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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3969/2018

ATA/1347/2018 du 13.12.2018 sur JTAPI/1131/2018 ( MC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3969/2018-MC ATA/1347/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 décembre 2018

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE

contre

Monsieur A______
représenté par Me Romain Aeschmann, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 novembre 2018 (JTAPI/1131/2018)


EN FAIT

1. Monsieur A______, né le ______ 1958, de nationalité algérienne, possède un titre de séjour en France et est domicilié à Bordeaux.

2. Le 12 novembre 2018, M. A______ a été interpellé à Genève. Il faisait l'objet de trois avis de recherche pour des vols à la tire dans les Transports publics genevois (ci-après : TPG) commis les 21 septembre 2018, 9 octobre 2018 et 1er novembre 2018.

3. Interrogé par la police, M. A______ a reconnu les trois vols précités. Il avait gardé l'argent et utilisé les cartes volées pour faire des achats. Il n'avait pas réussi à débloquer le téléphone portable qu'il avait dérobé, et l'avait déposé sur un muret. Il s'était également débarrassé des portefeuilles et des cartes.

Il était venu dans la région deux mois et demi plus tôt. Il ne faisait que des allers-retours et ne dormait jamais à Genève. Le matin même, il se trouvait ainsi à Annemasse. Il n'avait pas de lien particulier avec la Suisse, n'y avait pas de famille et n'y avait jamais bénéficié d'un titre de séjour. Il avait laissé ses papiers d'identité à Bordeaux, où il était domicilié. Rien ne s'opposait à son renvoi de Suisse, et il pouvait lui-même subvenir à son rapatriement.

4. Par ordonnance pénale du 13 novembre 2018, le Ministère public a condamné M. A______ à une peine privative de liberté de six mois, avec sursis pendant trois ans, ainsi qu'à une amende de CHF 300.-, pour vols, utilisation frauduleuse d'un ordinateur, entrée illégale en Suisse et utilisation frauduleuse d'un ordinateur d'importance mineure.

Cette ordonnance pénale a été communiquée le jour même à M. A______, en mains propres, et n'a pas été frappée d'opposition depuis lors.

5. Le 13 novembre 2018 également, le commissaire de police a notifié en mains propres à M. A______ une décision d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois.

M. A______ n'était titulaire d'aucun titre de séjour en Suisse. Il avait été condamné pour vol, soit un crime. Son activité criminelle sur le territoire suisse constituait une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Les conditions posées pour une interdiction de pénétrer dans un territoire déterminé étaient dès lors remplies.

La durée et l'étendue de la mesure s'inscrivaient dans le cadre de la jurisprudence. La durée de douze mois se justifiait au regard de sa condamnation pour divers vols et du risque de récidive y associé.

M. A______ a formé opposition immédiate à cette décision.

6. Lors de l'audience qui s'est tenue par-devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) le 20 novembre 2018, M. A______ ne s'est pas présenté. Son conseil s'en est rapporté à justice sur le principe de la mesure et l'étendue du périmètre concerné, mais a conclu à la réduction à six mois de la durée de celle-ci.

7. Par jugement du 20 novembre 2018, le TAPI a admis partiellement l'opposition de M. A______ et a réduit la durée de l’interdiction à six mois, la confirmant pour le surplus.

S'agissant du périmètre d'interdiction, étendu à l'ensemble du canton de Genève, il ne constituait pas un usage excessif du pouvoir d'appréciation de l'autorité intimée, dans la mesure où M. A______ ne semblait venir dans ce canton que pour y commettre des infractions. Le dossier ne contenait aucun élément laissant entendre que sa présence serait nécessaire au sein de celui-ci, et l'intéressé ne s'était même pas donné la peine de venir apporter à l'audience des explications sur les motifs de son opposition. La durée de l'interdiction était néanmoins réduite à six mois, durée qui apparaissait mieux proportionnée au cas d'espèce.

8. Par acte posté le 30 novembre 2018, reçu le 3 décembre 2018, le commissaire de police a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation (recte : à son annulation partielle) et à la confirmation intégrale de sa propre décision.

Le TAPI ne donnait aucune motivation pour justifier la réduction de la durée de la mesure. Or celle-ci était conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la chambre administrative. En outre, il était contraire au principe de l'égalité de traitement, et constitutif d'un abus du pouvoir d'appréciation, de mettre M. A______ qui avait commis plusieurs vols et utilisé frauduleusement des cartes de crédit, sur un pied d'égalité avec des personnes ayant vendu une seule boulette de cocaïne.

9. Le 7 décembre 2018, M. A______ a conclu au rejet du recours.

Jusqu'à son interpellation le 12 novembre 2018, il était totalement inconnu des services de police, et son casier judiciaire était vierge. Il avait été condamné avec sursis. À la lumière de l'ensemble des circonstances, c'était à bon droit que le TAPI avait réduit à six mois la durée de la mesure.

10. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours du commissaire de police est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art 74 al. 3 LEtr ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2. Selon l’art. 10 al. 2 1ère phr. LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 3 décembre 2018 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

La chambre administrative est en outre compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle (art. 10 al. 2 2ème phr. LaLEtr).

3. a. Aux termes de l’art. 74 al. 1 let. a LEtr, l’autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée si celui-ci n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics. Cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants.

L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEtr, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommages à la propriété ou pour une infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951
(LStup - RS 812.121).

b. L’interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l’art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et n’a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, Berne, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d’autorisation de séjour et d’établissement n’ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s’agissant d’une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l’étranger concerné, « le seuil, pour l’ordonner, n’a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l’ordre publics.

4. La jurisprudence fédérale admet que la mesure d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l’art. 74 LEtr peut s’appliquer à l’entier du territoire d’un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2A.253/2006 du 12 mai 2006 ; 2C_231/2007 du 13 novembre 2007), même si la doctrine relève que le prononcé d’une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l’art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C’est en réalité lors de l’examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l’étendue de la zone géographique à laquelle elle s’applique doit être examinée.

5. a. L'art. 74 LEtr ne précise ni la durée que peut ou doit fixer la mesure, pas plus qu'il ne précise quelles sont les autorités compétentes.

b. S'agissant de la durée des mesures prévues à l'art. 74 LEtr, le Tribunal fédéral a précisé qu'elles devaient dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, c'est-à-dire être adéquates au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci, en particulier au regard de la taille du périmètre concerné et de la durée de la mesure (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Plus spécifiquement, elles ne pouvaient pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c). Des durées inférieures à six mois n'étaient guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; vers le haut, des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

6. En l'espèce, seule la durée de l'interdiction prononcée est litigieuse.

À cet égard, même si l'intimé n'était pas connu des services de police avant son interpellation, ses atteintes à la sécurité publique suisse sont graves, dès lors qu'il s'agit de plusieurs vols à la tire, suivis notamment d'une utilisation frauduleuse de cartes de crédit. De plus, il ressort des propos mêmes de l'intimé que celui-ci est domicilié à Bordeaux, où il a le droit de séjourner, et qu'il n'a absolument aucune attache d'aucune sorte avec le canton, où il n'est visiblement venu que pour commettre des infractions pénales.

Dans ces conditions, on ne voit pas en quoi le principe de la proportionnalité commanderait de réduire l'interdiction d'accès au territoire genevois à six mois, dès lors que l'intimé n'a aucun besoin d'accéder au territoire cantonal et n'a jamais évoqué un tel besoin, même à moyen terme.

Il résulte de ce qui précède que le recours du commissaire de police sera admis, et le jugement du TAPI annulé en ce qu'il a réduit la durée de la mesure à six mois.

7. Vu l'issue du recours et la nature de la cause, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 et art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu cette issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée à l'intimé, qui succombe (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 novembre 2018 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 novembre 2018 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 novembre 2018 en ce qu'il admet partiellement l'opposition et réduit la durée de la mesure à six mois ;

le confirme pour le surplus ;

rétablit la décision du commissaire de police du 13 novembre 2018 ;

dit qu'aucun émolument n'est perçu, ni aucune indemnité de procédure allouée ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, à Monsieur A______, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d’État aux migrations, ainsi qu’à Me Romain AESCHMANN, avocat de l’intimé, pour information.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :