ci-dessus (consid. 1.2).

2.             Est litigieuse la sanction de sept jours de suspension de travail.

2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

2.2 Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/412/2022 du 13 avril 2022 consid. 4a ; ATA/43/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1108/2018 du 17 octobre 2018 et les références citées).

2.3 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04). Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l'égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers
(art. 44 RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer, notamment la privation de travail (let. f). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

2.4 En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/90/2024 du 26 janvier 2024 consid. 3.2 ; ATA/50/2023 du 20 janvier 2023 consid. 7b).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.6 et les références citées ; ATA/502/2018 du 22 mai 2018 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/679/2023 précité consid. 5.6 et les références citées).

2.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public
(ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/679/2023 précité consid. 5.6).

2.6 En l’espèce, dans son recours, le recourant allègue qu’il s’agirait d’une « vengeance du chef d’étage », mais ne fournit aucun élément à même de mettre en doute les constatations figurant dans le rapport établi par les agents assermentés et ne conteste aucun élément figurant dans ledit rapport, à l’exception de la signature apposée selon lui par le gardien à sa place. À ce sujet, il sera souligné que le gardien n’a pas signé pour le compte du recourant, il a seulement coché la case indiquant que ce dernier refusait de signer le document la notification de la sanction. Partant, compte tenu de la jurisprudence portant sur la valeur probante des constatations figurant dans un rapport établi par des agents assermentés, la chambre administrative retiendra les éléments qui figurent dans ledit rapport.

Il ressort de celui-ci que le recourant était mécontent de sa rémunération et des explications données par le sous-chef s’agissant de divergences constatées entre la rémunération obtenue et celle attendue. Son éventuelle insatisfaction quant à sa situation ne lui permettait toutefois ni de s’en prendre verbalement au gardien ni de donner un coup de pied dans une poubelle et d’avoir une attitude générale agressive. La « convention d’occupation » signée par ses soins soulignait, en particulier, l’importance d’adopter un comportement irréprochable en atelier et d’obtempérer aux ordres du responsable de ce dernier. Le recourant se devait donc, même s’il éprouvait de la frustration en raison des explications obtenues, de s’abstenir du comportement et de l’attitude belliqueuse qui lui sont reprochés. Ayant ainsi contrevenu à son obligation d’adopter une attitude correcte à l’égard du personnel, son comportement justifiait une sanction.

Celle infligée, à savoir la suspension de sept jours de travail, tient dûment compte du fait que le recourant a de nombreux antécédents disciplinaires, fréquemment pour menaces et attitudes incorrectes envers le personnel et que les faits reprochés sont d’une certaine gravité. En outre, la sanction est plus clémente qu’une suppression du travail, qui implique ensuite de se réinscrire, et d’attendre qu’une place se libère. Aussi, tant le choix de la sanction que sa quotité étaient aptes, nécessaires et proportionnés au sens étroit pour garantir la sécurité et la tranquillité de l'établissement et s'avèrent conformes au droit.

Au vu du large pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée en la matière, la sanction prononcée ne viole pas la loi ni ne consacre un abus du pouvoir d’appréciation.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

2.7 Vu la nature et l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA cum art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), ni aucune indemnité de procédure allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 avril 2023 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 13 avril 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Razi ABDERRAHIM, avocat du recourant, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :