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Décisions | Sommaires

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C/1235/2025

ACJC/1337/2025 du 29.09.2025 sur JTPI/7630/2025 ( SML ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/1235/2025 ACJC/1337/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 29 SEPTEMBRE 2025

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 5ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 20 juin 2025, représentée par Me Pierre-Xavier LUCIANI, avocat, rue du Petit-Chêne 18, case postale 6681,
1002 Lausanne (VD),

et

B______ SA, sise c/o C______ SA, ______ (JU), intimée, représentée par
Me Jean-Charles LOPEZ, avocat, Budin & Associés, rue De-Candolle 17, case postale 166, 1211 Genève 12.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/7630/2025 du 20 juin 2025, expédié pour notification aux parties le 24 juin 2025 et reçu le lendemain par A______ SA, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure sommaire, a déclaré irrecevables les déterminations écrites de la précitée du 3 juin 2025 (ch. 1 du dispositif), prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______ (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 750 fr., compensés avec l'avance fournie par B______ SA et mis à la charge de A______ SA, condamné celle-ci à verser ce montant à celle-là (ch. 3), ainsi que 1'500 fr. TTC à titre de dépens (ch. 4), et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

B. a. Par acte expédié le 1er juillet 2025 à la Cour de justice, A______ SA a formé recours contre ce jugement, concluant à son annulation et, cela fait, au rejet de la requête de mainlevée provisoire formée par B______ SA, sous suite de frais et dépens.

b. Par arrêt du 21 juillet 2025, la Cour a rejeté la requête de A______ SA tendant à suspendre l'effet exécutoire attaché au jugement attaqué.

c. Dans sa réponse du 18 juillet 2025, B______ SA a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

d. A______ SA s'est encore déterminée le 24 juillet 2025, persistant dans ses conclusions.

e. La cause a été gardée à juger le 19 août 2025, ce dont les parties ont été avisées le même jour.

C. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier soumis au Tribunal :

a. B______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce du canton du Jura, qui a pour but notamment l'achat, la construction, la vente, l'échange, la possession, l'aménagement, la gérance et l'exploitation de terrains et d'immeubles.

A______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce du canton de Genève qui a pour but notamment l'achat la vente et la commercialisation de produits de luxe, entre autres dans le domaine de la mode.

D______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce du canton de Genève qui a pour but notamment la promotion des relations commerciales et culturelles entre la Suisse et la Chine.

E______ AG est une société inscrite au Registre du commerce du canton de Zoug qui pour but notamment l'acquisition, la gestion, la location, le financement ainsi que l'acquisition de terrains et d'immeubles.

b. Le 18 juillet 2022, E______ AG, en qualité de bailleresse, et A______ SA et D______ SA, en qualité de "locataires solidaires", ont signé un contrat de bail à loyer portant sur la location d'une surface commerciale de 154 m2 située au 1er étage de l'immeuble sis rue 2______ no. ______, [code postal] Genève, destinée à l'exploitation de bureaux, pour un loyer mensuel de 30'800 fr. et un acompte mensuel pour charges et frais accessoires de 449 fr. 15, tous deux assujettis à la TVA. Le contrat de bail, conclu pour une durée indéterminée, stipulait que la remise effective des locaux – libres de tout occupant et de toute chose qui entraverait la mise en œuvre des travaux d'aménagement prévus par les locataires – était prévue à la mi-juillet 2022 et que le loyer, payable par mois d'avance, était dû dès le 1er janvier 2023.

c. L'état des lieux d'entrée signé par A______ SA le 24 août 2022 mentionne que les clés des locaux ont été remises ce jour-là à la représentante de cette dernière, que "tout est vérifié et en bon état", que "les locataires prennent les locaux bruts" et qu'à "l'heure actuelle aucune arrivée d'eau [n']est existante".

d. Par acte notarié du 27 juin 2023, E______ AG a vendu à B______ SA la parcelle n° 4______ de la Commune de F______, sise rue 2______ no. ______, [code postal] Genève. L'acte de vente précisait que B______ SA reprenait la place de E______ AG dans tous les droits et obligations de celle-ci vis-à-vis des locataires.

e. Par courrier du 12 décembre 2023, la régie mandatée par B______ SA a mis A______ SA et D______ SA en demeure de s'acquitter de plusieurs mensualités (loyers, charges et frais accessoires) en retard.

f. Par courrier du 10 janvier 2024, A______ SA et D______ SA, par l'intermédiaire de leur conseil, ont déclaré résilier avec effet immédiat le contrat de bail signé le 18 juillet 2022, au motif que les locaux n'étaient pas dans un état approprié à l'usage convenu – les locataires n'ayant pas obtenu l'autorisation de construire pour procéder aux travaux d'aménagement prévus –, d'une part, et que B______ SA aurait dénoncé l'accord conclu avec l'ancienne propriétaire, selon lequel le "début de l'exigibilité du loyer" était reporté "tant et aussi longtemps" que le "permis de construire" (ou "permis d'utiliser") "n'était pas accordé" aux locataires, d'autre part.

g. Le même jour, A______ SA et D______ SA ont déposé une requête de conciliation à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, tendant à faire constater que le contrat de bail conclu le 18 juillet 2022 avait été résilié avec effet au 1er septembre 2023, subsidiairement au 10 janvier 2024, et qu'il existait un "accord sur l'absence d'exigibilité du paiement du loyer depuis la rupture du bail jusqu'à ce jour".

Les parties ont été citées à comparaître à une audience de conciliation qui s'est tenue le 29 avril 2024. Aucun accord n'ayant été trouvé, la Commission de conciliation a délivré l'autorisation de procéder aux locataires à l'issue de l'audience.

A______ SA et D______ SA n'ont pas introduit leur demande devant le Tribunal des baux et loyers.

h. Le 16 août 2024, B______ SA a informé les locataires qu'en l'absence de justes motifs les autorisant à résilier le contrat de bail, leur courrier de résiliation du 10 janvier 2024 était traité comme une demande de restitution anticipée des locaux au sens de l'art. 264 CO. Les locataires restaient donc tenues de leurs obligations contractuelles jusqu'à la prochaine échéance du bail ou jusqu'à la relocation effective des locaux.

i. Le 28 octobre 2024, B______ SA a fait notifier à A______ SA un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur les sommes suivantes, réclamées à titre de loyer (TVA de 7.7 %, puis de 8.1 % incluse) pour la surface commerciale sise rue 2______ no. ______ à Genève pour les mois de juillet 2023 à avril 2024 : 33'655 fr. 35 plus intérêts à 5% dès le 1er août 2023 (juillet 2023), 33'655 fr. 35 plus intérêts à 5% dès le 1er septembre 2023 (août 2023), 33'655 fr. 35 plus intérêts à 5% dès le 1er octobre 2023 (septembre 2023), 33'655 fr. 35 plus intérêts à 5% dès le 1er novembre 2023 (octobre 2023), 33'655 fr. 35 plus intérêts à 5% dès le 1er décembre 2023 (novembre 2023), 33'655 fr. 35 plus intérêts à 5% dès le 1er janvier 2024 (décembre 2023), 33'780 fr. 35 plus intérêts à 5% dès le 1er février 2024 (janvier 2024), 33'780 fr. 35 plus intérêts à 5% dès le 1er mars 2024 (février 2024), 33'780 fr. 35 plus intérêts à 5% dès le 1er avril 2024 (mars 2024) et 33'780 fr. 35 plus intérêts à 5% dès le 1er mai 2024 (avril 2024).

Ce commandement de payer a été frappé d'opposition totale.

j. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 janvier 2025, B______ SA a requis le prononcé de la mainlevée provisoire de l'opposition formée à la poursuite n° 1______.

Elle a allégué que l'ancienne propriétaire de l'immeuble, E______ AG, lui avait indiqué "qu'en raison des travaux", les locataires avaient été dispensées du paiement du loyer jusqu'en juin 2023. Cependant, aucun document écrit ne lui avait été remis pour justifier un tel report de l'exigibilité du loyer. Malgré tout, et à bien plaire, B______ SA avait pris en considération le 1er juillet 2023 comme date de première exigibilité du loyer. Par ailleurs, contrairement à ce que prétendaient les locataires, A______ SA s'était vu délivrer, le ______ février 2023, l'autorisation de construire nécessaire pour procéder à l'aménagement de bureaux au 1er étage de l'immeuble sis rue 2______ no. ______, sur la parcelle n° 4______ de la Commune de F______. Elle s'est référée à cet égard à l'autorisation de construire n° APA 5______ publiée le ______ février 2023 dans la Feuille d'avis officielle genevoise (FAO), ainsi qu'au suivi administratif du dossier relatif à cette autorisation de construire.

k.a Le 3 avril 2025, le Tribunal a cité les parties à comparaître à une audience de mainlevée qu'il a fixée le 6 juin 2025.

La citation invitait la société poursuivie à apporter tous les titres dont elle entendait faire état et reproduisait, en son verso, le texte de l'art. 147 CPC sur le défaut et ses conséquences, ainsi que celui de l'art. 148 CPC sur la restitution en cas de défaut à une audience.

k.b Par courrier de son conseil du 3 juin 2025, reçu au greffe du Tribunal le 4 juin 2025, A______ SA a conclu au rejet de la requête de mainlevée, sous suite de frais et dépens, indiquant qu'elle ne pourrait pas être présente ni représentée lors de l'audience du 6 juin 2025.

En substance, elle a fait valoir que les parties avaient conclu un contrat de bail sous la condition suspensive de la réalisation de travaux d'aménagement afin de rendre les locaux exploitables et que cette condition ne s'était pas réalisée. Elle avait en outre résilié le contrat de bail avec effet immédiat le 10 janvier 2024, de sorte qu'il n'existait quoiqu'il en soit aucun titre de mainlevée au-delà de cette date.

k.c Lors de l'audience du 6 juin 2025, à laquelle A______ SA n'était ni présente ni représentée, B______ SA a persisté dans les termes et conclusions de sa requête.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

l. Le 11 juin 2025, le greffe du Tribunal a transmis à B______ SA, pour information, l'écriture spontanée de A______ SA du 3 juin 2025.

Par courrier du 12 juin 2025, B______ SA a conclu à l'irrecevabilité de cette écriture.

Le 13 juin 2025, le greffe du Tribunal a transmis ce courrier, pour information, à A______ SA qui s'est encore déterminée par écrit le 23 juin 2025.

m. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu qu'en citant les parties à une audience le 6 juin 2025, il avait choisi d'instruire la procédure de façon orale, de sorte qu'il incombait à A______ SA de se déterminer oralement lors de cette audience et non par écrit, étant relevé que la précitée n'avait pas spécifié les motifs de son absence à cette audience. Son écriture spontanée du 3 juin 2025 devait par conséquent être déclarée irrecevable.

Le contrat de bail signé le 18 juillet 2022 par A______ SA constituait un titre de mainlevée provisoire pour les loyers échus et les acomptes de charges et de frais accessoires, TVA en sus, soit 33'655 fr. 35 TTC par mois pour la période de juillet à décembre 2023, puis 33'780 fr. 35 TTC par mois pour la période de janvier à avril 2024. Ce contrat ne prévoyait pas de condition suspensive au paiement du loyer. Au contraire, il stipulait expressément que le loyer était dû dès le 1er janvier 2023. L'existence d'une telle condition suspensive, contestée par B______ SA, ne ressortait d'aucune pièce du dossier. Au surplus, la résiliation du contrat par A______ SA le 10 janvier 2024 n'avait pas d'incidence sur les créances visées dans le commandement de payer, au vu du délai légal de résiliation de six mois. Il y avait donc lieu de faire droit à la requête de mainlevée provisoire.

EN DROIT

1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. b et 309 let. b ch. 3 CPC).

1.2 Le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 251 let. a CPC et 321 al. 1 et 2 CPC).

En l'espèce, le recours a été déposé dans le délai et la forme requis par la loi, de sorte qu'il est recevable de ce point de vue.

1.3 Le pouvoir d'examen de l'autorité de recours est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 let. a a contrario et art. 58 al. 1 CPC).

1.4 Les conclusions, allégations de fait et preuves nouvelles sont irrecevables dans le cadre d'un recours (art. 326 al.1 CPC).

2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir violé son droit d'être entendue en déclarant son écriture spontanée du 3 juin 2025 irrecevable et en l'empêchant de répliquer sur le courrier de l'intimée du 12 juin 2025, ce qui consacrait, selon elle, une violation des art. 29 Cst et 53 CPC. Elle lui reproche également d'avoir établi les faits de manière arbitraire et réitère les arguments soulevés dans son écriture spontanée du 3 juin 2025.

2.1
2.1.1
Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable au sens de l'art. 29 Cst., le droit d'être entendu garantit notamment au justiciable le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, d'avoir accès au dossier, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, dans la mesure où il l'estime nécessaire, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre (ATF
146 III 97 consid. 3.4.1; 142 III 48 consid. 4.1.1).

Cela étant, malgré son caractère formel, la garantie du droit d'être entendu n'est pas une fin en soi. Lorsqu'on ne voit pas quelle influence la violation du droit d'être entendu a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée (arrêts du Tribunal fédéral 4D_76/2020 du 2 juin 2021 consid. 4.2; 4A_148/2020 du 20 mai 2020 consid. 3.2). En particulier, l'admission du grief de violation du droit d'être entendu suppose que, dans sa motivation, le recourant indique quels arguments il aurait fait valoir dans la procédure cantonale et en quoi ceux-ci auraient été pertinents. A défaut, le renvoi de la cause au juge précédent, en raison de la seule violation du droit d'être entendu, risquerait de conduire à une vaine formalité et à prolonger inutilement la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 4A_453/2016 du 16 février 2017 consid. 4.2.3 et 4.2.4);

2.1.2 La procédure de mainlevée est régie par la procédure sommaire des art. 248 ss CPC (art. 251 let. a CPC), laquelle se caractérise par son caractère simple et rapide ainsi que sa souplesse dans sa forme (arrêt du Tribunal fédéral 5A_256/2020 du 8 novembre 2021 consid. 4.2, rendu en matière de mainlevée, et les arrêts cités).

Selon l'art. 253 CPC, lorsque la requête ne paraît pas manifestement irrecevable ou infondée, le tribunal donne à la partie adverse l'occasion de se déterminer oralement ou par écrit. Plus singulièrement en matière de mainlevée de l'opposition, l'art. 84 al. 2 LP dispose que le juge du for de la poursuite donne au débiteur, dès réception de la requête, l'occasion de répondre verbalement ou par écrit, avant qu'il ne notifie sa décision. Ces dispositions concrétisent le droit d'être entendu du poursuivi, garanti par les art. 29 Cst. et 53 CPC. Le caractère écrit ou oral de la procédure est laissé à la libre appréciation du tribunal, ce qui permet de tenir compte du cas d'espèce. Le juge rend à cet égard une ordonnance de conduite de la procédure. S'il choisit de convoquer une audience, il doit veiller à ce que l'intéressé dispose de suffisamment de temps pour se préparer, ce qui est en principe le cas lorsque celle-là est prévue sept jours après le moment où l'assignation est réputée avoir été valablement notifiée (Ibidem).

En procédure sommaire, il appartient au juge d'apprécier quelle est la procédure la plus adaptée au cas d'espèce. Le défendeur n'a pas le choix entre l'un ou l'autre des modes de détermination prévus par l'art. 253 CPC. Il ne peut en particulier pas librement décider de déposer, en lieu et place de sa comparution personnelle à l'audience, une détermination écrite. Quant au droit de prendre position sur les arguments soulevés par l'autre partie qui découle du droit de réplique garanti par l'art. 29 Cst. (ainsi que par l'art. 53 al. 3 CPC depuis le 1er janvier 2025), il ne confère pas aux parties le droit de disposer à leur guise de la procédure et de choisir, selon leur convenance, la procédure écrite plutôt qu'orale, alors que leur droit d'être entendues pourrait parfaitement être sauvegardé par la tenue d'une audience (arrêt du Tribunal fédéral 5A_256/2020 précité consid. 4.3.3).

En cas de défaut à l'audience de mainlevée, la procédure suit son cours (art. 147 al. 2 CPC) et le tribunal statue sur la base des titres déposés (art. 234 al. 1 CPC). L'art. 234 al. 2 CPC n'est pas applicable à la procédure de mainlevée et le juge statue même si aucune des parties n'a comparu. Le créancier qui, sans autorisation du tribunal, remplace sa comparution personnelle par une détermination écrite est considéré comme défaillant. Cela étant, le fait que le poursuivi n'ait contesté ni par oral ni par écrit les allégués du poursuivant ne permet pas de suppléer à l'absence de titre : le juge doit examiner d'office l'existence d'un titre exécutoire, même en cas de non-comparution ou de silence du poursuivi (ABBET/VEUILLET, La mainlevée de l'opposition, 2022, n. 91 ad art. 84 LP et les réf. citées).

2.1.3 Le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire (art. 82 al. 1 LP).

Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi – ou son représentant –, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et échue (ATF 140 III 456 consid. 2.2.1; 139 III 297 consid. 2.3.1; 136 III 624 consid. 4.2.2; 136 III 627 consid. 2).

Si la prestation en argent promise dans une reconnaissance de dette est subordonnée à l'avènement d'une condition suspensive, il appartient au créancier d'établir par titre que la condition est réalisée ou devenue sans objet, à moins que cela ne soit notoire ou reconnu sans réserve par le débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 5A_1015/2020 du 30 août 2021 consid. 3.2.2).

En principe, seul le créancier désigné dans la reconnaissance de dette est légitimé à requérir la mainlevée. Cependant, la mainlevée provisoire peut aussi être accordée au successeur à titre particulier du créancier désigné (cession de créance, transfert de contrat, subrogation), pour autant que le transfert de la créance soit établi par titre (ABBET/VEUILLET, op. cit., n. 77 ad art. 82 LP et les arrêts cités).

2.1.4 Le juge prononce la mainlevée si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération (art. 82 al. 2 LP).

Le poursuivi peut se prévaloir de tous les moyens de droit civil – exceptions ou objections (par ex. paiement, remise de dette, compensation, accomplissement d'une condition résolutoire, etc.) – qui infirment la reconnaissance de dette (ATF 131 III 268 consid 3.2). Il n'a pas à apporter la preuve absolue (ou stricte) de ses moyens libératoires, mais seulement à les rendre vraisemblables, en principe par titres (art. 254 al. 1 CPC). Le juge n'a pas à être persuadé de l'existence des faits allégués; il doit, en se fondant sur des éléments objectifs, avoir l'impression qu'ils se sont produits, sans exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement (ATF 142 III 720 consid. 4.1). Le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour décider si un état de fait est vraisemblable ou non. Plus la reconnaissance de dette est claire plus la vraisemblance de la libération doit être accrue (ABBET/VEUILLET, op. cit., n. 107 ad art. 82 LP).

2.1.5 Le contrat de bail signé constitue une reconnaissance de dette dans la poursuite en recouvrement du loyer (art. 257 CO) et des frais accessoires (art. 257a ss CO), dûment convenus et chiffrés, non seulement pour toute la durée de l'occupation de l'objet loué mais pour toute la durée contractuelle (VEUILLET/ABBET, op. cit., n. 160 ad art. 82 LP et les références citées).

Comme le bailleur, le locataire peut, en vertu de l'art. 266g CO, mettre un terme au contrat de manière anticipée, pour n'importe quelle échéance, mais en respectant le préavis légal des art. 266b à 266e CO – soit, pour des locaux commerciaux, en observant un préavis de six mois pour un trimestre de bail (art. 266d CO) – si, pour de justes motifs, l'exécution du bail devient intolérable. Lorsque les conditions matérielles d'un congé anticipé donné par un locataire ne sont pas remplies, le congé est inefficace. Ses effets ne sont pas reportés à la prochaine échéance utile; l'art. 266a al. 2 CO ne s'applique pas. Si le locataire restitue les locaux malgré le congé anticipé inefficace, l'art. 264 CO est applicable : le locataire est tenu par ses obligations jusqu'à la prochaine échéance contractuelle ou légale, sauf s'il trouve un locataire de remplacement solvable et disposé à reprendre le bail aux mêmes conditions, que le bailleur ne peut pas raisonnablement refuser (LACHAT, Le bail à loyer, 2019, p. 931 et 932).

Le bail résilié ne vaut plus titre à la mainlevée pour les créances postérieures à l'expiration du contrat; le locataire qui continue à occuper les locaux est certes débiteur d'une indemnité pour occupation illicite mais celle-ci ne repose pas sur une reconnaissance de dette. En cas de restitution anticipée de la chose louée par le locataire sans présentation d'un nouveau locataire qui satisfasse aux exigences posées par l'art. 264 CO, le contrat de bail reste un titre à la mainlevée provisoire (VEUILLET/ABBET, op. cit., n. 163 ad art. 82 LP et l'arrêt cité).

Si le locataire prétend, en application de l'art. 82 CO, que la chose louée n'a pas été mise à sa disposition, le bailleur doit établir le transfert de la possession. En matière immobilière, la quittance prouvant la remise des clés est suffisante. Le bailleur qui n'a ni exécuté sa prestation ni offert de le faire ne peut pas se prévaloir du fait que le locataire doit s'exécuter en premier et payer le loyer au début de chaque mois. Le locataire poursuivi peut également faire valoir que la chose louée est affectée de défauts qui justifient la réduction du loyer ou des dommages-intérêts et opposer cette prétention en compensation (art. 269a al. 1 et 259e CO). Le poursuivi doit rendre vraisemblable l'existence des défauts ainsi que le montant de sa réclamation (ABBET/VEUILLET, op. cit., n. 164 et 164a ad art. 82 LP et les références citées).

2.2
2.2.1
En l'espèce, faisant usage de son pouvoir d'appréciation, le Tribunal a cité les parties à comparaître à une audience de mainlevée qu'il a agendée au 6 juin 2025. La citation invitait la poursuivie à apporter tous les titres dont elle entendait faire état et reproduisait, au verso, le texte de l'art. 147 CPC sur le défaut et ses conséquences, ainsi que celui de l'art. 148 CPC sur la restitution en cas de défaut à une audience. Ce faisant, le premier juge a manifestement décidé que la procédure serait strictement orale, ce qui était clairement reconnaissable pour la recourante, ce d'autant que celle-ci était assistée de son avocat.

La recourante n'a pas contesté cette manière de conduire les débats de première instance et ne s'est prévalue d'aucun motif qui aurait pu justifier son absence ou celle de son conseil à l'audience du 6 juin 2025, dont elle n'a pas sollicité le renvoi selon l'art. 135 CPC. Elle ne s'est pas davantage plainte du délai de convocation (étant relevé que la citation à l'audience a été expédiée à son conseil début avril 2025, soit avec deux mois d'avance) ou fait valoir que la cause ne se prêtait pas à ce qu'elle expose sa position oralement conformément à son droit d'être entendue (étant relevé que la Cour ne discerne aucun motif qui aurait justifié de privilégier une procédure écrite dans le cas concret). La recourante a spontanément produit une détermination écrite, reçue au greffe du Tribunal le 4 juin 2025, se bornant à préciser qu'elle ne comparaîtrait pas à l'audience agendée le surlendemain. Or, en procédure sommaire, ce n'est pas aux parties mais au juge qu'il revient d'apprécier quelle est la procédure la plus adaptée au cas d'espèce. Le débiteur poursuivi n'a pas le choix entre l'un ou l'autre des modes de détermination prévus par l'art. 253 CPC. En particulier, il ne peut librement décider de déposer, en lieu et place de sa comparution à l'audience, une détermination écrite.

La recourante – qui a délibérément renoncé à être entendue lors de l'audience du 6 juin 2025, alors qu'elle avait dûment été convoquée à cet effet – ne saurait dès lors reprocher au Tribunal de ne pas avoir tenu compte de son écriture spontanée du 3 juin 2025 et d'avoir gardé la cause à juger à l'issue de cette audience. Elle ne saurait non plus lui reprocher de ne pas avoir tenu compte des écritures subséquentes que les parties lui ont adressées, sans y avoir été invitées, alors qu'elles avaient dûment été informées de la clôture des débats de première instance.

Le grief de la recourante, en tant qu'elle reproche au Tribunal d'avoir violé son droit d'être entendue, tombe quoiqu'il en soit à faux. En effet, bien qu'il ait (à juste titre) écarté l'écriture spontanée du 3 juin 2025 des débats, le Tribunal a malgré tout examiné – avant de les rejeter – les moyens de défense soulevés par la recourante dans cette écriture pour s'opposer à la mainlevée. Au surplus, la recourante s'est bornée à affirmer que la non prise en compte, par le Tribunal, de ses déterminations spontanées du 23 juin 2025, consacrerait une violation de son droit d'être entendue, sans indiquer quels arguments auraient été ignorés par le premier juge et en quoi ceux-ci auraient été pertinents pour l'issue du litige. Et pour cause, puisque la recourante s'est limitée, dans cette dernière écriture, à réitérer les moyens déjà développés dans ses déterminations du 3 juin 2025.

C'est dès lors en vain que la recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue tel que consacré aux art. 29 Cst. et 53 CPC.

2.2.2 Ainsi qu'on vient de le voir, le caractère oral de la procédure de mainlevée, décidé par le Tribunal, a eu pour conséquence d'entraîner l'irrecevabilité des déterminations écrites de la recourante du 3 juin 2025.

Il en résulte que la conclusion de cette dernière tendant au rejet de la mainlevée est nouvelle et, partant, irrecevable (art. 326 al. 1 CPC; cf. supra consid. 1.4), tout comme les faits nouveaux dont la recourante se prévaut devant la Cour pour s'opposer au prononcé de la mainlevée.

En tout état, même à admettre la recevabilité de cette conclusion et de ces faits nouveaux, le recours devrait quoiqu'il en soit être rejeté pour les motifs qui suivent.

2.2.3 Comme l'a retenu le Tribunal, le contrat de bail signé par la recourante le 18 juillet 2022 constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP pour les loyers et les acomptes de charges/frais accessoires réclamés par l'intimée pour les mois de juillet 2023 à avril 2024. A cet égard, il n'est pas contesté que suite à l'acquisition de l'immeuble sis rue 2______ no. ______ par l'intimée, celle-ci a pris la place de E______ AG en tant que partie bailleresse audit contrat. Il ressort par ailleurs de l'état des lieux d'entrée produit par l'intimée que la recourante a été mise en possession des locaux loués en août 2022.

Contrairement à ce que soutient la recourante, le contrat de bail du 18 juillet 2022 ne prévoit pas de condition suspensive au paiement du loyer. L'existence d'une telle condition, contestée par l'intimée, ne résulte d'aucune des pièces figurant au dossier, étant relevé que le contrat de bail prévoit expressément que le loyer est dû à compter du 1er janvier 2023, en dépit des travaux d'aménagement prévus par les locataires et du fait que celles-ci ont "pris les locaux bruts". A titre superfétatoire, il sera relevé que dans son courrier du 10 janvier 2024 adressé à l'intimée, la recourante a précisé que le "début de l'exigibilité du loyer" était reporté "tant et aussi longtemps" que le "permis de construire" (ou "permis d'utiliser") "n'était pas accordé". Or il ressort des pièces produites par l'intimée que la recourante a obtenu l'autorisation nécessaire pour aménager des bureaux dans les locaux loués en février 2023, de sorte qu'à bien suivre les explications de cette dernière, le paiement du loyer brut (charges et frais accessoires inclus) était à nouveau exigible dès cette date.

Au surplus, comme l'a retenu le Tribunal, le courrier de résiliation des locataires du 10 janvier 2024 n'est pas susceptible de faire obstacle au prononcé de la mainlevée pour les mois de juillet 2023 à avril 2024. En effet, outre que la recourante n'a fourni aucune pièce propre à étayer les justes motifs invoqués par les locataires pour résilier le bail de façon anticipée, cette résiliation – si tant est qu'elle soit valable, ce qui est contesté par l'intimée – ne pouvait prendre effet au plus tôt qu'en juillet 2024, voire en septembre 2024, compte tenu du préavis de six mois pour un trimestre de bail à observer selon l'art. 266d CO. Enfin, la recourante ne soutient pas – et a fortiori ne rend pas vraisemblable – qu'elle aurait présenté à l'intimée un locataire de remplacement, solvable et prêt à reprendre le bail aux mêmes conditions, conformément aux exigences posées par l'art. 264 CO.

2.2.4 En définitive, le Tribunal a considéré avec raison que les déterminations écrites de la recourante du 3 juin 2025 étaient irrecevables, d'une part, et que l'intimée était au bénéfice d'un titre de mainlevée au sens de l'art. 82 LP pour l'ensemble des créances faisant l'objet de la poursuite n° 1______, d'autre part.

Le recours sera dès lors rejeté, dans l'étroite mesure de sa recevabilité.

3. Les frais judiciaires de recours, incluant l'émolument de décision sur effet suspensif, seront arrêtés à 1'325 fr. (art. 48 et 61 OELP), mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC), et compensés avec l'avance versée par cette dernière, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

La recourante sera condamnée à verser à l'intimée 1'200 fr., débours et TVA inclus, à titre de dépens de recours (art. 85, 89 et 90 RTFMC; art. 20, 23 et 26 LaCC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Rejette, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté le 24 juillet 2025 par A______ SA contre le jugement JTPI/7630/2025 rendu le 20 juin 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/1235/2025-5 SML.

Arrête les frais judiciaires de recours à 1'325 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser 1'200 fr à B______ SA à titre de dépens de recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

 

La présidente :

Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.