Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/364/2023

ATA/670/2023 du 20.06.2023 ( PRISON ) , REJETE

Recours TF déposé le 28.08.2023, rendu le 02.04.2024, REJETE, 7B_534/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/364/2023-PRISON ATA/670/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Toni KEREZELOV, avocat

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée

 



EN FAIT

A. a. Monsieur A______ a été incarcéré à la prison de Champ-Dollon du 29 janvier au 20 mai 2021 et du 23 août 2021 au 22 janvier 2022. Il a alors fait l’objet de respectivement seize et quinze sanctions disciplinaires.

b. Depuis le 4 mars 2022, il séjourne à nouveau dans cette prison, en exécution de peine.

c. Entre le 18 mars et le 2 août 2022, il a été sanctionné huit fois, pour injures et/ou menaces envers le personnel, trouble à l’ordre de l’établissement, refus d’obtempérer, voire possession d’un objet prohibé. Tous ces faits ont été sanctionnés de cellule forte, la durée variant de trois à dix jours.

d. Le 17 août 2022, il a été sanctionné de trois jours de cellule forte pour dégradation du mobilier et trouble à l’ordre public. Il lui était reproché d’avoir endommagé le téléviseur de sa cellule. Cette sanction a été annulée par la chambre administrative de la Cour de justice, la responsabilité du détenu dans la dégradation du téléviseur n’étant pas établie à satisfaction de droit (ATA/39/2023 du 17 janvier 2023).

e. En raison de la réitération régulière d’infractions aux dispositions réglementaires, M. A______ a été placé en régime de sécurité renforcée du 20 mai au 20 août 2022.

f. Depuis son retour en régime de détention ordinaire, A______ a fait l’objet des sanctions suivantes : le 23 août 2022, trois jours de cellule forte pour injure au personnel ; le 28 août 2022, quatre jours de cellule forte pour menaces envers le personnel, injures en récidive et attitude incorrecte envers le personnel ; le 29 août 2022, trois jours de cellule forte pour menaces et injures envers le personnel, en récidive ; le 12 octobre 2022, cinq jours de cellule forte pour injures envers le personnel et refus d’obtempérer ; le 14 octobre 2022, trois jours de cellule forte lui a été infligée pour injures envers le personnel en récidive.

Ces sanctions, contestées par l’intéressé, ont été confirmée par arrêt du 14 juin 2023 de la chambre administrative, sous réserve de celle du 28 août 2022, réduite à trois jours de cellule forte (A/3097/2022). Dans le cadre de cette procédure, l’intéressé a pu consulter les rapports d’incident non-caviardés relatifs aux sanctions prononcées depuis le 17 août 2022.

g. Selon le rapport d’incident du 31 décembre 2022, à 15h15, lors de la sortie de promenade, A______ avait posé sa casquette sur la plaquette de contrôle en disant : « Voilà ma casquette, qui représente toutes vos têtes d’enculés, j’encule vos mères et la tienne aussi. J’encule ta sœur, tes frères, tes tantes et toute ta famille ». Interrogé sur la question de savoir pourquoi il tenait de tels propos, il avait répondu : « Mais je ne fais que répondre à ce que vous m’avez demandé ». Il avait enchaîné en disant : « Et je me branle sur toi, je te gicle dessus, pétasse ». Alors que deux agents le raccompagnaient à sa cellule, il avait encore dit : « Vous ne me respectez pas, je suis Algérien, l’horloge tourne, vous allez voir ! ».

h. Entendu par le gardien-chef adjoint, le même jour à 16h40, A______ avait reconnu les faits.

i. Toujours le même jour, à 16h30, une sanction de trois jours de cellule forte a été notifiée à A______, qui a refusé de la signer. La sanction est signée par le gardien-chef adjoint et « p.o. » le directeur de la prison.

B. a. Par acte expédié le 1er février 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette sanction. Il a conclu, préalablement, à ce que soient produits : le rapport d’incident non-caviardé, son dossier personnel, les images de vidéosurveillance relatives à l’incident, l’intégralité des sanctions disciplinaires et rapports d’incident le concernant, les notes internes autorisant les agents de détention à placer un détenu en cellule forte avant qu’une décision soit prise par le directeur ainsi que celle autorisant la délégation prévue à l’art. 47 al. 7 du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04) et l’ensemble des décisions rendues les cinq dernières années par la prison pour « injures envers le personnel, attitude incorrecte envers le personnel ». La comparution personnelle des parties et « tout acte d’instruction utile » devaient être ordonnés, notamment l’audition du gardien-chef adjoint et les auteurs du rapport d’incident, dont l’identité devait être communiquée.

Principalement, la décision querellée devait être déclarée nulle, subsidiairement annulées, et le caractère illicite de son placement en cellule forte devait être constaté.

La mise en cellule forte avait été décidée cinq minutes seulement après son audition et après même qu’il se trouvait depuis une heure en cellule forte. Il contestait les faits reprochés ainsi que le fait de les avoir reconnus.

b. Dans le délai octroyé pour compléter son recours, il a fait valoir que le nombre de sanctions dont il faisait l’objet aurait dû alerter la direction de la prison.

Il faisait l’objet de comportements hostiles, vexatoires et désobligeants de la part des agents de détention. Ceux-ci recherchaient une réaction de sa part en vue de justifier ensuite un rapport d’incident. L’incapacité de la prison à répondre aux comportements des agents de détention à son égard s’était traduite par un acharnement contre lui, avec la multiplication des sanctions disciplinaires. Depuis le début de son troisième séjour à la prison, il avait été harcelé par les agents de détention. Les « schémas de maltraitance » avaient recommencé et abouti au prononcé des sanctions disciplinaires. Il n’avait pas osé contester les sanctions, craignant que les agents « renchérissent avec le harcèlement qu’ils lui infligeaient ».

Les agents s’ingéraient de manière insupportable dans sa vie privée, en tentant d’obtenir des informations sur ses pratiques religieuses et sexuelles ainsi que sur ses visions politiques. Il refusait de répondre à ces questions, ce que les agents n’acceptaient pas. C’était en réaction à ce refus de répondre que les agents établissaient des rapports d’incident prétendant qu’il avait un comportement violant les règles de l’établissement.

Il avait d’ailleurs demandé, sans succès, un changement d’établissement pénitentiaire. Il avait également déposé plainte pénale pour dénoncer les maltraitances qu’il subissait. En août 2022, des agents de détention l’avaient insulté et accusé d’inceste impliquant sa mère, son père et sa sœur. Les agents lui avaient indiqué qu’ils savaient qu’il se masturbait dans sa cellule, avait régulièrement fréquenté des prostituées et regardait des films pornographiques, ce qui faisait de lui un mauvais musulman. Les agents avaient également traité sa mère de pute. À sa sortie de cellule forte fin août 2022, il avait, à nouveau, été insulté avec des accusations d’inceste. Il est ensuite revenu sur les sanctions précitées.

Le 31 décembre 2022, il avait à nouveau été l’objet de moqueries et d’insultes de la part des gardiens, qui l’avaient accusé d’entretenir des rapports incestueux avec sa mère et sa sœur. Lorsque le magnétomètre avait sonné lors du contrôle, un gardien lui avait dit que c’était en raison de son « côté musulman ». C’est ainsi qu’il avait réagi en disant aux agents qu’ils avaient des « têtes de malades », « en ce sens qu’ils [étaient] malades du fait de la fixation qu’ils [faisaient] des rapports à caractère incestueux ». Il avait nié les faits reprochés.

Il n’avait reçu aucune explication sur les motifs de son placement en cellule forte. La sanction n’était pas motivée. Les faits n’étaient pas établis. Aucune crédibilité ne pouvait être accordée aux rapports établis par les agents de détention.

c. La prison a conclu au rejet du recours.

Il n’y avait pas lieu de procéder aux actes d’instruction requis. Contrairement à ce que soutenait le recourant, il n’existait pas de note interne autorisation les agents de détention à décider et à exécuter la mise en cellule forte avant que la décision ne soit prise par le directeur de la prison ; une telle note ne pouvait donc être produite. La demande d’accès à l’entier du dossier personnel avait été traitée et l’autorité intimée demeurait dans l’attente de la détermination du conseil du recourant au sujet de l’émolument qui sera prélevé. En outre, le recourant était déjà en possession des sanctions et rapports d’incident précédents dont il avait été l’objet. En aucun cas, les agents de détention n’avaient injurié le recourant, comme il le prétendait pour justifier son comportement. La sanction était proportionnée.

La prison a produit l’ensemble des sanctions non-caviardées prononcées entre le 18 mars 2022 et le 4 janvier 2023.

d. Dans sa réplique, le recourant a fait valoir que l’autorité intimée ne s’étant pas déterminée sur sa version des faits, celle-ci devait être considérée comme établie. Les images de « bodycam » n’apportaient pas d’éléments pertinents. Les sanctions disciplinaires des 19 avril et 1er mai 2022 avaient donné lieu à l’ouverture d’une procédure pénale pour violence et menaces contre les autorités. La chambre pénale d’appel et de révision l’avait cependant acquitté de ce chef par arrêt du 6 décembre 2022. La chambre administrative avait annulé la sanction du 17 août 2022.

Le 31 décembre 2022, en réaction à la réflexion du gardien selon laquelle le magnétomètre avait sonné en raison de son « côté musulman », il avait simplement indiqué qu’il était algérien et avait droit au respect dû à n’importe quel être humain.

Il prenait note que la prison attendait sa détermination sur l’émolument pour produire l’intégralité de son dossier. Il contestait devoir verser un émolument. Le nom des agents sur le rapport d’incident ne devait pas être caviardé. La prison ne pouvait refuser de produire l’ensemble des sanctions dont il avait été l’objet sous prétexte que celles-ci lui avaient été notifiées. Il n’avait pas pu voir l’ordre de service prévoyant la délégation de compétence du directeur. Il en demandait donc la production. L’autorité intimée était incapable de justifier la quotité de la sanction.

Dès lors que le comportement des agents de détention était mis en cause, il ne pouvait être accordé de crédit à leurs rapports et il devait être procédé à leur audition. Il s’agissait toujours d’un ou de deux agents de détention qui se prétendaient victime d’insultes de sa part.

Il a produit copie du courrier de la prison du 2 novembre 2022, lui indiquant que pour l’obtention d’une copie de l’ensemble du dossier de tous les séjours du recourant auprès de la prison, un émolument serait prélevé au préalable et lui demandait de confirmer s’il maintenait sa demande. Il lui était rappelé qu’il pouvait venir consulter le dossier sur place et que cette consultation était gratuite.

e. La chambre de céans ayant transmis le rapport d’incident non caviardé du 31 décembre 2023 au recourant, celui-ci a maintenu sa demande d’audition des agents de détention « impliqués » dans l’incident. Certains gardiens se trouvaient « impliqués » de manière récurrente dans les incidents ayant donné lieu à sanction. Ainsi, l’audition de B______, de C______, de D______ et de E______ s’imposait. Il faisait toujours l’objet de reproches portant sur des comportements qui ne pouvaient objectivement pas être prouvés. Les images de vidéosurveillance ne corroboraient pas les dires de la prison.

f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

g. La chambre de céans a visionné les images de vidéosurveillance et celles prises par les « bodycam », que la prison a produites et le recourant pu visionner.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celles-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte des sanctions contestées en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2 ; ATA/50/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2).

Le recours est donc recevable, sous réserve de ce qui suit.

En tant que le recourant fait valoir qu’il subirait des actes de malveillance de la part des gardiens, ses griefs sont irrecevables. L’objet de la présente procédure est limité à la question du bien-fondé de la sanction de trois jours de cellule forte, qui lui a été infligée. La présente procédure ne peut donc s’étendre à d’autres questions, étant relevé que la chambre de céans n’est pas une autorité de surveillance, mais de recours.

3.             Le recourant sollicite différents actes d’instruction.

3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et l’art. 41 LPA, le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 132 II 485 consid. 3.2). Ce droit n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement ni celui de faire entendre des témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

3.2 Les parties et leurs mandataires sont seuls admis à consulter au siège de l’autorité les pièces du dossier destinées à servir de fondement à la décision. Le droit d’accéder à leurs données personnelles que les personnes tierces peuvent déduire de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08) est réservé (art. 44 al. 1 LPA). L’autorité délivre copie des pièces contre émolument ; elle peut également percevoir un émolument pour la consultation des pièces d’une affaire liquidée (art. 44 al. 4 LPA).

3.3 En l'espèce, le recourant a eu l’occasion de faire valoir son point de vue tout au long de la procédure devant la chambre de céans dans son recours. Il a, en outre, pu produire toutes les pièces qu’il estimait utiles. Il n’explique pas en quoi son audition permettrait d’apporter des éléments autres que ses allégations. Il n’y a donc pas lieu de procéder à son audition.

Il ne sera pas non plus fait droit à la demande d’audition des agents de détention ayant rédigé le rapports d’incident, ayant assisté aux faits reprochés ou entendu le recourant avant le prononcé des sanctions querellées au vu de ce qui sera développé ci-après.

Il a d’ores et déjà été fait droit à la demande du recourant de prendre connaissance du rapport d’incident non caviardé, et l’autorité intimée a produit l’ensemble des sanctions non caviardées prononcées à son endroit depuis le 4 mars 2022. Le recourant a également pu consulter les rapports d’incident non-caviardés relatifs aux sanctions prononcées depuis août 2022 dans la procédure A/3097/2022. Ces points sont donc devenus sans objet. La production des sanctions disciplinaires dont le recourant a été l’objet entre le 29 janvier et le 20 mai 2021 n’est pas pertinente, celles-ci ne faisant pas l’objet de la présente procédure, d’une part, et la sanction querellée ne se référant, de manière détaillée, qu’aux sanctions relatives au « séjour actuel » du recourant à la prison, soit à la période postérieure au 4 mars 2022.

La production par la prison de l’ensemble des sanctions disciplinaires prononcées, les cinq dernières années, à l’encontre de personnes détenues pour injures envers le personnel et attitude incorrecte envers le personnel n’est pas pertinente, chaque sanction devant tenir compte de l’ensemble des circonstances, y compris des antécédents disciplinaires des détenus, de sorte que la production de ces sanctions ne serait pas de nature à apporter un éclairage pertinent pour la solution du litige.

L’ordre de service relatif à la délégation de compétence pour prononcer une sanction de trois jours de cellule forte ressort de la jurisprudence constante de la chambre administrative (consid. 5 ci-après), dûment publiée, de sorte que le recourant est supposé en avoir connaissance. Il en va de même des conditions auxquelles un détenu peut être placé en cellule forte avant qu’une décision soit prise (consid. 4 ci-dessous). Il n’y a donc pas lieu non plus d’ordonner la production de l’ordre de service ou de notes internes à cet égard.

Par ailleurs, il ressort du courrier de l’autorité intimée au conseil du recourant du 2 novembre 2022 que celui-ci pouvait venir consulter le dossier de son mandant sur place et que cette consultation était gratuite. Ainsi, il a été satisfait à sa demande de consultation du dossier personnel. Pour le surplus, la question de savoir si l’autorité intimée était fondée à réclamer un émolument pour l’établissement de copies de l’ensemble du dossier ne fait pas l’objet du présent litige, de sorte que la chambre de céans ne saurait se prononcer à ce sujet.

Enfin, au vu des pièces figurant au dossier et des déterminations produites par les parties, la chambre de céans estime que le dossier est complet et lui permet de trancher le litige sans procéder à d’autres actes d’instruction.

Il ne sera ainsi pas fait droit aux demandes d’actes d’instruction complémentaires.

4.             Dans un grief de nature formelle, le recourant se plaint de la violation de son droit d’être entendu, estimant ne pas avoir pu s’exprimer avant que les sanctions à son endroit soient prononcées.

4.1 Comme cela vient d’être évoqué, l’art. 29 al. 2 Cst. et 41 LPA comprennent le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique (ATF 133 I 270 consid. 3.1 ; 132 II 485 consid. 3.2). L’art. 47 al. 2 RRIP prévoit expressément qu’avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu.

4.2 La jurisprudence de la chambre de céans admet qu'en cas d'incident nécessitant une sanction se produisant après les horaires ordinaires d'activité de la prison, par exemple après 18h00, le droit d'être entendu puisse s'exercer de manière un peu différée, soit en particulier le lendemain matin à la première heure, ceci en raison des besoins du service, notamment dans les cas où l'autorité décisionnaire est le directeur ou un autre membre gradé du personnel, dont le nombre est restreint dès le soir, ou en cas d’urgence (ATA/318/2020 du 31 mars 2020 consid. 4b ; ATA/1846/2019 du 20 décembre 2019 consid. 3c ; ATA/1597/2019 du 29 octobre 2019 consid. 2b ; ATA/500/2017 du 2 mai 2017 consid. 6a).

4.3 En l’espèce, les faits reprochés ont eu lieu le 31 décembre 2022, vers 15h15, soit un jour férié. Le gardien a indiqué dans son rapport du même jour que le gardien-chef adjoint avait ordonné le transfert du détenu en cellule forte à 15h35. Le même jour à 16h30, le gardien-chef adjoint a signifié la décision de placement en cellule forte au recourant. Selon la décision de sanction et le rapport d’incident, le recourant a pu s’exprimer le jour même à 16h25, et la sanction lui a été notifiée à 18h30. À teneur du rapport d’incident du même jour, le recourant avait reconnu les faits.

Au vu de ce qui précède, le recourant a pu se déterminer sur la sanction litigieuse peu après avoir été conduit en cellule forte. Par ailleurs, il a pu, dans le cadre du présent recours, assisté d’un avocat, faire valoir sa version des faits et ses arguments. Ainsi, quand bien même une violation de son droit d’être entendu aurait dû être admise, celle-ci aurait été réparée dans la procédure de recours.

Le grief sera donc rejeté.

5.             Le recourant conteste la compétence des personnes ayant prononcé la sanction, en tirant un grief de nullité.

5.1 À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP). L'art. 47 al. 7 RRIP prévoit que le directeur peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'al. 3 à d'autres membres du personnel gradé. Les modalités de la délégation sont prévues dans un ordre de service. L'ordre de service B 24 de la prison prévoit une telle délégation pour le placement en cellule forte de un à cinq jours en faveur du membre « consigné » de la direction (ATA/1115/2022 du 4 novembre 2022 consid. 4c ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 5c ; ATA/784/2021 du 27 juillet 2021 consid. 2c ; ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

5.2 En l’espèce, la décision de placement en cellule forte a été prises par un gardien-chef adjoint, selon le rapport d’incident, notamment les indications figurant sous « décision ou commentaire » de celui-ci, puis ratifiée formellement le même jour par le directeur et un autre gardien-chef adjoint. La décision a donc été prise par les personnes habilitées à la prononcer.

Le grief sera ainsi également rejeté.

6.             Le recourant conteste les faits reprochés.

6.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/412/2022 du 13 avril 2022 consid. 4a ; ATA/43/2019 du 15 janvier 2019 ; ATA/1108/2018 du 17 octobre 2018 et les références citées).

6.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP). En tout temps, la direction peut ordonner des fouilles corporelles et une inspection des locaux (art. 46 RRIP).

6.3 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

6.4 En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/97/2020 précité consid. 4f et les références citées).

6.5 Dans sa jurisprudence, la chambre administrative a confirmé la sanction de deux jours de cellule forte pour injures, consistant à dire à un autre détenu « oui ces fils de pute » en se référant aux agents de détention, a été confirmée, le détenu ayant déjà fait l’objet de trois précédentes sanctions (ATA/383/2021 du 30 mars 2021 consid. 5). Elle a également confirmé la sanction de trois jours de cellule forte pour injures (« Regardez leur grade, ils sont rien, c'est même pas des merdes, c'est des sous-merdes ! ».), adressées au personnel (ATA/1483/2019 du 8 octobre 2019).

6.6 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/284/2020 précité consid. 4f et les références citées).

7.             Il convient d’examiner ci-après le bien-fondé de la sanction contestée à l’aune des principes qui viennent d’être énoncés.

7.1 À titre préalable, il est relevé que, contrairement à ce que soutient le recourant, aucun élément ne permet de retenir qu’il serait vraisemblable que les agents de détention se seraient unis pour le « pousser à la faute ». Comme cela a été exposé dans l’arrêt du 14 juin 2023, les rapports d’incident ont été rédigés par les agents de détention ayant été immédiatement témoins des faits reprochés au recourant. Par ailleurs, contrairement aux affirmations du recourant, il n’apparaît pas que ce soit systématiquement le même agent de détention qui ait rapporté les faits sanctionnés ni que les agents présents lors des incidents étaient toujours ou souvent les mêmes. Cet arrêt cite le nom des auteurs des rapports d’incident, témoins directs de ceux-ci. L’agent de détention auteur du rapport d’incident de la décision présentement querellé n’est pas l’auteur des précédents rapports d’incident. En outre, les agents F______ et G______, dont la plainte à l’encontre du recourant a été rejetée par la CPAR, n’ont pas établi le rapport d’incident du 31 décembre 2022 ni été présents lors de cet incident. Seul le personnel consigné, membre de la direction, étant habilité à prononcer une sanction de cellule forte et le nombre de ceux-ci étant limité, de sorte que le seul fait que les décisions de sanctions sont souvent signées par le même gardien-chef adjoint ne permet pas d’en tirer une conclusion de prévention à l’égard du recourant. Ainsi, aucun indice ne rend vraisemblable que les agents de détention feraient preuve d’une attitude hostile à l’égard du recourant ou se seraient concertés pour le provoquer et le « pousser à la faute ». En l’absence de tels indices, il n’y a pas lieu de procéder à l’audition de agents de détention ayant rédigé le rapport d’incident, été témoins des faits sanctionnés ou participé à la prise de la décision querellée.

7.2 Selon le rapport d’incident, le recourant a tenu les propos suivant lors du contrôle par le magnétomètre : « Voilà ma casquette, qui représente toutes vos têtes d’enculés, j’encule vos mères et la tienne aussi. J’encule ta sœur, tes frères, tes tantes et toute ta famille » ainsi que « Et je me branle sur toi, je te gicle dessus, pétasse ». Il ne conteste pas qu’il a échangé des propos avec le personnel lors dudit contrôle, soutenant cependant qu’il avait uniquement dit « têtes de malades » aux agents de détention, qui l’avaient insulté. Certes, les images de vidéosurveillance ne comportent pas le son, contrairement à celles prises par les « bodycam » uniquement utilisées lors de la mise en cellule forte et de la fouille y relative. Cela étant, les explications données par le recourant quant aux propos qu’il a tenus ne permettent pas de remettre en cause les termes qui ressortent du rapport d’incident, établi par un agent de détention assermenté.

L’existence d’une infraction objective au règlement est établie, si bien que les griefs de constatation inexacte des faits et d'inexistence d'un comportement illicite seront écartés.

7.3 Le comportement consistant à s’en prendre verbalement et grossièrement à des agents de détention est contraire au devoir d’observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire et est susceptible de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement. De ce fait, le recourant a violé ses obligations de détenu, telles que figurant aux art. 42 ss RRIP, en particulier aux art. 44 et 45 let. h RRIP. Il s'ensuit que l'autorité intimée était fondée à le sanctionner pour ces faits.

S'il est vrai que le placement en cellule forte constitue la sanction la plus sévère mentionnée à l'art. 47 al. 3 RRIP, il n'en demeure pas moins que le recourant, à teneur du dossier, a fait l’objet de nombreuses sanctions auparavant, y compris pour injures. L'autorité intimée était dès lors fondée à faire preuve de sévérité en lui infligeant, pour ces faits, une sanction de trois jours de cellule forte, dont la quotité se situe au demeurant au bas de la fourchette, étant rappelé que le placement en cellule forte peut être prononcé pour dix jours au plus.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la proportionnalité du genre comme de la quotité de la sanction choisie ne prête pas le flanc à la critique. L'autorité intimée n'a ni violé la loi ni abusé de son pouvoir d'appréciation, en prononçant le placement du recourant en cellule forte pour trois jours.

Le recours sera donc rejeté.

8.             Au vu de la nature du litige et de son issue, il ne sera pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2023 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 31 décembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Toni KERELEZOV, avocat du recourant, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :