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C/10675/2024

ACJC/1292/2025 du 23.09.2025 sur JTPI/2852/2025 ( SFC ) , MODIFIE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10675/2024 ACJC/1292/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 23 SEPTEMBRE 2025

Entre

A______ & CIE SARL, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 10ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 17 février 2025, représentée par Maîtres Anne Valérie JULEN BERTHOD et Matthias LANZONI, avocats, OBERSON ABELS SA, esplanade de Pont-Rouge 5, case postale 225,
1211 Genève 12,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [ZG], et

C______ SA (anciennement C______ SARL), sise ______ (VD), et

Monsieur D______, domicilié ______ (France), et

Madame E______, domiciliée ______ [GE],

Tous intimés, représentés par Me Frank SPOORENBERG, avocat, Niederer Kraft Frey SA, place de l'Université 8, 1205 Genève.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/2852/2025 du 17 février 2025, reçu par les parties le 27 février 2025, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a donné acte à B______ de ce qu'il retirait sa requête en renseignements et consultation formée à l'encontre de A______ & CIE (ch. 1 du dispositif), admis la requête en tant qu'elle émanait de C______ SA, E______ et D______ (ch. 2) et condamné A______ & CIE SARL à communiquer à ces derniers les renseignements suivants (ch. 3) :

a. Renseignements relatifs à la dépréciation de la valeur d'investissement dans le Groupe F______ dans les Comptes annuels et Comptes consolidés de A______ & Cie Sàrl au 31 mai 2023

i. Quelle est la raison pour laquelle, la valeur de marché reconnue au bilan (carrying amount) de 100 % des capitaux propres de F______ est de USD 46'851’018 millions après application d'une décote de 55 % sur la valeur de marché selon la Note n° 9 des Comptes consolidés de A______ & Cie Sàrl au 31 mai 2023 alors qu'en réponse à une question écrite des Requérants, la Citée a indiqué lors de l'Assemblée générale du 23 février 2023 que la valeur de marché (fair market valuation) de F______ avait été estimée au 31 mai 2023 pour les besoins de la Note 24 à USD 245.5 millions pour 100 % de F______?

ii. Quelle est la justification de l'utilisation de la décote de 55 % à la lumière du transfert ultérieur à G______ qui n'a pas entraîné de changement de bénéficiaire économique/contrôle du point de vue de la législation russe?

iii. Quelles sont les prévisions du business plan ainsi que la courbe à terme USD:RUB utilisées dans l'évaluation de la valeur du marché?

b. Renseignements relatifs au transfert de F______ HOLDING S.à.r.l

i. Sur quelle base juridique la Citée considère-t-elle que la licence générale no 76A de l'OFAC doit être interprétée comme une obligation de cession?

ii. Si le transfert a été effectué au profit de Mme G______ afin de se conformer à la licence générale no 76A de l'OFAC, qui est le constituant et bénéficiaire des trusts, qui détiennent indirectement le groupe A______, pour quelles raisons A______ & Cie Sàrl considère-t-elle que le transfert apporte une solution à la situation qui résulte de la licence générale no 76A de l’OFAC?

iii. Si la contrepartie payée pour le transfert mentionné à la Conclusion (b)(ii) ci-dessus est de 1 fr. et si la méthode d'évaluation utilisée pour déterminer cette contrepartie est la valeur du marché, quels sont les critères utilisés pour déterminer que la valeur du marché correspond à 1 fr. et comment le « earn-out » a-t-il été évalué? A______ & Cie Sàrl est en particulier ordonnée de produire l'analyse et le calcul de l'évaluation à l'appui de la valeur du marché utilisée pour le transfert.

iv. Comment A______ & Cie Sàrl réconcilie-t-elle les différentes évaluations mentionnées dans les Notes des Comptes consolidés de la Citée au 31 mai 2023, en particulier aux Notes no 9 et 24, pour arriver finalement à une évaluation de 1 fr.?

v. Le transfert et ses principales conditions ont-ils été communiqués aux créanciers de A______ & Cie Sàrl et aux bénéficiaires de droit de gage, d'hypothèques et/ou de toute autre garantie et sûreté accordée par A______ & Cie Sàrl?

vi. Si aucun memorandum fiscal n'a été émis concernant le transfert mentionné ci-dessus à la Conclusion (b)(ii), A______ & Cie Sàrl a-t-elle examiné d'une autre manière les conséquences fiscales de ce transfert pour la Citée?

vii. Comment la Citée peut-elle justifier une contrepartie de 1 fr. pour le transfert mentionné à la Conclusion (b)(ii) ci-dessus et simultanément un « earn-out » de 10 ans sur tout produit qui pourrait être reçu par le cessionnaire des parts? Quels sont les produits à escompter selon l'opinion raisonnable de A______ & Cie Sàrl? Pourquoi une période aussi longue pour l’«earn-out»?

viii. Quel est le contenu de la clause d’«earn-out» dans l'accord de transfert relatif au transfert mentionné à la Conclusion (b)(ii) ci-dessus?

ix. Sur quelle base le Conseil des gérants de A______ & Cie Sàrl justifie-t-il qu'il a agi conformément à son devoir de diligence et de loyauté vis-à-vis de A______ & Cie Sàrl en acceptant une contrepartie de 1 fr. avec un «earn-out» de 10 ans?

x. Comment le Conseil des gérants de A______ & Cie Sàrl justifie-t-il que, en réalisant le transfert mentionné à la Conclusion (b)(ii) ci-dessus, il a agi dans le meilleur intérêt de A______ & Cie Sàrl et non dans celui de l'actionnaire majoritaire?

xi. Sur quelle base la Citée peut-elle justifier que le transfert mentionné à la Conclusion (b)(ii) ci-dessus reflète un accord valide entre les parties au transfert et non un transfert simulé?

xii. Quel type de relation A______ & Cie Sàrl a-t-elle, et a-t-elle l'intention d'avoir, avec le cessionnaire, ou tout autre cessionnaire de F______ Holdings S.à.r.l., en relation avec F______ Holdings S.à.r.l. ou l'une de ses filiales?


 

c. Renseignements relatifs à des événements postérieurs

Comment la Citée explique-t-elle que, selon la Note no 34 des Comptes consolidés de A______ & Cie Sàrl au 31 mai 2023, le transfert mentionné à la Conclusion (b)(ii) ci-dessus n'a pas encore eu lieu au 23 janvier 2024 (qui est la date de signature des états financiers consolidés par Mme H______, en tant que CEO, et la date de leur approbation par le Conseil des gérants) mais que, selon le Registre de Commerce et des Sociétés du Luxembourg, A______ & Cie Sàrl a transféré toutes ses parts par contrat signé avec effet au 15 janvier 2024?

ii. En ce qui concerne l'exercice de leurs options par les détenteurs de parts minoritaires, quels sont (i) le montant de la dette de A______ & Cie Sàrl découlant de cet exercice et (ii) le seuil de matérialité qui ont été pris en compte par A______ & Cie Sàrl pour considérer que cet exercice ne devait pas être divulgué comme un événement postérieur?

d.      Renseignements relatifs au désinvestissement de la plateforme de négoce physique et/ou de son portefeuille de trading et autres actifs

Qu'est-ce que le Conseil des gérants de A______ & Cie Sàrl a l'intention de faire avec les participations et les actifs restants du groupe A______ ? Le Conseil des gérants de A______ & Cie Sàrl a-t-il l'intention de vendre tout ou partie du groupe A______ à un tiers ? Y a-t-il eu des développements depuis la demande d'information initiale du 21 février 2023 formulée par les Requérants?

ii. Au cours des cinq derniers mois, un représentant d'une entité du groupe A______ a-t-il reçu, été informé de ou sollicité une offre ou une manifestation d'intérêt pour acquérir (i) le groupe A______, (ii) une participation du groupe A______, ou (iii) un actif détenu par une participation du groupe A______?

iii. Quelles sont les principales conditions d'une telle offre? A______ & Cie Sàrl est ordonnée de produire une copie de toute offre reçue.

iv. Toutes les offres ont-elles été dûment examinées, étudiées, traitées et ont-elles fait l'objet d'une réponse de la part des représentants de A______ ou de ses associés?

v. Une telle offre a-t-elle été refusée par un représentant de A______ ou de ses associés ? Quelles sont les raisons pour lesquelles un tel représentant a refusé une offre ou ne l'a pas traitée?

vi. Une telle offre a-t-elle été acceptée par un tel représentant?


 

Le Tribunal, au ch. 4 du dispositif de son jugement, a en outre condamné A______ & CIE SARL à communiquer à C______ SA, E______ et D______ copie des documents suivants

a. Les documents relatifs à l'audit de la Société

i. Toute la correspondance avec les auditeurs de I______ SA, y compris les courriels, les lettres, les mémorandums et tout autre document justificatif concernant l'émission des rapports d'audit sur les Comptes annuels et Comptes consolidés de A______ & Cie Sàrl au 31 mai 2023.

ii. Toute la correspondance avec les auditeurs de I______ SA, y compris les courriels, les lettres, les mémorandums et tout autre document justificatif concernant la dépréciation de F______ Group.

iii. Toute la correspondance avec une étude d'avocats, y compris les courriels, les lettres, l'analyse juridique, l'avis de droit et tout autre document justificatif confirmant et/ou étayant le fait que A______ & Cie Sàrl ne détient plus le contrôle de F______ Group à la date indiquée dans les états financiers consolidés, à savoir le 31 mai 2023.

iv. Lettres de représentation de la direction pour les états financiers statutaires et les états financiers consolidés de A______ & Cie Sàrl au 31 mai 2023.

v. Tous les mémorandums fiscaux, notes ou autres documents décrivant les conséquences fiscales du transfert par la Citée de ses parts dans F______ Holdings Sàrl au bénéficiaire de ce transfert.

vi. Toute correspondance avec une étude d'avocats, y compris les courriels, les lettres, les analyses juridiques, les mémorandums et tout autre document justificatif relatif au transfert des parts de A______ dans F______ Holdings Sàrl en général et/ou confirmant en particulier (i) la base sur laquelle la déclaration suivante a été faite à la page 13 des Comptes consolidés de A______ & Cie Sàrl au 31 mai 2023 : "A______ a jusqu'au 31 janvier 2024 pour céder ou transférer sa participation dans F______ à une personne non américaine", (ii) comparant les alternatives à ce transfert, (iii) confirmant comment et dans quelle mesure ledit transfert est conforme à la licence générale no 75 émise le 2 novembre 2023 par I'U.S. Office of Foreign Assets Control.

vii. L’accord de transfert de parts qui a été conclu entre les parties concernées, avec toutes leurs versions et mark-ups successifs, y compris tout accord séparé, lettre annexe, addendum, relatif audit transfert.

viii. Tous les procès-verbaux du Conseil des gérants de A______ & Cie Sàrl relatifs au transfert des parts de F______ Holdings Sàrl, en particulier (i) l'approbation du transfert, (ii) l'approbation de la restructuration aboutissant au transfert et/ou (iii) l'examen des alternatives au transfert et le choix final de procéder au transfert.

ix. Tous les documents par lesquels le cessionnaire aurait transféré tout ou partie des parts dans F______ Holdings Sàrl, ou la propriété effective de tout ou partie des parts, à une partie quelconque.

x. Tous les documents par lesquels une participation détenue directement ou indirectement par F______ Holdings Sarl aurait été transférée à une tierce partie dans les cinq mois précédant le transfert ou après le transfert mentionné ci-dessus à la Conclusion (b) (ii).

b. Les documents relatifs au désinvestissement de A______ dans la plateforme de négoce physique du portefeuille de trading et autres actifs

Tous les échanges de correspondance avec une tierce partie, les lettres d'intention, les offres fermes, les term-sheets, les lettres de procédure et les documents connexes par lesquels un représentant d'une entité du groupe A______ a reçu, a été informé ou a sollicité une offre ou une manifestation d'intérêt d’une tierce partie pour acquérir (i) le groupe A______, (ii) toute participation dans le groupe A______, ou (iii) tout actif détenu par toute participation du groupe A______.

ii. Tous les documents reflétant la manière dont une telle offre a été dûment examinée, revue, traitée et a fait l'objet d'une réponse par un représentant d'une entité du groupe A______.

Le Tribunal a de plus dit que, faute d'exécution dans les trente jours dès l'entrée en force du jugement, A______ & CIE SARL serait condamnée, sur requête de C______ SA, E______ ou D______, à une amende d'ordre de 1'000 fr. au plus pour chaque jour d'inexécution (art. 343 al. 1 let. c CPC) (ch. 5), condamné A______ & CIE SARL à verser aux précités, pris solidairement, 3'000 fr. de frais judiciaires (ch. 6 à 9) ainsi que 3'000 fr. de dépens (ch. 10) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 11).

B. a. Le 10 mars 2025, A______ & CIE SARL a formé appel de ce jugement, concluant principalement à ce que la Cour de justice l'annule et déboute ses parties adverses de toutes leurs conclusions. Subsidiairement, elle a conclu à ce que la Cour rejette la requête de renseignements formée par ses parties adverses, restreigne la portée de la consultation à sa comptabilité 2023, y compris les pièces justificatives, dise que le droit à la consultation s'exercera à son siège ou en l'étude de ses avocats, pour autant que ses parties adverses signent une déclaration écrite attestant de l'étendue de la consultation qui leur aura été accordée, toute éventuelle copie de documents étant à leur frais, avec suite de frais et dépens.

b. B______, C______ SA, E______ et D______ ont conclu à la confirmation du jugement querellé, avec suite de frais et dépens.

Ils ont produit des pièces nouvelles.

c. Les parties se sont déterminées à de nombreuses reprises dans les délais prévus par l'art. 53 al. 3 CPC.

d. Elles ont été informées le 2 juillet 2025 de ce que la cause était gardée à juger par la Cour.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. A______ & CIE SARL, inscrite au Registre du commerce de Genève, a notamment pour but social l'acquisition, la détention et l'aliénation de participations dans des sociétés et le commerce en gros de produits agricoles.

Son capital social est de 9'600'010 fr., composé de 92'300 parts d'une valeur nominale de 104 fr. chacune, d'une part d'une valeur de 103 fr. et de 7 parts d'une valeur de 101 fr.

Les gérants de la société sont I______ (associé gérant président), J______ et K______ (gérants non associés).

L'associé majoritaire de A______ & CIE SARL est la société L______ HOLDINGS SARL, sise au Luxembourg.

Son organe de révision est I______ SA.

b. C______ SA, société liée à M______, ancien CEO de A______ & CIE SARL, détient 5'815 parts du capital social de cette dernière. D______ et E______ en détiennent chacun 1'615. B______ détenait quant à lui 2'584 parts qu'il a vendues les 4 et 5 juin 2024 à A______ & CIE SARL.

Jusqu'en automne 2023, M______, D______, E______ et B______ étaient cadres de A______ & CIE SARL. Ils ont quitté la société dans un contexte conflictuel. En particulier, M______ a été révoqué de ses fonctions pour le 31 décembre 2023. A______ & CIE SARL lui reproche des manquements graves à ses devoirs, étant précisé que l'intéressé les conteste. Un litige pendant oppose D______ à A______ & CIE SARL devant le Tribunal de commerce de Paris. Un autre litige pendant oppose L______ HOLDINGS SARL à E______.

c. L'art. 24 des statuts de A______ & CIE SARL prévoit que chaque associé peut exiger des gérants des renseignements sur toutes les affaires de la société. Lorsque la société a un organe de révision, le droit de consulter les livres et les dossiers n'est accordé que dans la mesure où un intérêt légitime est rendu vraisemblable. S’il existe un risque que l’associé utilise les informations obtenues pour des buts étrangers à la société et au préjudice de cette dernière, les gérants peuvent lui refuser le renseignement ou la consultation dans la mesure nécessaire ; sur requête de l’associé, l’assemblée des associés décide.

d. Par l'intermédiaire de filiales, A______ & CIE SARL détenait, au 8 mai 2023, entre autres, 38,75% du groupe F______, actif dans la production agricole en Russie.

Cette participation était évaluée à 93'351'629 USD dans les comptes consolidés de A______ & CIE SARL au 31 mai 2022.

e. Par courrier du 12 février 2024, le conseil des gérants de A______ & CIE SARL a convoqué pour le 23 février 2024 l’assemblée des associés de la société pour l'exercice du 1er juin 2022 au 31 mai 2023 ; étaient notamment joints à la convocation les états financiers consolidés, le rapport de gestion et celui de l’organe de révision pour l’exercice écoulé.

Il ressortait des notes 1 et 34 des états financiers consolidés que A______ & CIE SARL considérait ne plus contrôler F______ au 31 mai 2023 du fait du contexte politique difficile en Russie, des sanctions et des contre-mesures russes, de sorte que cette société ne pouvait plus être consolidée dans ses comptes. Cette perte de contrôle avait provoqué pour A______ & CIE SARL une perte de 105'471'018 USD au 31 mai 2023, et une perte supplémentaire de 18'101'870 USD au 30 novembre 2023, portant ainsi la valeur de marché de cette participation à 0 au 30 novembre 2023. Les notes précitées ajoutaient que, du fait des sanctions américaines frappant [la société] N______, l'autre actionnaire (indirect) de F______, A______ & CIE SARL avait jusqu'au 31 janvier 2024 pour transférer ses actions dans cette société à une personne qui ne soit pas ressortissante des Etats-Unis ou pour liquider sa participation. A______ & CIE SARL avait par ailleurs décidé de fermer sa plateforme de négoce physique dans le monde entier.

f. Le 21 février 2024, C______ SA, B______, E______ et D______ (désignés ci-après également comme les "associés minoritaires"), ont adressé à A______ & CIE SARL une requête de renseignements, portant sur les événements mentionnés dans ses états financiers, à savoir la dépréciation de la valeur d'investissement dans F______, la cession de la participation dans cette société et le désinvestissement de la plateforme de négoce physique, ainsi qu'une requête de consultation de documents. Ils ont fait valoir que les événements précités avaient un impact sur la valeur de A______ & CIE SARL, le montant de ses liquidités et son champ d'activité. Ils avaient besoin de comprendre comment ces actifs avaient été évalués et les conséquences des événements susmentionnés pour la société.

g. Lors de l’assemblée des associés du 23 février 2024, les gérants et l'organe de révision ont répondu oralement à certaines questions (pièce 9 intimée) et par écrit à d'autres (pièce 11 intimée). Une réponse a été fournie à chaque question, à l'exception d'une seule, à savoir "Quelles sont les prévisions du business plan ainsi que la courbe à terme USD:RUB utilisée dans l'évaluation de la valeur du marché?" en lien avec la valeur d'investissement dans le groupe F______ (question 2 a iii de la requête).

Les gérants ont indiqué aux associés minoritaires qu'ils feraient droit à leur demande d'accès aux documents, dans la mesure utile, après l'assemblée. Ceux-ci ont fait valoir lors de l'assemblée qu'ils ne s'estimaient pas suffisamment renseignés.

Les états financiers de A______ & CIE SARL ont par ailleurs été approuvés à l'unanimité lors de cette assemblée.

h. Les 3 et 22 mars 2024, les associés minoritaires ont indiqué à A______ & CIE SARL que les réponses apportées lors de l’assemblée n’étaient pas conformes à son devoir d’information, ont posé 22 questions additionnelles, et mis en demeure la société d'y répondre et de leur donner accès à ses livres.

i. Le 22 mars 2024, A______ & CIE SARL leur a transmis le procès-verbal de l’assemblée des associés, les réponses écrites aux questions déjà distribuées lors de cette assemblée, ainsi qu’un avis de droit d’une étude d’avocats américaine contenant des éléments de réponse.

j. Le 4 avril 2024, les associés minoritaires ont persisté dans leur mise en demeure.

Le 24 avril 2024, A______ & CIE SARL leur a répondu que les informations nécessaires leur avaient été fournies et que leur droit à la consultation des documents de la société serait examiné en temps utile sur la base des dispositions légales applicables.

k. Le 8 mai 2024, C______ SA, E______, B______ et D______ ont déposé par devant le Tribunal une requête en renseignements et consultation de documents au sens de l'art. 802 al. 4 CO.

Ils ont conclu à ce que le Tribunal condamne leur partie adverse à répondre aux questions figurant sous let. A ci-dessus (ch. 3 du dispositif du jugement querellé) et leur communique copie des documents mentionnés à la let. précitée (ch. 4 du dispositif).

Ils ont fait valoir que A______ & CIE SARL n'avait pas répondu à la question 2 a iii de leur requête, ne leur avait pas donné accès aux documents requis et n'avait pas répondu à leur demande de renseignements complémentaires.

l. Par réponse du 1er juillet 2024, A______ & CIE SARL a conclu principalement à l’irrecevabilité de la requête en tant qu’elle émanait de E______, B______ et D______ et, pour le surplus, à son rejet.

Elle a notamment fait valoir que ces derniers avaient dirigé la société jusqu'en septembre 2023, de sorte qu'ils avaient déjà toutes les informations utiles concernant l'exercice 2022/2023. Leurs demandes étaient disproportionnées et chicanières, étant rappelé que des litiges l'opposaient aux associés minoritaires. Elle avait déjà répondu à toutes leurs questions.

m. Le 15 juillet 2024, les associés minoritaires ont déposé une écriture spontanée, persistant dans leurs conclusions, à l'exception de B______ qui renonçait aux siennes, en raison de la vente de ses parts.

Procédant à un examen détaillé, chiffres à l'appui, des documents en leur possession, ils ont allégué que les réponses qui leur avaient été fournies par le nouveau management de A______ & CIE SARL étaient inexactes et qu'il aurait pu en particulier être procédé plus tôt à la "deoffshorisation" de F______.

n. Les parties ont ensuite déposé de multiples écritures spontanées, persistant dans leurs conclusions.

Il en ressort notamment que, en janvier 2024, A______ & CIE SARL a cédé à G______, personne liée à son associé majoritaire, sa participation dans la société F______ HOLDINGS SARL, détenant partiellement F______, pour la somme de 1 fr., avec une participation de dix ans sur les produits que pourrait percevoir G______, ceci pour se conformer à des obligations en lien avec le droit américain. En juillet 2024, cette participation a été cédée à une société tierce, O______ LTD, par l'intermédiaire d'une autre société, pour le prix de 10'000'000 USD. La participation dans F______ HOLDINGS SARL, qui ne détenait plus F______, a été rétrocédée à A______ & CIE SARL en août 2024 pour 1 fr. F______ HOLDINGS SARL a ensuite été mise en liquidation.

Le 26 novembre 2024, la cause a été gardée à juger par le Tribunal.

EN DROIT

1. 1.1 La valeur litigieuse d'un litige portant sur le droit aux renseignements prévu par l'art. 802 CO se calcule sur la base de la valeur des parts des associés requérants (arrêt du Tribunal fédéral 4A_507/2014 et 4D_73/2014 du 15 avril 2015 consid. 2.1.2; 4A_350/2011 du 13 octobre 2011, consid. 1.1.1).

En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., ce qui n'est pas contesté.

L'appel, formé dans les délais et forme légaux, contre une décision finale rendue dans une affaire patrimoniale avec une valeur litigieuse supérieure à 10'000 fr. est dès lors recevable (art. 308, 311 et 314 al. 1 CPC).

2. 2.1 Selon l'article 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard et s'ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.

2.2 En l'espèce, les pièces nouvelles déposées par les intimés sont postérieures au 26 novembre 2024, date à laquelle la cause a été gardée à juger par le Tribunal, de sorte qu'elles sont recevables.

3. Sur les questions encore litigieuses à ce stade, le Tribunal a retenu que les intimés avaient rendu vraisemblable que leur demande de renseignements n'était ni chicanière, ni abusive, dans la mesure où les questions qu'ils posaient, en lien avec des affaires précises de la société (dépréciation de la valeur de F______, transfert de F______ HOLDINGS SARL pour 1 fr. et désinvestissement de la plateforme de trading), portaient sur des faits de nature à affecter la valeur de leurs parts sociales. L'appelante n'avait pas indiqué précisément à quelles questions elle avait déjà répondu. Le refus des gérants suffisait pour qu'il soit fait appel au juge sans qu'une décision préalable de l'assemblée des associés ne soit nécessaire. L'appelante n'avait pas établi qu'il existait un risque que les intimés utilisent les informations obtenues pour des buts étrangers à la société et au préjudice de cette dernière. Les intimés avaient un intérêt légitime à la consultation des documents qu'ils demandaient. Cet intérêt résidait "dans la perte de valeur potentielle" qu'ils "subiraient en lien avec leurs parts sociales s'il devait finalement s'avérer que la dépréciation de certains actifs du groupe est intervenue sans raison valable, ou que la cession d'autres actifs pour le montant symbolique de 1 fr. ne se justifiait pas, ou encore que rien n'explique le désinvestissement de la plateforme de négoce physique et/ou de son portefeuille de trading". Le droit de consultation emportait celui de lever copie des documents.

L'appelante fait valoir que, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, elle a valablement expliqué et prouvé qu'elle avait fourni les renseignements requis aux intimés. Les informations fournies avant la procédure et au cours de celle-ci étaient suffisantes au regard des dispositions légales. Les intimés ne pouvaient pas exercer leur droit aux renseignements directement en justice sans solliciter une décision préalable de l'assemblée des associés sur cette question. Ils n'avaient pas établi qu'ils avaient un intérêt légitime à consulter l'intégralité des documents qu'ils demandaient. En tout état de cause, ils ne pouvaient pas prétendre à la remise de copie, mais devaient consulter les documents et en lever, cas échéant, copie sur place, à leur frais. L'ampleur des documents requis était disproportionnée, ce qui attestait du caractère abusif de la requête.

3.1.1 Selon l'art. 802 al. 1 CO, chaque associé peut exiger des gérants des renseignements sur toutes les affaires de la société.

Lorsqu’une société n’a pas d’organe de révision, chaque associé peut consulter les livres et les dossiers sans restrictions. Lorsqu’elle a un organe de révision, le droit de consulter les livres et les dossiers n’est accordé que dans la mesure où un intérêt légitime est rendu vraisemblable (al. 2).

S’il existe un risque que l’associé utilise les informations obtenues pour des buts étrangers à la société et au préjudice de cette dernière, les gérants peuvent lui refuser le renseignement ou la consultation dans la mesure nécessaire; sur requête de l’associé, l’assemblée des associés décide (al. 3).

Si les renseignements ou la consultation ont été refusés indûment, l’associé peut demander au tribunal d’ordonner à la société de fournir les renseignements ou d’accorder le droit de consultation (al. 4).

3.1.2 Par rapport à la réglementation en vigueur jusqu’au 31 décembre 2007 (aCO 819), le droit aux renseignements et à la consultation des associés en vigueur depuis le 1er janvier 2008 a été amélioré pour les associés minoritaires (Message in : FF 2001 p. 2952). Ledit droit a été remanié lors de la révision adoptée le 19 juin 2020 et entrée en vigueur le 1er janvier 2023 (cf. RO 2020 4005; RO 2022 109; FF 2017 353).

Selon le message du Conseil fédéral, le droit aux renseignements peut être exercé en tout temps. Il appartient aux gérants d’en déterminer les modalités adéquates. Selon les circonstances, ils peuvent convoquer à brève échéance une assemblée des associés pour transmettre les informations souhaitées. Ils peuvent aussi les donner par écrit. Dans l’intérêt de la société, l’al. 3 de l'art. 802 CO fixe certaines limites, qui s’appliquent aussi bien à l’exercice du droit aux renseignements qu’à celui à la consultation: s’il existe un risque que l’associé utilise les informations obtenues pour des buts étrangers à la société et au préjudice de cette dernière, les gérants peuvent lui refuser le renseignement ou la consultation dans la mesure nécessaire. Lorsque les gérants refusent de renseigner l’associé ou de lui laisser consulter les livres et les dossiers, le sociétaire concerné peut transmettre sa requête à l’assemblée des associés pour décision. Selon l’art. 802 al. 4 CO, si l’assemblée des associés refuse également le droit aux renseignements ou à la consultation, ce droit peut, sur requête, être ordonné par un tribunal, au cas où le refus ne paraît pas justifié (FF 2002 p. 3000 et 3001).

Il résulte des travaux préparatoires que le texte français de l'art. 802 al. 4 CO a été modifié par rapport au projet initial de 2001, en ce sens que la version actuellement en vigueur ne précise pas que le tribunal ne peut être saisi que si l'assemblée des associés refuse indûment le renseignement ou la consultation requise. Selon les travaux préparatoires, cette différence rédactionnelle ne visait pas à modifier le teneur de la disposition par rapport au projet initial (FF 2002 p. 3073; FF 2017 p. 553 et 673).

Les versions allemande et italienne de l'art. 802 al. 4 CO précisent quant à elles expressément que le juge ne peut être saisi que si l'assemblée des sociétaires s'est prononcée négativement sur la demande de consultation ou de renseignements ("Verweigert die Gesellschafterversammlung die Auskunft oder die Einsicht ungerechtfertigterweise, so ordnet sie das Gericht auf Antrag des Gesellschafters an"; "In caso di rifiuto ingiustificato dell’assemblea dei soci, il giudice ordina, ad istanza del socio, che i ragguagli siano forniti o la consultazione autorizzata").

La doctrine considère également que l’associé peut saisir le tribunal compétent en cas de refus de l’assemblée des associés. L'art. 802 al. 4 CO correspond à l'art. 697b CO pour la SA. La requête au tribunal est dirigée contre la société et doit, dans la mesure du possible, donner tous les détails utiles en lien avec les documents sur lesquels porte la demande de consultation et formuler des conclusions suffisamment précises pour que la partie adverse puisse se déterminer et que le tribunal puisse les discuter dans la motivation de sa décision et les reprendre dans le dispositif. En cas de condamnation de la société, le tribunal peut faire application de l'art. 292 CP (insoumission à une décision de l’autorité) (Chappuis/Jaccard, Commentaire romand, CO II; 2024, n. 52 ad art. 802 CO).

3.1.3 L'application de la cautèle prévue par l'art. 802 al. 3 CO peut, en pratique, se révéler délicate pour les gérants. En cas de dommage ultérieur du fait d’une utilisation indue par l’associé, les gérants risquent de voir leur responsabilité civile, voire pénale, engagée (art. 827 CO). Une lecture prudente de l'art. 802 al. 3 CO incite à comprendre le terme "peuvent" comme "ont la compétence de". Sans exagérer le trait, on peut d’ailleurs se demander si, dans le doute et/ou des situations potentiellement litigieuses, les gérants ne devraient pas refuser à l’associé l’exercice du droit aux renseignements et/ou à la consultation et laisser l’assemblée des associés, ou à défaut le tribunal, statuer et, par hypothèse, autoriser l’exercice du droit. Dans cette situation, l’associé requérant doit indiquer les motifs pour lesquels il souhaite être renseigné ou consulter les livres et les dossiers. Sur requête de l’associé, c’est l’assemblée des associés qui décidera de l’accès éventuel et de son étendue. L'art. 802 al. 2 i.f. CO ouvre un droit individuel et indépendant à l'associé requérant de demander aux gérants la convocation d'une assemblée des associés extraordinaire et la faculté de requérir l'inscription d'un objet à l'ordre du jour (Chappuis/Jaccard, op. cit., n. 45-47, ad art. 802 CO).

3.1.4 Concernant les documents dont la consultation peut être demandée, il convient de relever que, lors de la révision entrée en vigueur en 2023, la terminologie utilisée pour la SA (art. 697a al. 1 CO "les livres et les dossiers") s’est alignée sur celle de la SARL. Les associés peuvent ainsi consulter notamment la correspondance, y compris électronique, reçue ou envoyée par la SARL, les contrats auxquels celle-ci est partie ou qu'elle a reçus, les décisions et jugements, les plans d’affaires (business plan) et les plans de continuation des affaires (business continuity plan), les rapports de due diligence, les déclarations fiscales et décisions y relatives, les relevés des comptes bancaires, les avis de droit ou les documents relatifs aux contrôles effectués par des autorités (Chappuis/Jaccard, op. cit., n. 36-37 ad art. 802 CO).

Selon la doctrine, en dépit du silence de la loi, sauf abus de droit de la part de l’associé, il paraît approprié d'autoriser celui-ci à prendre une photographie ou à obtenir copie des documents consultés, étant rappelé que l’associé est soumis ex lege à un devoir de sauvegarde du secret des affaires absolu (art. 803 al. 1 CO). Sauf disposition statutaire divergente ou accord contraire, la société peut imposer que la consultation ait lieu à son siège. Après exercice du droit à la consultation par l’associé, il ne semble pas déplacé que la société exige une déclaration écrite, signée par l’associé, confirmant le pourtour de la consultation accordée et les documents soumis (Chappuis/Jaccard, op. cit., n. 39, 40 et 43 ad art. 802 CO).

3.2.1 En l'espèce, il ressort des principes juridiques précités que l'associé minoritaire ne peut, à teneur de l'art. 802 al. 4 CO, agir en justice pour exercer son droit à l'information que si les renseignements ou la consultation lui ont été refusés indûment par l'assemblée des associés.

L'art. 24 des statuts de l'appelante prévoit également que, lorsque les gérants ne donnent pas suite à une demande de renseignements ou de consultation de l'associé minoritaire, il incombe à l'assemblée des associés de se prononcer sur cette question.

A l'exception de la question 2 a iii de la requête - qui figure au ch. 3 du dispositif du jugement querellé - aucune des questions figurant dans la requête de renseignements déposée par les intimés n'a été soumise à l'assemblée des sociétaires. La requête est par conséquent irrecevable en tant qu'elle concerne ces questions.

Contrairement à ce que font valoir les intimés, l'appelante ne se comporte pas de mauvaise foi en faisant valoir cette irrecevabilité. Il ressort en effet de la doctrine précitée que les gérants doivent faire preuve de retenue lorsqu'ils doivent se déterminer sur une demande de renseignements formée par des associés dans un contexte conflictuel, comme c'est le cas en l'espèce, sous peine d'engager leur responsabilité. Dans ces conditions, l'appelante ne commet pas d'abus de droit en exigeant que l'assemblée des associés se prononce sur la demande de renseignements et de consultation, comme le prévoit le texte légal.

A cela s'ajoute que les intimés disposent déjà de nombreux renseignements sur la marche des affaires de la société. Dans leurs écritures, ils remettent en effet en cause, pièces à l'appui et de manière circonstanciée, l'exactitude des réponses apportées par l'appelante à leurs questions, démontrant par là qu'ils ont une connaissance étendue des questions qui les préoccupent. L'on rappellera qu'ils étaient de plus cadres dirigeants de l'appelante jusqu'à l'automne 2023.

La question 2 a iii est la suivante : "Quelles sont les prévisions du business plan ainsi que la courbe à terme USD:RUB utilisées dans l'évaluation de la valeur du marché" du groupe F______ dans les comptes de l'appelante. Celle-ci a répondu en cours de procédure à cette question de la manière suivante : "Ce point n'a pas fait l'objet de l'évaluation" (appel, p. 14).

Il résulte de ce qui précède que la demande de renseignement n'est recevable que s'agissant de la question 2 a iii, mais qu'elle est devenue sans objet pour celle-ci puisqu'il a été répondu à cette question en cours de procédure.

Le jugement querellé sera dès lors modifié en conséquence.

La requête déposée par les intimés est par contre recevable en ce qu'elle concerne le droit à la consultation des documents figurant au ch. 4 du dispositif du jugement querellé puisque cette demande a bien été soumise à l'assemblée des sociétaires de l'appelante, qui n'y a pas donné droit dans les délais impartis.

Contrairement à ce que fait valoir l'appelante, les intimées ont vraisemblablement un intérêt légitime à obtenir la consultation des documents qu'ils désignent. En effet, ils contestent partiellement l'exactitude des réponses fournies à leurs questions par l'appelante et seule la consultation des documents litigieux peut leur permettre de vérifier si leurs doutes sont fondés. Leur démarche ne relève pas de l'abus de droit puisqu'il ressort du dossier que les décisions prises et les transactions intervenues entre 2023 et 2024, notamment la dévalorisation de la participation de l'appelante dans F______ et la cession de cette participation, sont susceptible d'avoir un impact sur la valeur de leurs parts sociales. En particulier, il est compréhensible que l'opération par laquelle l'appelante s'est dessaisie de cet actif pour la somme de 1 fr., actif revendu ensuite à un tiers pour la somme de 10'000'000 fr., suscite des interrogations chez les associés minoritaires.

La consultation des documents requise est en lien avec ces éléments, de sorte que c'est à juste titre que le Tribunal a retenu que les intimés avaient un intérêt légitime à celle-ci. Le premier juge n'était en particulier pas tenu de procéder à une "analyse spécifique" de l'intérêt à la consultation des intimés pour chaque question, contrairement à ce que soutient l'appelante.

Les documents requis par les intimés sont inclus dans la notion de "livres et dossiers" figurant à l'art. 802 al. 2 CO, étant précisé que cette expression doit être interprétée largement, comme la doctrine le souligne.

L'appelante n'explique par ailleurs pas en quoi concrètement consiste le risque que les intimés utilisent les informations obtenues pour des buts étrangers à la société et au préjudice de celle-ci. La consultation des documents ne saurait dès lors être refusée aux intimés pour ce motif.

Par contre, l'appelante reproche à juste titre au Tribunal de l'avoir condamnée à fournir une copie de tous les documents concernés à ses parties adverses. L'art. 802 al. 2 CO autorise les associés à consulter des documents, mais n'oblige pas la société à transmettre à ceux-ci l'intégralité desdits documents en copie. Les associés doivent cependant être autorisés, s'ils le souhaitent, à lever copie des documents pertinents.

Le chiffre 4 du dispositif du jugement querellé sera dès lors modifié conformément aux considérants qui précèdent.

Il sera fait obligation à l'appelante de mettre à disposition des intimés les documents que ceux-ci requièrent. Ceux-ci pourront être consultés au siège de la société. Les intimés seront autorisés à effectuer ou faire effectuer des copies de certains documents, à leurs frais. Il n'y a par contre pas lieu de demander aux intimés de signer une "déclaration écrite attestant de l'étendue de la consultation". En effet, cette dernière résulte des termes du présent arrêt.

4. Le Tribunal a retenu que, "compte tenu du refus réitéré" de l'appelante "de donner une suite, même partielle" à la requête des intimés, il se justifiait de prévoir qu'une amende de 1'000 fr. au plus par jour pourrait lui être infligée si elle ne déférait pas aux injonctions qui lui étaient faites dans les 30 jours.

L'appelante fait valoir que cette mesures d'exécution viole le principe de proportionnalité. Elle n'avait pas opposé de refus réitéré aux demandes des intimés et avait au contraire essayé de les satisfaire, tout en respectant les intérêts de la société.

4.1 Selon l'art. 343 al. 1 CPC, lorsque la décision prescrit une obligation de faire, de s’abstenir ou de tolérer, le tribunal de l’exécution peut notamment assortir la décision de la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP, prévoir une amende d’ordre de 5000 francs au plus ou prévoir une amende d’ordre de 1000 francs au plus pour chaque jour d’inexécution.


 

Dans le choix de la mesure d'exécution à prendre, le juge de l'exécution n'est en principe pas lié par les conclusions du requérant. Il doit choisir la mesure la plus efficace, tout en respectant le principe de proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 4A_270/2022 du 27 octobre 2022 consid. 5.3.3).

La menace de la peine de l’art. 292 CP ne peut pas être adressée à une personne morale mais doit l'être à ses organes. Seule une personne physique, prise pour elle-même ou en sa qualité d’organe d’une personne morale, peut être visée par une telle mesure d’exécution qui revêt un caractère pénal (art. 292 CP et art. 102 CP a contrario; TC/VS du 28.9.2020 (C1 19 264) consid. 3.9.6.2).

4.2 Il ressort des considérants qui précèdent que l'appelante a partiellement fait droit, avant l'introduction de la requête, aux requêtes des intimés.

Aucun élément ne permet de retenir à ce stade que la menace d'une amende journalière, qui est une mesure incisive, est nécessaire pour s'assurer qu'elle fera le nécessaire pour permettre aux intimés de consulter les documents désignés au chiffre 4 du dispositif du jugement querellé.

La menace de la peine prévue par l'art. 292 CP, à savoir l'amende, paraît suffisante pour assurer l'exécution des injonctions qui lui sont faites aux termes du jugement querellé et du présent arrêt.

Le chiffre 5 du dispositif du jugement querellé sera dès lors annulé et modifié en ce sens.

5. 5.1 Compte tenu de l'issue du litige, il se justifie de modifier la répartition des frais et dépens opérée par le Tribunal.

Dans la mesure où aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais judiciaires de première instance, arrêtés à 3'000 fr. et compensés avec l'avance fournie par les intimés, seront mis à parts égales à charge de l'appelante et de ceux-ci (art. 26 RTFMC; 106 al. 2 et 111 aCPC). L'appelante sera dès lors condamnée à verser 1'500 fr. aux intimés, pris solidairement, au titre des frais judiciaires de première instance.

Chaque partie gardera ses dépens à sa charge pour les mêmes raisons.

Le fait que la requête soit devenue sans objet en tant qu'elle était formée par B______, en raison de la vente de ses actions à l'appelante, intervenue postérieurement à l'introduction de la procédure, ne justifie pas que des frais et dépens soient mis à la charge de ce dernier, contrairement à ce que soutient l'appelante.

5.2 Les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 3'000 fr. (art. 26 et 35 RTFMC), seront également mis à parts égales à la charge de l'appelante et des intimés. La part due par l'appelante sera compensée à due concurrence avec l'avance de 3'000 fr. versée par ses soins, le solde en 1'500 fr. lui étant restitué (art. 111 CPC).

Les intimés seront condamnés solidairement à verser 1'500 fr. à l'Etat de Genève au titre des frais judiciaires d'appel.

Il ne sera pas alloué de dépens d'appel.

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ & CIE SARL contre le jugement JTPI/2852/2025 rendu le 17 février 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/10675/2024–S1 SFC.

Au fond :

Annule les chiffres 2, 3 et 5 à 10 du dispositif de ce jugement et, statuant à nouveau :

Déclare sans objet la requête de renseignements déposée par C______ SA, E______ et D______ le 8 mai 2024 en tant qu'elle porte sur la question 2 a iii de la requête.

La déclare irrecevable pour le surplus.

Modifie le chiffre 4 du dispositif du jugement précité et condamne A______ & CIE SARL à autoriser C______ SA, E______ et D______ à consulter, dans ses locaux sis no. ______ rue 1______, [code postal] Genève, les documents désignés au chiffre 4 du dispositif du jugement du Tribunal de première instance JTPI/2852/2025 du 17 février 2025 et à en lever copie à leurs frais.

Avertit les gérants de A______ & CIE SARL, à savoir I______, J______ et K______, que cette obligation leur incombe aussi et dit qu’à leur endroit, le présent jugement est rendu sous la menace de la peine de l’art. 292 du code pénal, qui a la teneur suivante : "Quiconque ne se conforme pas à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents est puni d’une amende."

Arrête les frais judiciaires de première instance à 3'000 fr., les compense avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______ & CIE SARL à hauteur de 1'500 fr. et à la charge de B______, C______ SA, D______ et E______, pris solidairement, à hauteur du même montant.

Condamne A______ & CIE SARL à verser à B______, C______ SA, D______ et E______, pris solidairement, 1'500 fr. au titre des frais judiciaires de première instance.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de première instance.


 

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 3'000 fr. et les met à la charge de A______ & CIE SARL à hauteur de 1'500 fr. et à la charge de B______, C______ SA, D______ et E______, pris solidairement, à hauteur du même montant.

Les compense à hauteur de 1'500 fr. avec l'avance versée par A______ & CIE SARL, acquise à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ & CIE SARL le solde en 1'500 fr. de l'avance versée.

Condamne solidairement B______, C______ SA, D______ et E______ à verser 1'500 fr. à l'Etat de Genève au titre des frais judiciaires d'appel.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

La présidente :

Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.