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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1239/2018

ATA/8/2023 du 10.01.2023 sur ATA/1574/2019 ( AMENAG ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT FONCIER RURAL;QUALITÉ POUR RECOURIR;INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION;EXPLOITANT À TITRE PERSONNEL;CONDITION DE RECEVABILITÉ;CONCLUSIONS;OBJET DU LITIGE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;DROIT À UNE AUTORITÉ INDÉPENDANTE ET IMPARTIALE;RÉCUSATION;RÉVOCATION(EN GÉNÉRAL);EXPLOITATION AGRICOLE;PARTAGE SUCCESSORAL;CAPACITÉ DE DISCERNEMENT
Normes : LPA.60.al1; LDFR.9.al1; LDFR.61; LDFR.62; LPA.65; Cst.29.al2; LDFR.71; LDFR.2.al2.leta; LDFR.7.al1; LDFR.11; LDFR.58; LDFR.60.al2
Résumé : Reconnaissance de la qualité pour recourir d’un exploitant agricole s’agissant de la reconnaissance de l’assujettissement ou non à la LDFR des trois parcelles. Absence de motif de récusation d’un membre de la CFA, invoquée tardivement. Annulation du refus de révocation d’une décision constatant le non-assujettissement de trois parcelles à la LDFR. Les mentions contenues dans la requête de non-assujettissement étaient lacunaires et erronées. Selon les éléments versés au dossier, la requérante a agi sous l’influence de son fils, alors que l’insuffisance de ses ressources financières, invoqué comme motivation de la requête, n’était pas établie. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1239/2018-AMENAG ATA/8/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 janvier 2023

 

dans la cause

 

Mme A______ et Monsieur B______
représentés par Me Stéphane PILETTA-ZANIN, avocat

contre

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE

Les héritiers de M. C______, soit Mme D______, Mme E______, MM. F______ et G______, ainsi que MM. H______ et I______, appelés en cause

représentés par Me BRETTON-CHEVALLIER, avocate

_________



EN FAIT

1) M. C______, Mme A______, née J______, et M. K______ sont les enfants de feu M. L______, décédé le ______R 1997, et de Mme M______, née AA______.

2) Par testament du 29 août 1967, feu M. N______ a légué à son épouse, Mme M______, l'usufruit total de sa succession. Exploitant agricole, il s'était associé à son gendre, M. B______, époux de Mme A______, en 1973. Au début des années 1980, M. B______ a repris les activités d'exploitation.

3) Mme M______ était notamment propriétaire des parcelles nos 1'751, 4'643 et 1'757 de la commune de O______, dans le village de P______, sises en zone 4B protégée et essentiellement cultivées en vignes.

La parcelle n° 1'751 de 266 m2 comprend la maison dans laquelle Mme M______ a habité depuis son mariage avec M. N______ jusqu'à son emménagement dans un EMS, le 1er janvier 2009.

La parcelle n° 4'643 de 75 m2 était le jardin d'agrément de la parcelle n° 1'751.

La parcelle n° 1'757 de 78 m2 constituait en 1976, une dépendance de la ferme, composée d'un garage, d'un ancien box à chevaux, d'une remise et d'une cave. Par la suite, ce bâtiment a été aménagé en studios sommaires par M. B______ et Mme A______ pour y loger « le personnel agricole ».

4) Par courrier du 15 octobre 2003, Mme M______ a écrit à M. B______.

Elle avait donné son accord à MM. C______ et K______ pour une réfection et une mise en valeur de la maison et des dépendances. La mise en valeur de ces biens ne devait plus être retardée afin d'assurer son avenir et son bien-être dans une institution. La location des vignes dont elle lui avait confié les soins couvrirait à peine un dixième des frais de pension et elle souhaitait éviter de devenir une charge pour ses enfants. Les dépendances n'avaient d'ailleurs jamais fait partie de l'exploitation et leur loyer serait un multiple de celui des vignes.

Il était par conséquent nécessaire qu'il demande à ses employés de reprendre tous les objets qui leur appartenaient afin qu'ils puissent débarrasser au moins la grange et l'ancienne étable, et il serait utile que les véhicules ne soient pas garés de manière à empêcher les travaux.

5) Le 20 mars 2007, M. K______ est décédé, laissant pour héritiers ses enfants, MM. H______ et I______.

La même année, Mme M______ a été victime d'un accident vasculaire cérébral (ci-après : AVC).

6) À partir du 1er janvier 2009, cette dernière a résidé à l’EMS Q______.

7) Par décision du 27 janvier 2009, statuant sur requête de M. B______ du 7 novembre 2008, la commission foncière agricole (ci-après : CFA) a déterminé la valeur de rendement des parcelles nos 1’483, 1'513, 1'751, 1'757, 3'173, 4'147, 4'313, 4'632 et 6’026 de la commune de O______. Selon l’expertise y relative du 5 janvier 2009, l’habitation sise sur la parcelle n° 1'751 était considérée comme une ferme et le bâtiment se trouvant sur la parcelle n° 1'757 comme les dépendances de celle-ci.

8) Par requête du 1er avril 2010, portant la signature de Mme M______ et rédigée par M. C______, le constat de non-assujettissement des parcelles nos 1'751, 4'643 et 1'757 a été demandé auprès de la CFA. Selon ce document, il n’existait pas de bail à ferme et il ne s’agissait pas de « dépendance d’exploitation agricole ». Les parcelles mentionnées n’étaient pas « appropriées à l’agriculture ». La maison d’habitation était disponible depuis le 1er janvier 2009. Dite demande était motivée par le besoin de « faire face aux frais de séjour à l’EMS Q______ les propriétés décrites doivent pouvoir être vendues ».

9) Par décision du 27 avril 2010, la CFA a constaté que les parcelles nos 1'751, 4'643 et 1'757 n'étaient pas assujetties à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11), ces parcelles n'étant pas des dépendances d'une exploitation agricole (art. 2 al. 3 LDFR).

10) Le 6 septembre 2010, Mme M______ est décédée, laissant un testament olographe daté du 12 février 1999 dans lequel elle prescrivait diverses règles de partage.

En particulier, « sur le principe, [elle confirmait son] souhait de traiter [ses] trois enfants sur un pied d’égalité du point de vue financier dans le cadre du partage de [sa] succession. C’[était] toutefois dans les limites de la [LDFR] qui impos[ait] un certain sacrifice aux cohéritiers lorsqu’une entreprise agricole [était] en jeu [ ]. Dans la mesure où [elle] souhait[ait] assurer à [sa] fille et à [son] gendre la possibilité de continuer à cultiver [ses] vignes, [elle les] attribu[ait] en totalité à [sa] fille à titre de règle de partage. [Elle les] attribu[ait] à leur valeur de rendement [ ]. En ce qui concern[ait] la parcelle n° 1'751 [ ], [elle] laiss[ait] le soin à [ses] trois enfants de s’entendre sur son attribution à l’un d’entre eux ou sa location ou sa vente [ ]. S’agissant de la parcelle n° 1'757 [ ], [elle] laiss[ait] également le soin à [ses] trois enfants de décider de son sort. Par ailleurs, [elle] estim[ait] que [sa] fille et [son] gendre n’[avaient] droit à aucune indemnité pour les travaux auxquels ils [avaient] procédé en 1974, dans cette maison puisque depuis lors ils [avaient] pu l’utiliser gratuitement notamment pour y loger certains de leurs employés. Par conséquent, [elle] demand[ait] expressément à [sa] fille et à [son] gendre de ne pas faire valoir de prétention financière quelconque à l’égard de ses deux fils à raison des travaux précités sous quelque forme que ce soit. Désirant toutefois permettre à [sa] fille et à ses enfants de continuer à loger du personnel agricole dans cette maison tant qu’ils cultiver[aient] les vignes qu’[elle avait] attribuées à [sa] fille, [elle] stipul[ait] que la maison d’en face ne pourr[ait] ni être louée ni être vendue à un tiers tant que [sa] fille ou ses enfants cultiver[aient] les vignes et qu’ils souhaiter[aient] pouvoir en disposer pour y loger du personnel agricole. Toutefois, la possibilité que [sa] fille ou ses enfants aur[aient] de jouir de cette maison dans ce but fera[it] l’objet d’une rémunération équitable en faveur de l’hoirie ou de celui de [ses] enfants qui sera[it] devenu propriétaire de la maison, qui sera[it] calculée sur la base d’une évaluation de la maison à sa valeur vénale ».

11) a. Par requête expédiée au Tribunal civil de première instance (ci-après : TPI) le 15  décembre 2014, consistant en une action en partage, Mme A______ a assigné MM. C______, H______ et I______ en concluant notamment à ce qu'il soit constaté que feu Mme M______ n'avait plus la capacité légale de valablement procéder à la requête de modification de statut en date du 1er avril 2010, que la décision de la CFA était nulle ou annulée, et à ce que les parcelles nos 1'483, 1'513, 1'751, 1'757, 1'964, 3'173, 4'147, 4'313, 4'315-7, 4'632, 4'634, 4'643 et 6'026 incluses dans la succession de feu Mme M______, de O______, lui soient attribuées à la valeur agricole de rendement, soit CHF 203'026.-.

b. Lors de l'audience du 23 février 2016, le TPI a limité la procédure à la question de la réalisation par Mme A______ des conditions de l'art. 11 LDFR pour solliciter l'attribution des parcelles à leur valeur de rendement et, le cas échéant, à son intérêt à solliciter l'annulation de la décision de la CFA du 27 avril 2010.

12) Par requête du 8 avril 2016, Mme A______ et M. B______ (ci-après : les époux B______) ont demandé à la CFA la reconsidération de la décision rendue le 27 avril 2010, concluant à ce qu'elle soit déclarée nulle ou annulée, voire à ce que la CFA prononce l’assujettissement à la LDFR des parcelles nos 1'751, 4'643 et 1'757.

La requête du 1er avril 2010 n'avait pas été établie par M. C______. En raison d'un AVC survenu à la fin de l'année 2007, feu Mme M______ n'avait alors plus la capacité juridique nécessaire pour comprendre et requérir une modification de statut sur des propriétés assujetties à la LDFR.

Ils sollicitaient des mesures d'instruction en vue de faire établir l'incapacité juridique de feu Mme M______, de même qu'une expertise graphologique, car la signature apposée sur la requête n'était pas celle de l’intéressée.

Celle-ci comportait des affirmations mensongères qui avaient induit en erreur la CFA. Le bâtiment sis sur la parcelle n° 1'751 abritait en réalité une ferme avec diverses dépendances. Le bâtiment de la parcelle n° 1'757 avait toujours été le logement pour les travailleurs agricoles de leur exploitation. Enfin, il était faux de mentionner que les immeubles concernés par la transaction ne faisaient pas l'objet d'un bail à ferme écrit ou oral, qu'ils ne dépendaient pas d'une exploitation agricole et n'étaient pas appropriés à l'agriculture.

13) Le 14 juin 2016, la CFA a ordonné l'appel en cause de MM. C______, H______ et I______ (ci-après : les consorts R______), sur demande de leur part.

14) Dans leurs déterminations du 9 août 2016, ces derniers ont conclu à ce que la requête précitée soit déclarée irrecevable, subsidiairement rejetée.

Les époux B______ n'étaient pas partie à la procédure qui avait conduit au prononcé de la décision querellée et n'avaient pas la qualité pour recourir, dès lors que Mme A______ n'était pas exploitante agricole et que les parcelles qui faisaient l'objet de la décision querellée n'étaient pas affermées à M. B______.

Le seul fait qu'une personne ait été atteinte d'un AVC ne permettait pas de douter de sa capacité de discernement.

La requête ne contenait aucune fausse indication. Les parcelles n'étaient pas affermées. M. B______ n'avait pas conclu de bail à ferme agricole avec feu Mme M______ ni versé de fermage.

La requête mentionnait à juste titre que les parcelles n'étaient pas dépendantes d'une exploitation agricole. Ni le bâtiment d'habitation, ni le jardin n'avaient été utilisés par M. B______ qui affirmait de façon inexacte y entreposer du matériel agricole. Il disposait dans sa propre exploitation de toute la place nécessaire.

Il était également contesté que la parcelle n° 1'757 était utilisée pour le logement du personnel nécessaire à l'exploitation des vignes dont était propriétaire feu Mme M______.

15) Après plusieurs échanges d'écritures, la CFA a, par décision du 20 février 2018, déclaré recevable la demande de reconsidération susmentionnée en la traitant comme une demande de révocation, et débouté Mme A______ de toutes ses conclusions.

En tant qu'héritière de feu Mme M______,
Mme A______ était touchée personnellement par cette décision et avait un intérêt digne de protection. En revanche, M. B______ n'avait pas la qualité pour agir.

La CFA n'avait pas la compétence d'examiner les griefs concernant la validité formelle de la requête de non-assujettissement, soit les questions relatives à la capacité de discernement de feu Mme M______ le 1er avril 2010 et l'authenticité de sa signature. Le TPI avait été saisi de cette question dans le cadre de l'action en partage. En l'état, la capacité de discernement était présumée. Feu Mme M______ avait ainsi sa capacité de discernement lorsqu'elle avait signé la requête du 1er avril 2010, laquelle était recevable et valable en la forme.

La parcelle n° 1'751 était la propriété de feu Mme M______ qui n'était pas exploitante agricole ou viticole. Cette parcelle comprenait son habitation. Si feu M. N______ avait également habité dans cette maison, il avait mis fin à son activité agricole au début des années 1990. Cette parcelle n'avait jamais été louée aux époux B______ et elle ne dépendait pas d'une exploitation agricole.
Dans son testament, Mme M______ l'attribuait à ses trois enfants et elle leur laissait le soin de décider ce qu'ils voulaient en faire (l'acquérir, la vendre ou la louer). La parcelle n° 4'643 était le jardin d'agrément de la parcelle n° 1’751. La parcelle n° 1'757 avait été une dépendance de l'exploitation agricole de feu M.  N______ avant d'être aménagée en studios sommaires par les époux B______ pour y loger du personnel en 1974. Depuis que feu M. N______ avait mis fin à son activité d'exploitant agricole et à son association avec M. B______, au début des année 1990, ce bâtiment était mis à disposition de ce dernier pour y loger son personnel. M. B______ n'avait jamais payé de loyer, car c'était lui qui avait financé les travaux d'aménagement, plus de quarante ans auparavant, travaux amortis depuis un certain temps déjà. Cette parcelle n'était ainsi pas la dépendance d'une exploitation agricole. Feu Mme M______ ne l'avait jamais considérée comme telle puisqu'elle l'attribuait également à ses trois enfants dans son testament, même si, en 1999, elle stipulait que cette parcelle devrait être louée à sa fille, si elle le souhaitait, tant qu'elle ou ses enfants exploiteraient les parcelles de vignes. Feu Mme M______ était cependant revenue sur cette dernière disposition en 2003, date à laquelle elle avait envisagé de vendre ces trois parcelles pour pouvoir payer l'EMS. De son vivant, elle pouvait en disposer librement.

Le 1er avril 2010, feu Mme M______ avait demandé le
non-assujettissement de ces parcelles pour le même motif que celui déjà invoqué en 2003, à savoir les vendre afin de payer ses frais d'EMS. La requête présentée à la CFA ne comportait donc pas d'allégations mensongères ni d'informations inexactes.

16) Par courrier du 8 mars 2018, les consorts R______ ont transmis au TPI la décision précitée.

17) Par acte du 16 avril 2018, les époux B______ ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de Justice (ci-après : la chambre administrative) contre celle-ci, en concluant préalablement à la réouverture des enquêtes, principalement à ce que la qualité pour recourir de M. B______ soit constatée, à ce que la décision du 27 avril 2010, soit déclarée nulle, subsidiairement annulée, plus subsidiairement, à ce qu'il soit dit et prononcé que les parcelles nos 1'751, 4'643 et 1'757 étaient assujetties à la LDFR.

La qualité pour recourir devait être reconnue à M. B______, en tant qu'exploitant de la parcelle. Un transport sur place, leur audition ou celle du personnel logé aurait permis de confirmer qu'il avait continué à exploiter les vignes après le décès de feu M. N______. Si la maison rénovée devait être considérée comme non assujettie, les indemnités dont il serait débiteur en tant qu'exploitant seraient beaucoup plus importantes que celles qui pourraient être dues pour une parcelle représentant une dépendance.

Il était admis que la requête n'avait pas été écrite par feu Mme M______, mais par M. C______ et la validité de la signature était contestée. Ce dernier avait agi seul. La CFA ne pouvait soutenir que la capacité de discernement de feu Mme M______ était présumée le 1er avril 2010, en raison de son AVC. C'était M. C______ qui avait entrepris les démarches ayant mené à la décision contestée, comme le démontraient les contradictions entre les documents prétendument rédigés par feu Mme M______ et les différences constatées entre ses signatures. Dans son testament de 1999, qu'elle n'avait pas modifié, feu Mme M______ expliquait que la parcelle n° 1'757 et les vignes étaient dépendantes. Elle y mentionnait également que cette parcelle ne pourrait être ni louée, ni vendue, à des tiers tant que les vignes étaient exploitées par Mme A______ et/ou ses enfants. Le courrier du 15 octobre 2003 mentionnait des explications contraires, si bien qu'il avait certainement été écrit à l'initiative de MM. K______ ou C______ et ne reflétait pas la volonté de feu Mme M______.

La CFA considérait à tort que feu Mme M______ pouvait disposer librement de ses biens et ainsi les vendre. Les parcelles concernées, qui étaient des dépendances de l'exploitation agricole, faisaient l'objet d'un contrat d'association, puis de location. Elle ne pouvait pas disposer de biens remis à des vignerons.

La requête du 1er avril 2010 comportait de nombreuses inexactitudes. Les parcelles nos 1'751 et 1'757 ainsi que la maison étaient des dépendances agricoles jusqu'aux travaux de modernisation en 1974. Ceux-ci avaient été effectués du temps de l'exploitation en association avec feu M.  N______, et avec son accord, intention confirmée par feu Mme M______ dans son testament, dès lors qu'elle y exprimait le souhait d'empêcher pour cette maison une vente ou location à un tiers tant que Mme A______ ou ses enfants exploiteraient les vignes. La parcelle n° 1'757 et le bâtiment sis sur la parcelle n° 1'751 avaient toujours été affectées à l'exploitation agricole/viticole. Feu Mme M______, qui l'occupait, recevait une rente des époux B______ pour l'exploitation des vignes. La parcelle n° 1'757 faisait bien l'objet d'un bail à tout le moins oral et la grange située sur la parcelle n° 1'751 avait toujours été utilisée afin d'y entreposer notamment le matériel et l'outillage. Le fait que la maison du vigneron située sur la parcelle n° 1'751, était libre au dépôt de la requête, ne signifiait pas qu’elle ne pouvait pas être utilisée pour servir de logement principal dans le cadre de l'exploitation agricole.

L’expertise de la CFA du 5 janvier 2009 mentionnait une ferme sur la parcelle n° 1'751, divisée en habitation et entrepôts. La parcelle n° 1'757 était retenue comme une dépendance. La CFA ne pouvait donc pas désormais soutenir que les parcelles en cause n'étaient pas des dépendances.

18) La CFA a conclu au rejet du recours.

19) Les consorts R______ ont conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

La CFA avait considéré à tort que Mme A______ avait un intérêt juridiquement protégé en raison de sa qualité d'héritière de feu Mme M______, destinataire de la décision du 27 avril 2010. Seule devait être reconnue comme partie à la procédure le destinataire de l'autorisation dont la révocation était envisagée.

Il n'existait aucun motif de reconsidération. La CFA avait examiné à bon droit le dossier sous l'angle de l'art. 71 LDFR. Il n'en ressortait pas que l'une ou l'autre des trois parcelles visées avait été dépendante d'une entreprise agricole. Les époux B______ tentaient de faire croire que M. B______ avait pris à ferme la parcelle n° 1'757 et la ferme dont il aurait utilisé la grange. Aucun élément de preuve nouveau n'était fourni. À supposer qu'il existait un bail oral, le paiement du loyer n'était pas établi par pièces.

20) Par jugement (JTPI/10489/2018) du 29 juin 2018, le TPI a constaté que Mme A______ réalisait les conditions personnelles de l'art. 11 LDFR pour solliciter l'attribution des parcelles à leur valeur de rendement et que la question de son intérêt à solliciter l'annulation de la décision de la CFA du 27 avril 2010 était devenue sans objet.

Les terrains agricoles étaient exploités depuis 1973 par les époux B______, soit depuis leur association avec feu M. N______, M. B______ disposant lui-même d'une exploitation agricole : le domaine des Arbères. Compte tenu du fait qu'il y avait lieu de tenir compte de l'entourage du reprenant pour déterminer ses capacités à reprendre personnellement l'exploitation agricole, il était manifeste que Mme A______ remplissait les conditions de l'art. 11 LDFR malgré son âge et son absence de formation en la matière.

Il n'était pas nécessaire de déterminer si les parcelles en question formaient une entreprise agricole et la question de savoir si Mme A______ disposait d'un intérêt à solliciter l'annulation de la décision de la CFA du 27 avril 2010 était devenue sans objet, à la suite de la saisine effective de la CFA.

21) Après plusieurs échanges d'écritures entre les parties, la chambre administrative a rejeté le recours par arrêt du 29 octobre 2019 (ATA/1574/2019).

Mme A______ disposait de la qualité pour recourir, dès lors qu'elle était partie pour avoir déposé le 8 avril 2016 la requête en reconsidération de la décision du 27 avril 2010, et était personnellement touchée en tant qu'héritière de feu Mme M______.

L'objet du litige était limité à l'analyse des conditions d'une révocation, compte tenu du fait que la CFA avait rendu une décision à la suite d'une requête en révocation.

Mme A______ n'avait pas apporté de preuve ni de motif pertinent permettant de douter de la présomption de l'art. 16 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Les éléments du dossier démontraient la volonté de feu Mme M______ de mettre en valeur la maison et les dépendances afin d'en retirer un revenu lui permettant de subvenir à ses besoins sans l'aide de ses enfants. Cette volonté ressortait déjà de son courrier du 15 octobre 2003, soit avant l'AVC dont elle avait été victime en 2007. Elle correspondait au but poursuivi par la requête de non-assujettissement, déposée postérieurement. Le fait que ce soit M. C______ qui eût rédigé ladite requête, ce qu'il n'avait jamais contesté, ne signifiait pas que sa mère n'avait plus sa capacité de discernement. Cette dernière l'avait signée et aucun motif ne permettait de remettre en cause la validité de sa signature. Aucune preuve n'établissait que l'AVC dont elle avait été victime aurait eu des répercussions sur sa santé mentale et sa capacité de se déterminer.

Feu Mme M______ pouvait disposer librement de la maison sise sur la parcelle n° 1'751, dès lors qu'elle y avait vécu depuis son mariage jusqu'à son déménagement en EMS le 1er janvier 2009, que celle-ci n'ait jamais été utilisée pour l'exploitation agricole, qu'elle avait manifesté le souhait de laisser le soin à ses trois enfants de s'entendre sur son attribution à l'un d'eux, sa location ou sa vente, que la rente perçue des époux B______ pour l'exploitation des vignes ne pût être un facteur l'affectant à l'exploitation agricole et que depuis le décès de feu M. N______, elle n'avait pas été habitée par un exploitant.
Mme A______ n'avait pas démontré avoir effectivement utilisé le jardin d'agrément sis sur la parcelle n° 4'643 dans le cadre de l'exploitation agricole. En toute hypothèse, le fait d'y avoir entreposé du matériel n'était pas un obstacle à son non-assujettissement. Les travaux effectués par les époux B______ pour les logements aménagés dans la maison sise sur la parcelle n° 1'757 étaient compensés par le fait qu'ils pouvaient les utiliser gratuitement en faveur de leurs employés et devaient être considérés comme ayant été amortis quarante ans plus tard.

Mme A______ n'avait produit aucun contrat de bail concernant lesdites parcelles. Il n'avait pas été démontré que les montants versés régulièrement par M. B______ à feu Mme M______ étaient dus en location des parcelles nos 1'751, 1'757 et 4'643, mais tout au plus qu'il lui reversait un pourcentage pour la mise en disposition des vignes. Feu M. N______ avait mis fin à leur association au début des années 1990. Dans son courrier du 15 octobre 2003, feu Mme M______ invitait son gendre à libérer la parcelle n° 1'757 afin de mettre en valeur la maison et ses dépendances pour couvrir ses propres frais d'entretien. La CFA pouvait valablement en tenir compte pour considérer que la parcelle n° 1'757 n'était pas une dépendance d'une exploitation agricole et que feu Mme M______ pouvait disposer librement de tous ses biens.

Le fait que la CFA ait constaté, dans une expertise rendue le 5 janvier 2009 qu'il existait une ferme sur la parcelle n° 1'751 et que la parcelle n° 1'757 devait être considérée comme une dépendance, ne l'empêchait pas de rendre ensuite une décision de non-assujettissement. La ferme et la dépendance étaient des lieux d'habitation dont l'assujettissement à la LDFR n'apparaissait pas obligatoire pour le maintien de l'exploitation des vignes. La reconnaissance par le TAPI que Mme A______ remplissait les conditions personnelles pour pouvoir prétendre à l'attribution d'une entreprise agricole n'avait pas d'incidence sur le point de savoir si les parcelles entraient ou non dans le champ d'application de la LDFR.

La CFA n'avait donc pas excédé ou abusé de son pouvoir d'appréciation en retenant que la requête qui lui avait été présentée ne comportait pas d'allégations mensongères ni d'informations inexactes.

22) Le 25 mars 2020, M. C______ est décédé. Sa succession est composée de sa veuve, Mme D______, ainsi que de ses enfants, MM. F______ et G______ et Mme E______, domiciliés respectivement en S______, au T______ et en U______.

23) Par arrêt du 16 décembre 2021 (2C_761/2020), le Tribunal fédéral a admis le recours des époux B______, annulé l'arrêt précité et renvoyé la cause à la chambre administrative pour nouvelle décision.

Il s'agissait de déterminer si la décision en constatation du 27 avril 2010 avait été obtenue en fournissant de fausses indications. Il était ainsi nécessaire de savoir précisément quelles informations avaient été données dans la demande de « soustraction », ce que l'arrêt attaqué n'indiquait pas. Il n'était donc pas possible d'examiner la cause à l'aune de l'art. 71 al. 1 LDFR.

Le raisonnement de la chambre administrative visant à examiner si les
biens-fonds litigieux tombaient ou non dans le champ d'application de la LDFR n'était pas clair. Aucun lien n'était fait entre les dispositions légales citées et la subsomption effectuée. Dans le cadre de celle-ci, le terme « exploitation » était systématiquement utilisé, alors que cette notion, au vu de la référence aux lois applicables, n'était pas pertinente in casu. Il en allait de même de la notion de dépendance. Il n'apparaissait pas en quoi l'absence de contrat de bail portant sur les parcelles litigieuses était pertinente pour juger de cette affaire et ne se rattachait pas à une disposition légale particulière. Les immeubles pris à ferme pouvaient entrer en considération pour déterminer si des immeubles et autres bâtiments et installations formaient une entreprise agricole. Il ne ressortait toutefois pas de l'arrêt attaqué que cette question avait été examinée et que l'existence d'un éventuel contrat de bail ait été relevée dans ce contexte.

En relation avec l'art. 71 LDFR, la chambre administrative avait uniquement examiné si feu Mme M______ était capable de discernement lorsqu'elle avait signé, le 1er avril 2010, la demande en constatation litigieuse. Elle n'avait toutefois pas analysé si les conditions pour une révocation de la décision querellée constatant que les parcelles en cause n'étaient pas assujetties à la LDFR étaient remplies.

Les faits et la motivation n'étant pas suffisants pour permettre un contrôle de la correcte application du droit. La chambre administrative devait rendre une décision en indiquant clairement sur quel état de fait elle se basait, quelles dispositions juridiques elle appliquait et quels motifs fondaient son raisonnement.

24) À la suite de cet arrêt, les trois parties ont maintenu leurs positions, en se référant à leurs précédents développements.

a. Les époux B______ ont sollicité, par souci d'économie de procédure, le renvoi de la cause à la CFA pour annulation de ses décisions des 27 avril 2010 et 20 février 2018.

b. Les consorts R______ ont relevé qu’en procédant conformément à la méthode préconisée par le Tribunal fédéral, il apparaissait que toutes les indications juridiquement pertinentes contenues dans la requête adressée à la CFA le 1er avril 2010 par Mme M______ étaient correctes. Le Tribunal fédéral paraissait admettre que la question de la capacité de discernement de feu Mme M______ avait été examinée à satisfaction de droit. Il n'y avait pas lieu d'ordonner un complément d'enquêtes, les parties ayant eu l'occasion de fournir tous les moyens de preuve et les faits pertinents ayant pu être établis.

25) Dans le délai imparti à cette fin, les parties ont remis une copie de toutes les pièces produites au cours de la procédure.

Les consorts R______ ont notamment remis une copie de l'acte de notoriété dressé le 26 novembre 2020 dans la succession de feu M. C______.

Pour leur part, les époux B______ ont sollicité la récusation de M. V______, juriste en charge de ce dossier auprès de la CFA, ainsi que la nullité de l'ensemble des actes ayant impliqué son intervention. Ce dernier avait agi directement contre leur conseil à plusieurs reprises, dont dans une procédure encore en cours.

26) Le 23 août 2022 a eu lieu une audience de comparution personnelle des parties.

a. Les époux B______ ont indiqué être encore exploitants du domaine agricole, viticole et d’élevage, en confirmant que leur fils, M. W______, ingénieur-agronome de formation, était intéressé à la reprise de l’exploitation. Concernant l’usage des parcelles, objet du constat de non-assujettissement, ils ont précisé que le jardin était utilisé comme potager et pour étendre le linge. Il abritait auparavant un poulailler. Les ouvriers agricoles installés dans le bâtiment sis en face en avaient également l’usage. En 1977, feu M. N______ les avait associés à la culture de la vigne, les autorisant alors à utiliser le bâtiment se trouvant en face de la maison d’habitation. Ce local, autrefois employé pour le dépôt de bois et emplacement de l’ancien pressoir, était délabré. Feu les époux L______ leur avaient alors demandé d’aménager ce bâtiment pour y loger les employés agricoles d’une façon décente. M. B______ avait fait lui-même les travaux, consistant à démonter l’ancien pressoir, creuser une fosse septique, installer une cuisine et deux chambres. Jusqu’à six personnes pouvaient être logées. Un ouvrier agricole, employé depuis vingt ans, y séjournait neuf mois par an, les autres étant engagés et hébergés pour des tâches saisonnières. Les employés étaient tous dédiés au domaine viticole, à l’exception de celui présent à l’année. Au souvenir de Mme A______, son père, qui ne voulait rien dépenser dans l’aménagement de ce bâtiment, l’avait fait estimer à CHF 11'000.- à l’époque. Cette utilisation dudit bâtiment s’était prolongée sans interruption jusqu’à nos jours et se prolongeait encore. Les vendanges avaient en effet été partiellement mécanisées. Suivant la météo, le travail devait être fait à la main. En contrepartie de la mise à disposition des vignes, la X______ versait à feu les époux L______ un pourcentage du produit de la vente de la récolte. Initialement, ce montant correspondait à 15 % de la récolte, puis à 10 % en raison de la détérioration de la situation et de la faillite de la X______. Le pourcentage de 10 % était encore versé à ce jour à l’hoirie, sur le compte bancaire de feu Mme M______. À partir du jour où feu M. N______ leur avait remis les vignes, il avait cessé de participer aux frais d’entretien. Le réaménagement du bâtiment leur avait coûté CHF 250'000.- sans prendre en considération la main d’œuvre bénévole. Les trois parcelles, objet du constat de non-assujettissement et les vignes appartenaient à feu Mme M______, à l’exception d’une parcelle de vignes, propriété de feu M. N______. Ce dernier l’avait léguée à Mme A______. Feu Mme M______ en avait gardé l’usufruit jusqu’à son décès. Ce legs était motivé par une volonté d’égalité de traitement avec les deux frères de Mme A______, auxquels leur père avait prêté de l’argent sans intérêt pour qu’ils puissent acheter leurs maisons respectives. La maison avait été occupée par feu Mme M______ jusqu’à son départ en EMS. Depuis, lorsque feu M. C______ venait en Suisse, il y résidait. Désormais, elle restait inoccupée. Jusqu’au décès de feu M. N______, les machines et les produits utilisés pour le domaine viticole étaient entreposés dans la grange. Ensuite, feu MM. K______ et C______ leur avaient successivement interdit d’entreposer le matériel de l’exploitation et aux ouvriers agricoles, d’étendre leur linge dans le jardin. Leurs cultures potagères avaient alors été arrachées. Ils avaient obéi à cette injonction. Le matériel de l’exploitation viticole était dorénavant entreposé au domaine des Arbères. Ils faisaient ainsi les trajets. L’ouvrier présent à l’année avait beaucoup contribué au maintien de feu Mme M______ à son domicile. La mésentente entre Mme A______ et ses frères s’était installée au décès de leur père. La liquidation de la succession de feu Mme M______ était litigieuse. Ils n’avaient pas participé à la requête de non-assujettissement du 1er avril 2010. Ils ignoraient tout de cette démarche qu’ils avaient découverte au décès de feu Mme M______. Pour Mme A______, son frère entendait pouvoir valoriser économiquement la maison. Feu Mme M______ avait eu un AVC en 2007. Mme A______ avait alors été informée que sa mère n’allait pas bien.

b. MM. Y______ et Z______, représentant la CFA, ont indiqué qu’ils n’en étaient pas membres en 2010 et n’avaient pas participé à l’examen de la requête de non-assujettissement. Ils ignoraient ainsi si une instruction avait été menée à l’époque. Ce n’était que depuis 2013 ou 2014 que la CFA rendait des ordonnances préparatoires portant sur l’exécution d’actes d’instruction et les mentionnait dans sa décision finale. Avant cette date, des actes d’instruction étaient effectués, mais aucun procès-verbal n’était tenu. La pratique de la CFA avait considérablement évolué en un peu plus d’une décennie, de sorte qu’il était impossible de transposer la pratique actuelle à des dossiers examinés en 2010. Elle comptait déjà des agriculteurs, le canton de Genève était petit et tous connaissaient les domaines des autres. Ainsi, certaines questions avaient déjà une réponse de la part des professionnels de l’agriculture. La décision ne faisait aucune référence aux actes d’instruction accomplis. Sur la base de la décision du 27 avril 2010, il ne pouvait être inféré si des actes d’instruction avaient été accomplis. La CFA se réunissait une fois par mois. En cas d’audition, celle-ci avait lieu devant la plénière, lors de cette réunion mensuelle. En examinant la décision querellée, il apparaissait que l’instruction avait duré deux ans, consistant en des échanges d’écritures et la production de pièces. Il n’y avait pas eu de comparution personnelle des parties, d’audition de témoins, ni de transport sur place. S’agissant de l’application de l’art. 71 al. 1 LFDR, la CFA traitait une question juridique et son pouvoir d’examen était limité à la révocation de la décision du 1er avril 2010. La CFA était saisie du constat du non-assujettissement à la LDFR de bâtiments situés en zone 4B protégée. La requérante était la propriétaire d’une entreprise agricole qu’elle avait partiellement affermée. Il s’agissait de savoir quel était l’usage qu’elle faisait de ces trois parcelles. Il n’appartenait pas à la CFA de tenir compte des expectatives successorales de certains ni de l’usage que ceux-ci voudraient faire de ces parcelles.

c. Pour leur part, les consorts R______, soit MM. I______ et H______, ainsi que Mme E______, ont déposé un dossier photographique des bâtiments et parcelles concernés. Ils donnaient leur accord pour que toutes les vignes reviennent à Mme A______. Le sort des parcelles concernées était également litigieux dans le cadre de la liquidation de la succession de feu Mme M______. Le dernier exploitant du domaine agricole à avoir habité la maison familiale était feu M. N______. La grange attenante à celle-ci n’était plus utilisée depuis 2010. Depuis le décès de feu M. N______, le potager était en friche et les ouvriers étendaient leur linge devant la porte de la grange. Ils n’avaient pas été témoins d’une interdiction qui aurait été faite aux recourants d’utiliser la grange. L’espace de la grange demeurait disponible mais la porte devait être remise en état. La maison familiale accueillait toutes les générations, notamment à l’occasion de repas familiaux. Ils n’avaient pas constaté de déficit cognitif chez feu Mme M______ avant et après son entrée à l’EMS.

27) Dans leurs observations après enquêtes transmises dans le délai imparti, les parties ont maintenu leurs positions, persisté dans leurs conclusions et précédents développements. Au surplus, elles ont apporté les précisions suivantes.

a. Les recourants ont relevé que la situation n’était pas cohérente. Soit feu Mme M______ ne se rappelait plus de ses dispositions testamentaires demeurées inchangées, ce qui impliquait qu’elle ne pouvait plus avoir conscience, le 1er avril 2010, de cette contradiction ; soit, elle ne se rendait plus compte de ce qu’elle disposait d’avoirs financiers suffisants, fortune excluant l’application des art. 58 ss LDFR par renvoi de l’art. 70 LDFR. Si les consorts R______ avaient agi de bonne foi, ils auraient pu commencer par le remboursement des prêts faits en faveur de feu MM. K______ et C______, ainsi que de M. B______. La CFA avait ordonné un non-assujettissement alors que la capacité nécessaire pour y procéder n’était pas réalisée. L’existence d’exploitants et de titulaires de droit selon l’art. 11 LDFR était occultée. En ne se déplaçant pas sur place et en se fondant sur un état de fait erroné, la CFA avait violé leur droit d’être entendu.

Ils modifiaient leurs conclusions initiales, en ce sens qu’ils demandaient le constat que les parcelles en cause étaient soumises à l’interdiction de partage selon l’art. 84 let. a LDFR, à ce que la CFA le constate, et le versement d’une indemnité équitable de CHF 50'000.-, correspondant au remboursement des honoraires d’avocat. Subsidiairement, ils sollicitaient une expertise graphologique de la signature apposée sur la requête du 1er avril 2010.

Ils ont notamment produit un courrier de la X______ du 28 septembre 2022, laquelle attestait que « 10 % de la vendange livrée par M. B______ à la X______ [était] payée sur le compte de l’hoirie de feu Mme M______. Cette rémunération [était] versée ainsi depuis plus de 10 ans ».

b. Selon les consorts R______, les déclarations des parties ne faisaient que conforter leur thèse. Aucun des renseignements fournis à la CFA dans la requête du 1er avril 2010 n’était mensonger. Aucune des trois parcelles ne faisait l’objet d’un bail à ferme en faveur des époux B______. Ceux-ci n’avaient jamais versé quelque fermage que ce soit, correspondant à la jouissance de ces parcelles. En 1977, date des travaux de transformation de la grange, aucune disposition légale ne prévoyait que le fermage pouvait consister en autre chose qu’en argent ou en une quote-part des fruits. L’art. 4 al. 2 de la loi fédérale sur le bail à ferme agricole du 4 octobre 1985 (LBFA - RS 221.213.2) ne permettait pas davantage aux parties de prévoir que le fermier s’acquittait du fermage par un paiement unique au début du contrat, ce qui empêcherait la procédure de contrôle du fermage et contredirait une entorse à des dispositions légales impératives. En application de l’art. 7 LDFR, les trois parcelles n’étaient pas comprises dans l’entreprise agricole de M. B______.

c. La CFA n’a pas formulé d’observations.

28) Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) La recevabilité du recours ayant déjà été admise, il n’y a pas lieu d’y revenir.

2) a. Le présent arrêt fait suite à celui du Tribunal fédéral 2C_761/2020 du 16 décembre 2021.

En application du principe de l’autorité de l’arrêt de renvoi du Tribunal fédéral, l’autorité cantonale à laquelle la cause est renvoyée par celui-ci est tenue de fonder sa nouvelle décision sur les considérants de droit de l’arrêt du Tribunal fédéral. Elle est ainsi liée par ce qui a déjà été définitivement tranché par le Tribunal fédéral et par les constatations de fait qui n’ont pas été attaquées devant lui ou l’ont été sans succès. La motivation de l’arrêt de renvoi détermine dans quelle mesure la cour cantonale est liée à la première décision, décision de renvoi qui fixe aussi bien le cadre du nouvel état de fait que celui de la nouvelle motivation juridique (arrêt du Tribunal 6B_904/2020 du 7 septembre 2020 consid. 1.1 et les références citées ; ATA/1179/2021 du 2 novembre 2021 consid. 2).

b. En l’espèce, à la suite de l’arrêt de renvoi du Tribunal fédéral, demeure litigieuse la question de savoir si les conditions pour une révocation de la décision du 27 avril 2010 constatant que les trois parcelles en cause n’étaient pas assujetties à la LDFR étaient remplies.

3) À titre liminaire, si la qualité pour recourir de la recourante a été reconnue et n’est plus contestée, les parties divergent quant à celle du recourant.

a. À teneur de l'art. 60 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b). Les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle. Ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/907/2020 du 22 septembre 2020 consid. 2b ; ATA/805/2020 du 25 août 2020 consid. 2b et les références citées).

b. L'intérêt digne de protection au sens de cette disposition consiste dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait à la partie recourante en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 138 III 537 consid. 1.2.2). Cet intérêt doit être direct et concret (ATF 143 II 506 consid. 5.1).

c. La LDFR a pour but notamment d’encourager la propriété foncière rurale et en particulier de maintenir des entreprises familiales comme fondement d’une population paysanne forte et d’une agriculture productive, orientée vers une exploitation durable du sol, ainsi que d’améliorer les structures (art. 1 al. 1 let. a LDFR ; Yves DONZALLAZ, Pratique et jurisprudence du droit foncier rural 1994-1998, n. 497 p. 192) ; de renforcer la position de l’exploitant à titre personnel, y compris celle du fermier, en cas d’acquisition d’entreprises et d’immeubles agricoles (let. b), et de lutter contre les prix surfaits des terrains agricoles (let. c).

Le but de politique agricole de la LDFR n’est pas simplement de maintenir le statu quo, mais de renforcer la position des exploitants à titre personnel et de privilégier l’attribution des immeubles à de tels exploitants lors de chaque transfert de propriété, c’est-à-dire de réellement promouvoir le principe de l’exploitation à titre personnel. La LDFR cherche, dans cette mesure, à exclure du marché foncier tous ceux qui visent à acquérir les entreprises et les immeubles agricoles principalement à titre de placement de capitaux ou dans un but de spéculation (ATF 145 II 328 consid. 3.3.1 et les références citées).

d. Est exploitant à titre personnel quiconque cultive lui-même les terres agricoles et, s’il s’agit d’une entreprise agricole, dirige personnellement celle-ci (art. 9 al. 1 LDFR).

Celui qui entend acquérir une entreprise ou un immeuble agricole doit obtenir une autorisation (art. 61 al. 1 LDFR). L’autorisation est accordée s’il n’existe aucun motif de refus (art. 61 al. 2 LDFR). Sont des acquisitions, le transfert de la propriété, ainsi que tout autre acte juridique équivalant économiquement à un transfert de la propriété (art. 61 al. 3 LDFR).

À teneur de l’art. 62 LDFR, n’a pas besoin d’être autorisée l’acquisition faite notamment par succession et par attribution de droit successoral (let. a) ou par un descendant, le conjoint, les père et mère ou des frères ou des sœurs de l’aliénateur ou l’un de leurs enfants (let. b).

e. Dans son arrêt ATA/1779/2019 du 10 décembre 2019, la chambre de céans a notamment retenu que, dans le cadre d’un recours contre une décision de révocation de la CFA, les conditions de légitimation de l'art. 83 al. 3 LDFR, qui, conformément à la doctrine citée, doivent trouver application à l'art. 88 LDFR, qui régit toutes les décisions, afin que la loi ne comprenne pas différentes légitimations à recourir, doivent également être appliquées à la procédure de révocation.  Ainsi, les parties qui sont directement touchées par une telle décision doivent pouvoir participer à celle-ci, tout comme elles ont un droit de recours à son encontre. Tel est le cas de l’ancienne propriétaire des parcelles en cause, laquelle était directement touchée par la révocation du droit d’aliéner (consid. 9).

f. En l’occurrence, dans sa décision du 20 février 2018, la CFA a dénié la qualité pour recourir du recourant. Les juridictions appelées à connaître de ce litige ultérieurement, à savoir la chambre de céans et le Tribunal fédéral, ont laissé cette question ouverte, vu l’issue du litige. Compte tenu des circonstances du cas d’espèce, il convient désormais de trancher cette question.

Il est admis que feu M. N______, exploitant agricole, s’était associé à son gendre, M. B______, époux de la recourante, en 1973, pour poursuivre l’exploitation des parcelles de vignes faisant partie du domaine agricole. Au début des années 1990, soit lorsque feu M. N______ était âgé d’environ 74 ans, ce dernier a cessé l’exploitation de son entreprise agricole, sept ans avant son décès, pour la remettre à M. B______.

Depuis lors, c’est donc M. B______, avec son épouse, fille de feu M. N______, qui a repris personnellement les activités de l’exploitation.

Ainsi, au vu des dispositions légales susrappelées, que ce soit à titre d’exploitant agricole ou de conjoint de la recourante, M. B______ dispose d’un intérêt personnel digne de protection quant à la reconnaissance de l’assujettissement ou non à la LDFR des trois parcelles en cause. Celui-ci conditionne en effet l’exercice de son activité d’exploitant agricole, que ce soit d’un point de vue pratique ou financier.

Par conséquent, le recourant dispose effectivement de la qualité pour recourir in casu.

4) Au terme de l’instruction par-devant la chambre de céans, les recourants ont modifié leurs conclusions.

a. L'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). L'acte de recours contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 1ère phr. LPA). La juridiction administrative applique le droit d'office et ne peut aller au-delà des conclusions des parties, sans pour autant être liée par les motifs invoqués (art. 69 al. 1 LPA).

b. L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/499/2021 du 11 mai 2021 consid. 2a). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/499/2021 du 11 mai 2021 consid. 2a).

c. En l'espèce, la décision litigieuse est un refus de révocation de la décision du 27 avril 2010. La conclusion des recourants concernant le constat que les parcelles en cause étaient soumises à l’interdiction de partage selon l’art. 84 let. a LDFR, a été formulée après l’échéance du délai de recours et est exorbitante au litige.

Elle sera par conséquent déclarée irrecevable.

5) Les recourants considèrent que la CFA a violé leur droit d’être entendus pour défaut d’instruction de la requête du 8 avril 2016. Dans leurs écritures antérieures à l’audience de comparution personnelle de parties du 23 août 2022, ils ont également demandé la récusation de M. V______, juriste de la CFA.

a. Le droit d'être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 41 LPA, comprend, en particulier, le droit pour la personne concernée de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos. En tant que droit de participation, le droit d'être entendu englobe donc tous les droits qui doivent être attribués à une partie pour qu'elle puisse faire valoir efficacement son point de vue dans une procédure (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2 et les références citées).

La réparation de la violation du droit d'être entendu en instance de recours n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure. Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception. Elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_556/2017 du 5 juin 2018 consid. 2.1 ; ATA/714/2018 du 10 juillet 2018). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/944/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4c ; ATA/711/2020 du 4 août 2020 consid. 4b).

Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet,
celle-ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 61 LPA).
Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2), sous réserve que ledit vice ne revête pas un caractère de gravité trop important (arrêts du Tribunal fédéral 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5 ; ATA/791/2020 du 25 août 2020 consid. 6c et les références citées).

b. Découlant de l'art. 29 Cst., la garantie d'impartialité d'une autorité administrative ne se confond pas avec celle d'un tribunal (art. 30 Cst.) dans la mesure où la première n'impose pas l'indépendance et l'impartialité comme maxime d'organisation d'autorités gouvernementales, administratives ou de gestion (ATF 125 I 209 consid. 8a ; 125 I 119 ; ATA/52/2011 précité consid. 6 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 2011, p. 242 ch. 2.2.5.2). Il y a toutefois équivalence de motifs de récusation entre instances administratives et judiciaires lorsqu'existe un motif de prévention, supposé ou avéré, qui commande d'écarter une personne déterminée de la procédure en raison de sa partialité (arrêt du Tribunal fédéral 1C_389/2009 du 19 janvier 2010 ; ATA/217/2017 du 21 février 2017 consid. 3b ; ATA/179/2014 du 25 mars 2014 consid. 4 et les références citées).

L'obligation d'impartialité de l'autorité découlant de l'art. 29 al. 1 Cst. permet, indépendamment du droit cantonal, d'exiger la récusation des membres d'une autorité administrative dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur leur impartialité. Cette protection tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire ne puissent influencer une décision en faveur ou au détriment de la personne concernée. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du membre de l'autorité est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Cependant, seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération ; les impressions purement individuelles des personnes impliquées ne sont pas décisives (arrêt du Tribunal fédéral 1C_389/2009 précité ; ATF 142 III 521 consid. 3.1.1 ; 131 I 24 consid. 1.1 ; 127 I 196 consid. 2b ; 125 I 209 consid. 8a ; 125 I 119 consid. 3b).

c. En l’espèce, les parties ont été entendues lors de l’audience du 23 août 2022. À cette occasion comme à d’autres au cours de la présente procédure, diverses pièces, dont notamment plusieurs photographies et plans des parcelles en cause, ont été produites. Les parties ont également largement pu faire valoir leur position respective par écrit. La chambre de céans dispose ainsi d’un dossier complet lui permettant de trancher le présent litige.

S’il est vrai que l’absence de tenue de procès-verbaux par la CFA à l’époque de l’instruction de la requête du 1er avril 2010 n’a pas permis d’établir si celle-ci avait été suffisante, il apparaît néanmoins que celle de la requête du 8 avril 2016 a duré près de deux ans. Durant ce laps de temps, les ordonnances préparatoires rendues par la CFA et les échanges d’écritures en ayant résulté indiquent qu’une instruction a alors eu lieu.

Ainsi, le droit d’être entendu des recourants semble avoir été respecté. En toute hypothèse, il conviendrait de considérer qu’une éventuelle violation de
celui-ci a été réparée par-devant la chambre de céans.

Quant à la remise en cause de la partialité d’un des membres de la CFA, force est de constater que la demande de récusation n’a été formulée que peu avant l’audience de comparution personnelle des parties du 23 août 2022, soit relativement tardivement. Il n’est pas établi que cette intervention aurait eu lieu lors de l’instruction de la requête du 8 avril 2016, alors que M. V______ est entré en fonction au sein de la CFA dès le 23 novembre 2018, soit postérieurement à la décision querellée du 20 février 2018 (cf. CFA, rapport d’activité législature
2018-2023, 1ère année, disponible sur le lien suivant : https://www.ge.ch/ document/rapports-activite-cof-commission-fonciere-agricole). Quoi qu’il en soit, lors de l’audition des parties, la CFA a été représentée par deux autres de ses membres, sans que M. V______ soit intervenu depuis cette date dans ce litige. En outre, selon les motifs invoqués, il ne semble pas que M. V______ soit intervenu à titre personnel à l’encontre du conseil des recourants, mais bien en qualité de mandataire d’une partie adverse.

Le grief de violation du droit d’être entendu des recourants sera dès lors écarté. Il en va de même de la demande de récusation.

6) Sur le fond, les parties divergent quant à la question de savoir si les conditions d’une révocation de la décision du 27 avril 2010 sont remplies.

a. Selon l’art. 71 LDFR, l’autorité compétente en matière d’autorisation révoque sa décision lorsque l’acquéreur l’a obtenue en fournissant de fausses indications (al. 1). La décision n’est plus révocable lorsque dix ans se sont écoulés depuis l’inscription de l’acte juridique au registre foncier (al. 2).

La révocation est soumise à deux conditions cumulatives. 

La première est une condition objective : l'acquéreur doit avoir donné de fausses indications sur des faits juridiquement déterminants pour l'octroi de l'autorisation. Ces fausses indications doivent avoir été causales, en ce sens que l'autorisation aurait dû être refusée si l'autorité compétente avait connu la situation objectivement exacte. 

La seconde condition est subjective : l'autorisation doit avoir été « captée » (« erschlichen »). Il y a captation lorsque l'intéressé connaît ou doit connaître l'inexactitude de ses indications et qu'il les fait dans le dessein d'obtenir une autorisation qui lui serait sinon refusée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_783/2021 du 7 septembre 2022 consid. 6.2.3 ; 2C_761/2021 du 16 décembre 2021 consid. 4.2.2 et les références citées). 

L’art. 71 LDFR s'applique également à la révocation de décisions en constatation. Lorsqu'elle statue, l'autorité compétente doit procéder à la pesée des intérêts entre l'intérêt à une application correcte du droit objectif à l'intérêt à la sécurité du droit juridique, respectivement à la protection de la confiance. Elle doit également tenir compte du principe de proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 2C_761/2020 du 16 décembre 2021 consid. 4.2.2). 

b. La LDFR s’applique en particulier aux immeubles et parties d’immeubles comprenant des bâtiments et installations agricoles, y compris une aire environnante appropriée, qui sont situés dans une zone à bâtir et font partie d’une entreprise agricole (art. 2 al. 2 let. a LDFR).

Par entreprise agricole, on entend une unité composée d’immeubles, de bâtiments et d’installations agricoles qui sert de base à la production agricole et qui exige, dans les conditions d’exploitation usuelles dans le pays, au moins une unité de main-d’œuvre standard. Le Conseil fédéral fixe, conformément au droit agraire, les facteurs et les valeurs servant au calcul de l’unité de main-d’œuvre standard (art 7 al. 1 LDFR).

L'entreprise agricole ou, dans l'ancien droit successoral paysan, l'exploitation agricole, ne dépend pas de l'activité exercée par le propriétaire. Le Tribunal fédéral a ainsi pu mettre en évidence, en 1963 (ATF 89 II 18), que la qualité d'exploitation agricole, au sens de l'ancien art. 620 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), ne dépend pas de la profession exercée par le de cujus. Le terme d'exploitation figurant dans la loi vise non l'activité professionnelle mais la condition matérielle de son exercice, c'est-à-dire l'entreprise au sens objectif, comprenant l'ensemble des installations. Cet avis était également partagé par la doctrine.

Une entreprise agricole comprend normalement une maison d'habitation, qui en constitue une partie intégrante. Même si elle est située en zone à bâtir, il s'agit, conformément à l'art. 2 al. 2 let. a LDFR, d'un immeuble agricole en tant que partie intégrante d'une entreprise (Eduard HOFER, in Christoph BANDLI et al., Le droit foncier rural, Commentaire de la LDFR, 1998, n. 25 s. ad art. 7 LDFR ; ATA/1061/2020 du 27 octobre 2020 consid. 5a).

c. Aux termes de l’art. 11 LDFR, s’il existe dans une succession une entreprise agricole, tout héritier peut en demander l’attribution dans le partage successoral lorsqu’il entend l’exploiter lui-même et en paraît capable (al. 1). Si aucun héritier ne demande l’attribution de l’entreprise agricole pour l’exploiter lui-même ou si celui qui la demande ne paraît pas capable de l’exploiter, tout héritier réservataire peut en demander l’attribution (al. 2). Si l’entreprise agricole est attribuée à un héritier autre que le conjoint survivant, celui-ci peut demander, en l’imputant sur ses droits, la constitution d’un usufruit sur un appartement ou d’un droit d’habitation, si les circonstances le permettent. Les conjoints peuvent, par contrat conclu en la forme authentique, modifier ce droit ou l’exclure (al. 3).

d. Les actes juridiques qui contreviennent aux interdictions de partage matériel, de morcellement des immeubles (art. 58 LDFR) ou aux dispositions en matière d’acquisition des entreprises et des immeubles agricoles (art. 61 à 69 LDFR) ou qui visent à les éluder sont nuls (art. 70 LDFR).

 Aucun immeuble ou partie d’immeuble ne peut être soustrait à une entreprise agricole (interdiction de partage matériel ; art. 58 al. 1 LDFR).

L’autorité cantonale compétente autorise des exceptions aux interdictions de partage matériel et de morcellement quand la capacité financière de la famille paysanne est fortement compromise et qu’une menace d’exécution forcée peut être détournée par l’aliénation d’immeubles ou de parties d’immeubles (art. 60 al. 1 let. g LDFR). L’autorité permet en outre une exception à l’interdiction de partage matériel si les conditions suivantes sont remplies : le partage matériel sert principalement à améliorer les structures d’autres entreprises agricoles (let. a) ; aucun parent titulaire d’un droit de préemption ou d’un droit à l’attribution n’entend reprendre l’entreprise agricole pour l’exploiter à titre personnel et aucune autre personne qui pourrait demander l’attribution dans le partage successoral (art. 11 al. 2 LDFR) ne veut reprendre l’ensemble de l’entreprise pour l’affermer (let. b) ; le conjoint qui a exploité l’entreprise avec le propriétaire approuve le partage matériel (let. c ; art. 60 al. 2 LDFR).

e. En l’espèce, les recourants font valoir qu’il y a eu « captation » du constat de non-assujettissement des parcelles nos 1'751, 1'757 et 4'643, tandis que les intimés considèrent le contraire.

e.a. En premier lieu, il convient d’examiner si la requête du 1er avril 2010 comportait des indications inexactes.

Selon celle-ci, aucun bail à ferme ne portait sur les parcelles en question, lesquelles n’étaient pas « appropriées à l’agriculture ». Il ne s’agissait pas davantage de « dépendance d’exploitation agricole » et la maison d’habitation était disponible depuis le 1er janvier 2009, date d’entrée à l’EMS de feu Mme M______. Dite demande était motivée par le besoin de « faire face aux frais de séjour à l’EMS Q______ les propriétés décrites doivent pouvoir être vendues ».

D’emblée, il apparaît que ladite requête ne fait aucune mention du fait que les recourants ont poursuivi l’exploitation des parcelles de vignes, en utilisant le bâtiment sis sur la parcelle n° 1'757, rénové par eux-mêmes, pour loger les employés viticoles. Cet usage, autorisé par feu M. N______ pour permettre la poursuite des activités agricoles par les recourants, se perpétue encore de nos jours, en dépit du courrier du 15 octobre 2003 de feu Mme M______ à son gendre. Ledit immeuble avait donc bien conservé une destination agricole.

Concernant la maison d’habitation, les parties ont rappelé, lors de l’audience du 23 août 2022, que celle-ci était également nommée « maison du vigneron », en référence au fait qu’elle visait à loger le vigneron en charge du domaine. Certes, feu Mme M______ n’était plus elle-même exploitante agricole en raison de son âge. Tel que rappelé précédemment, cela n’implique pas que la maison d’habitation comprise autrefois dans l’entreprise agricole de feu M. N______, ultérieurement reprise par les recourants, avait perdu cette fonction. Le seul fait que la de cujus en bénéficiait comme logement sans l’utiliser selon sa condition matérielle n’est pas suffisant pour estimer qu’il ne s’agirait pas non plus d’un immeuble agricole.

Quant au motif invoqué pour justifier cette demande, soit la recherche de moyens financiers pour assumer les frais de séjour en EMS de feu Mme M______, aucun document n’a été produit ou même requis pour en attester. Il s’agit pourtant d’un élément susceptible d’être invoqué, à titre exceptionnel, pour justifier une exception à l’interdiction du partage matériel.

En lien avec ce dernier point, la requête du 1er avril 2010 ne fait aucune mention de la poursuite des activités agricoles par les recourants, ni même de leur condition d’exploitants agricoles. À cet égard, le fait que le TPI ait retenu, dans son jugement du 29 juin 2018, que la recourante remplissait effectivement les conditions de l’art. 11 LDFR en vue de l’attribution des parcelles à la valeur de rendement, suffit à considérer que celles-ci ont intrinsèquement une vocation agricole. Les représentants de la CFA ont d’ailleurs eux-même indiqué en audience que feu Mme M______ était propriétaire d’une entreprise agricole qu’elle avait partiellement affermée.

Finalement, force est de constater qu’entre le 1er avril 2010, date du dépôt de la requête, et le 27 avril 2010, date de la décision de la CFA, cette dernière n’a aucunement instruit ce dossier. En effet, selon les propos de ses représentants, une séance plénière avait lieu chaque mois, au cours de laquelle les décisions étaient prises et les auditions avaient lieu. Manifestement, la décision a in casu été prise lors de la première séance plénière suivante sans qu’aucun acte n’ait été effectué.

Il résulte de ce qui précède que la première condition objective de la révocation est remplie. Les mentions contenues dans la requête du 1er avril 2010 étaient lacunaires et erronées.

e.b. En second lieu, il s’agit de déterminer si le constat de non-assujettissement a été « capté », c’est-à-dire si feu Mme M______ connaissait ou devait connaître l’inexactitude des indications contenues dans la requête du 1er avril 2010 et les aurait mentionnées dans le dessein d’obtenir le constat de non-assujettissement des parcelles concernées à la LDFR.

Au cours de cette procédure, les parties se sont accordées sur le fait que la requête du 1er avril 2010, déposée quelques mois après l’entrée en EMS de feu Mme M______ et quelques mois avant son décès, avait été remplie par feu M. C______. Ainsi, si la de cujus a vraisemblablement signé ladite requête, ce n’est à l’évidence pas elle qui y a inscrit les différentes mentions, mais bien son fils. Ce dernier n’était toutefois pas sans savoir que sa sœur et son époux avaient poursuivi les activités agricoles de feu M. N______, ni que certains des bâtiments étaient utilisés pour loger le personnel viticole et les machines et outils agricoles. À l’évidence, effectuer des trajets en tracteur et transporter du matériel depuis Meyrin pour cultiver des vignes à P______ complique la tâche.

Il ressort d’ailleurs du courrier précité du 15 octobre 2003 que la motivation de la de cujus ne ressort pas de sa propre volonté mais de celle de ses deux fils, feu MM. C______ et K______. Cette approche est corroborée par le fait que, dans son testament olographe du 12 février 1999, feu Mme M______ avait rappelé qu’« une entreprise agricole était en jeu », ce qui justifiait des concessions de la part des cohéritiers, de sorte que des souhaits personnels ne pouvaient contourner les dispositions légales applicables, soit celles résultant de la LDFR. Feu Mme M______ avait notamment indiqué que les recourants devraient pouvoir continuer à loger le personnel agricole dans la grange.

En ces circonstances, feu MM. C______ et K______ ne pouvaient ignorer que l’existence d’une entreprise agricole et la poursuite des activités de cette dernière par les recourants auraient une incidence sur l’attribution des parcelles concernées, en particulier la détermination de leur valeur (de rendement), et l’usage des bâtiments érigés sur celles-ci.

Par conséquent, en complétant de manière incomplète et inexacte la requête du 1er avril 2010, feu M. C______ a consciemment soumis à sa mère puis à la CFA un document ne reflétant pas la réalité afin d’obtenir un constat de
non-assujettissement des parcelles visées. La conjonction des éléments versés au dossier démontre ainsi que c’est sous l’influence de son fils que feu Mme M______ a entrepris ces démarches, alors que l’insuffisance de ses ressources financières pour assumer la prise en charge de ses frais de séjour en EMS n’était pas établie.

Le recours sera dès lors admis et les décisions de la CFA des 1er avril 2010 et 20 février 2018 annulées.

7) Finalement, les recourants ont conclu à l’allocation d’une indemnité de procédure, qu’ils ont chiffrée à CHF 50'000.-.

a. La juridiction saisie dispose d'un large pouvoir d'appréciation également quant à la quotité de l'indemnité allouée et, de jurisprudence constante, celle-ci ne constitue qu'une participation aux honoraires d'avocat (ATA/334/2018 du 10 avril 2018 ; ATA/1484/2017 du 14 novembre 2017), ce qui résulte aussi, implicitement, de l'art. 6 RFPA dès lors que ce dernier plafonne l'indemnité à CHF 10'000.- (ATA/1185/2018 du 6 novembre 2018 consid. 2b ; ATA/378/2015 du 21 avril 2015 consid. 2).

La fixation des dépens implique une appréciation consciencieuse des critères qui découlent de l'esprit et du but de la réglementation légale (ATF 107 Ia 202 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_435/2015 du 17 septembre 2015 consid. 3 ; 1P.63/2005 du 22 mars 2005 consid. 3). Elle s'effectue en fonction des circonstances particulières de chaque cas d'espèce, tenant compte notamment de la nature et de l'importance de la cause, du temps utile que l'avocat lui a consacré, de la qualité de son travail, du nombre d'audiences auxquelles il a pris part, des opérations effectuées et du résultat obtenu (ATF 122 I 1 consid. 3a ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_35/2016 du 21 avril 2017 consid. 6.2 ; 2C_825/2016 du 6 février 2017 consid. 3.1).

b. In casu, les recourants obtiennent gain de cause.

Ils demandent le remboursement de leurs honoraires d’avocat qu’ils chiffrent à CHF 50'000.- dans le cadre de cette procédure. D’une part, aucune preuve de ce montant n’est apportée. D’autre part, une telle demande méconnaît les principes susrappelés en la matière, à savoir que l’octroi d’une indemnité équitable ne vise pas au remboursement effectif de la totalité de frais d’avocat.

Compte tenu des circonstances du cas d’espèce et du large pouvoir d’appréciation de la chambre de céans en la matière, le montant de l’indemnité de procédure accordée aux recourants sera fixée à CHF 3'000.-.

8) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge solidaire des intimés qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 3'000.-, à la charge solidaire des intimés, sera allouée aux recourants, qui l’ont sollicitée et sont représentés par un conseil (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 avril 2018 par Mme A______ et M. B______ contre la décision de la commission foncière agricole du 20 février 2018 ;

au fond :

l’admet ;

annule les décisions de la commission foncière agricole des 1er avril 2010 [rectification erreur matérielle] et 20 février 2018 ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge solidaire de Mmes D______ et E______, MM. F______ et G______, ainsi que MM. H______ et I______ ;

alloue à Mme A______ et M. B______ une indemnité de procédure de CHF 3'000.- à la charge solidaire de Mmes D______ et E______, MM. F______ et G______, ainsi que MM. H______ et I______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Stéphane PILETTA-ZANIN, avocat des recourants, à Me Claude BRETTON-CHEVALLIER, avocate des intimés, à la commission foncière agricole, à l'office fédéral de la justice, ainsi qu’à l’office fédéral de l’agriculture (OFAG).

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Payot
Zen-Ruffinen et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :