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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2313/2016

ATA/1006/2017 du 27.06.2017 ( PATIEN ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; DROIT FONDAMENTAL ; LIBERTÉ PERSONNELLE ; SECRET PROFESSIONNEL ; SAUVEGARDE DU SECRET ; JUSTE MOTIF ; ATTEINTE À UN DROIT CONSTITUTIONNEL ; PROPORTIONNALITÉ ; ENFANT ; DANGER(EN GÉNÉRAL)
Normes : Cst.10.al2; Cst.13.al2; Cst.36.al2; CEDH.8; CP.320; CP.321; CP.364; CC.443; CC.314.al1; LaCC.34.al4; LS.12; LS.87; LS.87.al3; LS.88
Résumé : Si les thérapeutes considéraient que la recourante ou ses soeurs couraient le risque d'être victimes de violences de la part de leur père et qu'il fallait d'urgence les protéger, ils devaient saisir sans attendre le service de protection des mineurs. Lorsqu'il s'agit de signaler la situation d'un enfant en danger, les professionnels n'ont pas l'obligation de demander préalablement une levée de leur secret médical, étant toutefois préciser que les détails de la thérapie n'ont pas à être librement communiqués. Par conséquent, en l'espèce, les thérapeutes pouvaient aviser l'autorité de protection de l'enfant sans être déliés de leur secret et la demande adressée à la commission n'était pas nécessaire.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2313/2016-PATIEN ATA/1006/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 juin 2017

 

dans la cause

 

Madame A_______
représentée par Me Kevin Saddier, avocat

contre

COMMISSION DU SECRET PROFESSIONNEL


et

Madame B_______
Madame C_______
Monsieur D_______



EN FAIT

1) Le Docteur D_______ est responsable médical FMH psychiatrie et psychothérapie au centre de consultation spécialisé dans le traitement des séquelles d’abus sexuels et d’autres traumatismes (ci-après : CTAS) à Genève. Mesdames B_______ et C_______ sont psychologues psychothérapeutes FSP au sein du centre.

2) Le CTAS est une association à but non lucratif reconnue d’utilité publique depuis ses débuts.

3) Dans le courant de l’année 2009, Madame A_______, née le ______1998, a été victime d’abus sexuel. Sa sœur, Madame E_______, née le
______ 1999, a été témoin de cette agression.

4) Dans le cadre de l’instruction pénale et afin de pouvoir établir médicalement le traumatisme causé par l’infraction subie, les deux sœurs ont été invitées à consulter un thérapeute. Toutes deux ont alors fait appel au CTAS.

5) Mme C______a suivi Madame A_______ depuis l’automne 2015 jusqu’en mars 2016.

Elle était alors domiciliée en France, à F_______, avec sa famille, soit sa mère, son père et ses trois sœurs.

Au cours des séances, Madame A_______ a notamment expliqué qu’elle avait vécu par le passé des moments difficiles avec son père, lequel se montrait parfois violent tant physiquement que psychiquement.

Ses parents vivaient cependant séparés depuis environ deux ans. Son père était parti vivre au Maroc et le climat familial s’était depuis apaisé. Les actes de violence semblaient avoir cessé.

6) En mars 2016, Madame A_______ a décidé de mettre un terme à sa thérapie.

7) Les thérapeutes du CTAS ont été alertés par cette décision, perçue comme ayant été prise sous influence extérieure.

8) a. Le 20 mai 2016, le Dr D______ et Mmes B______et C______ ont adressé à la commission chargée de statuer sur les demandes de levée du secret professionnel (ci-après : la commission) une requête visant à les délier de leur secret médical concernant Madame A_______.

Ils étaient convaincus qu’un signalement au service de protection des mineurs (ci-après : SPMi) était nécessaire pour préserver le développement des jeunes filles et de leurs deux petites sœurs.

Une convocation risquerait de charger ces jeunes filles d’une trop lourde responsabilité en raison de l’existence d’un conflit de loyauté à l’égard de leurs parents.

b. Un rapport, adressé à qui de droit, était joint à ce courrier.

En substance, l’auteur des attouchements dont a été victime
Madame A_______ n’appartenait pas au cercle familial. Dès le premier entretien, cette agression était apparue secondaire au contexte familial. Les témoignages des deux sœurs concordaient et n’avaient pas été démentis par la mère. Selon ces dernières les agressions physiques commises par le père avaient cessé depuis deux ans.

L’objectif poursuivi par les thérapeutes avait été celui de provoquer chez la mère une prise de conscience de la gravité des faits, afin de mobiliser ses capacités protectrices. Cependant, l’effet contraire s’était produit, les deux filles ayant cessé leur thérapie peu de temps après l’entretien en présence de la mère.

Dès le début, les thérapeutes avaient craint de possibles manœuvres d’isolement. Madame E_______ était déscolarisée depuis deux ans environ, en raison de l’existence d’un trouble dyslexique d’une telle sévérité qu’aucun établissement scolaire n’avait été apte à la prendre en charge. Cette explication n’était pas convaincante, dans la mesure où elle était particulièrement brillante et largement à même de compenser des difficultés à l’écrit. Ces doutes étaient encore renforcés par l’absence de répétiteur et de soutien dans la gestion de la préparation de son baccalauréat par correspondance.

À la fin du mois de mars 2016, les thérapeutes avaient eu connaissance de nouvelles violences à l’égard de Madame E_______.

Outre les faits de violences, les thérapeutes étaient inquiets du climat menaçant qui semblait régner dans la famille. Leur inquiétude portait également sur deux plus jeunes sœurs qui ne semblaient pas pour l’instant être la cible directe de leur père, mais qui étaient régulièrement témoins de scènes de violence.

9) Le 26 mai 2016, la commission a informé Madame A_______ avoir reçu la demande de levée du secret professionnel.

Madame A_______ était invitée à se déterminer ou à demander à être entendue. Sans nouvelle de sa part d’ici au 20 juin 2016 à midi, la commission rendrait sa décision en partant du principe qu’elle refusait la levée du secret.

10) Madame A_______ ne s’est pas déterminée et n’a pas fait usage de son droit d’être entendue.

11) La commission a tenu une séance le 14 juin 2016.

Madame A_______ avait fait part à sa thérapeute de l’existence de violences physiques et verbales dont son père était l’auteur. Elles avaient cessé depuis deux ans. Ses deux plus petites sœurs n’en étaient pas victimes.

Au retour des vacances de février 2016, sa sœur, Madame E_______, avait encore été victime de violences de la part de son père. Madame A_______ subissait encore les pressions psychologiques de ce dernier.

Lorsque Madame A_______ avait interrompu sa thérapie, les thérapeutes avaient estimé qu’un signalement se justifiait.

À réception du courrier de la commission, Madame A_______ avait contacté sa thérapeute pour lui faire part de son incompréhension face à cette démarche. Elle avait précisé qu’elle avait décidé spontanément d’arrêter les séances et qu’elle n’avait subi aucune pression à cet égard.

Les deux sœurs avaient interrompu leur thérapie après un entretien en présence de leur mère à laquelle la gravité de la situation avait été exposée. Cette dernière avait réagi en mettant fin aux traitements, alors que l’objectif poursuivi était celui d’obtenir sa protection à l’égard de ses enfants.

Le signalement était également nécessaire afin de protéger les deux plus petites sœurs qui grandissaient dans un climat de violence et pouvaient en devenir la cible.

12) Par trois décisions distinctes du 23 juin 2016, communiquées à Madame A_______, la commission a levé le secret professionnel du Dr D______ et de Mmes B______et C______, en les autorisant à transmettre le rapport concernant Madame A_______ au SPMi.

Les deux plus jeunes sœurs avaient un intérêt prépondérant à ne pas se retrouver dans le contexte décrit par les professionnels de la santé comme peu propice à leur développement.

La transmission de renseignements était nécessaire au SPMi afin d’instaurer la mise en place de mesures adaptées pour la protection de Madame A_______ et de ses deux sœurs. Il convenait de passer outre son refus potentiel, ceci d’autant plus qu’il n’y avait pas de lien thérapeutique à préserver vu qu’elle avait mis un terme à sa thérapie.

13) Par actes du 7 juillet 2016, Madame A_______ a interjeté trois recours distincts auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre les décisions de la commission du 23 juin 2016, concluant à l’octroi de l’effet suspensif au recours, à la jonction des trois procédures induites par les trois recours interjetés contre les trois décisions rendues par la commission et au fond, à l’annulation des décisions querellées et à ce qu’il soit fait interdiction à Mme C______ de communiquer au SPMi, ainsi qu’à tout autre tiers, toutes les informations couvertes par le secret professionnel la concernant, notamment le rapport établi le 20 mai 2016.

Si les professionnels de la santé percevaient la situation familiale comme préoccupante et nécessitant l’intervention du SPMi, Madame A_______ soutenait le contraire, soit que la situation ne présentait pas de danger particulier. Il était contraire au principe d’une thérapie de vouloir divulguer au SPMi des informations qu’elle avait transmises en toute confidentialité à sa psychologue. Ce dernier allait inévitablement s’immiscer dans la vie d’une famille dont la sérénité apparaissait retrouvée.

Si Madame A_______ avait su ses deux plus jeunes sœurs en danger, elle aurait naturellement consenti à une intervention du SPMi. Madame E_______ avait confirmé que leurs parents s’étaient séparés et que de ce fait les violences paternelles avaient cessé. Le père ne vivait plus avec le reste de la famille. Leurs versions coïncidaient également sur le fait que les deux cadettes de la famille n’avaient jamais subi de violence de la part de leur père, que celui-ci vive ou non dans le domicile conjugal.

Madame A_______ n’avait pas consenti à la levée du secret professionnel. Les intérêts en présence devaient par conséquent être pondérés, exercice auquel la commission ne s’était livrée que sommairement. Or, il ne pouvait être dérogé au respect de la sphère privée de Madame A_______ sans la certitude de l’existence d’un besoin imminent de protection des deux petites sœurs.

14) Le 28 juillet 2016, la commission a transmis son dossier.

Le fait que le père ne vivait plus avec le reste de la famille était un élément nouveau qui n’avait jamais été porté à sa connaissance auparavant.

15) Le 11 novembre 2016, le CTAS a fait part de ses déterminations.

Aucun élément nouveau n’avait pu venir pondérer les informations préoccupantes contenues dans le rapport transmis à la commission ainsi que lors de leur audition du 14 juin 2016. Les motifs justifiant l’intervention des autorités compétentes dans le domaine de la protection de l’enfance restaient inchangés.

16) a. Le 9 février 2017, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties, en présence du conseil de Mesdames A______ et E_______ et des représentantes de la commission du secret professionnel, ainsi que du Dr D______ et de Mmes B______ et C______.

Le conseil de Mmes A______et E______ a transmis l’autorisation de ses mandantes de lever le secret professionnel des intervenants médicaux présents dans la stricte mesure nécessaire à l’audience.

- Le Dr D______a confirmé qu’il n’avait pas eu d’entretien avec les sœurs A______ et E______ ou d’autres membres de leur famille. Il avait participé aux discussions ayant pour objet l’évaluation des risques et la décision de demander la levée du secret professionnel. Ils avaient appris que Madame E_______ vivait désormais au Maroc avec son père, ce qui n’était pas considéré comme étant une nouvelle rassurante.

- Mme B______avait reçu Madame E_______ à six reprises. Cette dernière avait interrompu la thérapie avant sa sœur aînée.

La prise de contact avec le CTAS avait été effectuée par la mère, qui recherchait un soutien suite à l’agression dont avait été victime sa fille aînée.

Il y avait rapidement eu un doute à propos du fait que le soutien devait porter uniquement sur le traumatisme laissé par l’agression sexuelle. En effet, dès le premier entretien, le père avait été décrit comme colérique et tyrannique. Les thérapeutes n’arrivaient pas toujours à distinguer si les propos tenus se rapportaient au père ou à l’auteur de l’agression sexuelle. Il n’y avait cependant jamais eu de doute sur le fait qu’il s’agissait de deux personnes différentes.

Il était rapidement apparu que les attouchements sexuels étaient « l’arbre cachant la forêt ». C’était surtout la réaction du père lorsqu’il avait appris les faits qui avaient marqué Madame E_______. Très fâché, il avait frappé les deux grandes sœurs devant leur mère en pleurs. Ce comportement violent et l’ambiance délétère ainsi créée au sein de la famille la préoccupait, ce d’autant que la jeune fille était le bouc-émissaire de son père. Elle avait décrit plusieurs épisodes de comportements violents à son encontre. Elle reprochait à sa mère de ne pas la protéger.

En revanche, Madame E_______ n’avait pas fait état de violence à l’encontre de ses petites sœurs.

Intelligente, Madame E_______ avait cas échéant les moyens de compenser des difficultés liées à une dyslexie, qu’elle n’avait pas elle-même constatée.

Elle craignait que Madame E_______, qui ne possédait aucun téléphone et était en réalité dépendante de sa sœur pour sa vie sociale, soit isolée.

Ils avaient commencé à envisager un signalement à partir de fin 2015 - début 2016. Il s’agissait d’une situation grave, mais avant d’informer le SPMi, ils avaient souhaité essayer de mobiliser les ressources internes à cette famille, ce qui excluait d’aborder la question d’un signalement avec celle-ci.

Dans cette perspective, les thérapeutes avaient organisé un nouvel entretien avec les deux jeunes femmes et leur mère, puis Mme C______s’était entretenue seule avec cette dernière. Le but poursuivi était de faire prendre conscience à la mère de la situation de violence existante et de lui offrir une aide. Ces séances avaient eu pour effet l’interruption des thérapies. Madame E_______, puis Madame A_______ n’étaient plus venues à la consultation.

- Mme C______ s’était occupée de Madame A_______.

Celle-ci avait évoqué, au cours d’une dizaine de séances, la souffrance ressentie suite à l’agression sexuelle dont elle avait été victime, mais également en raison de l’absence de réaction protectrice de ses parents.

Elle avait décrit un contexte de violence psychique et physique de la part de son père, mais qui ne concernait pas les deux jeunes sœurs. Madame A_______ avait évoqué un épisode récent de violence à l’encontre de Madame E_______ qui s’était déroulé au retour des vacances de février.

La mère avait confirmé ce climat de violences tout en les banalisant. À la fin du mois de mars, elle l’avait contactée pour mettre fin à la prise en charge.

L’idée d’un signalement n’avait jamais été évoquée avec la mère ou les deux filles durant la thérapie.

- Selon une représentante de la commission, après avoir été saisie, la commission avait dans un premier temps suggéré aux thérapeutes de s’adresser au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : le TPAE), qui les avait renvoyés à la commission.

La commission avait informé les deux jeunes femmes par courrier simple à leur domicile en France qu’il y aurait une audience à laquelle elles pourraient participer et que le procès-verbal de l’audience serait consultable au siège de la commission.

Le 31 mai 2016, la commission avait reçu un appel téléphonique d’une personne se présentant comme la mère des deux jeunes femmes, à laquelle elle n’avait pas pu donner d’informations. Le lendemain, une personne se présentant comme Madame A_______ l’avait contactée par téléphone et lui avait fait part du refus de la levée du secret professionnel des intervenants médicaux.

b. Le procès-verbal de l’audience a été envoyé à Madame A_______, assorti d’un délai pour qu’elle puisse se déterminer avant que la décision soit rendue, possibilité dont elle n’a pas fait usage.

17) Le 13 février 2017, le directeur du greffe du TPAE a transmis à la chambre administrative un courriel du 18 mai 2016, dans lequel ce dernier expliquait aux thérapeutes qu’ils devaient adresser un signalement au SPMi après la levée du secret médical, même si ce dernier était effectué contre le gré des jeunes femmes, sauf en cas de péril (danger immédiat quant à l’intégrité des personnes) ; le SPMi pourrait ainsi, selon le danger, s’adresser au Service de protection de l’enfance de l’Ain ou au procureur de la République auprès du Tribunal de Grande Instance de Bourg-en Bresse.

18) Le 23 février 2017, le conseil de Madame A_______ n’a pas formulé d’observation sur ce dernier courriel.

19) Le 3 mars 2017, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 12 al. 5 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 - LS - K 1 03).

2) a. La Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) garantit le droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et protège chacune et chacun contre l’emploi abusif des données qui la concernent
(art. 13 al.2 Cst.).

b. Aux termes de l'art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937
(CP - RS 311.0), les médecins et psychologues, notamment, qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci peuvent être punis sur plainte (ch. 1).

La révélation n'est pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l'intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité supérieure ou l'autorité de surveillance l'a autorisée par écrit (ch. 2).

c. À teneur de l’art. 364 CP, lorsqu'il y va de l'intérêt des mineurs, les personnes astreintes au secret professionnel ou au secret de fonction (art. 320 et 321) peuvent aviser l'autorité de protection de l'enfant des infractions commises à l'encontre de ceux-ci.

d. Selon l’art. 443 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), toute personne a le droit d'aviser l'autorité de protection de l'adulte qu'une personne semble avoir besoin d'aide. Les dispositions sur le secret professionnel sont réservées (al. 1). Toute personne qui, dans l'exercice de sa fonction officielle, a connaissance d'un tel cas est tenue d'en informer l'autorité. Les cantons peuvent prévoir d'autres obligations d'aviser l'autorité (al. 2). Cette obligation est applicable par analogie dans le cas des enfants (art. 314 al. 1 CC) ; dans de tels cas, la législation genevoise prévoit qu’un signalement est adressé au SPMi (art. 34 al. 4 de la loi d'application du code civil suisse et autres lois fédérales en matière civile du 28 novembre 2010 - LaCC - E 1 05).

3) En droit genevois, l’obligation de respecter le secret professionnel pour les médecins et thérapeutes est rappelée à l’art. 87 al. 1 LS.

Elle est le corollaire du droit de toute personne à la protection de sa sphère privée, garanti par les art. 13 Cst. et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). C’est ainsi qu’en droit cantonal genevois, la loi dispose que le secret professionnel a pour but de protéger la sphère privée du patient. Il interdit aux personnes qui y sont astreintes de transmettre des informations dont elles ont eu connaissance dans l’exercice de leur profession. Il s’applique également entre professionnels de la santé (art. 87 al. 2 LS).

4) D’une manière plus générale, le respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitue un principe essentiel du système juridique de toutes les parties contractantes à la CEDH (ATA/717/2014 précité et les références citées). Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : CourEDH), il est capital non seulement pour protéger la vie privée des malades, mais également pour préserver leur confiance dans le corps médical et les services de santé en général. La législation interne doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation des données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas conforme à l’art. 8 CEDH, garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, le devoir de discrétion est unanimement reconnu et farouchement défendu (arrêts de la CourEDH Z. c/ Finlande du 25 février 1997 et M.S. c/ Suède du 27 août 1997 cités in Dominique MANAÏ, Droit du patient face à la biomédecine, 2013, p. 127-129 ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.111/2006 du 7 novembre 2006 consid. 2.3.1. ; ATA/146/2013 du 5 mars 2013).

5) Aux termes de l’art. 12 LS, il est institué une commission chargée de statuer sur les demandes de levée du secret professionnel conformément à l’art. 321
ch. 2 CP (al. 1). Cette commission est rattachée administrativement au département chargé de la santé (al. 6).

6) a. Comme tout droit fondamental, le droit à la protection du secret médical peut être restreint moyennant l’existence d’une base légale, la présence d’un intérêt public prépondérant à l’intérêt privé du patient concerné (ou la protection d’un droit fondamental d’autrui) et le respect du principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 Cst.).

b. L’art. 88 LS dispose qu’une personne tenue au secret professionnel peut en être déliée par l'autorité supérieure de levée du secret professionnel, même en l’absence du consentement du patient s’il existe de justes motifs (art. 88 al. 1 LS en relation avec l’art. 12 LS).

À teneur de l’art. 87 al. 3 LS, les intérêts du patient ne peuvent constituer un juste motif de levée du secret, si ce dernier n’a pas expressément consenti à la levée du secret le concernant. La notion de justes motifs de l’art. 88 al. 1 LS se réfère donc uniquement à l’existence d’un intérêt public prépondérant, tel que le besoin de protéger le public contre un risque hétéro-agressif ou à la présence d’un intérêt privé de tiers dont le besoin de protection serait prépondérant à celui en cause, conformément à l’art. 36 Cst. (ATA/202/2015 du 24 février 2015 consid. 6).

7) Aux termes de l’art. 34 LaCC, toute personne peut signaler au SPMi la situation d’un enfant en danger dans son développement (al. 1). Toute personne qui, dans le cadre de l’exercice d’une profession, d’une charge ou d’une fonction en relation avec les mineurs, qu’elle soit exercée à titre principal, accessoire ou auxiliaire, a connaissance d’une situation d’un mineur dont le développement est menacé, doit la signaler au SPMi. Les obligations relatives à la levée du secret professionnel par l’instance compétente demeurent réservées (al. 2). Sont notamment astreints à l’obligation de faire un signalement auprès du SPMi, les membres des autorités scolaires et ecclésiastiques, les professionnels de la santé, les enseignants, les intervenants dans le domaine du sport et des activités de loisirs, les employés des communes, les policiers, les travailleurs sociaux, les éducateurs, les psychologues actifs en milieu scolaire et éducatif, les psychomotriciens et les logopédistes (al. 3). Les personnes astreintes à l’obligation de signaler une situation de mineur sont réputées avoir satisfait à cette obligation par le signalement au SPMi (al. 4).

8) a. La démarche de la commission consistant à envoyer le 26 mai 2016 un courrier à la recourante, encore mineure, au domicile de ses parents en France, alors qu’elle pouvait précisément se trouver dans un conflit de loyauté vis-à-vis de ces derniers et que le climat familial était décrit comme délétère, n’apparaît pas respecter son droit d’être entendu.

La recourante était encore mineure et n’était pas représentée, si bien que la commission aurait dû également s’assurer qu’elle était en mesure de comprendre les conséquences de la décision qu’elle s’apprêtait à prendre.

La commission n’a ainsi pas agi de manière à s’assurer que la recourante puisse donner suite à l’invitation qui lui était faite de solliciter son audition ou de se déterminer dans un délai inférieur à un mois.

La question du respect du droit d’être entendu dans la procédure devant la commission pourra cependant souffrir de rester ouverte, vu l’issue du litige.

b. La recourante était âgée de 17 ans lorsqu’elle s’est adressée au CTAS et elle était encore mineure lorsque les thérapeutes ont adressé leur demande à la commission.

Si les thérapeutes considéraient que la recourante ou ses sœurs couraient le risque d’être victimes de violences de la part de leur père et qu’il fallait d’urgence les protéger, ils devaient saisir sans attendre le SPMi.

Lorsqu’il s’agit de signaler la situation d’un enfant en danger, les professionnels n’ont pas l’obligation de demander préalablement une levée de leur secret médical, étant toutefois précisé que les détails de la thérapie n’ont pas à être librement communiqués.

Par conséquent, en l’espèce, les thérapeutes pouvaient aviser l’autorité de protection de l’enfant sans être déliés de leur secret et la demande adressée à la commission n’était pas nécessaire.

c. La recourante était majeure lorsque la commission s’est prononcée. Cette dernière a rendu ses décisions notamment sur la base de l’existence d’un risque que les deux sœurs cadettes puissent être victimes de violence. Cependant, cette hypothèse, émise par les thérapeutes, a été contredite par les deux sœurs aînées dont la crédibilité n’est pas remise en doute par les praticiennes.

Dans le cadre de leur thérapie, elles ont en effet expliqué qu’elles avaient été les seules victimes de violences physiques ou psychiques de la part de leur père et la sœur de la recourante a exprimé son ressenti d’être le bouc-émissaire de ce dernier. En outre, elles ont souligné que cela avait cessé depuis deux ans et que leur père était parti s’installer au Maroc. Le dossier ne mentionne pas d’autres éléments pertinents ou témoignages permettant de confirmer les craintes des thérapeutes vis-à-vis des cadettes et il n’est pas allégué que les deux aînées auraient minimisé et ainsi accepté l’existence d’un risque que leurs petites sœurs soient un jour victimes des violences du père. Cette hypothèse est d’autant moins crédible qu’elles ont parlé spontanément du climat de violence qui existait dans la famille et que la mère ne l’a pas démenti. Par conséquent, elles n’avaient aucune raison de taire l’existence d’une menace pesant sur les cadettes.

À ce stade, l’existence d’un besoin de protection de ces dernières ne peut être estimé à ce point important qu’il l’emporte sur l’intérêt de la recourante au respect de son droit de ne pas voir divulguer les informations qu’elle a transmises en toute confiance à ses thérapeutes.

Quant au besoin de protection de la recourante, il est rappelé qu’à teneur de l’art. 87 al. 3 LS, les intérêts du patient ne peuvent constituer un juste motif de levée du secret.

Les décisions auraient pu être justifiées par le besoin de protection de sa sœur née en 1999 et qui avait été victime d’un épisode récent de violences paternelles. Celle-ci est cependant devenue majeure entretemps.

Enfin, le raisonnement de la commission selon lequel la recourante ayant mis un terme à sa thérapie, il n’existait plus de lien thérapeutique à préserver, ne saurait justifier la levée du secret. Ce dernier doit précisément subsister à la fin du traitement, afin de garantir non seulement la vie privée des patients, mais également, comme rappelé par la jurisprudence de la CourEDH citée supra, leur confiance dans le corps médical et les services de santé en général.

Par conséquent, les trois décisions du 23 juin 2016, en tant qu’elles lèvent le secret professionnel du Dr D______et de Mmes B______ et C______, ne sont pas justifiées par l’existence d’un juste motif au sens de l’art. 88 LS. Elles seront par conséquent annulées.

9) Au vu de l’issue des trois recours, aucun émolument de procédure ne sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). En revanche, dans la mesure où elle y a conclu et a eu recours aux services d'un mandataire, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- lui sera allouée, à charge de l'État de Genève
(art. 87 al. 2 LPA).


* * * * *


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 7 juillet 2016 par Madame A_______ contre les décisions de la commission du secret professionnel du 23 juin 2016 ;

 

au fond :

les admet ;

annule la décision du 23 juin 2016 de la commission du secret professionnel levant le secret professionnel de Monsieur D_______ ;

annule la décision du 23 juin 2016 de la commission du secret professionnel levant le secret professionnel de Madame B_______ ;

annule la décision du 23 juin 2016 de la commission du secret professionnel levant le secret professionnel du Madame C_______ ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Madame A_______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Kevin Saddier, avocat de la recourante, ainsi qu'à la commission du secret professionnel, à Monsieur D_______ et à Mesdames B_______ et C_______

Siégeants : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :