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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4399/2017

ATA/714/2018 du 10.07.2018 ( PATIEN ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT FONDAMENTAL ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; LIBERTÉ PERSONNELLE ; SECRET PROFESSIONNEL ; SAUVEGARDE DU SECRET ; JUSTE MOTIF ; ATTEINTE À UN DROIT CONSTITUTIONNEL ; PROPORTIONNALITÉ ; ENFANT ; DANGER(EN GÉNÉRAL)
Normes : Cst.10.al2; Cst.13.al2; Cst.29.al2; Cst.36.al2; CEDH.8; CP.321; CP.364; CC.443; CC.314.al1; LS.87; LS.88; LaCC.34.al4; LPA.70
Résumé : Décision de levée du secret médical. De simples avis et déclarations non concordants entre une pédiatre et les parents d'enfants ne constituant pas un juste motif au sens de l'art. 88 LS, il n'existe en l'espèce aucun intérêt public ou privé supérieur à celui de la protection de la sphère privée des enfants des recourants justifiant la levée du secret médical de la pédiatre intimée. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4399/2017-PATIEN ATA/714/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 juillet 2018

 

dans la cause

 

Madame A_____ et Monsieur A_____
représentés par Me Sandy Zaech, avocate

contre

 

COMMISSION DU SECRET PROFESSIONNEL

et

Madame B_____




EN FAIT

1) Monsieur et Madame A_____ (ci-après : les époux A______) sont les parents de l’enfant C_____, né le ______2012 et atteint de trisomie 21.

Ils sont également les parents de l’enfant D_____, né le ______2016 et atteint de lissencéphalie.

2) La Doctoresse B_____, spécialiste FMH en pédiatrie, a suivi en consultation les enfants C_____ et D_____ à partir du mois de décembre 2016.

3) En date du 19 septembre 2017, les époux A_____ ont récupéré le dossier médical de leurs deux enfants chez la Dresse B_____, pour les confier, dès le 27 septembre 2017, au Docteur E_____, spécialiste FMH en pédiatrie.

4) Le 19 septembre 2017 également, la Dresse B_____ a saisi la commission du secret professionnel (ci-après: la commission) d’une demande de levée du secret médical, afin de pouvoir signaler au service de protection des mineurs (ci-après : SPMi) la situation des enfants C_____ et D_____.

5) Par deux décisions distinctes du 20 octobre 2017, la commission a levé le secret professionnel de la Dresse B_____ à l’égard des enfants D_____, respectivement C_____ et l’a autorisée à transmettre au SPMi les fiches de signalement y relatives.

Au vu des éléments décrits par la Dresse B_____ et du risque d’absence de suivi médical adapté à la suite de la décision des époux A_____ de mettre fin au suivi de leurs enfants par cette pédiatre, la transmission de la fiche au SPMi était nécessaire. Le SPMi pourrait ainsi s’assurer que le suivi de l’enfant C_____, respectivement de l’enfant D_____ était adapté, et pourrait, le cas échéant, mettre en œuvre les mesures nécessaires à cette fin, ce qui correspondait à leurs intérêts respectifs et justifiait l’atteinte à la confidentialité qui leur était due.

6) Par courrier du 30 octobre 2017, la commission a refusé aux époux A_____ la consultation des dossiers de leurs enfants, que ceux-ci avaient sollicitée par un courrier de leur conseil le 26 octobre 2017. Un conflit d’intérêts au sens de l’art. 306 al. 3 du Code civil suisse du 10 décembre 1907
(CC - RS 210) entre leurs enfants et eux ne pouvant être écarté, ils ne pouvaient pas valablement représenter leurs enfants mineurs parties à la procédure.

7) Par acte unique posté le 2 novembre 2017, les époux A_____ ont interjeté un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative) contre les deux décisions du 20 octobre 2017, concluant préalablement à la jonction des causes, à la comparution personnelle des parties, à l’audition comme témoin du Dr E_____, et, principalement, à l’annulation desdites décisions « sous suite de dépens ». Subsidiairement, un curateur de représentation devait être nommé pour les enfants C_____ et D_____ préalablement à l’annulation desdites décisions. Plus subsidiairement, il convenait de renvoyer la cause à la commission pour complément d’instruction et nouvelle décision.

En leur refusant la consultation des dossiers de leurs enfants, la commission avait violé leur droit d’être entendu. En outre, sur le fond, il n’y avait aucun intérêt public prépondérant à la levée du secret médical de la Dresse B_____, les reproches de cette dernière n’étant pas fondés. Partant, l’art. 88 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03) avait été violé.

8) Le 14 décembre 2017, la commission a conclu au rejet du recours et s’est opposée à la jonction des causes, motif pris que les informations couvertes par le secret professionnel étaient strictement personnelles.

Étaient joints à son écriture les dossiers respectifs relatifs aux deux enfants. Y figuraient la fiche de signalement au SPMi pour chaque enfant, toutes deux remplies par la Dresse B_____, les deux courriers de cette dernière à la commission pour motiver les raisons de ses demandes de levée du secret, le procès-verbal de ses deux auditions devant la commission (une pour chaque enfant), ainsi que les procès-verbaux des deux auditions de Mme A_____.

9) Invitée par le juge délégué à transmettre ses observations dans un délai imparti au 18 décembre 2017, la Dresse B_____ ne s’est pas manifestée.

10) Faisant usage de leur droit à la réplique le 22 janvier 2018, les recourants ont demandé à consulter le dossier transmis par la commission. Sur le fond, les professionnels de la santé avaient une obligation de communiquer au SPMi en cas de menace pour le développement du mineur, cela hors levée du secret, de sorte que l’argumentation de la commission dans ses décisions était infondée.

Était jointe à l’écriture une attestation du Dr E_____ du 24 novembre 2017 certifiant qu’il suivait les enfants depuis le 27 septembre 2017. Leurs suivis actuels semblaient adéquats. Depuis le début de sa prise en charge, il ne partageait pas l’avis d’une mise en danger des enfants et n’avait pas rencontré de difficultés dans la communication au sujet des soins et traitements médicaux avec Mme A_____.

11) Dans leurs observations du 19 février 2018, relatives au dossier produit par la commission qu’ils avaient consulté sur autorisation du juge délégué, les époux A_____ ont qualifié les éléments exposés par la Dresse B_____ de diffamatoires. S’agissant de l’enfant C_____, la Dresse B_____ ne disposait pas, en tant que pédiatre, des qualifications requises pour poser le diagnostic psychiatrique de troubles du comportement, qu’elle était au demeurant la seule à avoir évoqué, étant en outre précisé qu’elle n’avait rencontré l’enfant C_____ qu’une seule fois. Pour le surplus, ils contestaient les opinions de la pédiatre en lien avec sa sociabilisation et sa scolarité. Les deux enfants étaient suivis par un chirurgien, un pédiatre, un logopédiste, un endocrinologue, un ophtalmologue, un pneumologue, un physiologue, un ORL et un gastroentérologue, si bien que leur suivi médical ne prêtait pas le flanc à la critique. En outre, la Dresse B_____ n’avait demandé à être déliée du secret professionnel que le jour où Mme A_____ l’avait informée de son souhait de changer de pédiatre, de sorte que sa demande semblait dictée par une raison autre qu’une réelle mise en danger des enfants.

12) Le 20 février 2018, le juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 12 al. 5 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 - LS - K 1 03).

2) Les recourants requièrent la jonction des causes.

a. Selon l'art. 70 al. 1 LPA, l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

b. En l'espèce, les recourants se sont opposés aux deux décisions de la commission du 20 octobre 2017 par le biais d’un seul et même recours, déposé le 2 novembre 2017 et dans lequel ils ont demandé la jonction des causes. Les procédures à l’origine des décisions entreprises opposent les mêmes parties, se rapportent au même complexe de faits et concernent l’une comme l’autre des faits soumis au secret médical de la même pédiatre et tous connus des recourants,
ceux-ci étant les parents et représentants légaux des deux enfants concernés.

Vu la connexité entre les questions juridiques litigieuses, les deux procédures seront jointes sous la cause n° A/4399/2017.

3) Les recourants sollicitent une audience de comparution personnelle et l’audition du Dr E_____.

a. Le droit d'être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 41 LPA, le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 218 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 2C_656/2016 du 9 février 2017 consid. 3.2 et les références citées ; ATA/917/2016 du 1er novembre 2016 et les arrêts cités).

b. Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_119/2015 du 16 juin 2015 consid. 2.1).

c. En l’espèce, les recourants ont produit toutes les pièces utiles au cours des échanges d’écritures devant la chambre administrative, y compris une attestation écrite du pédiatre dont ils demandent l’audition et dans laquelle celui-ci affirme que les suivis médicaux actuels des enfants semblaient adéquats et qu’il ne partageait pas l’avis d’une mise en danger des enfants. S’agissant d’une comparution personnelle des parties, le dossier est suffisamment complet pour ne pas y procéder.

Ces requêtes seront donc écartées.

4) Dans un premier grief d’ordre formel, les recourants se plaignent qu’en leur refusant l’accès au dossier, la commission aurait violé leur droit d’être entendu.

a. Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est pas nulle mais annulable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; ATA/632/2017 du 6 juin 2017 et les arrêts cités).

La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 138 I 97 consid. 4.1.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_780/2016 du 6 février 2017 consid. 3.3 ; ATA/ 632/2017 précité et les arrêts cités). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_780/2016 du 6 février 2017 consid. 3.1) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; ATA/1039/2017 du 30 juin). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/1039/2017 du 30 juin 2017 et les arrêts cités).

b. En l’espèce, les recourants ont pu consulter le dossier transmis par la commission au stade de la procédure devant la chambre administrative, de sorte qu’une éventuelle violation de leur droit d’être entendu doit être considérée comme réparée. Le grief sera donc écarté.

5) L’objet du litige porte sur le bien-fondé des deux décisions de levée du secret médical prononcées par la commission à l’égard de l’ancienne pédiatre des enfants des recourants, afin que celle-ci puisse signaler leur cas au SPMi.

a. Selon l’art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), les médecins qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci, seront, sur plainte, punis d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire (ch. 1) ; la révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l'intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité supérieure ou l'autorité de surveillance l'a autorisée par écrit (ch. 2) ; demeurent réservées les dispositions de la législation fédérale et cantonale statuant une obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (ch. 3).

Le secret médical couvre tout fait non déjà rendu public, communiqué par le patient à des fins de diagnostic ou de traitement, mais aussi des faits ressortissant à la sphère privée de ce dernier révélés au médecin en tant que confident et soutien psychologique (ATA/11/2018 du 9 janvier 2018 ; ATA/717/2014 du 9 septembre 2014 et références citées).

b. En droit genevois, l’obligation de respecter le secret professionnel est rappelée à l’art. 87 al. 1 LS.

Elle est le corollaire du droit de toute personne à la protection de sa sphère privée, garanti par les art. 13 Cst. et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950
(CEDH – RS 0.101).

En vertu de l’art. 87 al. 2 LS, le secret professionnel a pour but de protéger la sphère privée du patient ; il interdit aux personnes qui y sont astreintes de transmettre des informations dont elles ont eu connaissance dans l’exercice de leur profession ; il s’applique également entre professionnels de la santé. À teneur de l’al. 3, lorsque les intérêts du patient l’exigent, les professionnels de la santé peuvent toutefois, avec son consentement, se transmettre des informations le concernant.

Aux termes de l’art. 88 LS, une personne tenue au secret professionnel peut en être déliée par le patient ou, s’il existe de justes motifs, par l'autorité supérieure de levée du secret professionnel (al. 1) ; sont réservées les dispositions légales concernant l’obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (al. 2).

c. D’une manière plus générale, le respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitue un principe essentiel du système juridique de toutes les parties contractantes à la CEDH (ATA/717/2014 précité et les références citées). Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : CourEDH), il est capital non seulement pour protéger la vie privée des malades, mais également pour préserver leur confiance dans le corps médical et les services de santé en général. La législation interne doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation des données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas conforme à l’art. 8 CEDH, garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, le devoir de discrétion est unanimement reconnu et farouchement défendu (arrêt du Tribunal fédéral 4C.111/2006 du 7 novembre 2006 consid. 2.3.1. ; ATA/11/2018 précité et les arrêts cités ; Dominique MANAÏ, Droits du patient face à la biomédecine, 2013, p. 138 s. et les références citées).

d. Comme tout droit fondamental, le droit à la protection du secret médical peut, conformément à l’art. 36 Cst., être restreint moyennant l’existence d’une base légale (al. 1), la justification par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2) et le respect du principe de la proportionnalité, par rapport au but visé (al. 3).

e. La base légale pouvant fonder la restriction est, en cette matière, constituée par l'art. 321 ch. 2 CP et par l’art. 88 al. 1 LS. Conformément à l’art. 12 al. 1 LS, l’autorité supérieure au sens de ces deux dispositions est la commission, qui, bien que rattachée administrativement au département chargé de la santé
(art. 12 al. 6 LS), exerce en toute indépendance les compétences que la LS lui confère (art. 12 al. 7 LS).

Une décision de levée du secret professionnel doit, en l’absence d’accord du patient, se justifier par la présence de « justes motifs » (art. 88 al. 1 LS).

Il ressort de l’art. 87 al. 3 LS que les intérêts du patient ne peuvent pas constituer un « juste motif » de levée du secret, si ce dernier n’a pas expressément consenti à la levée du secret le concernant. La notion de justes motifs de
l’art. 88 al. 1 LS se réfère donc uniquement à l’existence d’un intérêt public prépondérant, tel que le besoin de protéger le public contre un risque
hétéro-agressif ou à la présence d’un intérêt privé de tiers dont le besoin de protection serait prépondérant à celui en cause, conformément à l’art. 36 Cst. (ATA/11/2018 précité ; ATA/1006/2017 du 27 juin 2017).

L’obligation de respecter le secret médical ne protège donc pas uniquement la santé de l’individu mais tient également compte de la santé de la collectivité. Ainsi, ce dernier élément reste un paramètre essentiel et traduit la pesée des intérêts qui intervient entre secret médical et intérêt collectif dans certains domaines où la santé publique peut être mise en danger (ATA/202/2018du 6 mars 2018 ; ATA/146/2013 précité et la référence citée).

6) a. À teneur de l’art. 364 CP, lorsqu'il y va de l'intérêt des mineurs, les personnes astreintes au secret professionnel ou au secret de fonction (art. 320 et 321 CP) peuvent aviser l'autorité de protection de l'enfant des infractions commises à l'encontre de ceux-ci.

b. Selon l’art. 443 CC, toute personne a le droit d'aviser l'autorité de protection de l'adulte qu'une personne semble avoir besoin d'aide. Les dispositions sur le secret professionnel sont réservées (al. 1). Toute personne qui, dans l'exercice de safonction officielle, a connaissance d'un tel cas est tenue d'en informer l'autorité. Les cantons peuvent prévoir d'autres obligations d'aviser l'autorité (al. 2). Cette obligation est applicable par analogie dans le cas des enfants (art. 314 al. 1 CC).

c. Aux termes de l’art. 34 de la loi d'application du code civil suisse et d'autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 (LaCC - E 1 05), toute personne peut signaler au SPMi la situation d’un enfant en danger dans son développement (al. 1). Toute personne qui, dans le cadre de l’exercice d’une profession, d’une charge ou d’une fonction en relation avec les mineurs, qu’elle soit exercée à titre principal, accessoire ou auxiliaire, a connaissance d’une situation d’un mineur dont le développement est menacé, doit la signaler au SPMi. Les obligations relatives à la levée du secret professionnel par l’instance compétente demeurent réservées (al. 2). Sont notamment astreints à l’obligation de faire un signalement auprès du SPMi, les membres des autorités scolaires et ecclésiastiques, les professionnels de la santé, les enseignants, les intervenants dans le domaine du sport et des activités de loisirs, les employés des communes, les policiers, les travailleurs sociaux, les éducateurs, les psychologues actifs en milieu scolaire et éducatif, les psychomotriciens et les logopédistes (al. 3). Les personnes astreintes à l’obligation de signaler une situation de mineur sont réputées avoir satisfait à cette obligation par le signalement au SPMi (al. 4).

d. La chambre administrative a déjà eu l’occasion de préciser que lorsqu’il s’agit de signaler la situation d’un enfant en danger, les professionnels n’ont pas l’obligation de demander préalablement une levée de leur secret médical, étant toutefois précisé que les détails de la thérapie n’ont pas à être librement communiqués (ATA/1006/2017 du 27 juin 2017).

7) En l’espèce, les faits que souhaite divulguer la pédiatre intimée sont soumis au secret médical, dont la levée a été refusée par les recourants, en tant que parents et représentants légaux des deux enfants concernés.

De plus, il découle de ce qui précède qu’en cas d’urgence, si la pédiatre considérait que les recourants mettaient leurs enfants en danger physique et psychologique, elle pouvait aviser l’autorité de protection de l’enfant sans être déliée de son secret, de sorte que la demande adressée à la commission n’avait pas été nécessaire.

8) Par ailleurs et en tout état, il ressort de la décision entreprise que la pédiatre motive son souhait d’être déliée du secret médical par une nécessité de rapporter au SPMi ses inquiétudes sur le suivi médical des enfants. Elle considère en effet que le refus des recourants de certaines prises en charge nécessaires à la santé de leurs enfants et la multiplication de consultations chez divers spécialistes n’en permettraient pas un suivi adéquat.

S’agissant de l’aîné, la pédiatre intimée est en désaccord avec les choix médicaux des recourants et allègue notamment une absence de suivi strict des conseils qu’elle leur donne, ou encore un manque d’anticipation quant à ses besoins administratifs.

Quant au benjamin, la commission a suivi l’opinion de la pédiatre intimée selon laquelle les recourants auraient des difficultés à entreprendre les démarches pour l’obtention de l’assurance-invalidité.

Aussi les inquiétudes dont fait état la pédiatre intimée relèvent-elles purement des intérêts propres des deux enfants, qu’elle estime mal protégés par leurs parents.

Or, comme rappelé supra, seul un intérêt public prépondérant justifie la levée du secret médical, tel que le besoin de protéger le public contre un risque
hétéro-agressif ou la présence d’un intérêt privé de tiers dont le besoin de protection serait prépondérant à celui en cause.

Tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce. En effet, quand bien même les craintes de la pédiatre intimée s’avéraient fondées, il est admis que les enfants des recourants consultent chacun plusieurs médecins spécialistes, si bien que leur réseau médical est très fourni et que rien ne permet de retenir que leur santé ne serait pas prise en charge et surveillée de manière continue. La santé des deux enfants ne saurait donc être considérée comme mise en danger au vu du nombre de médecins consultés et censés la sauvegarder. Il apparaît également que le pédiatre qui suit les deux enfants depuis le mois de septembre 2017 ne fait état d’aucune inquiétude en lien avec leurs prises en charge et suivis médicaux, ni avec une quelconque mise en danger que les recourants pourraient représenter pour leurs enfants.

De simples avis et déclarations non concordants entre une pédiatre et les parents d’enfants ne constituant pas un juste motif au sens de l’art. 88 LS et de la doctrine et jurisprudence précitées, il n’existe en l’espèce aucun intérêt public ou privé supérieur à celui de la protection de la sphère privée des enfants des recourants justifiant la levée du secret médical de la pédiatre intimée.

9) Par conséquent, les deux décisions du 20 octobre 2017, en tant qu’elles lèvent le secret professionnel de la pédiatre intimée, ne sont pas justifiées. Le recours sera donc admis et lesdites décisions annulées.

10) Au vu de l’issue du recours et les recourants plaidant au bénéfice de l’assistance juridique, aucun émolument de procédure ne sera mis à leur charge (art. 87 al. 1 LPA). En revanche, dans la mesure où ils y ont conclu et ont eu recours aux services d'un mandataire, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- leur sera allouée, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 novembre 2017 par Madame A_____ et Monsieur A_____ contre les décisions de la commission du secret professionnel du 20 octobre 2017 ;

joint les deux affaires sous le numéro de cause A/4399/2017 ;

au fond :

l’admet ;

annule les décisions du 20 octobre 2017 de la commission du secret professionnel levant le secret professionnel de Madame B_____ ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Madame A_____ et Monsieur A_____ une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Sandy Zaech, avocate des recourants, à la commission du secret professionnel, ainsi qu'à Madame B_____.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mmes Krauskopf et Junod, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :