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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3534/2021

ATA/1294/2021 du 25.11.2021 sur JTAPI/1109/2021 ( MC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3534/2021-MC ATA/1294/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 novembre 2021

en section

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE

contre

M. A______
représenté par Me Serge Rouvinet, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 novembre 2021 (JTAPI/1109/2021)


EN FAIT

1) M. A______, né le ______ 1985, est ressortissant B______.

2) Son casier judicaire suisse est vierge.

3) Le 7 octobre 2021 à 01h20, il a été interpellé par la police genevoise à la rue C______, 1204 Genève, au volant d’un véhicule muni de plaques B______ provisoires réservées à la circulation sur le territoire B______, en compagnie d’une personne connue des services de police genevois dans le domaine du trafic de stupéfiants. Il n'avait pas d'argent sur lui.

4) La fouille de la voiture a permis la découverte de dix-huit boulettes de poudre blanche cachées sous les sièges avant conducteur et passager.

La fouille de M. A______ a permis la découverte de trois autres boulettes dans son caleçon.

Selon le rapport d'interpellation, il était démuni de papiers d'identité.

5) M. A______ a expliqué à la police que seules ces trois boulettes lui appartenaient et qu’elles étaient destinées à sa propre consommation. Il les avait achetées dans le quartier des Pâquis. Il ignorait que de la drogue se trouvait dans la voiture, qu’un ami lui avait prêtée, et ne savait pas que son passager, également un ami, avait des antécédents en matière de stupéfiants.

Sa famille et lui-même vivaient en B______. Il venait tous les jours à Genève pour voir des amis. Il avait déjà travaillé en Suisse et été au bénéfice d'un permis pour frontaliers. Il était sans emploi. Il n'était pas un délinquant et n'avait jamais eu de problèmes en Suisse. Il n'avait jamais occupé les services de police.

6. Le 7 octobre 2021, le Ministère public a condamné M. A______ à une peine de cent vingt jours-amendes avec sursis pour s'être trouvé en possession de vingt et une boulettes de cocaïne, d'un poids total de 19,6 gr., destinées à la vente.

7. Le 7 octobre 2021 également, en application de l'art. 74 loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois.

8. Par acte du 15 octobre 2021, M. A______ a formé opposition contre cette décision devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

Contrairement à ce que cette décision retenait, il n'avait pas été prévenu, ni condamné pour infractions à la LEI. C'était aussi à tort que cette décision retenait qu'il n'avait aucune autorisation valable pour séjourner en Suisse, dans la mesure où il était de nationalité B______, ce qui était attesté par la copie de sa carte nationale d'identité qu'il produisait en copie (délivrée le 20 mars 2019 est valable jusqu'au 19 mars 2034) et vivait en B______ voisine. La B______ étant un État partie à l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681), ses ressortissants n'étaient pas soumis à l'obligation d'obtenir une autorisation au sens des art. 32 à 34 LEI pour séjourner et/ou se rendre en Suisse. Il avait dès lors le droit de se trouver à Genève au moment des faits. Par conséquent, les conditions d'application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI n'étaient manifestement pas réunies.

Sans minimiser l'infraction en raison de laquelle il avait été condamné le 7 octobre 2021, celle-ci n'apparaissait pas d'une gravité telle qu'il représente « une menace d'une certaine gravité pour l'ordre et la sécurité publics de nature à le priver de son droit de demeurer en Suisse au sens de l'art. 5 annexe I ALCP », comme retenu par le Tribunal fédéral dans l'ATF 139 II 121. Il s'agissait de plus de l'unique sanction pénale rendue à son encontre. Partant, il ne pouvait pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement au sens de la LEI et/ou de l'ALCP.

Cette mesure était manifestement disproportionnée à la lumière de deux arrêts rendus par le Tribunal fédéral en 2013 et 2016.

9. Devant le TAPI le 1er novembre 2021, M. A______ a indiqué que si lors de son audition à la police il avait déclaré qu'il était sans emploi, cela concernait spécifiquement la période de son interpellation. Il avait en effet toujours travaillé dans la vente, aussi bien dans la grande distribution que dans des petites boutiques. Il avait également travaillé en Suisse dans des établissements de nuit sous forme d'« extras » les week-ends. Son casier judiciaire B______, qu'il a ultérieurement transmis au TAPI, était vierge.

Son conseil a conclu à l'annulation de la mesure d'interdiction territoriale.

Le représentant du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition.

10. Par jugement du 4 novembre 2021, le TAPI a admis le recours de
M. A______ et annulé la mesure querellée.

La condamnation prononcée contre M. A______ le 7 octobre 2021 pour avoir été en possession de vingt et une boulettes de cocaïne d'un poids total de 19,6 gr. destinées à la vente sanctionnait un acte isolé et semblait être sa première infraction pénale, vu la teneur de ses casiers judiciaires suisse et B______, qui étaient jusqu'alors tous deux vierges. M. A______ avait par ailleurs indiqué qu'il était domicilié en B______ voisine, où il travaillait la plupart du temps et semblait donc disposer d'un logement et d'un revenu, étant relevé que le commissaire de police n'avait fourni aucune indication contraire à ce sujet.

Sur la base de ces différents éléments, on ne voyait nullement ce qui rendrait suffisamment vraisemblable le fait que M. A______ continuerait à l'avenir à faire peser un risque d'une certaine gravité sur l'ordre et la sécurité publics. Le Tribunal fédéral, dans l'ATF 139 II 121, avait retenu qu'aucune des infractions commises par l'intéressé concerné (dont des infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 [LStup - RS 812.121]) ne permettait, prise isolément, de retenir un tel risque, et que seul l'ensemble de ces infractions et l'étendue de la période pendant laquelle elles avaient été commises conduisaient à admettre l'existence de ce risque.

Il ne s'agissait certes pas de minimiser l'infraction en raison de laquelle M. A______ avait été condamné, mais de constater qu'elle n'était pas non plus d'une ampleur qui dénoterait une intention criminelle assez prononcée pour se manifester vraisemblablement à nouveau.

Ne respectant pas la portée de l'art. 5 § 1 annexe I ALCP, la décision litigieuse devait être annulée.

11. Le commissaire de police a formé recours contre ce jugement, notifié le 8 novembre 2021, par acte expédié à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 18 novembre 2021, concluant à l'annulation du jugement attaqué et partant la confirmation de sa décision du 7 octobre 2021.

Si les casiers judiciaires suisse et B______ de M. A______ ne comportaient aucune inscription, son dossier de police à Genève révélait qu'il avait fait, entre les 19 mars 2014 et 19 avril 2021, l'objet de pas moins de sept contraventions pour des infractions à la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01), ce qui résultait des rapports de police produits. Il apparaissait également que de longue date, il était démuni de tout document de voyage ou d'identité valable, ce qui ressortait de ces mêmes rapports, la carte d'identité présentée les 4 mars, 17 avril 2019 et 19 avril 2021 étant échue depuis le 26 juin 2018. Il était ainsi constant qu'il n'avait eu de cesse de commettre des infractions dans le canton de Genève depuis 2014 et avait menti à la police en affirmant, lors de son audition le 7 octobre 2021, n'avoir jamais eu de problèmes en Suisse ni occupé les services de police.

En B______, les services de police le connaissaient bien, les renseignements transmis par le centre de coopération policière et douanière (CCPD) du 18 novembres 2021 faisant état de cinq antécédents, dont quatre pour des actes de violence, établissant sa réelle dangerosité et la menace qu'il représentait pour l'ordre et la sécurité publics. Il était en particulier question en 2018 et en 2019 par deux fois, de violences vis-à-vis de concubin ou partenaire et, en 2015, de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de dix ans. En 2012, il s'agissait d'autres violences volontaires aggravées.

En lien avec son interpellation du 7 octobre 2021, il n'était pas crédible lorsqu'il affirmait ignorer que dix-huit boulettes de cocaïne, une drogue dure, dont il avait avoué être consommateur, se trouvaient dans le véhicule qu'il conduisait, étant relevé que son passager avait de même nié avoir eu connaissance de la présence desdites boulettes.

Les pièces versées à la procédure établissaient qu'il était de longue date, et pas seulement à l'occasion de son interpellation du 7 octobre 2021, démuni de tout document d'identité ou de voyage valable, de sorte qu'il ne remplissait manifestement pas les conditions posées par l'annexe I ALCP pour être mis au bénéfice de cet accord et pour entrer en Suisse en vertu de celui-ci. C'était de manière arbitraire que le TAPI avait retenu contraire. Ainsi, la mesure querellée n'interdisait rien à M. A______ qui ne lui soit déjà interdit.

Le TAPI avait violé les principes de l'égalité de traitement et de l'interdiction de l'arbitraire en appliquant par analogie, à l'art. 74 LEI, la jurisprudence du Tribunal fédéral ayant retenu que l'application de l'art. 67 LEI , traitant de l'interdiction d'entrée en Suisse, devait respecter la portée de l'art. 5 § 1 annexe I ALCP ainsi que les directives et la jurisprudence s'y rapportant. L'interdiction de l'art. 74 LEI n'empêchait nullement la personne visée d'entrer en Suisse et d'y circuler, hormis la zone prohibée, et n'emportait qu'une atteinte légère à sa liberté. Les bases légales de ces deux mesures, prononcées par des autorités différentes, étaient distinctes, tout comme les conséquences pénales en cas de violation, à savoir une infraction à l'art. 115 LEI pour violation de son art. 67, respectivement à l'art. 119 LEI pour celle d'une violation à l'art. 74 LEI, dont les peines menace étaient sensiblement différentes. En exigeant qu'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée fondée sur l'art. 74 LEI prononcée à l'encontre d'une personne bénéficiant des droits prévus par l'ALCP doive respecter les critères plus restrictifs prévus par l'art. 5 § 1 de l'annexe I, le TAPI vidait de toute sa substance l'art. 74 LEI, dont la vocation était de permettre aux cantons de « disposer d'un instrument efficace et souple permettant d'éloigner les étrangers des lieux d'infraction éventuels [ ] dès que lesdits étrangers [étaient]soupçonnés, sur la base d'indices concrets, d'être impliqués dans des actes délictueux », selon le Message du Conseil fédéral à l'appui de la LEI.

Les pièces versées à la procédure établissaient que par ses nombreux actes illégaux, commis à Genève et ressortant des renseignements de police B______, M. A______ représentait bien une menace pour l'ordre et la sécurité publics, conformément à l'art. 5 de l'annexe I ALCP, laquelle justifiait l'interdiction querellée. Le 7 octobre 2021, il avait agi dans un but lucratif, vu ses déclarations fluctuantes quant à l'existence d'un emploi en B______. Le Tribunal fédéral se montrait particulièrement rigoureux en matière de trafic de stupéfiants. Le risque de récidive spécifique était très élevé.

12. Selon les rapports de contravention et de renseignements produits à l'appui du recours, des 19 mars et 22 juin 2014, ainsi que du 9 février 2016,
M. A______ a indiqué être employé de voirie et domicilié à
Saint-Julien-en-Genevois. Selon ceux des 26 avril 2018, 4 mars et 17 avril 2019, de même que du 19 avril 2021, il s'est dit sans profession.

13. M. A______ a conclu le 23 novembre 2021 au rejet du recours et à l'octroi d'une indemnité valant participation aux honoraires de son conseil.

Contrairement à ce que soutenait le commissaire de police, il était doté d'une pièce d'identité valable et bénéficiait indéniablement de l'ALCP. Tant l'art. 67 LEI que l'art. 74 LEI avaient pour vocation de protéger l'ordre et la sécurité publics et d'éviter que des infractions soient commises en Suisse, en interdisant à une personne susceptible d'en commettre de pénétrer en Suisse ou dans une région déterminée. Par conséquent, ces mesures limitaient la libre circulation des personnes. Partant, il était évident que les principes dégagés par le Tribunal fédéral en lien avec les exigences de l'art. 5 annexe I ALCP sous l'empire de l'art. 67 LEI gouvernaient également l'application de l'art. 74 LEI.

Les contraventions qui lui avaient été infligées ne pouvaient être prises en compte dans le cadre de l'art. 74 LEI. Elles n'avaient aucun lien avec les faits contestés qui lui étaient présentement reprochés, étant précisé qu'il avait formé opposition contre l'ordonnance pénale du 7 octobre 2021. La liste des « dossiers » B______ n'attestait en aucun cas qu'il avait commis, voire participé aux faits qui y étaient mentionnés. Il avait dans ce cadre uniquement été entendu, sans jamais avoir été placé en garde à vue ni mis en examen et encore moins renvoyé devant un tribunal ou condamné. Preuve en était son casier judiciaire B______ vierge. En produisant ce document, le commissaire de police semblait vouloir le charger et l'accabler à tort.

14. Le commissaire de police a brièvement répliqué le 24 novembre 2021 et produit un document explicatif de la teneur des extraits de casier judicaire B______.

15. Les parties ont été informées à cette même date que la cause était gardée à juger.

 

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2) Selon l'art. 10 al. 2 1ère phr. LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 19 novembre 2021 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

La chambre administrative est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle (art. 10 al. 2 2ème phr. LaLEtr).

3) L'objet du litige est l'annulation par le TAPI de la décision du commissaire de police du 7 octobre 2021 faisant interdiction au recourant de se rendre, pendant douze mois, sur l'ensemble du territoire genevois.

Devant le TAPI et dans sa réponse au recours, l'intimé conteste le principe de cette l'interdiction.

a. Aux termes de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée si celui-ci n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics. Cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants. L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment à la suite d'une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommages à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

b. L'interdiction de pénétrer dans une région déterminée ne constitue pas une mesure équivalant à une privation de liberté au sens de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et n'a donc pas à satisfaire aux conditions du premier alinéa de cette disposition (Tarkan GÖKSU, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela TURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer, Berne, 2010 ; Andreas ZÜND in Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Peter BOLZLI, Migrationsrecht, 2ème éd., 2013, ad art. 74, p. 204 n. 1).

Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour et d'établissement n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement ; s'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l'étranger concerné, « le seuil, pour l'ordonner, n'a pas été placé très haut » ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics.

c. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants, cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics
(ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021, consid. 3.1.).

d. Dans un arrêt 2C_123/2021 du 5 mars 2021, le Tribunal fédéral a confirmé une mesure d'interdiction territoriale à l'encontre d'un ressortissant nigérian, en séjour illégal en Suisse. Certes sa condamnation du 17 novembre 2020 n'était pas entrée en force. Elle avait toutefois trait à des délits en lien avec des stupéfiants, ce qui était déjà suffisant pour admettre un indice concret au sens de la jurisprudence. L'intéressé avait par ailleurs été vu à deux reprises dans un lieu connu pour le trafic de drogue à Genève, ce qui renforçait les soupçons pesant sur lui. De plus, il s'en était pris à un agent de police et, en mai 2018, avait déjà été condamné pour entrée et séjour illégaux, infractions qui, même si elles n'avaient pas de lien direct avec la drogue, constituaient également des indices suffisants pour retenir un trouble ou une menace à la sécurité et l'ordre publics. Ces éléments, pris dans leur ensemble, représentaient donc des indices concrets et permettaient de retenir, à l'instar de la chambre de céans, un soupçon de commission d'infractions dans le milieu de la drogue, respectivement un trouble ou une menace contre la sécurité et l'ordre publics justifiant le prononcé d'une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée au sens de l'art. 74 al. 1 let. a LEI. Le Tribunal fédéral rappelait que l'atteinte à la liberté personnelle causée par cette mesure était relativement légère et que le seuil pour l'ordonner n'avait pas été placé très haut.

e. Le Tribunal fédéral a statué dans un arrêt 2C_884/2020 du 5 août 2021, concernant également une affaire genevoise, sur la prise en compte de renseignements de police étrangers. Il a rappelé à titre préliminaire qu'une mesure basée sur l'art. 74 al. 1 let. a LEI ne présupposait pas une condamnation pénale de l'intéressé. Cela étant, l'intéressé avait non seulement été condamné pour vol, mais également, et de façon réitérée, pour des infractions à la LEI. Il avait de plus été interpellé de nombreuses fois en ville de Genève, notamment pour la détention de haschich ou encore lors du vol d'un t-shirt par une de ses amies.

En ce qui concernait les informations transmises par la police B______ au commissaire de police énumérées dans l'arrêt attaqué (art. 105 al. 1 LTF), elles relèvaient que le recourant était connu de longue date des services de la police B______ pour de nombreux vols et violences commis entre mars 2018 et octobre 2019 sous différentes identités, à savoir, vol en réunion le 28 mars 2017 à D______, vol à la tire le 21 avril 2017 à E______, vol aggravé le 3 juin 2017 à F______, violences aggravées les 21 juillet et 17 octobre 2017 à F______ et à G______, coups et blessures volontaires criminels ou correctionnels le 10 août 2017 à G______, violences avec arme et violation de domicile le 8 septembre 2017 à G______, vols en réunion sans violence les 15 août et 4 décembre 2018 et le 5 janvier 2019 à G______, vol aggravé et violence en réunion le 3 février 2019, menaces de mort réitérées le 22 juin 2019 en H______, vol aggravé avec violence le 3 octobre 2019 à G______. En présence d'une telle énumération, il confinait à la témérité de la part du recourant d'affirmer qu'il ne faudrait pas prêter attention à ces indications au motif qu'il s'agirait d'hypothétiques comportements répréhensibles commis à l'étranger, donc non pertinents. Celui-ci perdait de vue que, lorsqu'il s'agit d'évaluer la menace qu'il peut faire porter à l'ordre et à la sécurité publics au sens de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, le fait que ces actes se soient déroulés sur le sol B______ ne justifiait pas qu'on en tienne pas compte. En outre, cette disposition ne supposait pas l'existence de condamnations, de sorte que des renseignements de police, qui plus est, si détaillés, pouvaient parfaitement être pris en considération. À cela s'ajoutait que le comportement en Suisse du recourant ne faisait que confirmer sa propension à la délinquance.

L'autorité précédente avait, par ailleurs, retenu à juste titre que le recourant avait abusé de l'aide publique en se faisant passer faussement pour mineur. Ce comportement était de nature à corroborer le constat que le recourant n'hésitait pas à tromper les autorités pour obtenir des avantages indus. Il n'était dès lors pas critiquable que l'autorité précédente en ait tenu compte dans son appréciation.

Enfin, l'argument selon lequel la chambre administrative aurait retenu de manière indue que la situation précaire du recourant fondait le soupçon qu'il puisse commettre des infractions pour se nourrir, tombait à faux. S'il était indéniable qu'un constat d'indigence ne saurait constituer un indice suffisant pour présumer de la commission de futurs délits, le recourant avait, en omettant d'informer les autorités avec suffisamment de clarté sur la manière dont il parvenait à assurer sa subsistance, renforcé le soupçon qu'il pourrait recourir à des moyens illégaux pour se nourrir.

Finalement, le recourant ne pouvait rien déduire en sa faveur de la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle une personne ayant fait l'objet de deux condamnations, l'une pour le vol de deux cartes de téléphonie mobile prépayées et d'un paquet de cigarettes ainsi que pour voie de fait, et l'autre pour la tentative de vol d'un sac à main, ne représentait pas « incontestablement une menace importante et concrète pour la sécurité et l'ordre publics du centre-ville de Genève » (cf. arrêt 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.5.1). Le Tribunal fédéral avait retenu dans cette affaire que de tels faits constituaient, sur le principe, des motifs suffisants pour une mesure basée sur l'art. 74 al. 1 let. a LEI et ce n'était qu'en examinant si le principe de proportionnalité avait été correctement appliqué qu'il était arrivé à cette conclusion. Par ailleurs, cet arrêt concernait un mineur non-accompagné qui exigeait une prise en charge et un encadrement social et éducatif renforcé, ce qui n'était pas le cas du recourant.

Ainsi, la chambre administrative n'avait pas violé l'art. 74 al. 1 let. a LEI en retenant que les faits à la base de la condamnation pour vol du recourant ainsi que son comportement en Suisse et en B______ fondaient le soupçon qu'il puisse commettre de nouvelles infractions et partant, présentait une menace à l'ordre et la sécurité publics (arrêt 2C_884/2020 consid. 3.3).

4) a. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Le principe de la proportionnalité se compose ainsi des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé - de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

b. L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Ainsi, la mesure ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2 ; ATA/1347/2018 du 13 décembre 2018 consid. 6), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

c. La jurisprudence fédérale admet que la mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l'art. 74 LEI peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2A.253/2006 du 12 mai 2006 ; 2C_231/2007 du 13 novembre 2007), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

Le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c ; ATA/304/2020 du 20 mars 2020 consid. 4b ; ATA/748/2018 du 18 juillet 2018 consid. 4b).

5) a. Dans un arrêt ATA/1063/2021 du 12 octobre 2021 qui fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral, la chambre administrative a eu à connaître d'une interdiction de périmètre fondée sur l'art. 74 LEI prononcée à l'encontre d'un ressortissant portugais sans autorisation de séjour en Suisse, qu'elle soit de courte ou de longue durée. Son permis d'établissement avait été révoqué le 10 décembre 2015 et son renvoi prononcé par le département de la sécurité, de la population et de la santé en raison des nombreuses et graves condamnations pénales, en particulier pour des faits de violence, de sa mauvaise intégration et du pronostic d'avenir défavorable. Sa nationalité portugaise n'empêchait pas le prononcé d'une interdiction de périmètre conformément à l'art. 74 al. 1 LEI. Cette disposition n'excluait pas la cohabitation d'une telle mesure avec une interdiction de pénétrer en Suisse, telle celle dont le recourant faisait l'objet jusqu'au 21 août 2022.

La violation d'une interdiction territoriale constituait une infraction à l'art. 119 LEI, tandis que la violation d'une interdiction d'entrer en Suisse constituait une infraction à l'art. 115 al. 1 let. a LEI. Si le recourant devait partant faire l'objet de ces deux mesures et ce nonobstant revenir à Genève, ces deux infractions entreraient en concours, facteur d'aggravation de la peine. Il existait dès lors un intérêt juridique à examiner la question du prononcé d'une interdiction territoriale à son endroit.

L'intéressé faisait l'objet de six condamnations définitives entre novembre 2011 et juillet 2019, pour des infractions commises pour la plus ancienne en novembre 2010 et la plus récente en mars 2017, à teneur de son casier judiciaire suisse. Il faisait entièrement fi de l'interdiction de pénétrer en Suisse, puisqu'il admettait y venir plusieurs fois par semaine, mesure qui faisait de sa vie un « cauchemar ». Il indiquait venir y voir sa famille, ce qu'aucun de ses membres n'attestait. Il disait y avoir un avenir professionnel et des « petits boulots », sans le démontrer d'une quelconque manière. Lors de ses récentes interpellations par des gardes-frontière et par la police, il était tantôt en train de circuler au guidon d'un scooter avec un téléphone en main, porteur d'un couteau et d'un spray au poivre à vocation défensive selon ses déclarations, tantôt en train de faire la fête aux Pâquis avec des amis ou encore en route pour prendre un verre avec un ami à une heure avancée de la soirée. Il était pour le moins préoccupant que nonobstant ses multiples condamnations pour chaque fois notamment des actes de violence, le recourant persistât à se munir de tels objets. Il s'agissait là d'autant d'événements qui ne corroboraient nullement des visites à sa famille ou des démarches en vue de travailler, étant au demeurant rappelé qu'il n'y était pas autorisé.

Il avait indiqué vivre en B______, sans plus de précision, et y avoir une compagne et une fille. Il disait aussi avoir un compte bancaire en B______ sur lequel il disposait de quelques économies.

L'ensemble de ces éléments amenait à conclure qu'il n'avait aucune nécessité de venir sur le territoire genevois et plus largement en Suisse. Il en découlait également qu'il violait régulièrement l'interdiction d'entrer en Suisse, ce qui constituait autant d'infractions à l'art. 115 let. a LEI, des délits, en sus des diverses contraventions en lien avec ses venues à Genève, notamment en soirée, ce qui suffisait, à teneur de la jurisprudence du Tribunal fédéral, à justifier le prononcé d'une mesure fondée sur l'art. 74 al. 1 LEI. Le soupçon existait qu'il commette à l'avenir à tout le moins des infractions à la LEI, ce dont au demeurant il ne se cachait pas. Ces circonstances suffisaient à fonder le soupçon de trouble ou menace à la sécurité et à l'ordre publics au sens de l'art. 74 al. 1 let. a LEI et à justifier une interdiction territoriale.

Le but visé par cette mesure était de préserver l'ordre et la sécurité publics sur le territoire cantonal, pour lesquels le recourant présentait une menace.
Celui-ci était, de plus, sous le coup d'une interdiction d'entrer en Suisse valable jusqu'en août 2022, de sorte que de toute façon il ne devrait pas se trouver sur le territoire genevois jusqu'à cette date. De ce point de vue, une interdiction de deux ans n'apparaissait pas excessive et permettrait de protéger l'ordre public au-delà de la fin de l'interdiction de pénétrer en Suisse. Aucun élément ne ressortait du dossier qui démontrerait que la mesure aurait des conséquences insupportables pour le recourant, quand bien même il ne pourrait plus venir à sa guise voir des proches à Genève, qu'il pourrait côtoyer en B______ voisine, où semblaient vivre sa compagne et leur fille. Il ne démontrait ainsi pas qu'il serait sensiblement entravé dans l'exercice de ses droits les plus élémentaires, à savoir se loger et se nourrir dans des conditions dignes ou encore être privé de contact avec les membres de sa famille et ses connaissances.

b. Dans un arrêt ATA/1048/2021 du 7 octobre 2021, la chambre de céans a retenu que le recourant, ressortissant B______, ne remettait pas en cause l'absence autorisation de séjour en Suisse, qu'elle soit de courte ou de longue durée. Sa nationalité n'empêchait pas le prononcé d'une interdiction de périmètre conformément à l'art. 74 al. 1 LEI.

Il avait contesté devant la police la tentative de vol d'un vélo le 28 août 2021 vers 01h30 dans le quartier de la gare I______, mais était mis en cause tant par les circonstances de son interpellation, que les déclarations de l'un de ses comparses. On ignorait les raisons de sa venue dans le canton de Genève à cette date et à une heure aussi tardive de la nuit, au-delà des constats de la police en relation avec les faits ayant mené à son interpellation. On ignorait tout de sa situation personnelle, notamment financière, dans la mesure où il avait refusé de déposer devant la police et ne s'était pas présenté à l'audience du TAPI. Il ne prétendait pas qu'il aurait à venir à Genève, que ce soit en ville ou dans le reste du canton, pour d'autres raisons que son seul divertissement.

S'il était présumé innocent et pouvait avoir contesté ces faits par la voie de l'opposition contre l'ordonnance pénale du 28 août 2021, cet épisode n'en constituait pas moins un indice concret de la commission d'une tentative de vol et suffisait à fonder une interdiction de périmètre. S'y ajoutaient ses deux condamnations en 2014 et 2015 pour des faits spécifiques, à savoir vol et tentative de vol. Dans la mesure où ce nonobstant il semblait s'en être pris une nouvelle fois au patrimoine d'autrui, ce qui était au demeurant également le cas dans le cadre des vols d'usage de véhicules automobiles en raison desquels il avait été condamné en septembre 2013 et juillet 2014 (tentative) et quand bien même le Ministère public avait assorti sa nouvelle peine du sursis, le soupçon existait qu'il puisse à l'avenir commettre des infractions contre le patrimoine du type de celle pour laquelle il était alors mis en cause. Ces circonstances suffisaient à fonder le soupçon de trouble ou menace à la sécurité et à l'ordre publics au sens de l'art. 74 al. 1 let. a LEI.

6) a. La LEI ne s'applique aux ressortissants des États membres de l'Union européenne que lorsque l'ALCP n'en dispose pas autrement ou lorsqu'elle prévoit des dispositions plus favorables (art. 2 al. 2 LEI).

Les ressortissants d'une partie contractante sont admis sur le territoire des autres parties sur simple présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité (art. 1 annexe I ALCP). Les ressortissants d'une partie contractante ont le droit de séjourner et d'exercer une activité économique sur le territoire de l'autre partie contractante selon les modalités prévues aux chap. II à IV. Ce droit est constaté par la délivrance d'un titre de séjour ou spécifique pour les frontaliers (art. 2 al. 1 annexe I ALCP).

Les droits octroyés par les dispositions de l'ALCP ne peuvent être limités que par des mesures justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (art. 5 al. 1 Annexe I de l'ALCP ; ATF 140 II 112 consid. 3.6.2).

b. Le recours par une autorité nationale à la notion d' « ordre public » pour restreindre cette liberté suppose, en dehors du trouble de l'ordre social que constitue toute infraction à la loi, l'existence d'une menace réelle et d'une certaine gravité affectant un intérêt fondamental de la société (ATF 136 II 5 consid. 4.2 ; arrêt 2C_238/2012 du 30 juillet 2012 consid. 2.3). La seule existence d'antécédents pénaux ne permet donc pas de conclure (automatiquement) que l'étranger constitue une menace suffisamment grave pour l'ordre et la sécurité publics. Il faut procéder à une appréciation spécifique du cas, portée sous l'angle des intérêts inhérents à la sauvegarde de l'ordre public, qui ne coïncide pas obligatoirement avec les appréciations à l'origine des condamnations pénales. Autrement dit, ces dernières ne sont déterminantes que si les circonstances les entourant laissent apparaître l'existence d'une menace actuelle et réelle et d'une certaine gravité pour l'ordre public (ATF 136 II 5 consid. 4.2 ; 134 II 10 consid. 4.3).

c. Dans un arrêt ATF 139 II 121 auquel se réfèrent l'intimé et le TAPI, le Tribunal fédéral a constaté que l'ALCP ne réglemente pas l'interdiction d'entrée prévue par l'art. 67 LEI (alors dénommée LEtr – loi sur les étrangers), disposition dès lors applicable directement aux ressortissants de l'Union européenne, à condition toutefois que son application au cas par cas s'accorde avec les exigences de l'art. 5 § 1 annexe I ALCP, selon lequel le droit de demeurer en Suisse pour y exercer une activité lucrative ne peut être limité que par des mesures d'ordre ou de sécurité publics. Les exigences posées à ce sujet par les directives européennes et la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne doivent elles aussi être respectées (consid. 5.3). En substance, le Tribunal fédéral a souligné que les limites posées au principe de la libre circulation des personnes doivent s'interpréter de manière restrictive. Ainsi, au-delà du trouble de l'ordre social que constitue toute infraction à la loi, il faut qu'une menace réelle et d'une certaine gravité affecte un intérêt fondamental de la société, le Tribunal fédéral rappelant qu'il se montre particulièrement rigoureux en présence d'infraction à la LStup. La seule existence d'antécédents pénaux ne permet toutefois pas de conclure automatiquement que l'étranger constitue une menace suffisamment grave pour l'ordre et la sécurité publics. Seule une appréciation spécifique du cas, portée sous l'angle des intérêts inhérents à la sauvegarde de l'ordre public, qui ne coïncide pas obligatoirement avec les appréciations à l'origine des condamnations pénales, permet de procéder correctement à l'évaluation du risque. Il n'est pas nécessaire d'établir avec certitude que l'étranger commettrait d'autres infractions à l'avenir pour prendre une mesure d'éloignement à son encontre ; inversement, ce serait aller trop loin que d'exiger que le risque de récidive soit nul pour que l'on renonce à une telle mesure. En réalité, ce risque ne doit pas être admis trop facilement et il faut l'apprécier en fonction de l'ensemble des circonstances du cas, en particulier au regard de la nature et de l'importance du bien juridique menacé, ainsi que de la gravité de l'atteinte qui pourrait y être portée.

Examinant le cas d'espèce, le Tribunal fédéral (toujours dans l'arrêt précité), a constaté que l'intéressé avait été condamné, entre 2002 et 2009, pour des violations répétées et graves des règles de la circulation routière, pour de multiples infractions à la LStup, consistant notamment en l'écoulement d'au minimum 9,18 gr. d'héroïne pure et en la vente de plusieurs doses de ce produit à d'autres toxicomanes, et, dans une mesure moindre, pour des délits contre le patrimoine (tentative de vol en bande et dommage à la propriété). Ces différentes infractions apparaissaient comme objectivement graves. Pourtant, aucune d'entre elles, prise isolément, ne permettait d'inférer que l'intéressé « constitu[ait] pour l'avenir une menace réelle et grave pour l'ordre et la sécurité publics de nature à justifier une interdiction d'entrée en Suisse en dérogation à la libre circulation des personnes au sens des art. 67 al. 2 let. a LEtr cum art. 5 annexe I ALCP ». En revanche, en prenant en considération l'ensemble des faits reprochés et la période étendue sur laquelle ils s'étaient déroulés, il fallait admettre que l'intéressé, qui n'avait pas été capable de tirer les conséquences de deux avertissements qui lui avaient été adressés au sujet de la poursuite de son séjour en Suisse, constituait une menace d'une certaine gravité, réelle et actuelle pour l'ordre et la sécurité publics, de nature à justifier une mesure d'interdiction d'entrée au sens des art. 67 al. 2 let. a LEI cum art. 5 annexe I ALCP.

7) En l'espèce, la réalisation de la première des conditions cumulatives de l'article 74 al. 1 let. a LEI est réalisée, puisque quand bien même le recourant démontre détenir une carte d'identité B______ valable depuis le mois de mars 2019, pour une durée de quinze ans, ce qui l'autorise à entrer en Suisse (art. 1 al. 1 annexe I ALCP), il ne dispose pas en Suisse d'une autorisation de séjour ou d'établissement (art. 2 annexe I ALCP).

S'agissant de la seconde condition de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, la situation de l'intimé, ressortissant B______, est différente sur plusieurs points de celle dont la chambre de céans a eu à connaitre dans l'arrêt ATA/1063/2021 précité. Il ne fait en effet pas l'objet d'une mesure d'interdiction d'entrer en Suisse et n'a aucune condamnation inscrite à son casier judiciaire suisse. Sa situation s'apparenterait davantage à celle traitée dans l'ATA/1048/2021 précité.

À la différence de cette affaire où l'intéressé faisait l'objet de quatre précédentes condamnations pour des faits spécifiques (vol) ou très semblables (vol d'usage), l'intimé fait l'objet d'une seule condamnation en Suisse, du 7 octobre 2021, pour infraction à la LStup, contre laquelle il a formé opposition, sa position à la police ayant été d'admettre une détention de trois des vingt et une boulettes de cocaïne retrouvées, soit celles découvertes sur sa personne, à l'exclusion des
dix-huit autres boulettes retrouvées dans la voiture qu'il conduisait et dans laquelle un passager avait pris place. Il réservait cette cocaïne à sa consommation. Quand bien même sa condamnation pour ces faits n'est pas définitive, les circonstances de son interpellation fondent un fort soupçon d'une participation à un trafic de cocaïne.

Il cumule par ailleurs sept contraventions entre le 19 mars 2014 et le 19 avril 2021 en lien avec des interpellations dont il a fait l'objet en Ville de Genève, toutes au petit matin, pour des violations de la LCR, ainsi qu'une absence de détention de passeport valable indiquant sa nationalité. Il est connu des services de police B______. Quand bien même son casier judiciaire B______ est vierge, les cinq occurrences transmises à la police genevoise par le CCPD s'agissant d'une possible implication du recourant dans quatre actes de violence, en particulier en 2018, et en 2019 par deux fois, de violences vis-à-vis de concubin ou partenaire en 2015, de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de dix ans et en 2012, d'autres violences volontaires aggravées peuvent être prises en considération dans le cadre de l'examen de la menace pour l'ordre public que présente le recourant.

Au vu de ces éléments, il doit être retenu que le comportement de l'intimé lors de ses venues à Genève n'est pas exempt de reproches et pourrait lui valoir, en lien avec les faits du 7 octobre 2021, une condamnation pour infraction à la LStup, étant rappelé que le Tribunal fédéral et la chambre de céans, qui plus est lorsqu'il s'agit de drogue dure comme en l'espèce, retiennent le soupçon d'une menace de trouble pour l'ordre public au sens de l'art. 74 al. 1 let. a LEI même en l'absence de condamnation définitive selon les circonstances du cas d'espèce.

Quant à l'application de l'art. 74 al. Let. a LEI à un ressortissant de l'Union européenne, il sera relevé que l'art. 5 de l'annexe I ALCP s'applique aux ressortissants qui ont le droit de séjourner et d'exercer une activité économique sur le territoire d'un État contractant (art. 2 Annexe I ALCP). Or en l'espèce, comme déjà dit, le recourant n'est au bénéfice d'aucune autorisation de séjour ou d'établissement en Suisse et ne déclare y venir que pour voir des amis. Dans un tel cas, la réserve prévue à l'art. 5 de l'annexe I ALCP s'applique à l'art. 74 al. 1
let. a LEI, à l'instar que ce qui a été retenu par le Tribunal fédéral pour l'interdiction d'entrée prévue à l'art. 67 LEI, étant de plus souligné le caractère coercitif moindre de la première de ces mesures.

En effet, outre que le Tribunal fédéral a rappelé dans l'arrêt 139 II 121 précité que l'art. 67 LEI était applicable directement aux ressortissants de l'Union européenne, ce qui semble aussi être le cas de l'article 74 LEI, il a aussi retenu que c'était à condition que son application au cas par cas s'accorde avec les exigences de l'art. 5 § 1 annexe I ALCP, « selon lequel le droit de demeurer en Suisse pour y exercer une activité lucrative » ne peut être limité que par des mesures d'ordre ou de sécurité publics. Le Tribunal fédéral a souligné que les limites posées au principe de la libre circulation des personnes devaient s'interpréter de manière restrictive, et qu'il devait exister une menace réelle et d'une certaine gravité affectant un intérêt fondamental de la société, rappelant au passage qu'il se montre particulièrement rigoureux en présence d'infraction à la LStup, pour pouvoir prononcer une interdiction fondée sur l'art. 67 LEI compatible avec l'ALCP. Il n'est de plus pas nécessaire d'établir avec certitude que l'étranger commettrait d'autres infractions à l'avenir pour prendre une mesure d'éloignement à son encontre ; inversement, ce serait aller trop loin que d'exiger que le risque de récidive soit nul pour que l'on renonce à une telle mesure.

En l'espèce, comme déjà dit, on se trouve en présence d'une participation à un trafic de drogue dure, de plusieurs occurrences de trouble à l'ordre public, certes sous la forme de contraventions, et de renseignements de police B______ pour des faits de violence d'une gravité certaine. Ainsi, quand bien même il devait être fait application dans le cadre d'une mesure fondée sur l'art. 74 LEI des conditions plus strictes valant pour un ressortissant de l'Union européenne, bien que ne disposant d'aucun titre de séjour ou d'établissement en Suisse, comme c'est le cas de l'intimé, elles seraient également réalisées en l'espèce. Il sera encore ajouté que le recourant, comme dans le cas tranché par la chambre de céans (ATA/953/2020 du 24 septembre 2020) et confirmé par le Tribunal fédéral dans l’arrêt 2C_884/2020 précité ne démontre aucune source de revenu licite, étant relevé qu'il a, lors de ses auditions les plus anciennes par la police, indiqué travailler pour la voirie et plus récemment, être sans emploi. Ses déclarations à cet égard sur le tard, soit devant le TAPI le 1er novembre 2021, et nullement étayées, selon lesquelles il n'aurait été sans emploi qu'au moment de son interpellation en octobre 2021 et aurait le reste du temps eu constamment des emplois dans la vente, auxquels se seraient ajoutés des « extras » en Suisse les week-ends dans des établissements de nuit, ne convainquent pas. L'intimé ne démontre aucune source de revenus licite lui permettant de pourvoir à son entretien, et, s'il est réellement consommateur de cocaïne, de s'en fournir.

L'ensemble de ces circonstances amène à retenir qu'il existe un risque que l'intimé commette d'autres infractions à l'avenir, dont en matière de trafic de stupéfiants, de sorte qu'il est justifié de prendre à son encontre une mesure d'interdiction territoriale.

Ainsi, c'est à juste titre que le commissaire de police a rendu à son encontre une interdiction territoriale s'étendant à tout le canton de Genève pour une durée de douze mois, mesure dont il ne critique pas la proportionnalité, à juste titre, étant encore relevé qu'il ne fait état ni a fortiori n'étaie d'une quelconque manière une nécessité de se rendre dans le canton de Genève.

En conséquence, le recours sera admis, le jugement du TAPI annulé et la décision du commissaire de police rétablie.

8) La procédure étant gratuite (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), aucun émolument de procédure ne sera perçu (art. 87
al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 novembre 2021 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 novembre 2021 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 novembre 2021 ;

rétablit la mesure prononcée par le commissaire de police le 7 octobre 2021 à l'encontre de M. A______ ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Serge Rouvinet, avocat de M. A______, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsiqu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme LAUBER, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. Specker

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :