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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1237/2022

ATA/536/2022 du 20.05.2022 sur JTAPI/446/2022 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1237/2022-MC ATA/536/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 mai 2022

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Géraldine Vonmoos, avocate

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 mai 2022 (JTAPI/446/2022)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1990, est ressortissant de Gambie.

2) Le 3 novembre 2012, il a déposé une demande d'asile en Suisse sous l’identité de « B______ », disant être né le ______ 1986.

3) Le 10 janvier 2013, l'office fédéral des migrations (devenu depuis le secrétariat d'État aux migrations ; ci-après : SEM) a rejeté cette demande et, simultanément, a prononcé son renvoi de Suisse.

Le canton de Genève était chargé d’exécuter cette décision.

4) Le 19 avril 2013, le Ministère public genevois (ci-après : MP) a condamné M. A______ à une peine pécuniaire de nonante jours-amende, avec un sursis de trois ans, pour infractions à l’art. 19 al. 1 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup  - RS 812.121) pour trafic de marijuana et à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

5) Le 3 février 2017, le MP a condamné M. A______ (sous l’identité de « B______ ») à une peine privative de liberté de cent-vingt jours pour infractions aux art. 19 al. 1 LStup et 115 al. 1 let. a et b LEI.

6) Le jour même M. A______ a été relaxé et remis entre les mains des services de police genevois en vue de son renvoi hors de Suisse.

7) Le même jour, sur ordre du commissaire de police, M. A______ a été placé en détention administrative pour une durée de trois mois.

8) Par jugement JTAPI/135/2017 du 7 février 2017, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a confirmé l’ordre de mise en détention prononcé par le commissaire de police tant sur son principe que sur sa durée.

9) Le 28 février 2017, M. A______ a été renvoyé au Sénégal.

10) Le 11 avril 2022, il a été arrêté par la police genevoise et ce, après que la fouille de l’appartement qu’il occupait au 7ème étage de l’immeuble sis rue ______ à Genève, eut permis la découverte de 92 gr de marijuana, ainsi que 37 sachets de type « minigrip ». L’intéressé était alors en possession de son passeport gambien valable et d’un titre de séjour espagnol en cours de validité.

11) Lors de son audition par la police, il a reconnu avoir menti en prétendant s’appeler « B______ ». Il a en revanche nié s’adonner au trafic de marijuana. La drogue trouvée dans l’appartement, où il logeait depuis le 7 avril 2022, était destinée à sa propre consommation. Pour le surplus, il a indiqué que sa famille se trouvait en Afrique ou en Espagne.

12) Le 12 avril 2022, le MP a condamné M. A______ à une peine privative de liberté de 90 jours pour infractions aux art. 115 al. 1 let. b LEI et 19 al. 1 LStup.

13) Le même jour, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au canton de Genève) pour une durée de dix-huit mois.

14) Le 19 avril 2022, M. A______ a formé auprès du TAPI opposition contre cette décision.

15) Entendu le 2 mai 2022 par le TAPI, le conseil de M. A______ a produit un chargé de pièces comprenant l'opposition formée à l'encontre de l'ordonnance pénale du 12 avril 2022, ainsi que des fiches de salaires de son mandant concernant les mois de décembre 2021, janvier et février 2022 pour un salaire d'environ EUR 400.- par mois. Elle a exposé qu'il s'agissait d'un emploi en Espagne, où son client travaillait de manière temporaire dans les champs et la construction.

M. A______ a indiqué être revenu en Suisse, depuis son renvoi, le 5 avril 2022, et avoir été interpelé le 11 avril 2022. Il était revenu à Genève pour rendre visite à un ami. Son opposition était formée au motif qu'il estimait la durée de dix-huit mois disproportionnée. C'était la première interdiction territoriale dont il faisait l'objet et, depuis son prononcé, il habitait Annemasse. Il souhaitait retourner en Espagne mais vu que son avocate avait été malade, il était resté dans les environs. Dès qu'il rentrerait en Espagne, il pourrait recommencer à travailler, car il s'agissait d'un travail saisonnier. Seuls 37 gr de la marijuana retrouvée à son domicile lui appartenaient et le propriétaire du logement où la drogue avait été trouvée avait reconnu être propriétaire du solde. Sa vie avait changé depuis son renvoi et ses anciennes condamnations pénales, période où il était dépourvu de documents d'identité. Il avait depuis un travail en Espagne.

La représentante du commissaire de police a indiqué qu'ils attendaient que les condamnations pénales soient en force pour saisir le SEM et lui proposer qu'il prononce une interdiction d'entrée en Suisse à l'encontre de M. A______. Ils avaient estimé inutile de le renvoyer cette fois en Espagne, vu les grandes chances qu'il revienne en Suisse.

16) Par jugement du 2 mai 2022, le TAPI a rejeté l’opposition formée par M. A______.

Il ne disposait d’aucune autorisation de courte durée, de séjour ou d’établissement en Suisse. Il avait été condamné pour infractions à la LEI et à la LStup. Il avait caché sa réelle identité à son arrivée en Suisse douze ans auparavant et avait continué à la cacher lors de treize contrôles et arrestations entre 2012 et 2017. Malgré son renvoi, il était revenu en Suisse, où il avait été arrêté et condamné pour infraction à la LStup alors qu’il était en possession d’une grande quantité de marijuana. Il n’avait aucune attache en Suisse ou à Genève et on pouvait considérer qu’il n’était venu que pour obtenir quelques ressources financières le temps de pouvoir reprendre son activité saisonnière en Espagne. Le soupçon qu’il commettait des infractions dans le milieu de la drogue suffisait pour considérer qu’il représentait un trouble et une menace pour l’ordre et la sécurité publics justifiant la mesure prise à son encontre.

L’étendue géographique prenait en compte qu’il était susceptible de recommencer ses agissements coupables dans tout le canton. Vu le risque de récidive, une réduction temporelle de la durée de la mesure lui ferait perdre son caractère approprié.

17) Par acte remis au greffe le 16 mai 2022, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation, et à la réduction de la durée de l’interdiction à six mois.

La mesure n’était pas contestée quant à son principe mais quant à sa durée, qui était disproportionnée. La quantité de cannabis trouvée en sa possession n’était pas de nature à mettre en danger concret et sérieux la santé physique et psychique. Ses condamnations précédentes remontaient à cinq et neuf ans, il ne s’était plus rendu en Suisse depuis sa dernière condamnation datant du 3 février 2017 et il n’avait jamais fait encore l’objet d’une mesure. Le risque qu’il menace la sécurité publique en prenant part à un trafic était pour ainsi dire nul. Son intérêt à rendre visite en Suisse pour de courtes durées à des connaissances au moyen des ressources financières dont il disposait devait prévaloir. Il retournerait dans les meilleurs délais en Espagne et ne voulait pas s’exposer à des violations de la LEI s’il revenait en Suisse.

18) Le 18 mai 2022, le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

M. A______ avait été condamné pas moins de trois fois entre 2012 et 2022 pour trafic de stupéfiants. En 2017 il avait fini par avouer avoir régulièrement vendu du cannabis à une femme. Il avait admis n’avoir aucune attache à Genève. Il n’avait de cesse depuis huit ans de participer comme vendeur ou acheteur consommateur au monde de la drogue à Genève. Il était imperméable à toute sanction. La durée de la mesure était proportionnée.

19) M. A______ n’a pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti à ce jour à 10h00.

20) Sur quoi les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recours a pour objet la conformité au droit du jugement du TAPI du 28 mars 2022 confirmant la décision du commissaire de police du 10 mars 2022.

3) Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 16 mai 2022 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

4) À teneur dudit art. 10 LaLEtr, la chambre de céans est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.) ; elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; le cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l'étranger (al. 3 1ère phr.).

5) a. Aux termes de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée si celui-ci n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics.

Cette mesure vise entre autres à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants. L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit cependant que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommages à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

L'assignation d'un lieu de résidence ou l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée fondée sur l'art. 74 al. 1 let. b LEI vise à permettre le contrôle du lieu de séjour de l'intéressé et à s'assurer de sa disponibilité éventuelle pour la préparation et l'exécution de son renvoi de Suisse par les autorités (arrêt 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.1), mais aussi, en tant que mesure de contrainte poursuivant les mêmes buts que la détention administrative, à inciter la personne à se conformer à son obligation de quitter la Suisse (ATF 144 II 16 consid. 4 ; arrêt 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.1 ; CHATTON/MERZ, in Code annoté de droit des migrations, vol. II : Loi sur les étrangers [LEtr], 2017 n°  22 ad art. 74 LEtr).

b. L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 CEDH et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

c. La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants ainsi qu'à maintenir les requérants d'asile éloignés des scènes de la drogue (arrêts du Tribunal fédéral 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.2 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1).

Des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue ou des contacts avec des extrémistes suffisent à justifier une telle mesure, de même que la violation grossière des règles tacites de la cohabitation sociale (ATA/607/2013 du 12 septembre 2013 consid. 4 ; ATA/46/2013 du 25 janvier 2013 consid. 3 et les références citées). Le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI ; en outre, de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3.1 et les arrêts cités). De plus, même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contacts répétés avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 précité consid. 2.1). Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un recourant qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2011 précité).

d. La mesure d'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre
celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Le principe de la proportionnalité se compose ainsi des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

La mesure doit être nécessaire et suffisante pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4). En particulier, la délimitation géographique et la durée de la mesure doivent être prises en considération en fonction du but poursuivi. En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c ; ATA/748/2018 du 18 juillet 2018 consid. 4b).

f. L'art. 74 LEI ne précise pas la durée de la mesure. Celle-ci doit répondre au principe de proportionnalité, à savoir être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; vers le haut, des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2 ; ATA/1347/2018 du 13 décembre 2018 consid. 6), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

g. Dans un arrêt 2C_123/2021 du 5 mars 2021, le Tribunal fédéral a confirmé une mesure d'interdiction territoriale à l'encontre d'un ressortissant nigérian, en séjour illégal en Suisse. Certes sa condamnation récente n'était pas entrée en force. Elle avait toutefois trait à des délits en lien avec des stupéfiants, ce qui était déjà suffisant pour admettre un indice concret au sens de la jurisprudence. L'intéressé avait par ailleurs été vu à deux reprises dans un lieu connu pour le trafic de drogue à Genève, ce qui renforçait les soupçons pesant sur lui. De plus, il s'en était pris à un agent de police et, en mai 2018, avait déjà été condamné pour entrée et séjour illégaux, infractions qui, même si elles n'avaient pas de lien direct avec la drogue, constituaient également des indices suffisants pour retenir un trouble ou une menace à la sécurité et l'ordre publics. Ces éléments, pris dans leur ensemble, représentaient donc des indices concrets et permettaient de retenir, à l'instar de la chambre de céans, un soupçon de commission d'infractions dans le milieu de la drogue, respectivement un trouble ou une menace contre la sécurité et l'ordre publics justifiant le prononcé d'une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée au sens de l'art. 74 al. 1 let. a LEI. Le Tribunal fédéral rappelait que l'atteinte à la liberté personnelle causée par cette mesure était relativement légère et que le seuil pour l'ordonner n'avait pas été placé très haut.

La chambre de céans a confirmé l’interdiction du territoire de tout le canton pour une durée de douze mois prononcée contre une ressortissante française condamnée à plusieurs reprises pour infractions à la LStup qui admettait consommer des stupéfiants et s’adonner au trafic (ATA/255/2022 du 10 mars 2022). Elle a confirmé la même mesure pour un ressortissant français trouvé en possession de vingt-et-une boulettes de cocaïne dans la voiture qu’il conduisait (ATA/1294/2021 du 25 novembre 2021).

Elle a confirmé l’interdiction de tout le territoire du canton pour une durée de douze mois pour un recourant vivant illégalement en Suisse depuis trente ans, initialement assigné au canton de Vaud dans le cadre d’une procédure d’asile, qui faisait valoir une relation avec son amie à Genève et des projets de mariage, qui était sans domicile fixe et avait récemment à nouveau commis un vol, précisant qu’il ne formait pas de communauté conjugale et pourrait voir son amie dans un autre canton (ATA/1236/2021 du 16 novembre 2021).

Elle a confirmé le jugement du TAPI réduisant l’interdiction territoriale infligée à une ressortissante roumaine de douze à neuf mois et, géographiquement, de manière qu’elle puisse accompagner à l’école sa fille mineure avec laquelle elle vivait (ATA/871/2021 du 27 août 2021).

Elle a confirmé l’interdiction de tout le territoire du canton pour une durée de douze mois infligée à un recourant initialement attribué au canton de Genève dans le cadre de la procédure d’asile mais objet d’une décision de renvoi définitive et dépourvu de titre de séjour en Suisse, en raison du risque de réitération d’infractions à la LStup (ATA/1371/2020 du 30 décembre 2020).

Elle a admis le caractère disproportionné d’une interdiction de territoire privant un recourant d’accès au domicile de son amie, chez laquelle il était effectivement domicilié et avec laquelle des démarches en vue du mariage étaient en cours (dépôt d’une demande d’autorisation de séjour en vue de mariage ; ATA/668/2020 du 13 juillet 2020).

De même, elle a jugé contraire au droit l’interdiction de tout le canton de Genève notifiée à un recourant qui avait entamé des démarches auprès de l’OCPM pour l’obtention d’un titre de séjour en vue de mariage et auprès de l’état civil pour reconnaître sa fille, et dont la réalité de la relation n’avait pas été mise en cause par le TAPI (ATA/1171/2019 du 22 juillet 2019).

Elle a confirmé, dans le cas d’un ressortissant français qui avait fait l’objet d’une condamnation pour le vol d’un téléphone portable non encore entrée en force, qui n’avait pas d’antécédents judiciaires et disposait de très faibles moyens, mais avait pris un emploi de boulanger et avait produit une attestation d’annonce de cette prise d’emploi, sans avoir toutefois obtenu encore de réponse de l’OCPM, une interdiction de périmètre étendue à tout le canton, mais assortie sur opposition par le TAPI d’une exception devant permettre au recourant de se rendre à son travail et réduite de douze à trois mois. Il ne s'agissait pas d'infractions en lien avec le trafic de stupéfiants, ni de brigandage, de lésions corporelles intentionnelles ou de dommages à la propriété, l'intéressé était au bénéfice d'un emploi dans le canton et ne présentait pas d'antécédents judiciaires en Suisse. Bien que d'une durée relativement courte, la mesure paraissait apte et suffisante pour protéger l'ordre et la sécurité publics dans le périmètre déterminé par le TAPI (ATA/1566/2019 du 24 octobre 2019).

Récemment, elle a confirmé le jugement du TAPI admettant l’opposition d’un étranger plusieurs fois condamné pour des vols et des infractions à la LStup et objet d’une décision de renvoi et soustrayant de l’interdiction de tout le territoire du canton pour une durée de douze mois la commune où logeaient son amie intime et la mère de celle-ci, auprès desquelles il vivait et auxquelles il rendait des services, considérant que la solution préconisée dans le jugement attaqué permettait à l'étranger de continuer à bénéficier du gîte et du couvert fournis, ce qui n'excluait évidemment pas la commission de nouvelles infractions mais pouvait réduire la nécessité d'y avoir recours, avec en outre l'avantage pour les autorités d'une résidence plus ou moins fixe augmentant les chances de le localiser en cas de besoin. Il s'agissait d'une solution qui, si elle n'apparaissait, par certains aspects, pas idéale, était à même de servir de manière concrète et pragmatique les intérêts de la sécurité publique, étant précisé qu'elle n'équivalait nullement – comme le prétendait le commissaire – à l'octroi provisoire d'un titre de séjour, et qu'en cas d'entrée en force de la décision de renvoi, celle-ci pourrait être exécutée en usant de tous les moyens prévus par la législation en la matière (ATA/381/2022 du 7 avril 2022 consid. 7b).

Tout récemment, elle a confirmé le jugement du TAPI approuvant une interdiction territoriale étendue à tout le canton de Genève pour une durée de dix-huit mois prononcée contre un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, plusieurs fois condamné pour infractions à la LStup, objet de décisions de renvoi et traité sans succès pour une dépendance aux stupéfiants (ATA/411/2022 du 14 avril 2022).

6) a. En l’espèce, et ainsi que l’a justement relevé le TAPI, le recourant n’est au bénéfice d’aucune autorisation de courte durée, de séjour ou d’établissement en Suisse, a été condamné plusieurs fois pour infractions à la LEI et à la LStup, a caché sa réelle identité à son arrivée en Suisse en 2012 et a continué à la dissimuler à de nombreuses reprises jusqu’en 2017. Il est revenu en Suisse malgré son renvoi, a alors été trouvé en possession d’une grande quantité de marijuana et a été condamné pour infraction à la LStup. Il n’a aucune attache en Suisse et on peut supposer qu’il est revenu pour obtenir quelques revenus entre deux emplois saisonniers en Espagne. Il n’allègue d’ailleurs aucune autre raison, en l’absence de toute précision sur ses « amis ».

Compte tenu de toutes ces circonstances, le soupçon qu’il commette des infractions dans le milieu de la drogue suffit pour considérer qu’il représente un trouble et une menace pour l’ordre et la sécurité publics et justifie, sur le principe, la mesure d’interdiction territoriale prise à son encontre. Le recourant ne conteste d’ailleurs pas le bien-fondé de la mesure.

b. Le TAPI a par ailleurs admis que l’étendue géographique de la mesure à tout le canton prenait en compte qu’il était susceptible de recommencer ses agissements coupables sur tout le territoire genevois.

Le recourant ne conteste pas l’étendue territoriale, et ne fait en particulier pas valoir qu’il séjournerait dans le canton, y aurait des attaches, ou l’obligation de se rendre auprès d’un médecin ou de services étatiques.

c. Le recourant conteste en revanche la durée de l’interdiction territoriale, qu’il juge disproportionnée, et fait valoir le caractère prépondérant de son intérêt personnel à pouvoir revenir en Suisse.

Il ne saurait être suivi. L’intérêt public à ce que le recourant ne revienne pas en Suisse où il pourrait à nouveau se livrer au trafic des stupéfiants l’emporte sur l’intérêt de ce dernier à pouvoir revenir dans le pays, ce d’autant qu’il ne fait valoir aucune attache ni obligation de se rendre en Suisse, mais se borne à évoquer sans plus de précision son souhait de rendre visite à des connaissances en Suisse, et notamment à Genève, pour de très courtes durées.

Il sera loisible cas échéant aux connaissances du recourant de se déplacer pour le rencontrer hors des frontières du canton.

La jurisprudence évoquée par le recourant concernant le caractère impropre du cannabis à créer un danger concret et sérieux pour la santé physique et psychique (ATF 117 IV 134 consid. 2), qui motiverait une réduction de la durée de la mesure au titre de la proportionnalité, ne s’applique qu’à la circonstance aggravante de l’art. 19 LStup en droit pénal. Le recourant ne saurait en tirer bénéfice pour établir que le risque de se livrer au trafic de cannabis ne constituerait pas une atteinte à l’ordre et la sécurité publics au sens de la LEI, étant rappelé que c’est l’activité globale du trafic de stupéfiants et toutes les nuisances qu’elle engendre qui est prise en compte pour éloigner des acteurs de la scène de la drogue.

Le fait que le recourant ne se soit plus rendu en Suisse, comme il le soutient, entre sa condamnation de février 2017 et celle d’avril 2022 ne permet pas de relativiser le danger qu’il se livre au trafic de stupéfiants à l’occasion d’un nouveau retour en Suisse. On pourrait même inférer de cette circonstance qu’à chaque retour le recourant pourrait redevenir actif sur la scène de la drogue.

Le grief sera écarté.

De manière générale, la mesure apparaît en conséquence nécessaire, apte à atteindre son but et proportionnée compte tenu de l’ensemble des circonstances.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

7) La procédure étant gratuite (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), aucun émolument de procédure ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 mai 2022 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 mai 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Géraldine Vonmoos, avocate du recourant, au Tribunal administratif de première instance, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Payot Zen-Ruffinen et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :