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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/245/2014

ATA/179/2014 du 25.03.2014 ( FPUBL ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/245/2014-FPUBL ATA/179/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 mars 2014

 

dans la cause

 

Madame X______
représentée par Me Robert Assaël, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT



EN FAIT

1) Madame X______ est directrice adjointe du service C______ (ci-après : C______) depuis le 1er octobre 2003, directrice depuis le 1er décembre 2008.

2) Le 12 septembre 2013, lors d'une sortie de Monsieur B______ organisée par une unité de détention spécialisée, la sociothérapeute qui l'accompagnait a été tuée.

3) A la suite de ces faits, une enquête administrative a été ouverte par le Conseil d'Etat et confiée à Monsieur Bernard Ziegler.

4) Le premier rapport d'enquête administrative de M. Ziegler établi le 8 octobre 2013 à l'intention du Conseil d'Etat et relatif à la question du caractère adéquat de la prise en charge de M. B______ au sein de l'unité, ainsi que de son autorisation de sortir le 12 septembre 2013 en compagnie de la sociothérapeute, fait notamment état de ce qui suit : d'une part, le C______ a, le 5 juillet 2013, pris la décision d'autoriser le programme de sorties accompagnées de M. B______ sur la base de la proposition de l’unité et du rapport sur l'évolution clinique du détenu établi par le médecin-traitant, sans que ceux-ci permettent audit service de se prononcer d'une façon catégorique sur le caractère dangereux du détenu pour la collectivité (art. 75a al. 1 let. b du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) ; d'autre part, compte tenu du risque de récidive de M. B______ relevé par les expertises psychiatriques de 2002 et 2011, le C______ aurait dû ordonner la mise en œuvre d'une expertise complémentaire par un expert indépendant – comme il avait d'ailleurs prévu de le faire –, puis soumettre le dossier au chef du département de la sécurité, devenu le département de la sécurité et de l'économie (ci-après : DSE), à qui il incombait de saisir la commission d'évaluation de la dangerosité genevoise et qui devait accorder ou refuser l'autorisation de sortie (art. 62d al. 2 CP et 5 al. 1 let. d et 5 de la loi d’application du code pénal suisse et d’autres lois fédérales en matière pénale du 27 août 2009 - LaCP - E 4 10).

Ledit rapport (notamment p. 25 s. et 33 ss), de même que le rapport final, établi le 31 janvier 2014 par M. Ziegler et accessible sur le site internet de l'Etat de Genève, émettent par ailleurs des remarques et critiques relativement aux structures et aux fonctionnements en matière d'exécution de peine en vigueur dans le canton de Genève à tout le moins jusqu'au décès de la sociothérapeute, ainsi que des recommandations.

5) Mme X______, en arrêt-maladie du 9 octobre au 8 décembre 2013, n'a pas pu se rendre à l'entretien de service agendé au 28 octobre 2013 en rapport à ses éventuelles responsabilités dans le cadre de cette affaire. Par lettre de son conseil du 29 novembre 2013, elle a contesté les reproches qui lui étaient faits dans la note écrite de l'entretien de service qui s'était tenu le 28 octobre 2013 en son absence, et a considéré qu'il n'y avait pas matière à enquête administrative et encore moins à suspension provisoire, comme cela était envisagé dans ladite note.

6) Par arrêté du 18 décembre 2013, le Conseil d'Etat a décidé d'ouvrir une enquête administrative à l'encontre de Mme X______, portant sur les faits mentionnés dans les considérants ainsi que sur tous autres faits répréhensibles qui pourraient encore apparaître ou être révélés par l'enquête. Il considérait en effet que s'ils se vérifiaient, les faits reprochés à celle-ci pourraient justifier une révocation, voire toute autre sanction disciplinaire, au sens de l'art. 16 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05). Cette décision n'entraînait pas la suspension provisoire, laquelle demeurait toutefois réservée. La conduite de l'enquête était confiée à Monsieur Y______, vice-président de la Cour de justice en charge de la cour pénale.

7) Par lettre de son avocat, reçue le 23 décembre 2013 par le Conseil d'Etat, Mme X______ a sollicité la récusation de M. Y______, le choix de le nommer enquêteur administratif étant inadéquat pour les motifs suivants : premièrement, il présidait la chambre pénale de recours de la Cour de justice (ci-après : la chambre pénale de recours), autorité de recours du C______ (art. 42 LaCP), dont elle-même était la directrice ; deuxièmement, M. Y______ interviendrait sur le plan administratif, alors qu'il appartenait à une autorité pénale et qu'une procédure pénale était engagée à la suite du décès de la sociothérapeute ; troisièmement, le susnommé avait été chef de la police et par là rattaché au département dont le chef aurait dû être consulté par le C______.

8) Par arrêté du 15 janvier 2014 notifié le lendemain, exécutoire nonobstant recours, le Conseil d'Etat a rejeté cette demande de récusation. En effet, Mme X______ ne se fondait sur aucun élément concret permettant de mettre en doute l'objectivité de M. Y______. Il ne ressortait pas du dossier qu'une procédure pénale était en cours à l'encontre de celle-là ; si une telle procédure devait exister, la question de la récusation de M. Y______ devrait être tranchée, en temps utile, par les autorités pénales. Le choix du Conseil d'Etat s'était porté sur M. Y______ précisément parce que celui-ci disposait d'excellentes connaissances en matière de droit pénal, ainsi que dans le fonctionnement de l'administration cantonale genevoise.

9) Par acte expédié le 27 janvier 2014, Mme X______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cet arrêté, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif, au fond à son annulation, au prononcé de la récusation de M. Y______ sur la base d'une apparence de prévention au sens de l'art. 15 al. 1 let. d de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) fondée sur les trois griefs évoqués plus haut, développés de manière plus approfondie, ainsi qu'à l'allocation d'une indemnité équitable pour les frais indispensables au recours.

10) Par décision du 10 février 2014, le président de la chambre administrative a admis une requête de mesures provisionnelles urgentes formée le même jour par Mme X______ et fait interdiction à M. Y______, enquêteur administratif, de procéder à tout acte d'instruction jusqu'à droit jugé sur effet suspensif.

11) Dans sa réponse du 10 février 2014, le Conseil d'Etat a conclu préalablement à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet de la requête de restitution de l'effet suspensif, au fond, au rejet du recours de Mme X______, cette dernière devant être condamnée aux frais de la cause.

12) Par décision du 24 février 2014, le président de la chambre administrative a restitué l’effet suspensif au recours en ce sens qu'il était fait interdiction à M. Y______ de procéder à tout acte d'instruction jusqu'à droit jugé au fond sur la demande de récusation le visant, le sort des frais de la procédure étant réservé jusqu’à droit jugé au fond.

13) Dans sa détermination du 14 février 2014, M. Y______ a indiqué ce qui suit : d'une part, dans ses activités juridictionnelles, il n'avait jamais eu à « évaluer » Mme X______ ; s'il était exact que sa juridiction avait notamment pour tâche de contrôler certaines décisions rendues par le C______ – et non par la recourante –, il ne voyait pas quelle apparence de prévention il créerait, en sa personne, pour les faits qui étaient visés par l'ouverture de l'enquête administrative et qui, sous aucun aspect, n'avaient déjà été ou seraient actuellement soumis à la chambre pénale de recours ; d'autre part, le recours lui semblait davantage mettre en doute l'adéquation de son parcours professionnel avec les compétences attendues en l'espèce d'un enquêteur, ce qui ne devait pas être confondu avec une cause de récusation ; cet élément d'appréciation ou d'opportunité relevait de l'autorité de désignation.

14) Dans ses observations du 27 février 2014, Mme X______ a maintenu ses conclusions et griefs.

15) Après quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Les décisions portant sur la compétence et la récusation qui sont notifiées séparément présentent un caractère préjudiciel et peuvent faire l’objet d’un recours nécessitant d’être tranché immédiatement, c’est-à-dire avant ou parallèlement au jugement portant sur le fond de l’affaire (art. 57 let. c LPA ; ATA/52/2011 du 1er février 2011 consid. 3 ; ATA/306/2009 du 23 juin 2009 consid. 1).

Interjeté devant la juridiction compétente et en temps utile, selon les formes prévues par la loi, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 17 al. 3, 62 al. 1 let. b et 65 LPA).

2) Aux termes de l'art. 61 LPA, le recours peut être formé : a) pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation ; b) pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1) ; les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

La chambre de céans ne se prononcera donc pas sur la question de savoir si la mise en œuvre de l'enquête administrative par M. Y______ est opportune ou non compte tenu des circonstances, mais seulement s'il existe un motif de récusation à son encontre.

3) En vertu de l'art. 15 al. 1 let. d LPA, les membres des autorités administratives appelés à rendre ou à préparer une décision doivent se récuser s’il existe des circonstances de nature à faire suspecter leur partialité.

A teneur de l'al. 3 de cette disposition légale, la demande de récusation doit être présentée sans délai à l’autorité, condition en l'occurrence manifestement réalisée puisque la demande de récusation n'a suivi que de quelques jours la désignation de M. Y______ comme enquêteur administratif.

4) Découlant de l’art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la garantie d’impartialité d’une autorité administrative ne se confond pas avec celle d’un tribunal (art. 30 Cst.) dans la mesure où la première n’impose pas l’indépendance et l’impartialité comme maxime d’organisation d’autorités gouvernementales, administratives ou de gestion (ATF 125 I 209 consid. 8a ; 125 I 119 ; ATA/52/2011 précité consid. 6 ; P. MOOR / E. POLTIER, Droit administratif, volume II, 2011, p. 242 ch. 2.2.5.2). Il y a toutefois équivalence de motifs de récusation entre instances administratives et judiciaires lorsqu'existe un motif de prévention, supposé ou avéré, qui commande d’écarter une personne déterminée de la procédure en raison de sa partialité (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_389/2009 du 19 janvier 2010 ; ATA/52/2011 précité consid. 6 ; ATA/306/2009 précité consid. 3 ; ATA/174/2009 du 7 avril 2009 consid. 8 ; ATA/421/2008 du 6 août 2008 consid. 6).

L’obligation d’impartialité de l’autorité découlant de l'art. 29 al. 1 Cst. permet - indépendamment du droit cantonal - d'exiger la récusation des membres d'une autorité administrative dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur leur impartialité. Cette protection tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire ne puissent influencer une décision en faveur ou au détriment de la personne concernée. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du membre de l'autorité est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Cependant, seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération ; les impressions purement individuelles des personnes impliquées ne sont pas décisives (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_389/2009 précité ; ATF 131 I 24 consid. 1.1 ; 127 I 196 consid. 2b ; 125 I 209 précité consid. 8a ; 125 I 119 précité consid. 3b).

Les soupçons de prévention peuvent être fondés sur un comportement ou sur des éléments extérieurs, de nature fonctionnelle ou organisationnelle (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_171/2007 du 19 octobre 2007 consid. 5.1 ; F. AUBRY GIRARDIN, in Commentaire de la LTF, 2009, n. 33 ad art. 34 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110).

5) Les art. 15 et 15A LPA sont calqués sur les art. 47 ss du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272) (ATA/58/2014 du 4 février 2014 consid. 7 ; ATA/578/2013 du 3 septembre 2013 consid. 7c, avec référence au MGC 2008-2009/VIII A 10995), ces derniers, tout comme les art. 56 ss du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), avec lesquels ils sont harmonisés, étant calqués, à l'exception de quelques points mineurs, sur les art. 34 ss LTF, si bien que la doctrine, et la jurisprudence rendue à leur sujet, valent en principe de manière analogique (Arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011 consid. 2.2 ; Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, FF 2006 6841 ss, spéc. 6887 ad art. 45 [devenu l'art. 47 CPC] ; Message du Conseil fédéral sur l'unification de la procédure pénale, FF 2005 1125 s.).

6) A teneur de l'art. 34 al. 1 let. b LTF, applicable par analogie, les juges et les greffiers du Tribunal fédéral se récusent s'ils ont agi dans la même cause à un autre titre, notamment comme membre d'une autorité, comme conseil d'une partie, comme expert ou comme témoin.

Ce motif de récusation a été repris à l'art. 56 let. b CPP concernant toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale.

Par « même cause », il faut comprendre la procédure ayant donné lieu au litige qui est pendant devant le Tribunal fédéral (F. AUBRY GIRARDIN, op. cit., n. 17 ad art. 34 LTF). A contrario, le fait d'avoir connu d'une autre cause concernant la même partie n'entraîne normalement pas la récusation de la personne concernée, sous réserve d'autres dispositions légales (J.-M. VERNIORY, in Commentaire romand, Code de procédure pénale, 2011, n. 17 ad art. 56 CPP). « A un autre titre » signifie que le juge ou le greffier ne doit pas être intervenu en tant que tel, dans sa fonction auprès du Tribunal fédéral, mais dans le cadre d'une autre fonction. Il faut en outre qu'il ait « agi », c'est-à-dire qu'il soit intervenu de manière à exercer une influence sur le sort de la procédure (F. AUBRY GIRARDIN, op. cit., n. 18 ss ad art. 34 LTF).

7) Le fait qu'un magistrat ait connu précédemment du litige peut éveiller un soupçon de partialité (ATF 131 I 24 précité consid. 1.2 ; 126 I 168 consid. 2a). Le cumul des fonctions n'est pas admissible si le magistrat, lors de ses précédentes interventions, a déjà pris position au sujet de certaines questions de manière telle qu'il ne semble plus à l'avenir exempt de préjugés et que, par conséquent, le sort du procès n'apparaît plus indécis. Pour en juger, il faut tenir compte des faits, des particularités procédurales ainsi que des questions concrètes soulevées au cours des différentes procédures (ATF 126 I 168 précité consid. 2a ; 120 Ia 82 consid. 6 ; 119 Ia 221 consid. 3 et les arrêts cités ; Arrêt du Tribunal fédéral 1B_193/2010 du 29 juillet 2010 consid. 3.1). A elle seule, la déclaration du magistrat se reconnaissant lui-même prévenu ne suffit pas pour admettre un cas de récusation ; une telle déclaration doit être interprétée en fonction des circonstances concrètes (ATF 116 Ia 28 consid. 2c ; Arrêt du Tribunal fédéral 1B_193/2010 précité consid. 3.1). Le fait qu'un juge, appelé à statuer sur un litige auquel l'ancienne commission fédérale des banques était partie, ait, autrefois, alors qu'il était avocat, émis des critiques à l'encontre de celle-ci, ne suffit pas à conduire à sa récusation, à moins que le ton de ces critiques soit tel qu'il faille considérer que ledit juge ne serait plus en mesure de garder la distance et l'absence de prévention nécessaires (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_171/2007 précité consid. 5.3).

La jurisprudence a renoncé à résoudre une fois pour toutes la question de savoir si le cumul des fonctions contrevient ou non aux art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) (ATF 131 I 24 précité consid. 1.2 ; 114 Ia 50 consid. 3d et les arrêts cités). Elle exige, cependant, que l'issue de la cause ne soit pas prédéterminée, mais qu'elle demeure au contraire indécise quant à la constatation des faits et à la résolution des questions juridiques. Il faut, en particulier, examiner les fonctions procédurales que le juge a été appelé à exercer lors de son intervention précédente, prendre en compte les questions successives à trancher à chaque stade de la procédure, et mettre en évidence leur éventuelle analogie ou leur interdépendance, ainsi que l'étendue du pouvoir de décision du juge à leur sujet ; il peut également se justifier de prendre en considération l'importance de chacune des décisions pour la suite du procès (ATF 131 I 24 précité consid. 1.2 ; 126 I 168 précité consid. 2a ; 116 Ia 135 consid. 3b et les arrêts cités). C'est en matière de procédure pénale que le Tribunal fédéral a été le plus souvent amené à se prononcer sur la compatibilité de certaines situations avec les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. Il a sanctionné le cumul des fonctions de juge du renvoi et de juge du fond (ATF 114 Ia 50 précité consid. 4 et 5), ainsi que de juge du mandat de répression et de juge du fond (ATF 114 Ia 143 consid. 7b) ; en revanche, il n'a pas condamné l'union personnelle du juge de la détention et du juge du fond (ATF 117 Ia 182 consid. 3b).

En matière civile, l'apparence de prévention est regardée avec plus de retenue (ATF 131 I 24 précité consid. 1.2). Dans ce domaine également, il va de soi que le juge ayant statué en première instance ne saurait connaître de la même affaire comme magistrat de l'autorité de recours (ATF 114 Ia 50 précité consid. 3d), pas plus que l'administrateur de la faillite ne peut exercer d'activité juridictionnelle dans les procès où la masse est partie (ATF 33 I 143 consid. 4). Par ailleurs, un juge n'apparaît pas comme prévenu du seul fait qu'il a rejeté une demande d'assistance judiciaire en raison de l'absence de chances de succès de la requête. D'autres motifs sont nécessaires pour admettre qu'il est partial (ATF 131 I 113 consid. 3.7 = RDAF 2006 I 571).

8) Le Tribunal fédéral a par ailleurs jugé que les motifs de récusation d'un expert sont les mêmes que ceux d'un juge. Le fait qu'un expert médical ait déjà examiné le même assuré ne constitue pas en tant que tel un motif de récusation, ni le fait que son expertise ait été défavorable à celui-ci (ATF 132 V 93 consid. 7.1 et 7.2.2 = RDAF 2007 I 401 [rés.]).

Un arbitre est suspect de partialité lorsqu'avant sa désignation, il s'est exprimé dans une revue spécialisée sur des questions juridiques en relation avec celles du procès, si, au regard de la nature de sa prise de position, il s'est engagé d'une manière propre à faire redouter objectivement qu'ayant adopté une opinion définitive, il n'examinera plus, dans la cause, les questions concrètement déterminantes d'une façon ouverte et complète (ATF 133 I 89 = JdT 2007 I 219).

9) En l'espèce, au regard de ces principes, appliqués pour certains par analogie et/ou a fortiori – dans la mesure où les motifs de récusation pourraient être le cas échéant moins stricts concernant un enquêteur administratif que concernant un juge –, le simple fait que M. Y______ ait eu à prendre connaissance de décisions prises par la recourante en qualité de directrice du C______ ne serait en tant que tel, faute d'identité de causes et de parties, pas suffisant pour fonder un soupçon de prévention devant conduire à sa récusation.

Néanmoins, le présent cas a ceci de tout particulier que la procédure disciplinaire introduite contre la recourante fait suite au premier rapport de M. Ziegler, lequel énonce plusieurs critiques sur les structures et les fonctionnements en vigueur dans le canton de Genève à tout le moins jusqu'au décès de la sociothérapeute. Or, comme le Tribunal d'application des peines et des mesures (art. 3 LaCP) et le département (art. 5 LaCP), la chambre pénale de recours, dont M. Y______ est président, fait partie des autorités compétentes dans le domaine de l'application des peines et mesures (art. 439 al. 1 CPP et 42 LaCP, en lien notamment avec l'art. 40 al. 1 LaCP). Les analyses et recommandations qui ressortent des rapports de M. Ziegler ainsi que celles qui ressortiront du rapport d'enquête administrative visant la recourante sont donc susceptibles, même indirectement, de remettre en cause ou confirmer des points de jurisprudence ou des pratiques du système genevois d'application des peines et mesures sur lequel la chambre dont M. Y______ est président exerce un contrôle. Il existe, partant, des risques d'interférence entre la fonction de juge et celle d'enquêteur administratif de M. Y______.

Dans ces conditions et sous l'angle de la seule apparence, la recourante peut légitimement craindre que M. Y______ soit, en tant qu'enquêteur administratif, influencé, même indirectement, par ses nombreuses années d'expérience et de pratique dans le domaine du droit pénal, en particulier dans celui de l'application des peines et mesures dans le canton de Genève – sur lequel portent précisément les critiques de M. Ziegler –, et, partant, par sa proximité par rapport au contexte et à la problématique entourant le drame, de même que par l'idée qu'il a pu se faire par le passé de la façon dont la recourante évaluait les cas et prenait des décisions, et soit ainsi amené à prendre en considération des éléments de fait ou de droit qui sont sans lien avec l'objet de la procédure disciplinaire - les actes ou omissions de l'intéressée dans le cadre de la sortie de l'auteur présumé du crime – et qui pourraient, le cas échéant, influencer son enquête et son rapport, en sa défaveur.

Au vu de ces circonstances très particulières, des motifs de prévention doivent être retenus à l'encontre de M. Y______ en sa seule qualité d'enquêteur administratif, non en raison de son comportement – dont rien ne permet de remettre en cause le caractère irréprochable –, mais sur la base de la seule apparence et pour des motifs de nature strictement fonctionnelle et organisationnelle.

10) Pour ce motif, le recours de Mme X______ et sa demande de récusation doivent être admis, et la décision litigieuse annulée.

11) Le grief relatif à l'appartenance de M. Y______ à la chambre pénale de recours étant fondé, il n'est pas nécessaire d'examiner si le fait qu'il a été chef de la police genevoise de 2000 à 2003, ainsi que les éventuelles questions de récusation de celui-ci qui pourraient se poser dans le futur si la chambre pénale de recours était saisie, dans le cadre de la procédure pénale, seraient éventuellement de nature à constituer des motifs de récusation.

12) Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante, qui obtient gain de cause (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- lui sera allouée, à la charge de l’Etat de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 janvier 2014 par Madame X______ contre la décision du Conseil d'Etat du 15 janvier 2014 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du Conseil d'Etat du 15 janvier 2014 ;

admet la demande de récusation formée par Madame X______ à l'encontre de Monsieur Y______ ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame X______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Assaël, avocat de la recourante, ainsi qu'au Conseil d'Etat et à Monsieur Y______, enquêteur administratif.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Dumartheray et Verniory,
Mme Payot Zen-Ruffinen et M. Pagan, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :