Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2131/2023

ATA/1051/2023 du 26.09.2023 ( PATIEN ) , REJETE

Descripteurs : PATIENT;DROIT DU PATIENT;MÉDECIN;SECRET PROFESSIONNEL;SAUVEGARDE DU SECRET;JUSTE MOTIF;DOSSIER MÉDICAL;ENFANT;DÉNONCIATION(EN GÉNÉRAL);VIOLENCE DOMESTIQUE;PESÉE DES INTÉRÊTS
Normes : Cst.29; LPA.19; LPA.20; LPA.61; LS.12; LS.86
Résumé : Rejet du recours déposé par une mère et son fils mineur contre la levée du secret médical de la pédiatre de ce dernier. La praticienne a sollicité la levée de son secret professionnel dans le but de procéder au signalement, auprès des autorités françaises de protection des mineurs, d’éléments rapportés par la mère lui laissant penser que l’enfant encourait un danger en raison de la violence de son père. Au vu des circonstances, la commission intimée était fondée à prononcer la levée du secret, conformément au droit et sans excéder son pouvoir d’appréciation.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2131/2023-PATIEN ATA/1051/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 septembre 2023

 

dans la cause

 

A______ agissant pour elle-même et son fils recourants
B______, enfant mineur

représentés par Mes Annette MICUCCI et Stéphane GRODECKI, avocats

contre

COMMISSION DU SECRET PROFESSIONNEL intimée

 



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1984, est la mère de B______, né le ______ 2022.

b. La Docteure C______ est pédiatre dans un centre médical à Genève.

c. B______ a été patient d’C______.

B. a. Le 7 juin 2023, C______ a saisi la commission du secret professionnel (ci‑après : la commission) d’une demande de levée de son secret professionnel.

Elle souhaitait être déliée de son secret médical et pouvoir activer le service de protection des mineurs en faveur de B______. L’adresse genevoise de la famille communiquée au cabinet n’était plus d’actualité et la mère de l’enfant refusait de lui donner son adresse actuelle, vraisemblablement en Haute-Savoie, en France. La praticienne était inquiète pour l’intégrité psychique et physique de l’enfant, témoin d’événements de violence entre ses parents. Elle souhaitait signaler la situation à la cellule de recueil des informations préoccupantes 74 (ci-après : CRIP 74). A______, mise au courant des démarches nécessaires, lui avait donné son accord verbal pour procéder auprès de la CRIP 74 lors d’un entretien au cabinet le 5 juin 2023. Celle-ci n’avait toutefois, au moment de solliciter formellement la levée du secret professionnel, pas donné suite à sa demande de la délier du secret médical par écrit.

A______ l’avait contactée le 4 juin 2023 à 9h00 sur son téléphone privé, en état de panique, lui rapportant un épisode de violence du père de l’enfant envers ce dernier, puis de son conjoint envers elle-même. L’intéressée avait déjà consulté au cabinet le 22 septembre 2022 suite à une altercation avec son mari, indiquant qu’il s’agissait d’un événement isolé et l’avait priée de ne pas intervenir. La praticienne avait alors autorisé la famille à la contacter sur son numéro privé.

b. Par décision du 13 juin 2023, la commission a prononcé la levée du secret professionnel d’C______ et l’a autorisée à transmettre à la CRIP 74 un certificat médical se limitant strictement aux éléments décrits dans sa demande. Cette transmission était nécessaire afin que la CRIP 74 puisse décider d’une éventuelle mesure de protection adaptée pour le mineur. La démarche correspondait à l’intérêt de ce dernier. En cas de demande d’autres renseignements à son sujet, une nouvelle demande devait être adressée à la commission. Cette décision ne serait effective qu’à l’échéance du délai de recours de dix jours, pour autant qu’aucun recours n’ait été déposé.

c. Le 14 juin 2023, A______, par le biais de son conseil, a sollicité de la commission la notification de la décision adressée à la pédiatre. Elle s’opposait à toute levée du secret professionnel et entendait recourir contre une telle décision.

d. Par courriel du 15 juin 2023, la présidente de la commission a invité C______ à ne pas prendre contact avec la CRIP 74, au vu du courrier du conseil de A______.

e. Le même jour, C______ a répondu à la commission avoir déjà transmis le certificat médical à la CRIP 74, le 14 juin 2023 à 14h00. Elle rappelait que A______ – qu’elle avait informée avoir requis et obtenu la levée de son secret médical et transmis le signalement – avait à deux reprises affirmé être d’accord avec une telle démarche lors de la consultation du 5 juin 2023.

f. Le 16 juin 2023, la commission a transmis copie de la décision à A______, mais lui a refusé l’accès au dossier à défaut de qualité de partie à la procédure.

g. Le même jour, C______ est intervenue auprès de la CRIP 74, lui demandant de ne pas procéder à la prise en charge de son signalement relatif à la famille A______ en l’absence d’autorisation des parents et de la commission, vu le dépôt d’un recours.

h. Le 21 juin 2023, la CRIP 74 a informé C______ qu’en application de la législation française, elle était contrainte de traiter les éléments reçus. Sans information sur l’adresse de la famille, elle serait obligée de faire un signalement au procureur de la République française, au vu des suspicions de risque de danger ou de danger pour le mineur qui serait témoin de violences conjugales.

C. a. Par acte du 23 juin 2023, A______, agissant pour elle-même et pour B______, a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de la commission du 13 juin 2023. Elle a conclu à son annulation, au refus de la levée du secret professionnel de la pédiatre et, cela fait, à ce qu’il soit fait interdiction à cette dernière de transmettre une quelconque information relative à l’enfant à quelque autorité que ce soit. Préalablement, la commission devait produire l’intégralité du dossier du mineur et un délai devait leur être octroyé pour compléter leurs écritures. À titre provisionnel, il devait être constaté que le recours avait effet suspensif.

A______ avait récemment traversé une période difficile, qui avait affecté sa vie de famille, créant certaines dissensions au sein du couple. Au début du mois de juin 2023, elle avait confié ses difficultés conjugales à la pédiatre de son fils, avec laquelle elle entretenait une relation de confiance. Lors de la consultation du 5 juin 2023, qu’elle avait obtenue après avoir insisté auprès de la praticienne, elle avait constaté que cette dernière, qui l’avait informée de son intention d’interpeller les services de protection de l’enfance, faisait référence à des événements qu’elle ne lui avait jamais confiés, en raison du fait qu’ils ne s’étaient jamais produits, notamment des épisodes de violence conjugale. Elle avait tenté de lui expliquer que les difficultés conjugales évoquées n’impliquaient qu’elle-même et son mari, leur fils n’ayant jamais été concerné par ces conflits entre adultes. Le soir même, la pédiatre l’avait contactée par message afin de solliciter l’autorisation de lever le secret médical, lui indiquant qu’elle souhaitait prendre soin d’elle. La demande ne concernait pas son fils.

Son fils et elle avaient la qualité pour recourir, dès lors que la décision attaquée les concernait directement et qu’ils disposaient d’un intérêt digne de protection à sa modification.

Les faits avaient été constatés de façon inexacte et incomplète, dans la mesure où l’état de fait de la décision était quasiment inexistant et ne permettait pas de déterminer les éléments sur lesquels s’était fondée l’intimée pour se prononcer. Cette dernière avait adhéré sans réserve à la version de la praticienne, alors que la recourante la contestait, sans avoir instruit les faits qui n’avaient été ni prouvés, ni même rendus vraisemblables.

Leur droit d’être entendus avait été violé à différents égards. La décision n’était pas motivée et les recourants ignoraient quelles informations avaient été transmises à la commission. L’accès au dossier leur avait été refusé. Ils se trouvaient ainsi privés de la possibilité de comprendre et contester la levée du secret médical autorisé par la décision querellée. Titulaire de l’autorité parentale sur l’enfant concerné, la mère était partie à la procédure en qualité de représentante du mineur visé par la décision. Elle-même visée par la procédure de dénonciation auprès des autorités de protection de l’enfance, elle disposait d’un droit à offrir sa version des faits.

L’art. 88 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03) avait été violé. Les faits que souhaitait divulguer la pédiatre étaient soumis au secret médical dont la levée avait été refusée par la recourante en tant que parent et représentante légale de l’enfant concerné. En cas d’urgence, si la pédiatre considérait qu’elle mettait son fils en danger physique et psychologique, elle pouvait aviser l’autorité de protection de l’enfant sans être déliée de son secret. La saisine de la commission était la preuve de l’absence de toute urgence. Il n’existait aucun intérêt public prépondérant justifiant la levée du secret médical. Un simple conflit parental ne constituait pas un motif suffisant.

b. Le 29 juin 2023, les recourants ont contesté la qualité de partie à la procédure d’C______, étant précisé qu’ils refusaient de lever son secret médical pour la procédure. La chambre administrative ne pouvait lui demander ni son dossier ni des observations, et devait se faire restituer les éléments transmis.

c. Le 5 juillet 2023, la juge déléguée a, en l’état de la procédure, renoncé à la détermination de la pédiatre et à l’apport de son dossier, et sollicité la restitution de la copie du recours.

d. La praticienne a restitué le document précité.

e. Le 10 juillet 2023, la commission a conclu à l’irrecevabilité du recours. Subsidiairement, il devait être rejeté. Sur effet suspensif, il devait être constaté que la décision n’avait pas été déclarée exécutoire nonobstant recours, de sorte que celui‑ci aurait eu un effet suspensif. En tout état, sa restitution avait perdu son objet.

Le signalement ayant déjà été effectué, la situation des recourants ne pourrait plus être influencée par l’issue du recours, qui devait dès lors être déclaré irrecevable.

Le droit d’être entendu de la recourante n’avait pas été violé. Vu l’existence d’un conflit d’intérêts entre les parents de l’enfant et l’enfant lui-même, aucun d’eux ne pouvait valablement représenter le mineur dans la procédure en levée du secret professionnel, indépendamment de la question de savoir lequel des deux était le détenteur de l’autorité parentale ou si elle était conjointe. Aucun ne pouvait ainsi avoir la qualité de partie et être informé de la procédure. En tout état, le dossier étant transmis dans le cadre de la procédure de recours, une éventuelle violation du droit d’être entendu devrait être considérée comme réparée.

Dès lors que la pédiatre avait demandé à être relevée de son secret professionnel pour signaler la situation du mineur à la CRIP 74 au vu du domicile français, elle ne pouvait pas se prévaloir de l’art. 34 loi d'application du code civil suisse et d'autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 (LaCC – E 1 05) autorisant une dénonciation en cas d’urgence au service de protection des mineurs (ci-après : SPMi). La saisine de la commission était ainsi nécessaire. Par ailleurs, de justes motifs existaient en raison du danger que la violence du père faisait courir au mineur, dont l’intérêt privé devait être protégé, étant relevé qu’il s’agissait d’informations médicales le concernant directement. Il n’existait aucun autre intérêt prépondérant. C______ était le seul médecin connu du mineur et les recourants ne soutenaient pas qu’il fût suivi par d’autres professionnels de la santé. La santé de l’enfant n’était pas prise en charge et surveillée de manière continue, raison pour laquelle il pouvait être légitimement considéré que l’enfant était en danger. Ces considérations constituaient un juste motif au sens de l’art. 88 LS. La décision respectait le principe de la proportionnalité tant sous l’angle de l’aptitude, que de la nécessité et de la proportionnalité au sens étroit. La décision était enfin volontairement succincte, mais pas incomplète, afin de ne contenir aucun élément de fait qui puisse violer le secret professionnel, si elle devait être transmise à un tiers.

f. Dans leur réplique, les recourants ont relevé avoir été particulièrement choqués d’apprendre que des informations, couvertes par le secret médical, avaient d’ores et déjà été transmises à une autorité française en violation de la décision entreprise qui prévoyait explicitement que la décision ne serait effective qu’à l’échéance du délai de recours. Il appartiendrait à la chambre administrative de constater cette violation gravissime du droit, contraire à la garantie de la vie privée offerte par l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). La recourante contestait avoir fait part à la pédiatre de violences conjugales. Son fils était suivi par d’autres médecins, en particulier son pédiatre traitant. De langue maternelle espagnole, la recourante n’avait jamais échangé avec la pédiatre dans cette langue, ce qui avait pu créer une incompréhension dans les propos. Les recourants auraient dû être interpellés avant la prise de décision, notamment pour pouvoir exposer la teneur réelle des échanges et indiquer le nom du médecin précité qui aurait attesté de l’absence de tout problème en lien avec l’enfant. L’argument du conflit d’intérêts n’autorisait pas la suspension du droit d’être entendu.

L’intérêt actuel au recours subsistait. D’une part, le choix, illégal, de la commission de violer le droit d’être entendu en présence d’un enfant mineur ne pourrait jamais être contrôlé par le juge si le médecin décidait, à l’instar de la pédiatre, de transmettre immédiatement la documentation à une autorité. Il devait dès lors être renoncé à l’exigence de l’intérêt digne de protection et statué sur le recours. D’autre part, leurs conclusions en annulation de la décision devaient être interprétées comme des conclusions en constatation d’une violation du droit qui devait leur permettre, le cas échéant, d’agir en responsabilité contre la pédiatre. De plus, la transmission immédiate, en l’absence d’une décision exécutoire et sans aucun contrôle judiciaire, d’informations couvertes par le secret médical était une violation grave de l’art. 8 CEDH qui devait pouvoir être constatée même après sa commission. Enfin, cette constatation était indispensable à la procédure française qui serait ouverte suite au signalement, dès lors que seul un arrêt de la chambre de céans, constatant l’illégalité de la transmission en application du droit suisse, pourrait permettre aux recourants de démontrer le caractère illégal de ces éléments et demander leur retrait de la procédure française.

g. Le 21 août 2023, les recourants ont indiqué qu’à la suite de la transmission sans droit des informations par C______, la recourante avait été longuement entendue la veille par la gendarmerie française. La probabilité d’une procédure en France était ainsi réalisée et renforçait l’existence de l’intérêt digne de protection.

h. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.


 

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 12 al. 5 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 - LS - K 1 03).

2.             Se posent en premier lieu plusieurs questions en lien avec la recevabilité du recours, sous l’angle notamment de l’intérêt actuel des recourants, de la qualité de partie de la praticienne ayant requis la levée de son secret, de même que celle des parents de l’enfant concerné, son père n’étant en l’état pas partie à la procédure, ainsi que sa mère, au vu de l’existence vraisemblable d’un conflit d’intérêts et de ses conséquences sur leur pouvoir de représentation, de même que la problématique d’une domiciliation française pour ce qui concerne les autorités de protection de l’enfant.

Ces questions pourront toutefois souffrir de rester ouvertes et celle de la recevabilité du recours demeurer indécise, celui-ci devant en toute hypothèse être rejeté, conformément aux considérants qui suivent.

3.             3.1 L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours, les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/242/2020 du 3 mars 2020 consid. 2a). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/1628/2019 du 5 novembre 2019 consid. 2b).

3.2 En l’espèce, le présent litige porte exclusivement sur la conformité au droit de la décision rendue par l’autorité intimée prononçant la levée du secret médical de la pédiatre de l’enfant concerné en vue d’un signalement de la situation familiale de ce dernier aux autorités françaises de protection des mineurs. En d’autres termes, la question litigieuse est de savoir si la commission pouvait, sur la base des éléments en sa possession et compte tenu de la situation, de manière conforme au droit et sans outrepasser son pouvoir d’appréciation, délier la pédiatre de son secret professionnel. Il n’appartient dès lors pas à la chambre de céans de se prononcer, notamment, sur la question de la légalité des démarches effectuées par la pédiatre avant l’échéance du délai de recours.

4.             Les recourants concluent préalablement à la production du dossier de l’intimée et à ce que l’effet suspensif au recours soit constaté.

Dans la mesure où, d’une part, l’autorité intimée a produit l’intégralité de son dossier à l’appui de sa réponse et où, d’autre part, la décision attaquée n’est pas assortie d’un retrait de l’effet suspensif au sens de l’art. 66 al. 1 LPA, ces conclusions apparaissent dénuées d’objet.

5.             Les recourants se plaignent d’une constatation inexacte des faits ainsi que d’une violation de leur droit d’être entendus, faute d’instruction, vu l’absence d’un état de faits et de motivation de la décision attaquée, compte tenu du refus d’accès au dossier qui leur a été opposé et à défaut d’avoir pu se déterminer sur la dénonciation et offrir leur version des faits avant que la commission ne statue.

5.1 Selon l'art. 19 LPA, l'autorité établit les faits d'office. Elle n'est pas limitée par les allégués et les offres de preuves des parties. À teneur de l'art. 20 al. 1 LPA, l'autorité réunit les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties. Elle recourt s'il y a lieu aux moyens de preuve énumérés à l'art. 20 al. 2 LPA, notamment au moyen de documents (let. a).

5.2 Le droit d'être entendu garanti par les art. 29 al. 2 Cst. et 41 LPA comprend le droit d'obtenir une décision motivée (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid. 3.2.1). L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid. 3.2.1). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée ; la motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 et les références citées).

Par ailleurs, le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves pertinentes quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités). Le droit de consulter le dossier, déduit de l'art. 29 al. 2 Cst., s'étend à toutes les pièces décisives figurant au dossier et garantit que les parties puissent prendre connaissance des éléments fondant la décision et s'exprimer à leur sujet (ATF 142 I 86 consid. 2.2 ss ; 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 I 85 consid. 4.1 ; 125 II 473 consid. 4c.cc ; 121 I 225 consid. 2a).

5.3 Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle-ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 61 LPA). Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral du 12 mai 2020 8C_257/2019 consid. 2.5 et les références citées), sous réserve que ledit vice ne revête pas un caractère de gravité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5 ; ATA/872/2022 du 30 août 2022 consid. 4c ; ATA/447/2021 du 27 avril 2021 consid. 6c). La réparation d'un vice de procédure en instance de recours peut se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; ATA/1194/2019 du 30 juillet 2019 consid. 3c).

5.4 En l’espèce, s’il peut apparaître que la décision querellée est effectivement succincte dans l’exposé des faits et sa motivation, elle permet néanmoins de comprendre que la commission a entendu autoriser la pédiatre à procéder au signalement de la situation familiale de son patient afin que les autorités françaises de protection des mineurs puissent, le cas échéant, décider d’une mesure de protection adaptée de l’enfant, correspondant à l’intérêt de ce dernier. Les recourants ont été en mesure de recourir contre ladite décision et de développer à son encontre plusieurs griefs.

En outre, c’est à juste titre que la commission a retenu l’existence vraisemblable d’un conflit d’intérêts entre le mineur et ses parents, de sorte que ces derniers ne pouvaient être associés à la procédure de levée du secret en transmettant leur détermination et en prenant connaissance du dossier, étant relevé au surplus qu’au vu du refus de la recourante de communiquer les informations quant au domicile de la famille en France et, partant, de la pertinence de saisir les autorités françaises plutôt que genevoises, la pédiatre ne pouvait pas signaler le cas sans avoir été déliée au préalable de son secret.

En tout état, les recourants ont pu consulter le dossier transmis par la commission au stade de la procédure devant la chambre administrative, de sorte qu’une éventuelle violation de leur droit d’être entendus doit être considérée comme réparée.

Les griefs des recourants seront ainsi écartés.

6.             Les recourants contestent la levée du secret professionnel de la pédiatre.

6.1 Selon l'art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), les médecins qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci, seront, sur plainte, punis d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (ch. 1) ; la révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l'intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité supérieure ou l'autorité de surveillance l'a autorisée par écrit (ch. 2) ; demeurent réservées les dispositions de la législation fédérale et cantonale statuant une obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (ch. 3).

Le secret médical couvre tout fait non déjà rendu public, communiqué par le patient à des fins de diagnostic ou de traitement, mais aussi des faits ressortissants à la sphère privée de ce dernier révélés au médecin en tant que confident et soutien psychologique (ATA/714/2018 du 10 juillet 2018 et les références citées).

En droit genevois, l'obligation de respecter le secret professionnel est rappelée à l'art. 86 al. 1 la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03). Elle est le corollaire du droit de toute personne à la protection de sa sphère privée, garanti par les art. 13 Cst. et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

Aux termes de l'art. 86 LS, une personne tenue au secret professionnel peut en être déliée par le patient ou, s'il existe de justes motifs, par l'autorité supérieure de levée du secret professionnel (al. 2) ; sont réservées les dispositions légales concernant l'obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (al. 3).

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : CourEDH), le respect du caractère confidentiel des informations de santé est capital non seulement pour protéger la vie privée des malades, mais également pour préserver leur confiance dans le corps médical et les services de santé en général. La législation interne doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation des données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas conforme à l'art. 8 CEDH, garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, le devoir de discrétion est unanimement reconnu et farouchement défendu (ACEDH Z. M.S. c/Suède du 27 août 1997, cité in Dominique MANAÏ, Droits du patient face à la biomédecine, 2013, p. 138 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.111/2006 du 7 novembre 2006 consid. 2.3.1).

6.2 Comme tout droit découlant d'une liberté publique, le droit à la protection du secret médical peut, conformément à l'art. 36 Cst., être restreint moyennant l'existence d'une base légale (al. 1), la justification par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2) et le respect du principe de la proportionnalité, par rapport au but visé (al. 3).

La base légale pouvant fonder la restriction est, en cette matière, constituée par l'art. 321 ch. 2 CP et par l'art. 86 al. 2 LS. L'autorité supérieure au sens de ces deux dispositions est, conformément à l'art. 12 al. 1 LS, la commission, qui, bien que rattachée administrativement au département chargé de la santé
(art. 12 al. 6 LS), exerce en toute indépendance les compétences que la LS lui confère (art. 12 al. 7 LS).

6.3 Une décision de levée du secret professionnel doit, en l'absence d'accord du patient, se justifier par la présence de « justes motifs » (art. 86 al. 2 LS). Les intérêts du patient ne peuvent pas constituer un « juste motif » de levée du secret, si ce dernier n'a pas expressément consenti à la levée du secret le concernant (ATA/11/2018 du 9 janvier 2018 consid. 6a ; ATA/202/2015 du 24 février 2015 consid. 6). La notion de justes motifs se réfère donc uniquement à l’existence d’un intérêt public prépondérant, tel que le besoin de protéger le public contre un risque hétéro-agressif ou à la présence d’un intérêt privé de tiers dont le besoin de protection serait prépondérant à celui en cause, conformément à l’art. 36 Cst. (ATA/11/2018 précité ; ATA/1006/2017 du 27 juin 2017).

L’obligation de respecter le secret médical ne protège donc pas uniquement la santé de l’individu mais tient également compte de la santé de la collectivité. Ainsi, ce dernier élément reste un paramètre essentiel et traduit la pesée des intérêts qui intervient entre secret médical et intérêt collectif dans certains domaines où la santé publique peut être mise en danger (ATA/202/2018 du 6 mars 2018 ; ATA/146/2013 du 5 mars 2013 et la référence citée).

6.4 À teneur de l’art. 364 CP, lorsqu'il y va de l'intérêt des mineurs, les personnes astreintes au secret professionnel ou au secret de fonction (art. 320 et 321 CP) peuvent aviser l'autorité de protection de l'enfant des infractions commises à l'encontre de ceux-ci.

Selon l’art. 443 CC, toute personne a le droit d'aviser l'autorité de protection de l'adulte qu'une personne semble avoir besoin d'aide. Les dispositions sur le secret professionnel sont réservées (al. 1). Toute personne qui, dans l'exercice de sa fonction officielle, a connaissance d'un tel cas est tenue d'en informer l'autorité. Les cantons peuvent prévoir d'autres obligations d'aviser l'autorité (al. 2). Cette obligation est applicable par analogie dans le cas des enfants (art. 314 al. 1 CC).

Aux termes de l’art. 34 de la loi d'application du code civil suisse et d'autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 (LaCC - E 1 05), toute personne peut signaler au SPMi la situation d’un enfant en danger dans son développement (al. 1). Toute personne qui, dans le cadre de l’exercice d’une profession, d’une charge ou d’une fonction en relation avec les mineurs, qu’elle soit exercée à titre principal, accessoire ou auxiliaire, a connaissance d’une situation d’un mineur dont le développement est menacé, doit la signaler au SPMi. Les obligations relatives à la levée du secret professionnel par l’instance compétente demeurent réservées (al. 2). Sont notamment astreints à l’obligation de faire un signalement auprès du SPMi, les membres des autorités scolaires et ecclésiastiques, les professionnels de la santé, les enseignants, les intervenants dans le domaine du sport et des activités de loisirs, les employés des communes, les policiers, les travailleurs sociaux, les éducateurs, les psychologues actifs en milieu scolaire et éducatif, les psychomotriciens et les logopédistes (al. 3). Les personnes astreintes à l’obligation de signaler une situation de mineur sont réputées avoir satisfait à cette obligation par le signalement au SPMi (al. 4).

La chambre administrative a déjà eu l’occasion de préciser que lorsqu’il s’agit de signaler la situation d’un enfant en danger, les professionnels n’ont pas l’obligation de demander préalablement une levée de leur secret médical, étant toutefois précisé que les détails de la thérapie n’ont pas à être librement communiqués (ATA/1006/2017 du 27 juin 2017).

6.5 Constitue un abus du pouvoir d’appréciation le cas où l’autorité reste dans le cadre fixé par la loi, mais se fonde toutefois sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 ; ATA/1276/2018 du 27 novembre 2018 consid. 4d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 515). Il y a excès du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité dépasse le cadre de ses pouvoirs. En outre, celle-ci doit exercer son libre pouvoir d’appréciation conformément au droit, ce qui signifie qu’elle doit respecter le but dans lequel un tel pouvoir lui a été conféré, procéder à un examen complet de toutes les circonstances pertinentes, user de critères transparents et objectifs, ne pas commettre d’inégalité de traitement et appliquer le principe de la proportionnalité. Si elle ne respecte pas ces principes, elle abuse de son pouvoir (ATA/827/2018 du 28 août 2018 consid. 2b ; ATA/845/2015 du 20 août 2015 consid. 2b ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3e éd., 2012, p. 743 ss et les références citées).

6.6 Le principe de proportionnalité, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

6.7 En l’espèce, la pédiatre a sollicité de la commission la levée de son secret professionnel dans le but de communiquer à la CRIP 74 des informations concernant la situation familiale de son patient mineur dont elle a estimé, sur la base d’éléments rapportés à au moins deux reprises par la mère de l’enfant âgé de moins de deux ans, que ce dernier encourait un danger en raison de la violence alléguée de son père. Comme le relève à juste titre l’autorité intimée, dans la mesure où la praticienne entendait procéder au signalement non pas auprès des autorités genevoises, mais des autorités françaises, l’art. 34 LaCC ne trouvait en l’occurrence pas application.

Dans ces circonstances et aucun intérêt ne s’avérant prépondérant par rapport à celui de protection du mineur concerné, l’existence d’un juste motif au sens de l’art. 86 al. 2 LS pouvait à juste titre être admise et fonder la décision attaquée. Cette dernière apparaît par ailleurs apte à assurer la protection du mineur, nécessaire pour ce faire, dès lors qu’aucune autre mesure que celle de délier la pédiatre de son secret pour procéder au signalement n’aurait permis d’atteindre l’objectif de protection précité et proportionnée au sens étroit au vu de l’importance que revêt la santé et la sécurité d’un enfant en bas âge.

C’est ainsi conformément au droit, sans excéder son pouvoir d’appréciation et dans l’intérêt de l’enfant, que la commission a délié la praticienne de son secret médical.

Le recours sera en conséquence rejeté, en tant qu’il est recevable.

7.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 23 juin 2023 par A______ et B______, enfant mineur, contre la décision de la commission du secret professionnel du 13 juin 2023 ;

met à la charge des recourants, pris conjointement, un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Mes Annette MICUCCI et Stéphane GRODECKI, avocats des recourants, ainsi qu'à la commission du secret professionnel.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :